L'atelier intensif annuel

Écrit par
Julien Monfort
C’est une mécanique bien huilée que nous a léguée Stéphane Hanrot.

Lorsque je l’ai rejoint en 2014, après avoir été moi-même invité à encadrer plusieurs Work-Shops Bateau-Bus sous sa direction, il n’y avait qu’à maintenir l’impulsion pour que la puissante machine poursuive sur sa dynamique. Pour avoir encadré des workshops longtemps et un peu partout dans le monde, Tech-Univ. Berlin, ENSA-Versailles Licence / Maitrise à Shanghai et Chongching pendant trois ans, ou EFRJ Rio de Janeiro pendant 4 ans, je peux témoigner de l’extraordinaire efficacité que ce professeur un peu mathématicien a réussi à insuffler à son programme. Le format : 2 semaines, l’échelle : +/-120 étudiants, +/- 12 encadrants, +/-10 moniteurs ; la préparation sous forme d’atelier, la post-production, mais aussi les partenariats institutionnels et universitaires… Tout est optimisé au maximum. Et pourtant, la veille de son décès, Stéphane m’a convoqué à l’Hôpital pour me donner ses instructions afin de développer encore le concept. Oui, il est possible d’aller plus loin, et je vais m’y efforcer. En attendant, je propose un texte rédigé à quatre mains avec Stéphane qui décrit un peu les modalités, et les objectifs de ce workshop qui anime la rentrée d’hiver de l’école d’architecture depuis plus d’une décennie maintenant.

Séance de travail, 2018
Séance de travail, 2018

« Depuis onze ans, le workshop annuel de 4ème année constitue un contrepoint essentiel aux ateliers de projet jalonnant le reste des études. Ici, pas de temps long, pas d’options et autres séminaires à gérer en parallèle. Pendant deux semaines, les 120 étudiants de 4ème année travaillent à l’école d’architecture en continu, soit 12 équipes de 10, chacune encadrée par un enseignant ou une personnalité extérieure compétente. L’objectif pédagogique de ce workshop est d’amener les étudiants à proposer des projets pertinents à une échelle territoriale réaliste. Pour ce faire, ils doivent miser sur le travail d’équipe, fondé sur deux outils fondamentaux : le débat de groupe et la complémentarité des compétences. Cela signifie apprendre à s’organiser collectivement et à gérer avec bienveillance les situations de conflit.

Cette question fait l’objet d’une présentation spécifique appuyée sur divers travaux de recherche ayant pour objet « l’intelligence collective ».

 

Enseignements coopératifs

Afin d’offrir des thèmes de réflexion de qualité, l’atelier de projet de deuxième année de Master « Interface Ville/Nature » du département Architecture Ville et Territoire est dédié à l’organisation du workshop. Pendant un semestre, les étudiants réalisent une analyse poussée du site. Celle-ci permet l’élaboration d’un corpus de scénarios qui constituent des axes de projet développés par les 120 participants au workshop. À la fin des deux semaines, les étudiants de l’atelier récupèrent les travaux et les mettent en forme afin de permettre la production d’une publication et d’une exposition. Certains étudiants continuent à explorer les thèmes abordés sous forme de projets de fin d’étude (PFE) au second semestre. D’autres enfin prolongent leurs études par des thèses encadrées par l’école durant trois ans. Cette organisation est ainsi fondée sur la coopération des enseignements entre atelier de projet de 5ème année, workshop de 4ème année, projets de fin d’étude, et doctorats.

 

Coopérations locales et internationales

Les premières éditions du workshop ont notamment permis d’alimenter les réflexions sur la mise en place de Bateaux-Bus, faisant aujourd’hui partie intégrante du dispositif de transport de la métropole Aix-Marseille. Les années suivantes, l’événement a été organisé en partenariat avec le Grand Port Maritime de Marseille et Fos, dans l’objectif de réfléchir à l’avenir de ses portes et de son hinterland. Depuis cinq ans, le workshop fait l’objet d’une collaboration avec le parc national des Calanques, pour questionner l’interface entre espaces urbanisés et parc naturel. Parallèlement à ces coopérations et partenariats locaux, le workshop se donne aussi pour objectif de rayonner à l’échelle internationale. En témoigne le montage du workshop International de Design Urbain Recife-Marseille en 2009 : “Potentialités des Bateau-Bus comme alternative pour le transport urbain”. Par la suite, deux autres workshops ont été organisés au Brésil, avec les universités de Natal et de Sao Luis. Aujourd’hui, le workshop organisé à Marseille est en lui-même un lieu de rencontres et d’échanges international. Chaque année, des professeurs d’universités étrangères (États-Unis, Japon, Brésil, GB, RFA, Danemark.) sont invités à encadrer les équipes.

Visite de site à La Ciotat, 2018
Visite de site à La Ciotat, 2018

 

Apprendre à coopérer en équipe

Le workshop est avant tout une initiation au projet en groupe. En effet, les étudiants architectes sont peu formés à la conception collective dans leur parcours classique et ils apprennent ici à mettre leurs compétences et leurs envies au service d’un collectif, à maîtriser leur égo et prendre des responsabilités pour le bien commun. Pour faciliter l’organisation des équipes, quatre rôles sont définis au préalable : un secrétaire, un scribe, un maître du temps et un manager. Les trois premiers sont membres à part entière du groupe et continuent à participer au débat collectif (idées et production documentaire). Le manager a un statut un peu particulier. Il a un rôle d’encadrement de l’équipe, une attention au bien-être de chacun et doit être capable de prendre du recul dans les discussions et débats afin de pouvoir arbitrer dans le cas où le ton monte. Le rôle de l’encadrant est ici essentiel pour faciliter et pacifier le travail collectif. Il est à la fois stimulateur de l’équipe, mais aussi référent dans l’organisation de celle-ci. Toutefois, à la différence d’une situation professionnelle, il n’est pas chef d’agence même s’il fait appel à ses compétences organisationnelles. La présence d’acteurs institutionnels, de scientifiques, d’ingénieurs, d’urbanistes et d’architectes est aussi une ouverture à la maîtrise d’ouvrage et aux compétences expertes avec lesquelles l’architecte sera amené à collaborer. Pour les étudiants, c’est une façon de rencontrer le monde professionnel dans sa diversité. Dans cette transposition de la réalité, les étudiants apprennent à s’assumer collectivement.

Repas festif à la veille du rendu, 2018
Repas festif à la veille du rendu, 2018

 

Prendre part au débat public

A la fin du workshop, les projets sont présentés et commentés durant toute une journée devant un public ouvert d’étudiants, de techniciens, de politiques et d’associations. Il s’agit d’une transposition de ce que l’on pratique aujourd’hui sous le terme de concertation. Chaque équipe se doit d’être solidaire, convaincante et, en même temps, capable d’écoute. C’est une autre dimension de l’exercice que de savoir communiquer un projet et en débattre pour le faire évoluer, l’enrichir. Au-delà de l’exercice pédagogique, les projets entrent dans le débat public. Ce débat se prolonge par le biais d’expositions publiques et de publications sous forme de livret. Dès lors, le workshop s’intéresse à une prise de position citoyenne de l’architecte.  Celle qui engage le projet architectural et urbain comme un moyen pour agir sur la société dans laquelle il vit. »

Débat sur le territoire – la carte comme outil de réflexion
Débat sur le territoire – la carte comme outil de réflexion
L'auteur
Julien Monfort

Julien Monfort est maître de conférences à l’école dans le champ TPCAU, architecte et co-fondateur de l’agence MOA-Architecture. Pour l’année scolaire 2018-2019, il encadre le stage de chantier et enseigne “l’équipement métropolitain” en Licence ainsi que les “projets dans le territoire” en Master entre autres enseignements..

Ses articles

Extrait de la revue

2
Le workshop: une forme de pédagogie coopérative
Retour sur plus de dix ans d’expérience
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