Densification pavillonnaire et énergie

Résumé

Le réchauffement climatique, l’épuisement et le coût des énergies fossiles sont autant d’interrogations qui mettent la question de l’énergie au centre des préoccupations du monde actuel. Cette question est plus cruciale lorsqu’elle est liée au bâtiment et au transport. En effet, ces deux secteurs sont considérés, selon le service de l’observation et des statistiques parmi les secteurs les plus énergivores en France puisque à eux deux ils totalisent près 78 % des consommations énergétiques.

Par ailleurs, le secteur résidentiel est responsable, à lui seul, de 30 % des consommations, sachant que 75 % des logements qui seront habités en 2050 sont déjà construits. L’enjeu le plus important n’est donc pas le neuf mais bien la rénovation. Or dans l’habitat ancien, l’agence Enertech[1] souligne que seule une minorité de propriétaires réalise des travaux d’efficacité thermique, souvent de manière partielle compte tenu des coûts très élevés de la rénovation complète des bâtiments. En effet, les habitations d’avant 1975, notamment les maisons pavillonnaires dont la part est de 55 % du parc logement, ont une consommation de chauffage par m² deux fois plus élevée que les habitations plus récentes. Cette forte consommation est généralement accompagnée à une consommation énergétique liée aux transports étant donné que ces pavillons sont souvent implantés en dehors des centres urbains. En plus d’un accroissement de l’étalement urbain des tissus pavillonnaires sur des terrains agricoles, cette situation fait craindre une amplification des situations de vulnérabilité énergétique pour les ménages dont la facture de chauffage s’alourdit fortement ce qui les conduit à se restreindre en sous-chauffant.

Partant de ce postulat, je me suis interrogée sur les leviers permettant d’une part de contrôler le grignotage des terres agricoles/naturelles en France dû à l’étalement urbain et d’autre part de réduire la part des consommations d’énergie domestique de l’habitat pavillonnaire. Cet objectif a été appuyé également par le fait que l’état ne cesse de multiplier ces progrès en termes de renouvellement urbain notamment avec l’apparition de loi SRU en 2000, puis récemment encore la loi ALUR en 2014. « Refaire la ville sur la ville » est devenu donc l’un des mots d’ordre de l’aménagement urbain susceptible de concilier maîtrise de l’étalement urbain et l’appétence des français pour la maison individuelle. [Miet., 2012]. De ce fait, la densification des quartiers pavillonnaires me parait comme une alternative clé qui pourrait réduire les consommations énergétiques des ménages tout en bénéficiant de nouveaux logements.

Pour répondre à cette problématique, j’ai proposé une méthode qui consiste à croiser une approche intensive centrée sur un petit nombre de cas avec une approche extensive basée sur une échelle plus large, en l’occurrence celle de la métropole Aix Marseille Provence. La première échelle qui est celle du quartier permet d’estimer/mesurer les consommations d’énergie liées au chauffage des différents scénarios de densification et de vérifier/valider par la suite les résultats obtenus sur une échelle plus étendue. La seconde échelle qui est celle de la métropole a pour but d’identifier le gisement potentiel à la densification selon des critères définis par la démarche BIMBY, mais aussi d’évaluer le bilan énergétique que peut produire ce gisement par typologie constructive.

 

Problématique et hypothèses

En janvier 2016, le projet de loi a mis en place la création institutionnelle de la métropole Aix-Marseille Provence (AMP). Ce vaste territoire fusionne six établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Située dans le sud-est de la France, dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA), l’aire métropolitaine d’Aix-Marseille, avec ses 1,75 million d’habitants, est considérée comme la troisième plus grande aire métropolitaine française, après celle de Paris (11,9 millions d’habitants) et de Lyon (1,9 million). Elle se retrouve donc de plus en plus soumise à une forte consommation de l’espace par l’urbanisation, notamment avec l’apparition du phénomène de périurbanisation[2]. Un processus qui trouve son origine dans les pays anglo-saxons aux années 1940, et qui désigne, selon le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, « l’espace d’interpénétration de la ville et de la compagne caractérisé par l’importance des migrations quotidiennes de travail vers la ville et par le développement, en périphérie, de l’habitat pavillonnaire pour les classes moyennes »[3]. Cette définition n’est pas standardisée en Europe et change d’un pays à un autre. Eurostat parle d’« espaces intermédiaires »[4], l’OCDE d’espaces denses « significativement ruraux »[5].

En France, la périurbanisation, qui débute au milieu des années 1960, connait une forte émergence liée à la démocratisation de l’automobile, l’apparition des classes moyennes, et la promotion du modèle pavillonnaire. En dépit de sa popularisation, M. Vanier & E. Roux, en 2009 précisent dans leur ouvrage « La périurbanisation : problématiques et perspectives » que la périurbanisation est un phénomène multiforme et toujours controversé, malgré les multiples tentatives qui tentent à mieux le définir [Jaillet., Berger., 2007 ; Charmes., 2011 ; Dodier., 2012]. Il qualifie usuellement un espace « hétérogène » et « discontinu », constitué de communes rurales ou de petites villes dépendantes d’un pôle urbain, séparé de la banlieue dense et continue, et caractérisé par une morphologie hybride (mi ville, mi campagne) qui résulte d’une urbanisation en « saut de grenouille » très différente de l’étalement en « tache d’huile » à l’américaine. Ce mixte urbain-rural a été qualifié par [Minnaert., 2013] de « ville diffuse », de « ville émergente », ou encore « tiers espace »[6].

Les définitions citées plus haut du périurbain comme catégorie spatiale réduisent ce concept à sa dimension substantielle, et mettent de l’ombre sur son « esprit » comme lieu d’expression et de visibilité. En croisant ces deux composantes, on peut distinguer trois logiques qui favorisent sa production[7]. La première est une condition nécessaire mais non suffisante : c’est l’accessibilité. La vulgarisation de l’automobile et le développement des infrastructures ont permis de « rendre proche ce qui était lointain et lointain ce qui était proche » [Chalas., Dubois-Taine., 2007][8]. C’est ce qui explique l’ouverture de l’horizon résidentiel des ménages et l’ampleur des déplacements quotidiens. Toutefois, l’accessibilité n’entraîne pas en elle-même la déconcentration résidentielle. D’où une seconde logique qui est celle de l’écart [Lévy., 2011][9]. Elle est issue du grand mouvement anthropologique d’individualisme social qui permet à l’individu de choisir ce qui est de l’ordre du partage et ce qui est privé. Cette logique est incarnée par le modèle pavillonnaire, où la souveraineté semi-communautaire de la famille est assez présente (maison, jardin privé, voiture). Ce modèle est notamment soutenu par les politiques du logement à travers les crédits et les dispositifs d’aides. Des deux logiques précédentes découle une troisième, la logique du monde ségrégé. Ce dernier, qui dépend de la place qu’occupent les individus dans la société, tend à augmenter leur division selon leurs moyens et leurs goûts[10].

Les préoccupations d’ordre environnemental sont très présentes également et prennent le devant de la scène. On parle ici du phénomène de l’étalement urbain[11] et de voracité énergétique. Ces derniers résultent de la minéralisation des sols à un rythme sans précédent, au détriment des espaces naturels et la forte dépendance automobile induite par les basses densités. En effet, on peut remarquer qu’à l’échelle de la métropole d’Aix-Marseille-Provence, 71% de l’espace est urbanisé entre 1998 et 2006, contre 29% pour l’espace naturel mais aussi une forte consommation d’énergie du secteur résidentiel, qui s’élève à 2 736 ktep/an, soit près d’un quart de la consommation totale d’énergie sur toute la métropole. Autrement dit, en moyenne, une famille habitant une maison pavillonnaire en périphérie urbaine consomme quatre fois plus d’énergie (chauffage et transport inclus) qu’une famille en ville [CNOA., 2009].

Il semble donc que la ville étalée génère des surconsommations multiples tant en termes d’espace et de temps que d’énergie. D’ailleurs, l’analyse sur la mobilité urbaine menée en 1988 par P. Newman et J. Kenworthy et publiée dans un ouvrage intitulé « La Dépendance automobile » confirme le lien notable entre la consommation de carburant et la densité urbaine (Newman, 2000). Par leur étude, les deux chercheurs sont arrivés à la conclusion suivante : le principal paramètre décrivant la forme d’une ville est sa densité. Plus la densité d’une ville est élevée, plus la consommation d’énergie pour le transport est faible, cette relation évoluant de manière logarithmique. Avec cette étude, Newman et Kenworthy concluent qu’il est nécessaire de recourir à la planification urbaine et à la densification pour permettre de réduire les consommations d’énergie dans les transports [Arantes et Al., 2016].

Dans ce contexte, les nouvelles pratiques et réflexions qui émergent dans les débats publics et scientifiques invitent à repenser le pavillonnaire non seulement comme un tissu complexe et diversifié, mais aussi, comme un potentiel foncier sous-exploité [CERTU., 2009]. De plus, depuis l’apparition de la loi SRU[12]en 2000, puis récemment encore la loi ALUR[13] en 2014, « refaire la ville sur la ville » est l’un des mots d’ordre de l’aménagement urbain susceptible de concilier maîtrise de l’étalement urbain et l’appétence des français pour la maison individuelle. [Miet., 2012][14].

Partant de ces postulats, je me suis interrogée sur les questions suivantes : la densification pavillonnaire a-t-elle un impact sur les consommations énergétiques domestiques des ménages ? Peut-on considérer la densification pavillonnaire à l’échelle de la métropole Aix Marseille Provence comme remède à l’étalement urbain ? Et dans quelle mesure cette densification réduit-elle les consommations énergétiques des usagers ?

Dans cette optique, de nombreux urbanistes préconisent la compacité urbaine comme source d’économie d’espace et d’énergie [Arantes et Al., 2016][15] pour une ville plus durable. En revanche, cette problématique a surtout été prise en main par les pouvoirs publics qui ont concentré leurs efforts sur la gestion de la consommation énergétique dans le bâtiment sur une échelle plus large (nationale ou européenne) laissant derrière eux l’échelle micro-urbaine. Dans le domaine de la recherche, plusieurs études recommandent également la compacité des villes [Kirwan., 1992 ; Katz., 1994 ; Newman., 2000 ; Bertaud., 2003], pourtant aucune d’entre-elles ne démontre explicitement la pertinence de la ville compacte au regard des performances énergétiques et environnementales bien que de nombreux auteurs s’accordent sur ce point : « le bilan énergétique d’un bâtiment, même pris isolément, dépend fortement de la configuration physique du voisinage plus ou moins immédiat » [Maïzia., 2007][16].

Par ailleurs, si les tentatives relatives à la densification sont en réalité anciennes et nombreuses comme en témoigne l’exemple canadien avec la politique des « appartements accessoires » [Touati., 2013][17], elle reste néanmoins plus récente en France et voit le jour avec la recherche ANR-BIMBY[18] développée par David Miet et Benoit Le Foll en 2009 dans le cadre d’un appel à projets « Villes Durables ». Cette démarche a été considérée par certains comme une nouvelle filière de production de logements généralisables à l’ensemble du territoire national [Miet., Le Foll., 2013]. D’autres ont alerté sur les limites et les conséquences négatives en termes d’urbanisme, si le processus ne répondait qu’à la seule initiative individuelle à la parcelle [CASQY., 2012 ; CAUE27., 2012]. Ceci va des voies sous-dimensionnées au stationnement impossible, jusqu’à l’absence d’espaces publics et de lieux d’aménité, sans compter la disparition des jardins. [Hanrot., 2014][19].

La démarche en question a été testée sur la commune de Marseille, en collaboration avec l’Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise (AGAM) et l’ENSA Marseille. La méthode consiste à appliquer une série de critères afin d’identifier le gisement potentiel à la densification. A l’issue de ce travail, il en est sorti pas moins de 5 000 parcelles qui pourraient accueillir une maison supplémentaire sans nuire au caractère pavillonnaire des maisons existantes. Partant des conclusions du projet BINBY, j’ai posé une première hypothèse qui considère que cette démarche de densification pourrait être une alternative permettant de réduire les consommations d’énergie. Sur cette base, il est nécessaire d’identifier des gisements potentiels d’économie d’énergie sur une échelle étendue en l’occurrence, celle de la métropole Aix Marseille Provence. In fine, ce travail d’investigation à l’échelle d’un tel territoire permettrait de contribuer à réduire sensiblement les dépenses énergétiques et devrait conduire à produire une ville plus frugale.

Les objectifs de cette recherche sont de deux ordres. Il s’agit de montrer dans un premier temps l’impact de la densification pavillonnaire sur les consommations d’énergie et d’identifier dans un second temps le gisement potentiel qui peut impulser des économies sur un large territoire.

 

Méthode adoptée et premiers résultats

Pour répondre à ces questionnements, j’ai choisi de croiser une approche intensive centrée sur un petit nombre de cas avec une approche extensive à l’échelle de la métropole Aix Marseille Provence. L’intérêt étant de produire une base de réflexion qui pourrait servir les différents acteurs de la métropole (collectivités et institutions publiques), afin de lutter contre l’étalement urbain et réduire les consommations d’énergie engendrées par ce phénomène.

L’approche intensive m’a permis de décrire et d’analyser un lotissement à Aix en Provence (lotissement la Clairnande), composé de douze parcelles. L’ensemble des maisons a été construit dans les années 60 et a subi des modifications spatiales pour certaines, combinées à des travaux de rénovation thermique pour d’autres. Le choix de ce lotissement a été déterminé par un repérage cartographique, effectué au préalable. Le lotissement en question constitue un archétype de maisons pavillonnaires dans la métropole Aix-Marseille-Provence par sa forme (lotissement clos), par la position des maisons dans le terrain (maisons isolées), par la taille des parcelles qui est assez grande (1300 m² en moyenne).

Le travail sur ce cas d’étude est assez intéressant, car le lotissement est passé dans la révision du PLU[20] d’une zone UD[21] à une zone UM22, ceci se traduit par la possibilité d’accueillir de nouvelles opérations allant jusqu’à 59 logements lorsqu’une des parcelles est mise en vente. Dans cette optique, et après de multiples réunions et enquêtes semi-directives auprès des habitants, nous avons, avec Arnaud Sibilat[23] et Ion Maleas[24], modélisé les différents scénarii de densification permise par le nouveau et l’ancien PLU. Trois d’entre eux ont été retenus à cet effet:

– Scénario N°01 BIMBY UD : Une densification sur le modèle BIMBY, qui consiste en une densification douce, lancée par l’habitant par division de sa parcelle. Nous avons réalisé ce scénario dans le respect des règles du PLU en zone UD, sans pousser la densification au maximum rendu possible par cette réglementation. Nous avons seulement doublé le nombre de logements sur le lotissement, passant de 12 maisons à 24, ce qui serait un niveau de densification acceptable en termes d’accès, de stationnement, d’image du lotissement et de capacités des réseaux.

– Scénario N°02 UD maximum : Ce canevas montre ce que deviendrait le lotissement si, petit à petit, un promoteur rachetait les parcelles du lotissement, détruisant la maison existante de chaque parcelle pour y construire un nouveau bâtiment. La densification est poussée au maximum rendu possible par la réglementation de zone UD (ce qu’aurait tendance à faire un promoteur pour tirer le maximum de bénéfices du terrain qu’il a acheté). Ce niveau de densification change beaucoup l’aspect du lotissement, et pose des questions concernant les réseaux existants qui seront très certainement sous-dimensionnés, ainsi que sur les préjudices portées au cadre de vie d’éventuels habitants qui n’auraient pas vendu leur parcelle et se retrouveraient entourés d’immeubles (nouveaux vis-à-vis, perte de végétation, ombre portée, calme…).

– Scénario N°03 UM maximum : C’est le même que le précédent, sauf qu’il représente la densification rendue possible par le classement du lotissement en zone UM. Le niveau de densification est alors porté encore un cran au-dessus, accentuant les problèmes déjà évoqués.

Les figures ci-dessous montrent les trois scénarios de densification du lotissement La Clairnande :

Etat initial du lotissement la Clairnande, Sketchup, 2016 Densification en zone UD BIMBY du lotissement la Clairnande, Sketchup, 2016
Densification en zone UM maximum sans remembrement du lotissement la Clairnande,

Sketchup, 2016

Densification en zone UM maximum sans remembrement du lotissement la Clairnande,

Sketchup, 2016

 

L’objectif de ce travail est de monter, d’une part, la pertinence et la défaillance de chaque scénario selon des aspects quantitatifs : nombre de logements, stationnement, réseaux, surfaces bâties et projetées, coût,…etc. Il est aussi question de simuler, d’autre part, par des calculs simplifiés les consommations d’énergie liées au chauffage de chaque parcelle, en faisant des vérifications in situ des matériaux, de l’orientation, des types de vitrages, des systèmes de chauffage utilisés. L’intérêt de ce bilan simplifié est de définir non seulement la marge d’erreur qui pourrait exister entre les consommations d’énergie calculées pour le chauffage et les consommations réelles, en comparant les résultats obtenus avec les factures énergétiques. Mais aussi de montrer l’influence de l’orientation et des apports solaires, extraits par l’extension VirVil[25] de Sketchup, sur les consommations liées au chauffage lorsqu’on augmente le niveau de densification.

Parallèlement à l’approche intensive, l’approche extensive m’a permis dans un premier temps, d’identifier le potentiel pavillonnaire le plus pertinent pour un projet de densification à l’échelle de la métropole Aix-Marseille Provence. Pour cela, je me suis appuyée sur la méthode BIMBY, en mettant initialement l’hypothèse que toutes les parcelles privées comprenant un logement sous la forme d’une maison sont a priori favorables. Par ce travail cartographique, j’ai repéré et cartographié plus d’un million de parcelles. Toutefois, un certain nombre d’entre elles doit être écarté car leur densification réduit le caractère pavillonnaire de ces dernières [Hanrot., 2014]. J’ai donc prolongé ma réflexion, en m’interrogeant sur l’élaboration possible d’une méthode fondée sur le SIG, permettant de repérer l’ensemble des parcelles éligibles à la densification.

En utilisant le logiciel Q-Gis, j’ai soustrait toutes les parcelles appartenant aux secteurs où la construction est interdite. Il peut s’agir des zones inscrites au plan de prévision des risques (risques d’incendie, inondations, risques industriels…etc.), mais aussi des zones de bruit, des réserves naturelles. Pour affiner ce gisement j’ai introduit les critères suivants [Miet., 2013]:

En faisant une requête sur Q-Gis permettant de trouver l’ensemble des parcelles correspondant à ces critères, le résultat est d’environ 60 000 parcelles. Bien que cette méthode de requête cartographique ait des limites et nécessite des vérifications sur le terrain, elle montre néanmoins que le territoire de la métropole possède un gisement important qui pourrait être densifié sans s’étaler sur de nouveaux terrains.

Ce travail cartographique constituera dans un second temps, une base pour quantifier les consommations énergétiques des maisons pavillonnaires (densifiables) qui appartiennent au même archétype (même forme, même surface, même configuration, même âge) que notre cas d’étude, en l’occurrence celui de la Clairnande. Les résultats obtenus des calculs feront l’objet d’un prochain séminaire, allant de la plus petite échelle qui est celle de la maison puis le lotissement à la plus grande échelle qui est celle de la métropole.

 

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Références

[1] Enertech est un Bureau d’études spécialisé dans la performance énergétique du bâtiment. Issue du Cabinet Olivier Sidler, fondé en 1980, la SARL Enertech a été créée en 1998. En Juin 2015 la grande majorité des employés sont devenus actionnaires en adoptant le statut de SCOP.

[2] La périurbanisation est définie selon le dictionnaire Larousse, comme étant une urbanisation diffuse au-delà des banlieues ou de la périphérie d’une ville. Le terme périurbanisation tend à remplacer d’autres concepts dont le sens est identique ou voisin : exode urbain, exurbanisation, contre-urbanisation et rurbanisation. Il ne s’agit pas d’une réaction contre les villes mais plutôt d’une nouvelle phase de l’urbanisation.

[3] Levy J., Lussault M., 2003. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Belin.P769.

[4] Minnaert JB., 2013, Périurbains : Territoires, réseaux et temporalités, Lyon, ed. Lieux Dits.

[5] Ibid.

[6] Levy J., Lussault M., 2003. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Belin.

[7] Ibid.

[8] Chalas Y., Dubois-Taine G., 1997, La ville émergente, Arles. L’Aube

[9] Lévy J., 2001, préface, In Thmann Sandra & Daniel Pinson, La maison en ses territoires, Paris. L’Harmattan.

[10] Levy J., Lussault M., 2003. Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Belin.

[11] On peut parler d’étalement urbain quand le rythme de cette extension se fait plus rapide que celui de la croissance démographique : la surface consommée par habitant s’accroît. Il y a découplage entre croissance démographique et artificialisation du sol. Or, comme on le sait, l’un des principes fondamentaux du développement durable réside dans le découplage (mais dans l’autre sens) entre la croissance (économique, démographique) et l’utilisation des ressources et matières premières, au premier rang desquelles les ressources finies, dont le sol. On parle donc d’étalement urbain quand le processus d’urbanisation conduit à une diminution de la densité des zones urbanisées, du fait du développement de zones d’urbanisation peu denses en périphérie des pôles urbains et/ou, parfois, d’une diminution de la population en centre-ville.

[12] La loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) se caractérise par un ensemble de mesures visant à renforcer la démocratie et la décentralisation, à favoriser le développement durable et à privilégier la mixité sociale. Elle a été adoptée le 13 décembre 2000 et promulguée le lendemain.

[13] La loi ALUR (accès au logement et l’urbanisme rénové) a pour objectif de réguler les dysfonctionnements du marché, à protéger les propriétaires et les locataires, et à permettre l’accroissement de l’offre de logements dans des conditions respectueuses des équilibres des territoires.

[14] Petitet S., 2013, Densifier l’habitat pavillonnaire : des démarches individuelles aux projets collectifs, revue électronique, ed, Métropolitiques, consulté le 20/06/2015

[15] Arantes L., Marry S., Baverel O., Quenard D., 2016, Efficacité énergétique et formes urbaines : élaboration d’un outil d’optimisation morpho-énergétique, Grenoble, ed. Cybergeo : European Journal of Geography

[16] Ibid.

[17] Touati A., 2013, La densification pavillonnaire en débat, revue électronique, ed. Métropolitiques, consulté le 19/02/2016

[18] BIMBY : Build In My Back Yard

[19] Hanrot S., 2014, Pour une stratégie de projet urbain participatif dans les quartiers pavillonnaires. ENSA Marseille.

[20] Le plan local d’urbanisme PLU remplace désormais le Plan d’Occupation des Sols POS. Il présente le projet d’aménagement et de développement durable de la commune. Le PLU est encadré par le Schéma de Cohérence Territoriale SCOT, qui remplace le schéma directeur.

[21] La zone UD est zone urbaine dont la vocation est de maintenir les proportions existantes du tissu urbain essentiellement composé de bâti pavillonnaire pour leur permettre d’évoluer raisonnablement au regard des éléments de desserte existants et des qualités paysagères à ne pas altérer. Elle comprend un secteur UDh qui se différencie en termes de règle de hauteur maximale des constructions afin de maîtriser leur perception visuelle dans des espaces urbains de sensibilité paysagère. Elle exige dans son texte des hauteurs de constructions inférieur à 10 m jusqu’à la gouttière avec une emprise au sol de 40% plein terre.

[22] La zone UM est une zone urbaine qui a pour vocation d’optimiser le tissu urbain compte tenu de sa position centrale en termes de desserte et de proximité au regard des grands équipements. Elle concerne un tissu urbain où les parcelles et les constructions sont sous utilisées par rapport à leur environnement immédiat et permet d’optimiser le tissu urbain existant sans changer la physionomie générale du quartier, notamment en conservant la typologie de bâti discontinu. Elle favorise également la diversification des fonctions urbaines et la mixité de l’habitat. Elle exige quant à elle des hauteurs de constructions allant jusqu’ à 13 m jusqu’à la gouttière avec une emprise au sol de 60% plein terre.

[23] Arnaud Sibilat, doctorant en deuxième année à l’ENSA Marseille sous la direction de Stéphane Hanrot. Il s’intéresse à la question de l’impact de la densification pavillonnaire sur les jardins.

[24] Ion Maleas, doctorant en première année à l’ENSA Marseille sous la direction de Stéphane Hanrot. Sa recherche porte sur le processus de participation des habitants dans un projet de densification pavillonnaire.

[25] L’extension VirVil SketchUp est un outil de simulation énergétique développé par l’université de Cardiff., utilisable en phase initiale. Elle relie l’outil de conception 3D à un modèle de simulation dynamique HTB2.

Le territoire urbain en Méditerranée

Le séminaire “constitution, recomposition et densification du territoire urbain en Méditerranée” s’est déroulé de 2012 à 2016 en master 2 dans le département Architecture, Villes et Territoires

Ce séminaire entendait explorer les dynamiques urbaines contemporaines en Méditerranée selon deux axes particuliers :

Les deux axes invitaient à saisir le territoire à travers la diversité de ses échelles, du territoire métropolitain aux pratiques du quotidien. Car pour aborder ces questions complexes, il convient de former des architectes capables, par l’analyse et le projet, d’articuler les échelles du territoire, de l’urbain, du paysage et de l’édifié.

Cet article met en lumière les contributions des étudiants de la promotion 2014.

Un double parti pris sous-tend ce séminaire :

Sont présentés ici les textes ayant obtenu plus de 15/20 dans leur intégralité, ainsi que les résumés des autres mémoires produits lors du séminaire. L’équipe enseignante est particulièrement satisfaite du travail de la promotion 2013-2014 et du choix des sujets traités par les étudiants, tous dignes d’intérêt. L’encadrement du séminaire a été assuré par Alexandra Biehler, Stéphane Hanrot, Nadja Monnet, Clément Péqueux;


Modes de constitutions de l’espace public urbain : les pratiques et les formes ( Axe 1).

Alexandra Biehler + Nadja Monnet

Le travail de recherche proposé aux étudiants durant le séminaire répond à un souhait de mieux comprendre la genèse de l’espace public urbain.

Il s’agissait pour les étudiants de mettre à jour d’éventuels processus de constitution d’espace public, en étudiant des espaces urbains, des projets existants, ou en cours de constitution.

Il est en fait question d’appréhender la réalité des modes de vivre en ville selon les concepts de différentes disciplines, notamment la géographie et l’anthropologie, tout en utilisant leur regard et leur expérience d’étudiant en architecture.

Les étudiants (de l’axe 1) ont essentiellement travaillé sur la manière dont l’espace est constitué, composé, établie, perçu, au travers de l’observation et de l’étude des formes et des pratiques pour questionner et débattre de la notion d’espace public.

Caroline Zaruba, dans son mémoire « Ambiance et perception sensible : expérimentation en milieu urbain », a développé ce qu’elle considère comme étant le substrat essentiel de l’espace public urbain : l’ambiance de la rue et les perceptions que peuvent en avoir les citadins. À travers un travail de terrain qui prend en compte autant la morphologie, l’histoire et les témoignages des acteurs des espaces du quartier du Camas, Caroline Zaruba montre que si la singularité de chacune des rues qui composent le quartier est évidente, c’est leur complémentarité qui permet de rendre le quartier identifiable et identifié

Florence Martin, quand à elle, à travers l’étude de l’histoire de trois place du centre ville de Marseille, mais aussi de leur organisation et des usages qu’elles portent, a souhaiter témoigner de la dialectique qui existe entre formes et usages. Elle montre ainsi combien les espaces publics de nos villes sont sensibles aux changements de notre société et en sont en même temps le reflet ; et aussi comment des espaces centraux à priori équivalent quant à leur statut peuvent être différent aux regards des pratiques citadines qui leur sont attachés et des enjeux qui leurs sont liés.

Se posant simultanément la question du statut des galeries marchandes des centres commerciaux, et des caractéristiques d’un espace public “qui fonctionne” – selon ces termes, c’est-à-dire d’un espace vivant, fréquenté, Maxime Molinari pose la question du statut des espaces publics urbains au XXIe siècle. Par le biais d’une approche théorique et d’une analyse de galeries marchande du centre commercial de la Valentine, Maxime Molinari questionne ainsi les critères qui définissent l’espace public et le devenir des centres villes et de leurs espaces publics traditionnels.

C’est également dans un espace public particulier de notre époque et qui s’est fortement développé depuis l’instauration des congés payés sur lequel Karen Le Corroller a décidé de travailler. Inspirées des méthodes développées par Jean – François Augoyard, Jean-Yves Petiteau et Elisabeth Pasquier ainsi que Jean- Paul Thibaud, elle s’est laissé emmener par les pas de cinq Marseillais pour revisiter les plages du Prado. Dans leurs cheminements, elle s’est intéressée à ce qui faisait limites pour ses interlocuteurs, ce qui les contraignaient ou au contraire les encourageaient à déambuler dans cette nouvelle centralité urbaine. Son étude met clairement en évidence que si l’espace public est apparemment ouvert à tous, tout le monde n’y est pas accueilli de la même manière et tous ne se permettent pas de s’y rendre à tout moment, selon leur origines socio-culturelles, leur, âge, sexe ou encore en fonction du jour ou de la nuit.

Quant à Romain Jacquinet, c’est le thème de la sécurisation de l’espace public qui l’a interpellé. Au travers de l’analyse du processus de réhabilitation de la place de la République à Paris, il a cherché à comprendre de quelle manière les dispositifs mis en place pour prévenir des usages non conformes aux attentes influence la sociabilité et les dynamiques de l’espace public. Ses réflexions ne sont pas sans nous rappeler l’étroit lien qu’il y a entre le contrôle des corps et le début de l’illumination des rues qui actuellement est couplée à un balayage constant de caméras de surveillance vidéo.

C’est sur la Rue de la République à Marseille qu’a choisi de travailler Mélanie Fretti pour réfléchir à l’impact de la rénovation urbaine. Revisitant l’histoire de cette artère importante et structurante de la ville, elle s’est attelée ensuite à comprendre le dialogue qui s’établit entre les rez-de-chaussée d’immeubles et la voie publique quand celle-ci est traversée par une voie de tramway.

Fortement marquée par son séjour ERASMUS en Italie, Marine Garand a voulu comprendre le rapport à Marseille des jeunes étudiants, récemment installés dans la ville phocéenne. A la lumière des travaux de Kevin Lynch, elle leur a demandé de lui fournir des cartes mentales des espaces qu’ils fréquentaient assidument. Elle s’est aussi intéressée à l’image qu’ils avaient de la ville avant leur arrivée et à leurs premières impressions en s’installant. En les suivant dans leurs processus d’adaptation à leur nouvel environnement quotidien, elle met en évidence des mécanismes d’apprentissages spécifiques à chacun d’eux mais qu’elle postule de nature bien différente à ceux mis en place par les personnes qui arrivent dans un contexte migratoire moins favorable.

Asya Dimitrova et Aurelio Anthony ont tout deux pris comme cas d’étude, l’ancien quai des Belges du Vieux port de Marseille et son récent réaménagement conçu par Norman Foster et Michel Desvignes. En se penchant très concrètement sur l’ombrière, Asya Dimitrova s’est demandé si cet objet architecturé pouvait se hisser au rang d’œuvre d’art, ce qui l’a incitée à réfléchir au statut de l’art dans l’espace public et l’a amené à comparer l’ombrière de Marseille au Miroir d’eau à Bordeaux. Quant à Aurelio Anthony, son but a été de recenser les usages en vigueur sur ce quai avant et après les travaux et de voir en quoi ils avaient variés ou s’étaient maintenus. En suivant un protocole précis, inspiré de la démarche de Jacques Cosnier, patiemment, heure par heure, jour par jour, il a réalisé une éthologie minutieuse de ce site, accompagnée de recherche documentaires pour saisir les pratiques actuelles et passée de ce qui s’est transformé en une nouvelle place publique (agora ?) de la ville dont le nom (la place de la Fraternité) suggère que les pouvoirs publics marseillais souhaitent (re – ?) créer du lien entre les citadins[1].

Finalement, Julie Freychet s’est penchée sur la question de la représentation cartographique de l’espace public. Utilisant comme point de départ le travail de Giambattista Nolli qui, en 1748, représente la ville de Rome en plan « poché » et fait de la sorte apparaître les porosité de l’espace public, elle initie une réflexion sur la manière de cartographier l’espace public de notre XXIème siècle. Ses interrogations sont alimentées non seulement par des lectures théoriques mais également par une démarche empirique au travers de laquelle, elle met, peu à peu en place un système de représentation graphique qui alimente le débat sur la notion d’espace public et qui permet de mettre en relation des forme, des sens et des dimensions possibles de l’espace. Un travail qui allie donc théorie et pratique et où celles-ci se complémentent et se rétroalimentent sur une tranche de ville concrète : la rue du marché des Capucins, le Cours Julien et la place de Notre Dame du Mont à Marseille.


[1] Et c’est à escient que nous ne parlons pas de citoyens mais de citadins car comme il est désormais trop bien connus, tous les citadins, à savoir un quelconque habitant de la ville, ne jouissent pas forcément des droits (même si souvent ils répondent des mêmes devoirs) que les citoyens.



Éthique et Responsabilité de l’Architecte : Le périurbain, densité/mobilité et relations ville/nature (Axe 2).

Stéphane Hanrot + Clément Pecqueux

Ce séminaire aborde les questions de densification et mobilité et les relations entre ville nature, dans le périurbain, en ce qu’elles interrogent l’éthique et la responsabilité de l’architecte.

Le périurbain – tel qu’il est constitué aujourd’hui de pavillonnaire, de grands ensembles et de pôles commerciaux et industriels – questionne l’architecte dès lors qu’il se préoccupe d’une limitation de l’étalement des villes. Il se questionne sur les relations complexes que la ville entretient avec la nature et l’agriculture. Sur le périurbain qui réduit, parcellise et détruit l’une et l’autre, comme il s’installe tout en les idéalisant et en recherchant leur proximité ; qui privatise les accès informels, les chemins agricoles et forestiers de territoires libres de campagne et de nature. Questions encore sur cet art de vivre “entre soi“, dans sa maison, utilisant quotidiennement sa voiture et profitant exclusivement de son jardin. Un art de vivre qui n’est pas si facile à maintenir aux différents âges de la vie : quand les enfants s’en vont ; quand l’isolement se fait sentir parce que le travail – à cause du chômage ou d’une retraite – n’assure plus le lien social que l’on trouvait au-delà de son voisinage immédiat ; quand l’accès aux services, commerces et activités prend du temps car ceux-ci sont lointains et demande une voiture qui coûte cher. Questions toujours sur les césures entre les lotissements, les résidences et les grands ensembles qui ont tendance à se refermer sur eux-mêmes, rompant les chemins de traverse qui rendaient encore possible la marche à pied et l’usage du vélo.

C’est sur ces différentes préoccupations et à bien d’autres que les étudiants de l’axe 2 ont développé leurs mémoires de séminaire.

Leur posture de recherche mettait en jeu leur éthique et leur responsabilité d’architecte pouvant potentiellement intervenir comme acteur dans le périurbain. Il leur fallait comprendre grâce aux outils de l’architecte sur l’histoire et la morphologie, ses types et ses modèles. Mais dans un territoire constitué et habité, ils se devaient de croiser leurs approches architectoniques avec le point de vue habitant, saisi sur le terrain. Dans un souci de capitalisation des travaux et d’information des décideurs institutionnels, les travaux devaient porter sur le territoire Marseillais. Enfin, les étudiants ont en général repris les thèmes abordés dans ces mémoires à l’occasion de leurs projets de fin d’étude (PFE).

Sont présentés, in-extenso quatre des travaux correctement aboutis. D’autres, encore davantage perfectibles sont présentés par leurs résumés. Ils abordent néanmoins des thèmes essentiels. Citons en particulier le travail de Jehanne Delbé sur l’étanchéité que créent les jardins pavillonnaires envers les flux animaux et humains et les dispositifs architecturaux et paysagers qui pourraient y pallier. Egalement sur les habitats pavillonnaires, le travail de Sophie Fougerat a interrogé les relations socio-spatiales dans les zones d’habitat privé de la Valbarelle à Marseille. Elle s’est attachée à montrer le lien complexe qui s’opère entre les espaces privés de l’entre soi, de la propriété privée et l’espace public de la ville, dont elle a par la même relevé les différents rôles, degrés d’appropriation et valeurs symboliques, au regard des représentations habitantes et de leurs pratiques. Le tout remettant en perspective les ambitions de développement urbain dans ce secteur nécessitant une connexion massive aux infrastructures publiques de la métropole. Citons aussi l’étude que Kewin Tognetti a mené sur les causes du mauvais entretien des espaces publics à Marseille au travers duquel il a confronté le responsable des services concernés de Marseille Provence Métropole (MPM) à un relevé précis des désordres gênants et, de là, construit une comparaison avec le protocole lyonnais de maintenance de ces mêmes espaces. Citons encore le regard que porte Sabrine El Aoufi sur les relations ville/nature au travers d’une comparaison de deux parcs périurbains – la campagne Pastré à Marseille et Perdicari à Tanger, qui met en évidence l’origine des blocages institutionnels qui conduisent à la dégradation de ce dernier. Pour terminer, nous tenons à évoquer le travail de Martin Rabine, qui fort d’un positionnement original, a remis en question les dynamiques de développement des mobilités métropolitaines prochainement à l’œuvre dans la Vallée de l’Huveaune à Marseille, en particulier dans le quartier historique de Saint-Marcel. Posant la question des vertus de l’immobilité, Martin a constitué une analyse des modes de développement de cet ancien village de la campagne marseillaise, tant en termes d’économie que d’organisation sociale et les a remis en perspective face aux besoins actuels de retour à la ville des proximités.

Anansa Gauberti a abordé le thème de l’agriculture urbaine pour investir en profondeur les jardins familiaux, leurs caractéristiques morphologiques, productives et sociales. Elle a essayé de comprendre les raisons de leur distribution dans la périphérie Marseillaise. La combinaison d’un foncier agricole disponible, de l’adduction d’eau par le canal qui irriguait anciennement les bastides et l’implantation des grands ensembles a été déterminante. Elle a, de là, proposé un inventaire des situations opportunes qui pourraient être actualisées.

Camille Desoroux a très précisément investi la question de la résidentialisation des grands ensembles en travaillant sur des projets réalisés et en cours dans les quartiers Nord. Son travail sur le terrain lui a permis de mesurer une certaine efficience de cette doctrine, mais aussi les distorsions entre ce qu’elle positive dans ses annonces et ce qui est ressenti par les habitants dans les faits.

Eloïse Chevrolat et Aymann Musbally ont travaillé de façon complémentaire à la compréhension du fonctionnement sur deux quartiers pavillonnaires de la vallée de l’Huveaune. Aymann s’est attaché à montrer les paradoxes de la mobilité dans le tissu pavillonnaire qui privilégie l’automobile y compris pour les courtes distances, à cause d’un espace piéton dégradé. Quant à Eloïse, sa lecture de ces mêmes quartiers, à l’aune des cités jardins, montre comment les équipements et les espaces publics font défaut dans ces quartiers et quels dispositifs pourraient être mis en œuvre pour y pallier.

En s’appuyant sur ces études, on pourrait ainsi considérer que la discontinuité des traverses – comme les berges du canal de Marseille qui ne sont praticables par les piétons que par endroits alors qu’elles traversent tous les quartiers de la vallée de l’Huveaune – tout comme la fermeture des lotissements et des résidences, rallongent les distances à parcourir pour rejoindre les écoles, les services et les quelques commerces qui persistent. Ce qui pousse les habitants à utiliser leur voiture. L’étroitesse des voies qui résulte de cet urbanisme et la mauvaise qualité des espaces publics réservés aux piétons accentuent ce phénomène. Une fois dans leur voiture, les habitants préfèrent aller faire leurs courses au supermarché ou aller dans un club de sport près du centre commercial plutôt que d’utiliser les ressources de proximité. Condamnant celles-ci à disparaître faute de clientèle. La qualité des espaces publics et des cheminements piétons et cycles, et leurs continuités, seraient bien, comme le relève Jean Häetjens, une des clés de l’abandon de la voiture sur les courtes distances. Mais ce serait aussi la condition pour que la vie sociale se redéveloppe dans ces quartiers autour de services publics et privés vivants. Les conditions d’une “ville passante“, comme la dénomme David Mangin.

En fin de compte, nous tenons à remercier tous ces étudiants pour la qualité de leurs travaux et pour le plaisir qu’ils nous ont donné à les lire.


 

Les laboratoire utopiques du bonheur

Avant-propos sur l’évolution du sujet de thèse : Cette note propose un point d’étape sur un sujet qui connaît des évolutions dans sa formulation. Les terrains de référence identifiés sont situés aux Etats-Unis. Un premier voyage effectué en avril 2017 permet de confronter les problématiques et les hypothèses énoncées avec la réalité de ces terrains.

Résumé :

Face aux enjeux écologiques qui nécessitent un changement profond de nos modes de vie et d’habiter, les propositions architecturales des plus récentes communautés intentionnelles sont-elles en train d’inventer des alternatives crédibles et durables ? Dans un cadre comparatif des expériences historiques et actuelles, on se propose de montrer que, contrairement aux expériences des années 1960-70, leur engagement se positionne, non plus en miroir mais en complément de l’univers urbain.

 

I. SUJET DE THÈSE INITIAL ET PREMIÈRES INVESTIGATIONS

A. Définition et périmètre

Le sujet proposé s’intéresse aux communautés de vie dites « intentionnelles » dont le projet social s’accompagne d’une production architecturale spécifique.

D’un point de vue sociologique, Ronald Creagh[1] en propose la définition suivante :

« (…) les participants ont délibérément choisi de vivre dans un même lieu. Ils rejettent un certain style de vie devenu la norme dominante en Occident. Ils construisent un autre type de société, où ils partagent les tâches, multiplient les échanges et, parfois, mènent ensemble toutes les autres activités. Ils se voient comme les membres d’une société alternative. »

Cette volonté affirmée de sortir du « mainstream » des sociétés occidentales recouvre une remise en question du modèle bourgeois, de la société de consommation, du capitalisme industriel et plus récemment financier, et enfin une nécessité profonde de retrouver une connexion avec la nature.

Ce désir de changement peut être rapproché d’une démarche de réappropriation du mode de vie, mais surtout des valeurs dont une existence individuelle et collective est investie.

Ainsi, la formule « Construire sa vie » prend ici une signification simultanément sociale et architecturale. Tout en liant ces deux disciplines, elle induit une rupture avec le contexte urbain et un déplacement physique vers un ailleurs. Cet « autre » espace est à son tour investi d’une dimension spécifique qui va emprunter autant aux utopies qu’au pragmatisme pour s’inscrire dans la mouvance des contre-cultures.[2]

Pour Yona Friedman, une Utopie réalisable[3] est bien un passage à l’acte, que l’on agisse seul ou collectivement. Dans le cas des expériences communautaires, le rapport fond-forme (le projet communautaire face à sa production architecturale) produit nécessairement un paradoxe : l’acte qui permet de passer de l’idée à sa formalisation nécessite de renoncer à un idéal de référence, par définition inatteignable. Avec Michel Foucault, l’utopie de départ bascule une deuxième fois, se transformant en hétérotopie lorsqu’il s’agit de choisir une localisation géographique ancrée dans le monde réel pour établir la communauté.[4]

Il n’est donc pas rare que le passage de la théorie à la pratique génère des tensions et des contradictions dans l’organisation de ces nouvelles formes de vie et d’habitat.

Les Etats-Unis ont été choisis comme territoire de référence historique. Comme le montre Pierre Lagayette[5], le pays constitue une terre de prédilection pour combiner d’une part l’expérimentation (le work in progress )[6], d’autre part l’installation de nombreux projets utopiques fondée sur l’arrivée des premiers colons en 1620, Les Pilgrims. L’identité et les valeurs américaines se sont structurées sur des thématiques que l’on retrouve chez la plupart des communautés intentionnelles : fuite d’un système oppresseur pour partir en quête d’un bonheur individuel et collectif, une conquête territoriale repoussant sans cesse ses frontières (des terres vierges à la conquête spatiale) et une culture des idéologies contestataires (transcendantalisme, désobéissance civique) mettant en avant une défense farouche des libertés individuelles.

Le périmètre historique étudié s’étend des années 60 à nos jours, une période de cinq décennies au cours de laquelle les vagues de créations communautaires entretiennent des liens avec des événements historiques et des mouvements de contestation marquants (le refus de la guerre du Vietnam, la lutte pour les droits civiques, la critique de la société de consommation, la montée du féminisme et les premières alertes écologiques). Certains de ces thèmes ne vont faire que se renforcer au cours de la période pour être encore plus présents au niveau mondial dans la période contemporaine notamment à travers les crises énergétiques, le rejet du capitalisme financier et les impacts d’un changement climatique désormais à l’œuvre.

 

B. Problématiques et hypothèses initiales

Pour la plupart des communautés, le projet social et économique ne requiert pas une forme propre. De fait, l’habitat et l’organisation spatiale investissent des formes du passé, existantes ou revisitées. D’autres se distinguent au sens où elles cherchent à générer des architectures qui s’inspirent du projet de vie lui-même pour en incarner le sens. Dans ce cas, les formes sont la matérialisation symbolique d’une impulsion contre-culturelle plus vaste. Elles tentent de se situer hors d’une référence à la norme, pour cela de chercher l’innovation, technique et/ou formelle.

La coexistence de ces deux courants montre l’importance des contextes historiques, et pose des questions sur les motivations théoriques, ainsi que sur le fond et la forme des productions architecturales.

Pour explorer ce constat, une problématique centrale et une hypothèse générale ont été posées et déclinées en amont des visites de terrain. La problématique centrale pose la question suivante : quel rôle joue l’architecture dans un projet social communautaire en réaction aux modèles conventionnels ?

En réponse, l’hypothèse générale propose que l’architecture (à toutes les échelles) et les formes d’organisation sociale qu’elle suscite permettent d’apporter une réponse aux contradictions inhérentes à mode de vie, en s’appuyant sur un socle de procédures expérimentales.

Trois grands points interrogent le caractère alternatif de ces expériences.

Une économie pauvre : l’architecture entre références savantes et populaires.

Comment échapper aux modes de vie bourgeois et à l’architecture dominante qui les abrite, tout en adoptant ou en inventant des règles constructives répondant à une logique économique minimaliste ?

On a posé l’hypothèse que les réponses à ces contradictions sont des propositions alternatives. D’une part, elles font référence à des modèles savants (certains, eux-mêmes orientés vers la notion d’architecture expérimentale) ; d’autre part, elles empruntent à des stratégies de détournement, telles que l’auto-construction, le recyclage, la réinterprétation.

Le rapport homme/nature : l’architecture entre archaïsme et technologie

Comment poser sur divers plans la recherche d’une vie meilleure — contrôle des impacts de l’activité humaine sur l’environnement, production de nourriture et d’objets — dans un nouveau rapport à la Nature, sans pour autant renoncer aux acquis de l’évolution sociale et technique, voire en y apportant des améliorations ?

L’hypothèse avancée est que les projets architecturaux élaborés sont en capacité d’apporter une réponse à cette contradiction en mobilisant simultanément des références archaïques et technologiques, dans une tentative de synthèse ; par ailleurs, ils font émerger des visions syncrétiques qui mettent en relation et font dialoguer des contradictions (faire avec des matériaux simples, naturels et/ou réutiliser des rebuts industriels, concilier l’ancien rêve virgilien avec une approche moderne et raisonnée des problématiques environnementales..

Le rêve communautaire : l’architecture entre « l’ordre et l’aventure ».

Interroger le rêve communautaire — valeurs de partage égalitaire, nouvelles règles sociales, valeur d’exemple —induit d’inventer une voie pour construire une architecture, mais aussi l’espace collectif d’une cité. Comment projeter un rapport au territoire (lieux habités, lieux de production, espaces « naturels ») dont les formes supportent et symbolisent un laboratoire social, soit un dispositif non stable, en perpétuelle évolution ?

Nous avons fait l’hypothèse que ce type de projet architectural relève de l’expérimentation. En rupture avec les protocoles opérationnels les plus établis, il se développe comme un work in progress, proposant des règles et des degrés de liberté évolutifs. Enfin, cette typologie de projet architectural interroge une capacité à « soutenir », dans l’espace et dans le temps, l’idéologie du projet social sur un prisme large qui est loin d’être maîtrisable (de la disparition à la gentrification).

 

C. Des études de cas historiques identifiées

Parmi les communautés qui se créent dans les années 1960, 1970, 1980, trois avaient été retenues, chacune pouvant représenter une décennie et ayant un projet socio-architectural spécifique.

Drop City (1965-1970): une communauté d’artistes qui fuit la norme, devenue symbole d’une époque, qui a totalement disparu aujourd’hui pour devenir un mythe

Arcosanti (1970- ): une vision d’architecte en réaction à la ville américaine, basée sur une économie artisanale

Cal Earth (1991- ): une vision d’architecte basée sur une technique de construction appropriable (visée éducative et humanitaire)

 

D. Des visites de terrain

1- une adaptation à la réalité et une ouverture

La préparation du voyage a mis en évidence une nécessité d’adaptation aux possibilités effectives de visite de sites et de rencontres.

Le cas de Drop City a nécessité une première adaptation. Située dans le sud du Colorado à proximité de Trinidad, Drop City (19655-1970) est toujours considérée comme mythique pour le contexte contre-culturel des années 1960. Un documentaire[7], montrant des images actuelles et des témoignages des fondateurs, a permis de comprendre qu’il n’existait plus rien sur le site. L’ensemble de dômes géodésiques, bricolé avec des carcasses de voitures par Steve Baer et le groupe d’artistes fondateurs, a été complètement démantelé après abandon des derniers résidents.

Drop City reste cependant une toile de fond historique incontournable. Plusieurs articles montrent qu’elle avait inspiré d’autres initiatives communautaires, telles Lama Foundation, Synergia Ranch et Libre, existant encore aujourd’hui. Sur les trois, seule Lama Foundation (située à San Cristobal, Nouveau Mexique) a accepté une rencontre.

A l’instar de la Californie qui est habituellement considérée comme l’état américain le plus prolifique en matière de communautés intentionnelles, le Colorado et le Nouveau Mexique sont également des territoires de prédilection. L’immensité des espaces « vierges », des paysages grandioses confrontant montagnes et déserts, très peu de grandes villes, des terres très peu chères à acquérir dans les années 1960, et probablement la proximité avec Drop City, sont sans doute une partie de l’explication.

Ce constat étant fait, il semblait intéressant de saisir l’opportunité d’être sur place pour élargir le périmètre des visites.

2- descriptif synthétique des terrains visités

Deux expériences situées au Nouveau Mexique, à proximité de Taos : Lama Foundation et the Greater World Earthship Community, plus connue sous le nom de Earthship.

Lama Foundation est une communauté dont le projet social spirituel universaliste passe par une reconnexion avec la nature. Fondée en partie par des anciens de Drop City, elle se caractérise par la présence de constructions empruntant au dôme géodésique ou au Zome[8]. Elle est habitée par moins de 10 résidents de l’automne au printemps. Les workshops et séminaires d’été peuvent faire grimper la population jusqu’à une centaine.

La visite a permis d’accéder aux bâtiments collectifs (cuisine, terrasse, espaces de méditation, bibliothèque, salle de bain), deux logements de résidents permanents, l’atelier de sérigraphie (petite activité économique), logements et sanitaires utilisés en été par les résidents temporaires.

Sous la neige, la beauté du paysage avec une vue surplombant une vallée, mettait en évidence la relation entre la localisation dans le paysage et le projet spirituel qui s’appuie sur une reconnexion avec la nature environnante. Les bâtiments semblent avoir été conçus non pas pour disparaître dans ce paysage grandiose, mais plutôt pour s’en faire une chambre d’écho, chaque ouverture étant positionnée, dessinée pour le capter et le faire entrer dans les espaces intérieurs.

Earthship est un laboratoire d’architecture, plutôt qu’une communauté intentionnelle. Initié par l’architecte Michael Reynolds à partir des années 1970, il est à double entrée : une académie pour apprendre la technique de construction, adossée à un terrain dont le statut permet la construction d’architectures expérimentales soutenables[9]. Propriétaire des lieux, Michael Reynolds (1945-) revend des parcelles de différentes tailles et y construit des maisons individuelles 100% autonomes pour des commanditaires privés. L’objectif de Reynolds est de montrer que son modèle de construction fonctionne, qu’il est adaptable à différents contextes, sans renoncement à aucune forme de confort. A Taos, son entreprise commence à ressembler à un village.

Bien que les habitants des Earthships ne partagent pas des espaces de vie collective, ils sont régis par un règlement intérieur qui définit leurs droits et obligations. Le modèle communautaire est pris à contre-sens : partant d’un modèle architectural original, le staff de Michael Reynolds, compagnons de route des trente dernières années voire plus, semble faire communauté, gère l’accueil du public, l’organisation, la tenue des workshops, et une diffusion du projet à l’échelle internationale. La visite et le logement sur place ont permis de mesurer la crédibilité de sa proposition de maison autonome.

Dans le désert de l’Arizona, Arcosanti Urban Laboratory (panneau à l’entrée du site) s’appuie fortement sur un projet communautaire. A 60 km de Phoenix, Arcosanti a été fondé par l’architecte Paolo Soleri (1919-2013). D’origine italienne, élève prodigue et rebelle de Franck Lloyd Wright, Soleri base son projet sur une critique de la ville américaine caractérisée par l’étalement, aboutissant à un éloignement lieux de vie/lieux de travail, à une prédominance de la voiture et des autoroutes urbaines embouteillées, à la pollution et à une perte de connexion avec la nature.

A ce jour, seule une petite partie du projet urbain de Soleri a été réalisée. Conçu et mis en œuvre à partir de 1970 pour accueillir 5000 personnes au final, le projet communautaire compte aujourd’hui environ 60 résidents permanents, dont la plupart sont membres du staff, ainsi que des résidents temporaires (volunteers) qui prolongent leur workshop par des séjours plus ou moins longs (gîte et couvert assuré contre des tâches d’entretien, de gestion du café-restaurant-bar, de travail dans les ateliers de production de cloches, visites guidées du site, accueil librairie-galerie, hôtellerie). Le site est touristique aujourd’hui (public d’architectes, d’étudiants) et les résidents sont ouverts à la discussion.

En Californie, Cal-Earth Institute est un laboratoire d’architecture fondé par l’architecte Nader Khalili en 1991 (1936-2008), situé à Hesperia, à 140km de Los Angeles. Le lieu est dédié à des workshops de formation à la technique de l’adobe, clairement inspirée d’Hassan Fathy, de façon à la rendre appropriable par tous. Enclos sur un terrain aux dimensions modestes qui côtoie des maisons individuelles classiques, le laboratoire dispose d’un site internet attrayant qui laisse supposer une entreprise de grande ampleur. Mais …impossible à contacter, ni par e-mail ni par téléphone, aucun rendez-vous préalable n’a pu être fixé. Le lieu étant fermé au public contrairement à l’information trouvée, la visite et la possibilité de faire des photos sont négociées sur place.

La visite permet de constater que la documentation accumulée est assez déconnectée de la réalité et que le projet se résume à promouvoir une technique de construction pour de l’habitat d’urgence.

Sausalito Houseboats Community, située à 15 km de San Francisco, cultive plusieurs points communs avec Drop City, mais un destin moins tragique. Fondée dès les années 1950, par un groupe d’artistes, la communauté émerge et s’installe progressivement sur ce site où le recyclage permet la construction d’habitations mobiles (non taxées) à moindre frais (récupération des matériaux mis au rebut par le petit chantier naval voisin). Un mode de vie « bohème », rattrapé par le mouvement hippie émerge et finit par former une communauté de fait d’après la documentation trouvée à ce jour. Le site comprend à présent plus de 400 maisons bâties sur des supports flottants (béton ou fibre de verre) amarrées le long de plusieurs quais. Les quais sont devenus des promenades fleuries qui permettent de constater la gentrification du site. Si Drop City a disparu, Sausalito est devenue une marina luxueuse. Certains quais ont déjà basculé du côté de la gatted community, fermés par un portail, ils ne sont plus accessibles à la visite.

3 – le bilan des visites des communautés historiques

L’échantillon retenu se situe dans des états américains où le mouvement communautaire a toujours été très fort. Les sites repérés devaient répondre à la conjonction de deux critères : un projet social axé sur la recherche d’une vie différente et/ou harmonieuse et une architecture spécifique au service de cet objectif. Au final, cinq sites ont été visités à travers trois états qui ont des spécificités historiques, culturelles et climatiques différentes, impactant sur les modes de vie et les styles de construction.

Les différentes situations rencontrées enseignent que le croisement projet social-projet architectural relève d’une question de dosage, chaque entrée étant plus ou moins prononcée, ou n’étant pas priorisée avec la même urgence. Cependant, ce croisement n’est jamais formulé de façon consciente ou spontanée. Par exemple, à Earthship et Arcosanti, le projet architectural est l’entrée principale. Ce qui « fait communauté » aujourd’hui à Arcosanti, et qui le fera peut-être dans quelques années avec la multiplication des Earthships dans un même périmètre, c’est bien le projet architectural (qui comprend une technique de construction, une forme, une vision).

A Lama Foundation, le rapport des résidents actuels à leur héritage architectural semble assez distancié, leur motivation première reste le projet communautaire. Que celui-ci soit facilité par une architecture propice à la méditation ou qui leur permette de reconnecter plus facilement avec l’environnement naturel semble évident lorsqu’on l’évoque avec eux, mais il n’est pas mis en avant dans le discours.

Ce bricolage tout à fait perceptible dans chacune des initiatives n’exclut cependant pas la sincérité du projet et l’attachement à des valeurs fortes, déjà émergeantes dans les années 1970 et particulièrement présentes aujourd’hui, notamment celles liées aux enjeux écologiques.

Plusieurs constats et questionnements émergent de ces visites de terrain.

Drop City, malgré sa disparition, reste une référence historique : beaucoup analysée, beaucoup relatée jusqu’à nos jours. N’est-il pas plus pertinent de l’aborder en rapprochant son échec du succès des Houseboats de Sausalito, communauté elle aussi fondée par une poignée d’artistes dès les années 1950, qui a connu des moments difficiles dans les années 1960 et 1970, avant de devenir une banlieue bourgeoise de San Francisco ?

Lama Foundation, héritière de Drop City par certains aspects, existe toujours. Elle a opté pour une économie pauvre, mais elle semble chercher des ouvertures notamment par une volonté de réparer les bâtiments anciens et de mettre en œuvre de nouvelles constructions en lien avec une école d’architecture. Ces deux axes de développement pourront-il aider le projet communautaire à assumer plus consciemment son héritage architectural et à travailler dans le sens d’un équilibre ?

Arcosanti semble avoir développé de façon conjointe son équation architecture/vie communautaire à travers près de 50 années d’existence. Elle est visiblement confrontée à de nombreuses tensions de part et d’autre : une architecture de béton qui va devoir être restaurée sous peine de dégradations importantes, des blocages financiers et légaux à poursuivre la construction, auxquels s’ajoutent la disparition de Paolo Soleri, ce qui implique d’après les témoignages des réorientations nécessaires du projet communautaire.

Comment un laboratoire d’urbanisme peut-il intégrer la gestion d’une production architecturale qui revêt aujourd’hui une dimension patrimoniale ? La finalisation du projet dessiné par Soleri est-elle nécessaire ­ ou bien son projet doit-il être réinterprété et trouver des adaptations ?

Earthship, en tant que projet global et méthode de construction de maison autonome, s’est révélé beaucoup plus intéressant et crédible que Cal-Earth Institute qui diffuse une technique de construction limitée à de l’habitat d’urgence. Cal-Earth ne propose pas de projet communautaire. Earthship non plus à proprement parler, mais semble cependant fonctionner comme une famille élargie qui partage les mêmes convictions et le même mode de vie. Habiter sur le site de la Greater World Earthship Community induit-il pas une adhésion à des valeurs incarnées par un habitat alternatif à même de répondre aux enjeux écologiques ? Ces valeurs pourraient-elles être l’embryon d’un projet communautaire plus vaste qui, à moyen terme, pourrait prendre en compte la création d’espaces collectifs et d’aménagement de son territoire ?

Ces nouveaux questionnements résultant des visites de terrain nécessitent un retour vers la problématique et les hypothèses énoncées en amont.

 

II. REDÉFINITION DU SUJET DE THÈSE

Cette deuxième partie tente de tirer parti autant des enseignements des visites de terrains et des nouvelles pistes de recherche qu’ils ont apportées.

A. Évolution du cadre de connaissances constitué

1- un contexte historique différent avec des constantes fortes

Sur la totalité de la période étudiée (1965-2015), les expériences communautaires n’ont cessé de perdurer ou d’émerger[10]. Leurs motivations sont formulées différemment et les comportements semblent s’être assagis (en contraste avec certains excès du mouvement hippie), mais des solutions toujours nouvelles sont proposées, sans doute plus pragmatiques dans leur volonté de mettre en place des systèmes viables, tant la prise de conscience d’une urgence à agir semble avoir mûri.

Une aggravation des symptômes qui motive la création de ces communautés est évidente : le rejet de la société de consommation, des médias et du spectacle ; le mode de vie associé à la ville contemporaine et ses impacts (pollution, qualité de vie) ; les crises énergétiques successives (limite des énergies fossiles) ; les crises économiques en série (dépressions, crises financières) ; la crise climatique encore controversée malgré toutes les démonstrations scientifiques.

Ces diverses crises successives depuis les années 1970 semblent profiter à un système économique qui mute sans jamais se renouveler en profondeur. De même, les artisans des technologies simples, appropriables sans être archaïques, restent isolés et font figure de « héro rêveur » (tels Steve Baer à Drop City, Michael Reynolds avec ses Earthships).

Les expériences communautaires restent cependant la preuve sans cesse renouvelée qu’un désir d’acter pour des changements sociaux s’exprime au niveau international. Elles sont à présent majoritairement centrées sur les enjeux écologiques, ce qui les conduits à interroger différemment les enjeux architecturaux.

Les mouvements de pensée historiques ­ bioregionalism et deep ecology ­ trouvent quant à eux une audience plus large et au-delà du territoire américain, mais ne sont pas forcément reliés à des expériences de terrain.

Cette situation, déjà mondiale en 1965, peut être qualifiée de globale à présent. Elle interroge de fait autant le périmètre géographique de cette étude, que les dates de création des terrains sélectionnés. De nouveaux terrains d’étude, apparus dans les années 2000 (Etats-Unis, Canada, France) sont repérés.

2- Des questionnements liés à un contexte historique mondialisé

Au stade actuel des réflexions et des connaissances constituées, des interrogations émergent. Ainsi, pourquoi ce mouvement mondial de contestation que représentent les communautés intentionnelles de par le monde, et dont on connaît l’existence depuis le XIXe siècle, ne trouve pas d’issues plus convaincantes ?

Pourquoi également le virage écologique à une échelle sociétale ne se produit-il ni dans les modes de vie, ni dans les modes de construction proposés, qui restent marginaux, bien que beaucoup de propositions tout à fait innovantes, faciles à mettre en œuvre et souvent moins coûteuses que les techniques courantes existent et se développent tous les jours un peu plus ?[11] Enfin, on essaie de comprendre si les enjeux financiers liés à la transition énergétique sont une raison suffisante pour bloquer une situation mondiale.

Les expériences communautaires des cinquante dernières années montrent clairement qu’elles sont des lieux d’innovation où les ferments d’un « construire autrement » semblent à l’œuvre. Basées sur la volonté des individus de prendre en charge la responsabilité d’une rupture et d’un changement profond de leurs habitudes de vie, les expériences communautaires semblent aujourd’hui les seuls refuges d’une transition incontournable, voire les avant-postes.

Ces interrogations semblent constituer un point d’articulation du sujet à différents niveaux (historique, technologique, écologique social, idéologique) qui fait apparaître aussi bien des avancées que des blocages. Peut-être vivons-nous des années charnières et l’ensemble des processus en cours serait le symptôme d’un changement de paradigme à l’œuvre ­ soit le passage de l’âge mécanique à l’ère de la physique quantique, comme l’avance John Baird Calicott[12].

L’ouvrage de Serge Audier[13] ­ La Société écologique et ses ennemis, paru récemment ­ retrace l’histoire d’une prise de conscience, à travers des mouvements de pensée dissidents et émancipateurs, qui devrait nous aider à mesurer la pertinence d’une telle approche.

Les communautés historiques visitées, et celles contemporaines à venir, pourraient être considérées comme un échantillonnage grandeur nature ­ certes non exhaustif, mais tel n’est pas l’objectif ­ d’une situation mondiale en mouvement.

Les enjeux identifiés étant partagés au niveau planétaire, l’élargissement de l’échantillon à d’autres territoires permettra de sonder la pertinence d’une mise en relation projet social/projet architectural.

 

B. Reformulation des problématiques et les hypothèses initiales

Le cadre du sujet ayant évolué, le phénomène communautaire est mis en perspective depuis le XXIème siècle, sur une séquence de temps définie de 1965-2015, soit 50 ans. Au sein de cette période, on distingue deux temporalités. Une période dite historique regroupant les communautés émergeant de 1965 aux années 90 ; une période dite contemporaine regroupant les communautés émergeant à partir des années 2000.

Si les expériences perdurent, on l’a déjà évoqué, les contenus et les formes évoluent. Ainsi, on propose d’étudier la mutation des contenus des projets sociaux et des formes dans lesquels ils s’expriment.

Les problématiques et les hypothèses initiales évoquées dans le premier point de cette note connaissent également des ajustements.

Quel rôle joue l’architecture dans un projet social communautaire en réaction aux modèles conventionnels ? Mais aussi, comment les contenus des projets communautaires alternatifs ont évolué en un demi-siècle, en fonction du contexte ? Quelles conséquences sur la manière d’appréhender les formes d’organisation de l’espace ?

Deux hypothèses principales sont à présent posées : l’architecture (à toutes les échelles) et les expériences qu’elle suscite permettent d’apporter une réponse aux contradictions inhérentes à ce type d’expérience de vie. Mais aussi, depuis les années 1990/2000, les enjeux écologiques sont passés au premier plan du projet social des alternatives communautaires. Les dispositifs d’aménagement évoquent des formes d’habitat rural traditionnel et sont davantage préoccupés d’intégration au paysage que de créer un repère identifiable sur un territoire. Le signal identitaire exprime ici une volonté d’empathie avec l’environnement naturel. Le périmètre géographique se caractérise par des frontières plus floues pour permettre une plus grande porosité avec l’extérieur.

Elles continuent à être déclinées en trois parties intitulées respectivement :

Ces trois parties intègrent désormais une approche davantage liée à l’intégration au paysage et une relation au territoire.

 

C. Méthodologie

La comparaison entre des expériences communautaires tentées avec un demi-siècle d’écart, dans des contextes historiques radicalement différents, devrait nous permettre de mesurer les différences de fond entre deux imaginaires contre-culturels de l’habitat (ce dernier est ici posé comme une articulation d’échelles: édifices-groupement-territoire).

Pour cela, une étude comparative (expériences historiques, expériences actuelles) permettra d’une part de définir l’origine des communautés, de qualifier leur typologie d’expérience (alternatives sociales, expériences spirituelles ou libertaires), d’autre part d’analyser leur position critique, leurs propositions, leurs choix architecturaux.

L’étude d’expériences actuelles devrait concerner trois nouveaux terrains contemporains, dont deux sont repérés en France et au Canada-Etats-Unis. Il s’agit du Hameau des Buis (initiative de Sophie Rabhi) et de La Cité écologique d’Ham-Nord et La Cité écologique of New Hampshire.

 

Références

[1] Ronald Creagh (1929- ), est sociologue, professeur de civilisation américaine à l’Université de Montpellier et historien du mouvement libertaire. CREAGH Ronald, Utopies américaines: expériences libertaires du XIXe siècle à nos jours, Mémoires sociales‪, Agone, Marseille, 2009, p.12.

[2] PLASSART Marie, La contre-culture américaine, années 60, révoltes et utopies, Atlande, Paris-Neuilly, 2011, 254p.

[3] FRIEDMAN Yona, Utopies réalisables, 1976. Nouvelle édition : Editions de l’éclat, Paris-Tel Aviv, 2000-2008.

[4] FOUCAULT Michel, Dits et écrits 1984, Des espaces autres (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49.

[5] LAGAYETTE Pierre, Terre d’Utopie: l’Ouest américain et les constructions extravagantes du bonheur. ‪Pierre Lagayette, Terre d'Utopie

[consulté le 2 avril 2016]

[7] GROSSMAN Joan, Drop City, Pinball Films, 82’, New York, 2012.

[8] Steve Baer, ingénieur américain, est l’inventeur d’une nouvelle forme de dôme, des coupoles composées de facettes géométriques planes nommées zonagones. Il leur a donc donné ce nom, “zome”, avec le “zo” de zonagones (ou zonaèdres) et le “me” de dôme. Il en a construit ou conseillé quelques-uns dans les années 1970, en particulier à Drop City et à la Lama Foundation, puis a orienté son entreprise Zomeworks vers la fabrication de systèmes solaires.

[9] HODGE Oliver, Garbage Warrior, documentaire 86’, 2007

[10] Op. cit., CREAGH 2009.

[11] BORASI Giovanna, ZARDINI Mirko, Désolé plus d’essence – L’innovation architecturale en réponse à la crise pétrolière de 1973, Centre Canadien d’Architecture-Corraini Edizioni, Montréal, 2007. Catalogue de l’exposition du même nom qui s’est tenue au CCA de novembre2007 à avril 2008.

[12] CALLICOTT J. Baird, Ethique de la Terre, Wildproject, Marseille, 2010

[13] AUDIER Serge, La Société écologique et ses ennemis – pour une histoire alternative de l’émancipation, La Découverte, Paris, mars 2017.

Photos :

The Greater Earthship Community, Taos (Nouveau Mexique), avril 2017

Les territoires et l'autoroute

Résumé

Lorsqu’on emprunte l’autoroute au quotidien, les milieux urbains ou périurbains traversés par l’infrastructure sont en pleine mutation. Depuis la réalisation des autoroutes dans les années 1950-1960 le territoire tout autour a beaucoup évolué mais l’infrastructure, au contraire, est restée quasiment la même dans les formes et les conditions d’usage définies par son statut technique.
Cette contradiction nous mène à nous questionner sur la nature des relations qui définissent les frottements entre autoroutes et aires métropolitaines traversées. Quelles figures morphologiques, modes de gouvernance et pratiques caractérisent aujourd’hui les « territoires de l’autoroute » ? Quelles sont les critères qui pourraient orienter les processus de transformations de l’infrastructure et des milieux traversés ? Ces questions s’avèrent aujourd’hui cruciales dans le contexte du nouveau cadre de gouvernance métropolitaine défini par la loi NOTRe (2015). D’autant plus que la loi ALUR (2014) préconise la densification de la ville sur la ville notamment autour des infrastructures existantes.

 

We need not accept, but we must understand the powerful patterns that shape the city today
Moshe Safdie

L’autoroute est définie par la loi française comme une infrastructure technique, dédiée à la circulation des véhicules motorisés[1]. Pourtant, elle peut prendre différentes formes : les freeways, par exemple, sont des autoroutes surélevées, libérant le sol et se détachant des tissus urbains [BANHAM, 1971]. Les parkway, comme celles réalisées par Frederick Law Olmstead à New York, associent la circulation au projet de paysage et valorisent la perception des séquences paysagères par l’automobiliste [GEIDION, 1954]. De même, des voies rapides telles que les Rondas de Barcelone, sont un exemple de l’intégration possible de l’espace public dans le projet de l’infrastructure [MIALET-FOUQUE, 2001]. Cependant, ces différentes figures morphologiques font l’objet d’un seul statut normatif d’autoroute, figé par l’urbanisme réglementaire. Ce statut diffère de celui de la voirie publique sur trois points. Premièrement, l’accès est exclusivement réservé aux véhicules motorisés. Par ailleurs, l’autoroute ne croise pas les autres réseaux de circulation, les entrées correspondant aux échangeurs dénivelés sont aménagées à ce titre. Enfin, les parcelles limitrophes n’y ont pas accès. L’autoroute est ainsi uniquement destinée à la fonction de transit. De par ses caractéristiques, séparer les flux motorisés des autres et, par conséquent, la priver des fonctions d’accueil et de desserte, elle représente une figure de route publique tout à fait autonome. A ce propos, le géographe Henri Cavaillès remarque notamment son « indifférence à la répartition des lieux habités et aux intérêts des régions situées entre son point de départ et son point d’arrivée »[2]. De plus, la gestion du réseau dépend de l’autorité de l’Etat et des sociétés concessionnaires, qui n’ont pas les compétences pour en maîtriser les impacts sur les tissus locaux[3].

En France, les autoroutes urbaines ou périurbaines réalisées entre les années 1955 et 1985 (années dites « glorieuses ») ont été planifiées à proximité des centres habités majeurs. Parfois l’autoroute pénétrait jusque dans les centres villes, illustrant le slogan du président Pompidou « adapter la ville à l’automobile ». De manière générale, ces infrastructures n’ont pas changé dans leurs formes ni dans leurs conditions d’usages et de gouvernance jusqu’à présent. En revanche, les territoires limitrophes ont évolué vers un agrégat hétérogène de banlieues résidentielles, tissus pavillonnaires, entrées de ville commerciales ou productives. Par conséquent, les dégâts causés par l’implantation des autoroutes en milieu urbain et périurbain interrogent les professionnels de l’urbain. En effet, l’usage et l’exploitation des voies rapides favorisent l’éclatement des périphéries [WIEL, 2005] et la diffusion de l’urbanisme commercial [GARCEZ, MANGIN, 2014]. De même, les autoroutes constituent des éléments peu flexibles en milieu urbain, qui contribuent au morcèlement des périphéries et à l’organisation de la ville en secteurs fermés [HERAN, 2011].

 

Les autoroutes métropolitaines existantes, quel devenir ?

Les rapports que l’infrastructure entretient avec le territoire montrent que la doctrine portée par l’Etat considère les autoroutes comme des éléments devant principalement répondre à des exigences fonctionnelles de performance pour les déplacements. Les contraintes techniques telles que la vitesse, les rayons de courbure, les bandes de bruit et les échangeurs, ne permettent pas d’entrevoir d’autres fonctions que celle de la mobilité rapide. Ainsi, l’application de la norme se décline, indifférente aux milieux traversés, qu’ils soient ruraux ou urbanisés, et aux spécificités locales des territoires. En regard de ces éléments, nous pouvons constater une fracture, un décalage entre l’infrastructure et les territoires traversés. D’un côté, l’aménagement des quartiers habités semble se faire selon une attitude défensive, visant à se protéger de la pollution, des nuisances sonores, visuelles et paysagères. Les murs antibruit ou les aménagements des voies en souterrain, par exemple, témoignent de cette approche. Ces agencements renforcent d’autant plus l’image d’une infrastructure qui gêne les riverains et qui nuit aux usages de proximité. D’un autre côté, les tissus tertiaires, notamment les bureaux ou les commerces, montrent à l’automobiliste leurs décors publicitaires, négligeant les rapports aux qualités spatiales, écologiques et paysagères du contexte. Les abords de la voirie, dont l’aménagement est laissé à l’initiative libre, parlent à l’automobiliste selon une stratégie commerciale de visibilité. Comment l’autoroute, à l’origine élément urbain considéré comme « négatif », pourrait-elle prendre place dans les réflexions sur le renouvellement urbain ? Quelles perspectives y aurait-il alors pour les autoroutes existantes ?

Ces questions se posent aujourd’hui de façon cruciale sur les territoires métropolitains par la mise en place de la loi NOTRe[4]. D’autant que la loi ALUR (2014) envisage la densification de la ville sur la ville et autour des infrastructures existantes[5]. Elle devrait ainsi conduire à l’évolution rapide des territoires environnant les autoroutes interurbaines. Dans ce cadre, la métropole Aix Marseille Provence est très probablement exemplaire de cette situation. Cette «Métropole Autoroutière»[6] est effectivement traversée par environ 350 kilomètres d’autoroutes. Majoritairement géré par les pouvoirs publics, le réseau est confronté à des situations urbaines et périurbaines problématiques, notamment au niveau des entrées de ville, de son rapport au grand paysage et à l’urbanisme commercial et productif. La réorganisation de la mobilité constitue d’ailleurs l’une des réflexions majeures portées par le projet métropolitain, la considérant même comme un levier d’action[7]. En effet, la Mission Interministérielle pour le projet métropolitain préconise, dans le livre blanc des transports, l’intégration des raccords autoroutiers dans un système multimodal de la mobilité (TER, parc relais, transports en communs)[8].

 

L’autoroute est-elle partout la même ?

Dans le cadre général de densification qui se profile dans le territoire périurbain sous l’impulsion de la loi ALUR, nous considérerons ici l’hypothèse que, pour envisager la mutation positive de l’autoroute, il faudrait avant tout comprendre les relations qu’elle entretient avec les territoires limitrophes, ainsi que les contraintes techniques et sécuritaires qui leur sont liées.

Nous porterons ici l’idée que, en dépit d’un seul statut technique-règlementaire, l’autoroute serait à l’origine de situations différentes en fonction du contexte, déterminant à la fois l’organisation de l’espace et les usages des territoires traversés. Il conviendrait ainsi de confronter les différentes figures morphologiques et les usages relevés aux évolutions probables de l’infrastructure et des territoires traversés, dans les nouvelles conditions de la gouvernance métropolitaine. Dans ce cadre, les interfaces avec la voirie locale, la participation au réseau multimodal des transports, le potentiel d’intensification urbaine des abords, l’intégration des transports en commun sur l’autoroute[9] et les gares autoroutières assurant la fonction de parc relais[10] constitueraient autant de facteurs de mutation positive des autoroutes. Dès lors, les autoroutes, en intégrant des systèmes multimodaux de mobilité et en constituant un support de production d’énergies renouvelables et de diffusion de diversité écologique, pourraient paradoxalement contribuer à la réussite des enjeux environnementaux de la « ville durable ».

 

Méthode et premiers résultats :

Pour tester nos hypothèses, nous avons expérimenté plusieurs outils de lecture du territoire de la Métropole Aix-Marseille-Provence. Nous avons notamment analysé les représentations des autoroutes A7 et A51 qu’ont les usagers, les riverains et les acteurs engagés dans la transformation de ces territoires. Nous avons organisé cette analyse en deux moments, selon deux itinéraires. Dans un premier temps, il s’agissait d’appréhender les territoires par l’infrastructure. Pour cela, nous avons emprunté l’autoroute en voiture ou en bus, étudiant le paysage que l’on apercevait en vitesse. Dans un deuxième temps, nous avons inversé la démarche : appréhender l’infrastructure par les territoires. Nous avons alors longé les abords de l’autoroute, explorant ces territoires par la marche. Ces deux analyses se basent sur une approche phénoménologique, visant à comprendre l’histoire, les formes et les usages des territoires de l’autoroute.

 

L’appréhension des territoires par l’infrastructure

Nous avons tout d’abord expérimenté une méthode d’appréhension des territoires par l’infrastructure, basée sur l’analyse du paysage perçu en mouvement. Pour construire cette méthode, nous avons recueilli et examiné les représentations de l’autoroute A7 entre Marseille et Aix-en-Provence données par les usagers qui l’empruntent au quotidien. Nous avons ainsi révélé la perception d’une polyphonie d’acteurs : les automobilistes habituels ou occasionnels, les usagers des cars et les professionnels de l’aménagement de l’espace – architectes, paysagistes, urbanistes, ingénieurs. Ainsi, nous avons demandé aux acteurs interviewés d’exprimer un jugement qualitatif portant sur des catégories simples : il s’agissait de classer les éléments considérés « de bonne qualité » et « de mauvaise qualité». Sur cette base, nous avons construit une grille de critères qualitatifs répertoriant les éléments du territoire perçus comme « valorisants » ou « perturbateurs ». Les critères pressentis relèvent par exemple de la dégradation des éléments du paysage de proximité, de la qualité architecturale d’un ouvrage d’art, de la possibilité d’une vue sur le paysage lointain ou de la surabondance du langage publicitaire.

Pour saisir ces représentations qualitatives de l’autoroute, nous nous sommes appuyés sur trois outils de recherche que nous avons testés dans l’ordre ici présenté. Le premier a été le parcours commenté[12]. En accompagnant les usagers le long de leurs itinéraires en automobile ou en bus, nous avons enregistré et retranscrit leurs commentaires sur le paysage perçu. L’intérêt du parcours commenté était ainsi de donner l’occasion à l’acteur de s’exprimer sur le territoire tel qu’il l’interprète. Le deuxième outil que nous avons testé, a été la simulation de l’itinéraire autoroutier grâce à un support photographique. L’acteur est ainsi projeté dans un parcours virtuel simulé par une succession de photos et il est sollicité pour exprimer un jugement qualitatif sur l’image. Les photographies, ne prétendant pas se substituer à l’expérience de l’immersion dans le paysage, ont plutôt eu l’intérêt de guider les commentaires sur des détails précis. Les images ont effectivement permis l’observation de certains objets qui échappaient à la perception en vitesse. Enfin, nous avons conduit des entretiens directifs avec des usagers de l’autoroute le long de l’itinéraire. Ces questionnaires ont été également centrés sur la qualité du paysage autoroutier, portant sur des thématiques que les parcours commentés avaient déjà fait ressortir (transitions paysagères, ouvrages d’art, bords d’autoroute, éléments remarquables, valeur symbolique de l’infrastructure, etc.).

Cette analyse nous a ainsi permis de constater que, contrairement aux idées reçues, l’autoroute n’est pas « toujours la même ». Les éléments du grand paysage métropolitain sont souvent mis en scène par l’infrastructure et constituent des marqueurs identitaires pour les usagers. Les cars offrent d’ailleurs un point de vue privilégié, révélant à la fois un paysage spectaculaire au voyageur qui découvre le territoire et montrant aux habitués un paysage riche de détails, qui se transforme au fil des saisons. Cependant, la persistance de ces séquences paysagères semble aujourd’hui menacée par la consommation du sol et par l’expansion des zones tertiaires, pavillonnaires et commerciales le long de l’autoroute. De même, la multiplication des dispositifs techniques de sécurité et de protection des nuisances banalisent et ferment la perception en mouvement. Comme en témoignent les entretiens menés avec les acteurs chargés de la gestion de l’infrastructure, de l’aménagement du territoire et de l’organisation de la mobilité, ceux-ci ne semblent pas inclure la qualité paysagère et architecturale de l’autoroute parmi leurs objectifs.

 

L’ appréhension de l’infrastructure par les territoires

Dans un deuxième temps, nous nous sommes interrogés sur la manière dont le territoire est marqué par le voisinage de l’infrastructure. L’objectif était de comprendre les effets de l’autoroute sur l’espace et sur les usages des milieux limitrophes. Pour cela, nous avons parcouru à pied les contextes traversés par les autoroutes A7 et A51 entre Marseille et Aix-en- Provence faisant le relevé des différentes figures morphologiques et des usages du territoire. Tout d’abord, nous avons construit un inventaire des formes urbaines rencontrées et nous les avons représentées par des dessins en plan, en perspective et en coupe, ainsi que par une série de photographies. Ce travail nous a notamment permis de repérer les principales typologies d’espaces, bâtis et publics, les dispositifs de séparation de l’infrastructure et les connexions aux réseaux secondaires. Sur la base des photos et des cartes historiques nous avons aussi retracé l’évolution des territoires après la réalisation des autoroutes. Enfin, nous avons recueilli les représentations des milieux habités le long de l’autoroute des habitants et des usagers de ces territoires, demandant aux acteurs interrogés d’exprimer un jugement qualitatif sur les rapports des espaces à l’infrastructure. Pour cela, nous nous sommes servis des entretiens directifs et semi-directifs, complétant l’analyse par des observations in situ.

Ce travail nous a permis de constater une série des contradictions qui animent ces territoires. L’autoroute est désormais perçue par les riverains comme par les acteurs chargés de l’aménagement du territoire comme « négative », du fait des nuisances esthétiques et environnementales qu’elle génère dans les contextes traversés. Pourtant, elle constitue encore un atout pour l’économie et pour le cadre de vie de ces milieux, au regard des facilités d’approvisionnement des biens, de la visibilité et de l’accessibilité à la vente, ainsi que pour la mobilité de ses habitants, notamment en raison de la faiblesse des transports publics en dehors du centre-ville. La ville « adaptée » à l’automobile est donc loin d’appartenir au passé, comme en témoignent les orientations politiques continuant à encourager la réalisation des infrastructures routières aux marges de la ville. L’imminente ouverture du contournement autoroutier de Marseille (L2) en est un exemple. Cependant, il y a une prise de conscience. Les récentes démolitions en centre-ville et la multiplication des dispositifs de protection montrent que l’autoroute, d’un point de vue culturel, n’appartient plus à la contemporanéité. Elle est en décalage avec les objectifs politiques et esthétiques de notre société urbaine, ce qui remet en question son statut et sa fonction.

 

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LOI n°89-413 du 22 juin 1989 instituant le code de la voirie routière.

Circulaire n°92-71 du 15/12/1992, relative à la conduite des grands projets nationaux d’infrastructures.

LOI n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire

Circulaire n°96-21 du 11/03/1996, relative à la prise en compte de l’environnement et du paysage dans les projets routiers.

LOI no 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, couramment appelée loi SRU ou loi Gayssot

Décret en Conseil d’Etat n°2005-1499 du 5 décembre 2005 relatif à la consistance du réseau routier national.

PLAN CLIMAT 2004, Ministère de l’écologie et du développement durable, http://www.developpement-durable.gouv.fr/

LOI n° 2009-967 du 3 août 2009 dit Grenelle I, ou loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement

LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ou loi Grenelle II portant engagement national pour l’environnement.

Rapport Mobilité 21, “pour un schéma national de mobilité durable“, remis le 27 Juin 2013 par le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, http://www.developpement-durable.gouv.fr/.

LOI n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles dit loi MAPAM

LOI n° 2014-366 du 24 mars 2014 dit loi ALUR pour l’accès au logement et un urbanisme rénové

 

Références

[1] LOI n° 55-435 du 18 avril 1955 portant sur le statut des autoroutes.

[2] CAVAILLES H., 1935, Histoire de la route française,. Etude de géographie humaine, Paris, Armand Colin.

[3] L’étude du statut des autoroutes et de son évolution possible dans les processus de métropolisation a fait l’objet de notre TPE-R (Travail Personnel Etudiant mention recherche).

[4] Projet de loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République http://www.legifrance.gouv.fr/

[5] LOI n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, http://www.legifrance.gouv.fr/

[6] Vers une croissance plus inclusive de la Métropole Aix-Marseille, Rapport de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), 2012

[7] DELPIROU, A., « Les transports, ressort et levier de la construction métropolitaine ? Une approche comparée Paris – Lyon – Marseille », dans Métropolitiques, 24 septembre 2014. URL : http://www.metropolitiques.eu/Les-transports-ressort-et-levier.html.

[8] Mobilité(s), Le livre blanc des transports métropolitains Aix-Marseille-Provence, Décembre 2014, ouvrage édité par la Mission interministérielle pour le projet métropolitain Aix-Marseille-Provence.

[9] C’est le cas des Cartreize mis en place par le Conseil Général des Bouches du Rhône et des lignes de bus sur l’A48 à Grenoble.

[10] La gare autoroutière de Briis-sous-Forges au Sud-ouest de Paris, constitue le premier exemple en France.

[11] BRES A., 2015, Figures discrètes de l’urbain, Genève, MetisPresses, p.16.

[12] La méthode des parcours commentés, parfois également dénommée méthode des trajets-voyageurs commentés [Levy, 2001] ou encore méthode des itinéraires [Petiteau, Pasquier, 2001] se donne pour ambition d’analyser l’acte de traverser l’espace urbain tel qu’il est « en train de se faire » afin de recueillir « le point de vue de voyageur en marche ». GROSJEAN M., THIBAUD J.P., (dir.), 2001, L’espace urbain en méthodes, éd. Parenthèses, Marseille

[13] Marie Baduel et Vincent Fouchier (Mission Interministérielle Métropole A-M-P), Frédéric Roustan et Vincent Tinet (Agence d’urbanisme de l’Agglomération Marseillaise -AgAM), Frédérique Reffet et Gregoire de Saint-Romain (DREAL-PACA)

Dynamique de recherche et évolutions

Résumé :

Cet article reprend l’essentiel du texte initial du projet de thèse (premier jalon de la recherche en accord avec mon directeur et ma co-directrice) complété avec les précisions et les évolutions résultant des premières investigations. A cinq mois du démarrage de ce travail, nous souhaitons essentiellement viser à présenter le cadre théorique de notre Recherche.

La thèse et le vaste projet de recherche national sur l’histoire de l’enseignement de l’architecture.

 

1. Présentation du sujet

Cette thèse s’inscrit dans le cadre d’une action nationale de recherche mobilisant de nombreuses écoles d’architecture. Initié en décembre 2015 avec une finalisation prévue en 2020, cette action a été lancée par Anne-Marie Chatelet, Daniel Le Couédic et Marie-Jeanne Dumont et elle bénéficie des soutiens du Comité d’histoire et du BRAUP[1]. Jean-Lucien Bonillo est membre du comité d’organisation et le laboratoire INAMA qu’il dirige est engagé dans cette action. L’objectif de ce projet, qui est également celui de notre recherche, est double. Il s’agit d’une part de combler une vaste lacune historiographique sur l’histoire des écoles d’architecture en Région en récoltant divers éléments permettant de construire des connaissances, et il s’agit d’autre part de recenser et d’inventorier des sources d’archives aujourd’hui dispersées et dormantes : dans ce cas précis celles du milieu de la recherche et de la pédagogie à l’école d’architecture de Marseille.

La recherche architecturale à Marseille

L’objet de cette étude est donc de prendre la mesure du rôle de la recherche dans la redéfinition des contenus et des formes de l’enseignement durant la période qui court de 1967 à 2017. Les travaux déjà existants sur le passage du « système des Beaux-Arts » aux Unités pédagogiques d’architecture ont montré comment la revendication d’une intellectualisation nouvelle de l’enseignement (et du milieu professionnel) avait été au cœur de la volonté de la réforme. Mais ces travaux sont restés pour l’essentiel centrés sur Paris et sur le moment de bascule des années 1960 à 1970, plus particulièrement 1968, lors de la création des Unité Pédagogique d’Architecture (UPA). Nous nous proposons de poursuivre ces recherches en mettant en lumière le rôle des écoles situées en région et plus particulièrement celui joué par l’école d’architecture de Marseille aux tournants des années 1970. Notre école présente la particularité d’avoir anticipé de quelques mois la grande réforme nationale et pédagogique correspondant à la mise en place des Unités pédagogiques d’architecture. Son ouverture en 1967 dans le campus de Luminy s’est accompagnée d’une action de rénovation pédagogique et de l’amorce d’une recherche conduite par des enseignants de l’école. La récente publication monographique sur Paul Quintrand[2]-, montre que l’activité de recherche a été préparée localement par les travaux et les réflexions menés à l’initiative de la profession ; et cela aussi bien dans le cadre de l’Université permanente d’architecture Provence-Côte d’Azur-Languedoc-Roussillon[3], que dans celui des ateliers d’été d’Aix-en-Provence, créés et animés par Paul Quintrand entre 1965 et 1967. Ces initiatives locales font écho et complètent celles prises au niveau national par les commissions mises en place dès 1966 par Max Querrien[4] – avec l’aval d’André Malraux – visant à une réforme de l’enseignement et à la création, à Paris, en 1969, de l’Institut de l’environnement, un lieu institutionnel unique de la recherche architecturale, sociale et urbaine.

Le recrutement d’universitaires au sein de notre école, notamment de la Faculté de Lettres et Sciences humaines d’Aix-en-Provence, a permis d’acculturer les milieux professionnels, et plus encore les étudiants de l’école, aux savoirs, enjeux et protocoles du monde de la recherche. De la fin des années 1960 à nos jours, l’école de Marseille apparaitra alors comme l’une des plus dynamiques de France pour ce qui concerne les activités de recherche. D’abord constitués sous la forme d’associations loi 1901, les trois laboratoires « historiques » de l’école d’architecture de Marseille sont le GAMSAU (Groupe pour l’Application des Méthodes Scientifiques à l’Architecture et l’Urbanisme), le groupe ABC (Ambiances Bio-Climatiques) et INAMA (Intervention architecturale en milieu ancien à l’origine devenu – pour conserver l’acronyme – Investigations sur l’histoire et l’Actualité des Mutations Architecturales). Ces trois groupes de recherche seront habilités dès 1986 dans le cadre de la procédure d’institutionnalisation de la recherche conduite par le Ministère de l’équipement et du logement (DAU/BRA).

L’étude des évolutions du milieu de la recherche et de celui de l’enseignement est ici abordée sous l’angle des rapports entre dynamiques globales (mondiales et nationales) et dynamiques locales. Le local étant défini ici dans le sens d’un emboitement d’aires restreintes de différentes échelles : Aix-Marseille, la région méridionale française et la méditerranée, ceci en cohérence avec la problématique du laboratoire INAMA. Ce choix doit permettre d’appréhender l’ensemble du dispositif d’acteurs et d’éviter l’écueil du localisme. Mais cela présuppose que la recherche est le fruit d’une construction sociale et que les laboratoires ne sont pas les seuls lieux de l’activité scientifique (régulée par les administrations de tutelle, groupes de pairs, instances d’évaluation, financeurs et partenaires divers), mais sont aussi des associations savantes, des groupes formels et informels, des groupes disciplinaires et des lieux de formation. L’analyse des contenus et des activités d’enseignement est conduite avec nos présupposés ; l’objectif étant in fine de prendre la mesure des passages – la réciprocité des influences, surdéterminations, applications et transferts – entre recherche(s) et enseignement(s).

Hypothèses

Nos hypothèses sont liées à la prédéfinition données à l’expression « dynamiques de la recherche » et sont déclinées selon deux modalités : celle qui correspond à un changement, une évolution dans le temps (les cinq décennies qui nous occupent) et celle qui correspond aux modalités d’un transfert du champ de la recherche vers celui de l’enseignement. Nous partons du postulat que les transferts de la recherche architecturale (fondamentale, appliquée, action etc.) vers l’enseignement contribuent tous à la pratique de l’enseignement du projet et à la formulation (en constante redéfinition) de la « théorie du projet ». Bernard Huet la définit comme « l’appareil théorique » sur lequel se fonde l’ensemble des doctrines utilisées par l’architecte à un niveau opérationnel dans le projet ». Si, pour lui, une distance irréductible existe entre « recherche » et « projet », les questionnements du milieu professionnel et les directions prises par la recherche restent souvent liés. Dans ce cadre, la revendication d’une nécessaire « rupture épistémologique » (ou à tout le moins la « vigilance empirique ») n’est pas ici contradictoire avec le fait qu’une recherche peut-être à l’écoute des mutations professionnelles et sociétales. De la fin des années 1960 à nos jours l’évolution des contenus et des thématiques de recherche, tant au plan national que local, s’est faite au diapason des préoccupations d’un milieu professionnel lui-même attentif à l’évolution des sensibilités, de la demande sociale et des visions/projets politiques concernant l’économie de la sphère du bâtiment et la gouvernance des territoires. On voit donc comment dans ce schéma la question des spécificités locales trouve toute sa légitimité.

Ceci nous amène à notre première hypothèse : l’abord de la question du local (Marseille, la région méridionale, la méditerranée) par les trois laboratoires, dans la logique de leurs thématiques respectives. Loin d’être une posture exclusive de type « repli identitaire », cette recherche s’est construite avec l’ambition positive d’établir des rapports féconds, complémentaires parfois contradictoires, entre instances globales et locales

Le mariage interdisciplinaire au sein de l’école d’architecture mêlant architectes et universitaires, conduit à un enseignement du projet et du métier d’architecte fondé sur des expériences et des réflexions élaborées tant dans le milieu de la recherche que celui de la profession. L’enjeu de notre réflexion s’élargit dès lors à une triangulation. Pour certains types d’enseignement, par exemple un cours d’histoire de l’architecture et/ou de la ville, les voies de l’instrumentalité et le transfert immédiat dans l’outillage projectuel, sont difficiles à établir. C’est pourquoi l’idée que les écoles d’architecture sont le lieu d’un apprentissage simultané d’une discipline et d’un métier nous parait être un présupposé indispensable au développement de notre démonstration.

Par ailleurs, et considérant les contraintes nationales qui, garantissant l’unité du diplôme, définissent un cadre réglementaire de fait très contraignant, il nous semble nécessaire de distinguer dans les transferts ceux qui résultent d’une logique globale ou « top down », de ceux qui s’inscrivent dans des initiatives locales ou « bottom up ». Notre seconde hypothèse considère alors qu’il existe deux sortes de transferts qui participent à l’actualisation de la pédagogie : le premier de type applicationiste, est en phase et cohérence avec le cadre réglementaire national ; Le second déborde de ce cadre pour explorer localement les voies de l’expérimentation et de l’innovation.

État des connaissances

Les acquis de l’historiographie sur les questions d’enseignement et de recherche sont conséquents, mais ils reposent pour l’essentiel sur l’abord de ces deux champs de manière séparée. Les travaux de beaucoup d’entre eux prennent la forme de bilans, initiés par le ministère (…) ou les réseaux thématiques d’enseignement et de recherche. Les successifs directeurs d’édition des Cahiers de la recherche architecturale et urbaine ont également pris l’initiative de numéros spéciaux, généralement structurés selon la logique des « champs disciplinaires » et également destinés à des bilans[5].

Au-delà des numéros dits thématiques, certaines livraisons traitent également de questions transversales intéressantes pour notre propos à l’instar du numéro sur les « Interdisciplinarités »[6]. Ces numéros offrent un regard sur l’histoire de la recherche architecturale au moment où celle-ci se construit. De plus, ils nous permettent de saisir le rôle et les enjeux d’une activité de recherche indépendante de l’enseignement au sein des écoles d’architecture. Le numéro publié en 1983 « Thèmes et bilans », coïncide avec des changements institutionnels où la recherche devient « incitative sous contrat” et donne un aperçu de la manière dont les laboratoires et le milieu de la recherche s’inscrivent dans ces nouveaux cadres.

D’autres travaux, notamment ceux qui ont abordé, dès les années 1980, la question des passages recherche/enseignement donnent un éclairage sur les origines de la recherche architecturale telle que nous la connaissons aujourd’hui et exploitent le plus souvent un engagement personnel dans les débats et expériences post-68 (Jean-Louis Cohen, 1942, Pierre Chevrière, 1982, Jean-Pierre le Dantec, 1984). Leurs témoignages soulignent leur engagement dans la mise en place d’un enseignement non seulement technique mais aussi intellectuel, politique, social, étroitement liés à la Recherche.

Mais au-delà de considérations générales plus ou moins illustrées, les publications, sur la période qui nous concerne, illustrant les rapports de triangulation ci-dessus évoqués entre les enjeux professionnels et les « recherches/enseignements » qui leur font écho (J.P. Epron, 1987 ; A. Brucculeri, 2000 ; J.L. Bonillo, 2009) sont peu nombreuses, ce qui légitime notre travail.

En effet, il n’existe pas de travaux qui abordent de front, et dans le détail, la vie d’un établissement, de la « grande réforme » à nos jours, ni les effets de l’investissement et de de la production d’un milieu local de recherche sur la pédagogie. Les rares monographies à ce jour existantes, sur les écoles de Strasbourg et de Rennes[7] n’abordent ce sujet que dans le cadre d’une fresque analytique et diachronique.

Ce travail à la fois monographique et plus général se propose donc de combler une lacune de l’historiographie sur ce que l’on appelle statutairement « la recherche liée à l’enseignement » ambitionne de forger un modèle explicatif applicable à d’autres écoles.

Les travaux d’Eric Lengereau montrent que les premières réflexions sur la mise en place d’une politique de recherche en matière d’architecture remontent au milieu des années 1960. De nombreux colloques, journées d’études et de séminaires de recherche[8] ont cherché à appréhender les questions de la légitimité de la recherche architecturales. Pour la puissance publique de l’époque, l’enseignement de l’architecture doit se doter d’un dispositif d’élaboration des connaissances organisé, financé et performant pour l’élaboration du projet d’architecture. La création en 1972 du Comité de la Recherche et de développement en Architecture (CORDA) [9] marque le début de la recherche architecturale soutenue et portée par la haute fonction publique. La dualité des deux ministères, qui ont eu la tutelle ou la co-tutelle de l’architecture, va élargir le champ de la recherche architecturale. Si la recherche fondamentale est un enjeu pour les politiques liées à la Culture, le Ministère de l’Equipement, quant à lui investira le champ de la recherche appliquée liée à l’expérimentation[10].

Point sur la méthode

Trois entrées successives sont envisagées :

Ce volet important du travail est attentif à distinguer parmi leurs productions celle qui relèvent de la thématique du local et de la méditerranéité afin de cerner les caractéristiques et spécificités de l’installation d’un laboratoire dans une école située en Région.

 

 

 

2. Les premières investigations depuis janvier 2017

De la Recherche bibliographique vers un plan de travail de la recherche

La première bibliographie constituée lors du projet de thèse a été remaniée et complétée. Les références bibliographiques sont regroupées selon différents thèmes qui concourent à l’appréhension générale du sujet d’étude et la mise en œuvre de l’analyse :

De celle-ci découle un premier plan de travail en 3 parties permettant d’aborder la problématique de la thèse et d’organiser notre propos :

1/ la création des laboratoires

  1. La situation de l’école avant 1967,
  2. La recherche pionnière : GAMSAU ET ABC
  3. INAMA et ARTOPOS

2/ La recherche et les enseignements théoriques

3/ La recherche et les enseignements du projet

 

La construction d’une chronologie

L’établissement de chronologies sous forme de tableau nous apparaît comme l’outil idéal pour observer dans le temps les évolutions de la recherche aux niveaux national et local et pour baliser le terrain de notre recherche. Les éléments d’analyse qui y sont mentionnés restituent, année après année, le cheminement de la politique de l’architecture en matière de recherche et d’enseignement, et leurs répercutions en terme de pédagogie et de recherche au sein des écoles d’architecture. Ce travail s’appuie sur les travaux d’Éric Lengereau sur la politique de l’architecture de 1958 à 1981. Ces travaux fondés sur le croisement des archives écrites des ministères en charge de la politique de l’architecture et sur les témoignages d’acteurs qui l’ont portée, montrent qu’au tournant des années 1970 sont mis en place les éléments constitutifs d’une vaste politique de l’architecture qui n’est plus seulement patrimoniale mais aussi tournée vers l’architecture contemporaine en lien avec la recherche d’une qualité architecturale et de la transformation du cadre de vie. L’enseignement de l’architecture et la recherche architecturale y sont identifiés comme les facteurs déterminants de la modification de la nature des productions architecturales.

Dépouillement et analyse des livrets pédagogiques : Les premiers résultats

Ce travail est actuellement mené sur deux premières décennies de l’école (1972-1992) : les enseignants et de leurs enseignements sont répertoriés, et déjà ce recensement nous a amené à identifier les personnalités particulièrement représentatives de l’activité de recherche et à dresser une liste de témoins/acteurs à interviewer. Les premiers entretiens sont prévus courant mai. De plus, l’analyse des contenus des enseignements semble montrer pour l’instant que le groupement de professeurs au sein de certains modules est souvent à l’origine de la constitution de groupes de recherche.

 

A cette étape du travail, deux moments de la recherche se dégagent :

Un croisement des informations émanant des archives pédagogiques et de celles obtenues via les témoignages devrait nous éclairer sur les transferts qui ont eu lieu entre l’enseignement, la recherche et le milieu professionnel.

 

Dépouillement et analyse des bilans d’activités des laboratoires

Ce travail, en cours de réalisation, vise à construire l’histoire de la recherche au sein de notre école. Actuellement, il consiste en :

 

Conclusion

Faire un bilan à ce moment d’avancement de notre recherche permet de revoir sa feuille de route face à ce projet d’envergure. Après un temps consacré à la lecture d’ouvrages sur notre thème, au recensement des sources et à leurs premiers dépouillements, nous apercevons l’étendue du travail devant nous. Les entretiens à venir avec les acteurs de la recherche au sein de notre école et avec ceux qui, au niveau du Bureau de la recherche Architecturale, Urbaine et Paysagère l’ont institutionnalisée, doit enrichir notre approche des dynamiques de l’activité de recherche et des évolutions pédagogiques. Ces témoignages doivent éclairer les rapports féconds qui ont pu exister entre les instances aux niveaux local et national. En effet, leur croisement avec les sources d’archive écrites devrait permettre de valider ou de reformuler nos premières hypothèses.

Par ailleurs, la thématique développée dans notre thèse constituera l’un des chapitres de la publication monographique d’ores et déjà programmée à l’horizon de 2020 par le laboratoire INAMA sur l’école d’architecture de Marseille. Cette production s’inscrit dans le cadre de l’action nationale de recherche sur l’histoire de l’enseignement de l’architecture au XXème siècle. Parallèlement aux données factuelles, monographiques au sens fort du mot, seront développées une série d’entrées thématiques déjà définies et prises en charge par les membres du laboratoire engagés dans cette action :

BIBLIOGRAPHIE

Sur l’enseignement de l’architecture

Ouvrages

Articles et Revues

Sur la recherche architecturale

Articles et Revues

Rapports et Travaux

Sur l’enseignement de l’architecture et la recherche en région Paca

Articles et Revues

Ressources

Guide des sources du programme de recherche sur l’enseignement de l’architecture au XXe siècle : https://gtc.hypotheses.org/

Archives

Fonds versés par les services du ministère de la culture

Archives du conseil d’Architecture et d’Urbanisme (CAU) crée par le ministère de la construction : versement AN-CAC 770682

Archives de la tutelle administrative des établissements d’enseignement de l’architecture : versement AN-CAC 810707

Archives de la politique d’enseignement de l’architecture et de recherche architecturale : versement AN-CAC 930521

Fonds versés par les services du ministère de l’équipement

Archives du conseil de la tutelle administrative des établissements d’enseignement de l’architecture

Archives administrative de l’unité d’enseignement et de recherche sur l’environnement

Archives de l’institut de l’environnement et du centre d’études et de recherches architecturales

Archives de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts ; enseignement de l’architecture

Centre d’archives del’IFA / Fonds versés par la DAU du ministère de l’Equipement et du logement

Les fonds d’architectes aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône

Fonds d’architectes :

 

Références

[1] A l’automne 2018, ENSA•Marseille accueillera un des séminaires de cette action nationale de recherche.

[2] J.L. Bonillo et E. Marantz-Jaen, (dir.), « Paul Quintrand, architecte. Une expérimentation entre recherche et projet », numéro spécial de la revue Colonnes, Cité de l’Architecture / Archives d’architecture du XXe siècle, 2015.

[3] Créées en 1964, les UPA régionales seront en 1969 au nombre de 11 en France.

[4] En 1966 se met en place en France sous l’égide de Max Querrien la « commission de réforme de l’enseignement des écoles d’architecture ».

[5] « Thèmes et bilans », Les cahiers de la recherche architecturale, n°13, octobre 1983, éd. Parenthèses, Marseille et « Situation », Les cahiers de la recherche architecturale et urbaine, n°37, 1er trimestre 1996, éd. Parenthèses, Marseille.

[6] « Interdisciplinarités », Les cahiers de la recherche architecturale et urbaine, n°12, Janvier 2003.

[7] Lire à ce sujet : Châtelet Anne-Marie, Storne Franck, Des Beaux-Arts à l’Université. Enseigner l’architecture à Strasbourg, Editions Recherches, Strasbourg, 201 » et Le Couédic Daniel, « Genèse et premier âge d’une École régionale d’architecture : Rennes 1901-1949 », Arts de L’Ouest, Rennes, PUR, 1995, p. 50-60.

[8] En mars 1971, le rapport ministériel de la Recherche Architecturale remis par André Lichnerowicz va impulser une politique ministérielle tournée vers la recherche fondamentale. Dès 1973, seront menées les premières actions de repérage thématiques et de financements pour lancer une politique incitative en matière de recherche architecturale. En 1974, le Secrétariat de la recherche architecturale (SRA) lancera le premier appel d’offre de la recherche architecturale. Sous l’autorité de Jean-Paul Lesterlin est alors organisé le colloque « Histoire et théories de l’architecture ». D’autres colloques suivront, notamment celui du 12-13 mars 1979 intitulé « Architecture : recherche et action » organisé par le CERA à Marseille.

[9] Sous l’autorité du ministre des affaires culturelles, Jacques Duhamel, le CORDA est créé le 10 février 1972. Une enveloppe budgétaire lui est allouée pour mener et porter une réelle politique scientifique en matière de recherche architecturale.

[10] Voir à ce sujet, l’ouvrage de Lengereau Éric., L’État et l’architecture : une politique publique ?, Paris, Picard, 2001.

[11] Ce travail d’enquête est mené sous la direction de Jean-Lucien Bonillo et de Fabricia Fouquet et s’inscrit dans la thématique du laboratoire INAMA. L’enregistrement de ces témoignages feront l’objet d’un versement à la phonothèque de la Maison Méditerranéenne des sciences de l’homme qui a vocation de réunir les enregistrements sonores qui ont valeurs d’information historique, ethnologique, sociologique, linguistique, musicologique ou littéraire sur l’aire méditerranéenne.

[12] Voir à ce sujet, l’ouvrage de Lengereau Eric., L’État et l’architecture : une politique publique ?, Paris, Picard, 2001.

[13] Ces archives, en cours de classement par Emmanuelle Reimbold, archiviste mandatée au sein l’ENSA Marseille, seront très prochainement versées aux archives départementales des Bouches du Rhône.

La recherche au service des pratiques de projet

En septembre 2015, se tenaient à l’ENSA•Marseille les 3èmes Rencontres doctorales en architecture, organisées par le laboratoire Project[s]. Un tel événement était l’occasion de réunir des propositions de doctorants issus de différentes écoles d’architecture, d’urbanisme, de paysage, de design autour de la question des relations entre la recherche et le projet. A travers leurs réponses, ces derniers nous donnaient notamment à percevoir l’évolution des pratiques contemporaines du projet.

Résumé

L’article proposé ici a choisi de rendre compte des objets et des méthodes, interrogés et utilisés par ces jeunes chercheurs afin de mettre en valeur la spécificité de leurs approches, mais également afin d’identifier les termes à travers lesquels sont produites leurs réponses. Trois contributions ont été retenues pour réaliser cet exercice. Charline Sowa questionne le phénomène de la décroissance dans le cadre du projet urbain. Audrey Courbebaisse revient sur les principes de la conception formelle des Grands ensembles dans la perspective de leur réhabilitation. Enfin, Dimitri Toubanos interroge de manière comparative les difficultés incombant à la mise en œuvre de logements durables. Sélectionnées pour leur état d’avancement, la diversité des champs abordés et leurs relations avec les enjeux actuels de l’aménagement des espaces de vie, ces explorations nous donnent à voir comment la retranscription fine d’une situation permet d’identifier les différents leviers opérationnels du projet architectural ou urbain. Elles nous rappellent également la capacité de la recherche en architecture à alimenter la démarche de projet à travers l’explicitation des éléments qui s’y trouvent à l’œuvre et des mécanismes mis en jeu.

In septembre 2015, the doctoral meetings in architecture were organized by the project[s] laboratory in ENSA-Marseille. This opportunity to gather various doctorants from the space conception field focused on the question of the relations between research and design. Three proposals were selected amoung forty-three received. They gave the opportunity to perceive deep evolutions both in the way to practice design and in the way to describe the elements of the project. Charline Sowa deals with the consequences of the « shrinking city » on urban planning, Audrey Courbebaisse describes the « Grand ensemble » as a combination of both plastic and fonctionnal elements, and Dimitri Toubanos questions the parameters used in sustainable residential housing. Their demonstrations precisly show the ability of research to explain the design process and thus, the possibility to optimise its results.

 

Article

En septembre 2015, se sont tenues à l’ENSA•Marseille les 3ème Rencontres doctorales en architecture1. Organisées par le laboratoire Project[s], elles ont traité du thème des relations entre le projet et la recherche dans les domaines de la conception spatiale, et plus particulièrement dans les domaines de l’architecture et de l’aménagement. Les contributions réunies ont dans un premier temps fourni l’occasion de rendre compte du processus de projet à travers l’identification de ses paramètres et de ses processus. Mais en procédant à l’analyse fine de situations concrètes, les propositions de recherche ont également fait apparaître des méthodes de description constituant un véritable savoir-faire du chercheur, et contribuant à une expertise aboutie du processus de projet. Comment rendre alors compte de la performativité des éclaircissements apportés par la recherche sur la démarche de projet ? Et comment donner une place à la construction de ce regard analytique et réflexif dans le cycle de formation de l’architecte ?
Effectivement, depuis la mise en place de la réforme LMD2 (Licence-Master-Doctorat) et la création du doctorat en architecture3, la recherche constitue le 3ème cycle de la formation des architectes. Néanmoins, il reste parfois encore difficile d’identifier la spécificité de ses enjeux au sein des cycles précédents. L’hypothèse proposée ici est que la restitution des objets de la recherche constitue une opportunité pour donner à comprendre les éléments fondateurs sur lesquels elle s’appuie. Il va donc être ici question de faire émerger des objets, des méthodes ainsi que des éléments de synthèse issus des propositions des doctorants, afin d’identifier les types de connaissances mobilisées. Dans cette perspective, nous nous rendrons particulièrement attentifs aux méthodes d’analyse de terrain, aux termes de la restitution de cette analyse, mais également aux formes d’explicitation des mécanismes de transformation des lieux.
Parmi les quarante trois contributions retenues dans le cadre des trois journées de séminaire organisées en septembre 2015, trois propositions ont donc été choisies afin d’explorer la pertinence de cette intuition. La clarté de la problématique exposée, l’état d’avancement, ainsi que la diversité des approches proposées ont constitué les critères de sélection des articles présentés ici. En premier lieu, Charline Sowa a abordé la question du projet urbain à travers le thème de la décroissance comme mode de conception. Puis, Audrey Courbebaisse s’est penchée sur le processus de production et de réhabilitation du « Grand ensemble » à travers la question de sa composition plastique par les percements, sur un site Toulousain. Enfin, Dimitri Toubanos a comparé deux mises en œuvre de la notion de développement durable dans la conception de logements collectifs, en Australie et en France.
Après quelques éléments de rappel relatifs au cadre de la mise en place de la recherche en architecture en France, on détaillera les approches proposées par chacun des doctorants afin d’en préciser les objets et les méthodes.

 

I- L’enseignement de l’architecture : état des lieux d’une politique publique4

a- Une discipline en pleine réforme

À la rentrée scolaire 1968–19695, le ministre de la culture André Malraux créait les « Unités Pédagogiques d’Architecture » (U.P.A.), qui succédaient à un enseignement dispensé depuis 1903 par l’école des beaux-arts de Paris et ses trois annexes de province (Lille, Bordeaux et Marseille). Cinq Unités étaient créées à Paris, et quatre devenaient des écoles régionales6. Leur nombre se stabilisait par la suite à une vingtaine répartie sur l’ensemble du territoire : six sur Paris, quatre sur Toulouse, Bordeaux, Marseille et Nancy, et de nouvelles antennes étaient créées à Rennes, Lyon, Rouen, Strasbourg et Saint-Étienne, etc. Ces Unités Pédagogiques bénéficiaient d’une relative indépendance pour construire leur programme pédagogique, mais elles n’organisaient néanmoins pas de lien réel avec l’université.

Dans le même temps, les disciplines spécialisées accompagnant la démarche de projet s’affirmaient comme des champs de connaissance autonomes à travers la création des premiers laboratoires de recherche associatifs au sein des nouvelles écoles. A Marseille, le Gamsau était créé en 1970, puis le laboratoire ABC en 1971 et le laboratoire INAMA en 1978. Le décret de 19787 confirmait la présence de la recherche en école d’architecture et l’intégrait dans la constitution de ses enseignements. Depuis, la recherche et les chercheurs en architecture produisaient des doctorats sous-couvert de discipline déjà identifiées dans le champ universitaire, dans le cadre de conventions permettant de délivrer des titres universitaires en sciences de l’ingénieur, en histoire, en sociologie, en anthropologie, en esthétique…

Le décret du 30 juin 2005 relatif aux études d’architecture8 marquait un nouveau tournant dans la reconnaissance du rôle de la recherche en école d’architecture en créant le doctorat en architecture et en introduisant dans les écoles le parcours doctoral9. Le 8 avril 2013, le rapport présenté par le député Feltesse10, revenait à nouveau sur l’enjeu central de la recherche dans l’enseignement supérieur à travers la revalorisation du doctorat, la mise en place d’une Stratégie nationale de la recherche, et la création d’une autorité administrative indépendante, l’HCERES11. Il s’agissait de créer les conditions d’une recherche ambitieuse et reconnue. Pour y parvenir, les ENSA devaient prendre modèle sur l’université.

Enfin, le 17 octobre 2014, la Ministre de la culture et de la communication Fleur Pellerin annonçait sa volonté de lancer une « Stratégie Nationale pour l’Architecture » (SNA) comme outil de pilotage public de la politique de l’architecture. Elle s’organisait en six axes stratégiques se déclinant en trente mesures. Les six axes concernaient la sensibilisation à l’architecture du grand public, la prise en compte des héritages des XXe et XXIe siècles, l’articulation de la formation à la recherche et aux métiers, l’identification des compétences de l’architecte, l’accompagnement des mutations professionnelles, et le soutien à la valeur expérimentale et culturelle de l’architecture. Elle serait mise en œuvre sur la base d’un diagnostic complet et partagé, conçu en partenariat avec les acteurs concernés dans le cadre d’un suivi stratégique. La recherche y prenait sens à travers sa capacité à accompagner la mise en œuvre du renouvellement de la discipline. C’est dans ce contexte que se déroulaient les Rencontres doctorales de l’ENSA•Marseille.

b- L’exercice de la recherche en école d’architecture

En 2014, un rapport permettait de constater que depuis la réforme de 2005, créatrice du doctorat en architecture12, 122 thèses avaient été soutenues dans les différentes Unités de Recherche (UR) des vingt écoles d’architecture, et 177 étaient en cours de rédaction13.
Le rapport IGAENR14 faisait néanmoins le constat d’une réelle difficulté à augmenter de manière notoire ce corpus de thèses faute de la présence de suffisamment d’enseignants HDR15 dans la discipline.
Par ailleurs, on comptait en 2014, 373 doctorants répartis dans les 37 unités de recherche des vingt ENSA16. Ils étaient en grande majorité architectes, et 215 d’entre eux étaient accueillis dans les six écoles parisiennes ou d’Île-de-France (Belleville, Marne-la-Vallée, Malaquais, Val-de-Seine, Versailles, La Villette), et 158 en région, dans les trois pôles majeurs de Grenoble, Nantes et Toulouse.
Enfin, sur les 3.369 personnes17 intervenant dans l’enseignement de l’architecture, 280 enseignants des écoles d’architecture se trouvaient impliqués dans la recherche.

c- La question posée par le laboratoire project[s]

Dans le cadre de l’appel à contribution lancé par le laboratoire project[s], la question posée concernait la nature des relations existant entre le projet et la recherche. Cette question récurrente au sein de la discipline depuis l’émergence de la recherche à la fin des années soixante18, était l’occasion de mobiliser la réflexivité19 des doctorants sur leurs pratiques. La soixantaine de réponses reçues s’était répartie suivant les trois catégories attendues : du « projet comme objet d’étude », du « projet comme dispositif dans un protocole de recherche », et du « projet vu comme lieu de production de connaissances »20.
Les quarante trois contributions finalement retenues s’organisaient autour de six grandes thématiques relatives au territoire et à ses acteurs, à la pédagogie, aux études de cas, à la théorisation de la démarche de projet, aux échelles du territoire et aux questions patrimoniales.
L’étude de trois contributions sélectionnées pour leur état d’avancement et la complémentarité des échelles et des objets abordés, allait nous permettre de comprendre les opportunités introduites par la réflexion produite.

 

II- La décroissance comme agent du projet de la ville contemporaine, par Charline Sowa21

Le terme de « shrinking city », ou de « ville rétrécissante », est apparu dans les années soixante dix, dans le contexte de la récession économique qui frappait les grandes régions industrielles de la Rust Belt, aux États-Unis, et de la Ruhr, en Allemagne, nous rappelle Charline Sowa. Elle fait alors l’hypothèse que l’analyse de ce phénomène par l’architecte peut apporter des connaissances économiques et démographiques utiles au projet à partir de la déconstruction des mécanismes à l’œuvre dans ce processus qui s’est depuis généralisé. Elle met pour cela en jeu sa compétence d’architecte, qu’elle distingue de celle du géographe et de l’urbaniste par le fait qu’elle mobilise des techniques d’analyse de la ville qui lui sont propres.

La décroissance est en premier lieu un phénomène économique analysé par la géographie quantitative et statistique. Or, c’est un phénomène qui a des répercutions spatiales majeures. Cette appropriation conceptuelle du phénomène se légitime dans le champ de l’exercice architectural dans la perspective du développement durable et du renouvellement urbain qui s’y associe. Le projet architectural, dont la première vocation est de proposer des solutions formelles adaptées, s’y trouve questionné. L’architecte n’a-t-il pas alors également un rôle à jouer dans la mise en œuvre du projet de redynamisation économique à travers sa capacité d’analyse des processus à l’œuvre ?
L’intervention de l’architecte ne se limiterait plus ici à la réalisation de constructions, mais il serait sollicité pour inventer de nouvelles manières d’aborder le langage de la ville décroissante, avançant des méthodes de conception et de production inédites d’arrangements spatiaux adaptés au contexte. De plus, son intervention aurait vocation à intégrer la participation des multiples acteurs aux différentes étapes du projet. Au-delà de la simple application de modèles urbains classiques, il s’agirait bien d’inventer une nouvelle pratique du projet de conception de la cité dans le contexte de la décroissance.

Quelles sont les réponses concrètes apportées par l’architecte dans le contexte des villes en décroissance, demande encore Charline Sowa? Philipp Oswalt22 avait déjà initié cette question lors de la désindustrialisation et du démantèlement des zones de production amorcée dans les années soixante-dix. Mais comment continuer à fabriquer les « formes d’habitabilité de ces territoires en crise », demande légitimement Charline Sowa ?
Cette question de la gestion de la décroissance mobilise des programmes de recherche urbaine depuis les années quatre-vingt-dix à travers différentes expérimentations. Citons notamment les propositions de l’IBA Emscher Park, ou le thème de la ville adaptable porté par l’Europan 12 et 13, en 2013 et 2015. Aujourd’hui, elle prend également la forme de la reconquête des Centre-bourgs23.
Le phénomène de décroissance concerne sans doute en premier lieu les possibilités d’évolution du statut des sols ainsi que celui du bâti existant. Mais il a nécessairement des conséquences sur la nature de ses usages et des formes paysagères engendrées. La pratique du « remodelage urbain »24 apporte dans ce contexte des éléments de réponse pragmatique. Elle permet de traiter de manière simultanée l’évolution du parcellaire, du bâti et des usages qui s’y associent. Elle intègre également l’incertitude liée au devenir du territoire, à la gestion de la vacance et au devenir des espaces libres, à la renaturation, et plus généralement, à la définition d’un espace urbain habitable. Si les situations urbaines sont de nature très disparates, le recours aux outils de morphologie urbaine comme levier de l’action replacent l’architecte au centre du processus. Le travail de re-dessin du quartier qui s’y associe permet d’envisager le désenclavement d’îlots paupérisés, ainsi que l’introduction d’espaces privatifs extérieurs. Chaque élément existant – tels que les murs de clôture, notamment – est alors évalué à la mesure de son état, de ses usages, et de sa fonction spatiale et urbaine. La démolition est également incluse comme un paramètre de la programmation initiale. Enfin, le travail de gestion foncière sur le court et le long terme sont simultanément engagés avec la maîtrise d’ouvrage. Cette complexification du calendrier de projection a d’ailleurs de véritables conséquences dans la définition même des termes de la commande.

Organisation du jeu des acteurs du projet îlots-test Franche-Amité, source Charline Sowa.
Organisation du jeu des acteurs du projet îlots-test Franche-Amité, source Charline Sowa.

La synthèse du jeu des acteurs a ici constitué un élément de compréhension central. Il a notamment permis d’identifier le rôle de l’architecte dans une fonction d’assistance à la maîtrise d’ouvrage. L’analyse spatiale de la décroissance a donné à Charline SOWA l’opportunité de faire apparaître la question foncière comme déterminante dans le projet de remodelage urbain (réorganisation, redimensionnement). De plus, son intervention a introduit une pensée sur le long terme de la mutation possible du territoire. Le rôle pédagogique de l’architecte a également eu un impact décisif sur l’évolution de la mentalité des acteurs et sur la définition de leurs attentes urbaines.

L’expérience conduite à son terme a enfin permis de générer un modèle d’action locale efficace et a formé les acteurs à une gestion globale de leur territoire urbain sur le long terme.
Les outils mobilisés ont bien été ceux de l’architecte, utilisant notamment le dessin et le schéma pour convaincre et expliciter les mécanismes du projet de remodelage urbain. Mais bien au-delà de l’attention aux formes urbaines, il a également été question d’introduire une perspective de planification et de portage foncier, impliquant une gestion économique du projet sur le long terme, dans un climat par ailleurs très incertain. Des leviers spatiaux existants ont ainsi émergé et sont devenus visibles via le regard de l’architecte. Cette ouverture des perspectives dans le cadre du projet urbain a été rendue possible grâce au recours à l’analyse urbaine opératoire de la démarche de projet.

 

III- Le Grand ensemble comme système de production plastique et architectural par la répétition, par Audrey Courbebaisse25

Audrey Courbebaisse pose à son tour la question des instruments d’interprétation de l’architecte. Dans quelle mesure la lecture formelle d’un bâtiment peut-elle accompagner la compréhension du logement répétitif réalisé à grande échelle ? Elle s’intéresse alors à la dimension plastique des formes urbaines et demande si la compréhension de leur composition peut contribuer à définir le socle d’un projet de réhabilitation ? Elle analyse dans cette perspective un objet urbain particulier : le Grand ensemble.

Les formes répétitives des percements dans les Grands ensembles se déclinent à travers la variation de leurs dimensions ainsi que par leur disposition en façade. Elles sont ensuite organisées suivant des motifs de répétition formelle sur les bâtiments sur le fond d’un plan masse qui en constitue l’instrument de composition générale. Mais comment se réalise concrètement l’articulation entre le type ou le modèle spatial, et la conception du projet d’ensemble, demande Audrey Courbebaisse ? Existe-t-il des « règles génératives » systématiques telles que Christian Moley en rend notamment compte [Moley, 1991] ?
L’immeuble est un objet architectural qui fonctionne par principe sur la répétition comme « règle générative ». Cette dernière y opère « par emboîtement d’échelles successives et croissantes ». La distribution et la structure y constituent des variables liées à la nature de la commande, ainsi qu’aux normes et aux contraintes du contexte. Dans le cadre du programme de conception d’un Grand ensemble, ces variables contribuent d’ailleurs à la production de typologies distinctes.
Christian Moley identifie à ce titre trois générations d’immeubles possibles : l’immeuble à structure longitudinale, avec les pièces d’eau groupées ou bien dispersées en façades, l’immeuble transversal avec les pièces d’eau placées au centre de la cellule, et l’immeuble à courette ou à gaine de ventilation. Le projet d’habitation collective à grande échelle procède au final de l’ajustement de ces variables fonctionnelles et structurelles, hiérarchisées suivant les intentions de l’architecte.

La répétition est un instrument de composition traditionnel de l’architecte depuis la Renaissance et la période Classique. Mais la construction du « Grand ensemble », réalisée dans le cadre d’une politique ministérielle de 1953 à 1973, introduit les nouveaux impératifs du procédé industriel et du seuil de rentabilité. Ce dernier est d’ailleurs atteint à partir de 300 logements, nous dit Audrey Courbebaisse. Mais cette exigence économique n’empêche pas de préserver la logique de composition apprise aux « Beaux-arts » par l’architecte dans le sens de l’organisation harmonieuse et hiérarchisée des éléments suivant trois échelles emboîtées : celle de l’élément lui-même, celle de la partie qu’il compose et celle du tout. Les questions de distribution et de disposition sont également mobilisées. Le « parti » architectural qui rend compte du fonctionnement des règles d’agencement choisies est d’ailleurs énoncé en amont comme première expression de l’intention de l’architecte.
La restitution en maquette des déclinaisons possibles des modules et de leurs agencements permet de comprendre immédiatement le processus à l’œuvre. Néanmoins, dans le cas de la cité Belle Paule (1952-1956), réalisée par Robert-Louis Valle, à Toulouse, la répétition intervient en l’occurrence plutôt à l’échelle de la composition des immeubles, qui sont reproduits à dix reprises sur le plan masse. De plus, le principe répétitif détermine ici un processus constructif en bandes, qui découle de la prise en compte de la configuration du terrain.

Schéma de composition des immeubles doubles, source Audrey Courbebaisse26.
Schéma de composition des immeubles doubles, source Audrey Courbebaisse26.

Finalement, l’analyse méticuleuse de la composition générale du Grand ensemble et la compréhension des principes d’articulation entre les éléments architecturaux mobilisés peuvent être résumées dans une arborescence synthétique (illustration) qui rend compte des différents emboîtements compositionnels. Elle rend également visibles les choix successifs possibles de l’architecte, tout en rendant exposant la palette initiale des formes disponibles. Elle aboutie à la production de situations concrètes diversifiées.

L’étude opératoire de la répétition du motif dans le projet du Grand ensemble permet ici de revenir sur les instruments de la conception architecturale ainsi que sur les stratégies que se donnent les architectes pour répondre au mieux à la commande. Audrey Courbebaisse nous montre à quels endroits se situent les décisions et les choix possibles au sein de cette logique rationnelle. La pertinence intellectuelle du dispositif de production nous fait également apparaître sa très grande efficacité ainsi que ses limites.

IV- Construire durable : exigences énergétiques versus contraintes réglementaires dans la conception de logements, par Timitri Toubanos27.

Comment conçoit-on des logements durables aujourd’hui demande Dimitri Toubanos ? S’agit-il de déléguer la question énergétique à un bureau d’étude, ou bien d’innover à travers la prise en compte de l’ensemble des paramètres agissant sur la dimension durable du logement ? En étudiant un corpus de réponses reconnues à l’échelle internationale, il devient possible d’identifier le panel des paramètres déterminants les apports durables de chaque proposition constructive. Comment chaque maitrise d’œuvre organise-t-elle alors la hiérarchisation de ses choix ?

L’étude d’un corpus de projets référencés durables débouche sur la formulation d’une grille d’évaluation comparative qui prend également soin d’intégrer le rôle du maître d’ouvrage aux différents moments de son intervention dans le processus. Le doctorant s’est ici notamment appuyé sur son expérience développée dans le cadre d’une dispositif CIFRE28 engagée par le bailleur social EFIDIS. L’analyse fine de deux réponses produites d’un coté en Australie par l’agence Troppo29, et de l’autre en France par EFIDIS, permet alors à Dimitri Toubanos de faire apparaître les marges de manœuvre existantes dans cette application de la notion du durable à la production de logements.

Les questions liées au développement durable ont été intégrées au débat de société en France, à partir de 2007, dans le cadre du Grenelle de l’environnement et des lois qui en ont découlé. Le secteur de la construction a été concerné à travers la mise en place de nouvelles réglementations relatives à la définition d’un niveau d’exigence énergétique de la construction neuve, rattaché à l’obtention de labels. Or, la démarche durable ne concerne pas exclusivement la mesure de la consommation énergétique des bâtiments. Elle prend également en compte leur localisation, leur lien aux services, la gestion de la mixité et les opportunités d’accès à des espaces collectifs de qualité.
Dimitri Toubanos précise que l’architecte n’est pas un spécialiste de la conception durable et qu’il doit en premier lieu s’y former. Si l’économie énergétique du bâtiment reste un point essentiel, la conception durable ne peut donc néanmoins pas s’y limiter. Mais comment prendre en compte les autres critères attendus dans le processus de conception ? D’autant plus, que les diverses exigences réglementaires sont génératrices de contradictions et placent les concepteurs face à des choix difficiles.

La réalisation d’un état de l’art relatif à un corpus d’interventions durables a permis dans un premier temps au doctorant de faire apparaître les solutions récurrentes choisies par les architectes. Puis, il s’est focalisé sur les réalisation de l’agence Troppo, qui est intervenue à la suite du passage du cyclone Tracy à Darwin (Australie). Elle s’est alors spécialisée dans cette démarche en dévelopant une approche similaire dans d’autres contextes, à partir de la mise en valeur d’une architecture locale comme meilleure réponse possible face aux enjeux climatiques.
Le bâtiment étudié par Dimitri Toubanos a été réalisé à Adélaïde (Australie) en 2011. Il réunit 27 habitations sur quatre niveaux dans un quartier modeste composé de constructions de faible hauteur. Il est composé de trois volumes distincts aux accès indépendants (photo), agrémentés de vérandas ou d’espaces extérieurs privés et collectifs. Le rez-de-chaussée accueille un café et les parkings ont été placés en sous-sol. Des jardins collectifs ont été aménagés en fond de parcelle. La structure est en béton (voiles et planchers) à l’intérieur de laquelle vient se glisser une structure secondaire en acier et bois.
L’orientation, l’utilisation de panneaux photovoltaïques, les vérandas, un système de auvents ajustables et le choix d’une ventilation naturelle, permettent de faire une proposition architecturale passive30. L’utilisation du béton donne également une certaine inertie au bâtiment, qui est par ailleurs très bien isolé en toiture. De plus, les architectes ont utilisé des matériaux locaux (pisé, bois) associés à un système de récupération des eaux de pluie, ainsi qu’à un suivi de la consommation d’énergie. Enfin, la biodiversité est prise en compte à travers l’éventail des espèces plantées dans les jardins.

Vue depuis la place Whitmore (source: Agence Troppo, Adelaïde)
Vue depuis la place Whitmore (source: Agence Troppo, Adelaïde)

Dimitri Toubanos aborde ensuite un projet relevant d’une démarche équivalente réalisé par EFIDIS, sur la commune de Verson (3.700 habitants, à 10km de Caen). Philippe Madec a d’abord gagné le concours du projet d’écoquartier lancé en 2008 par la ville en proposant un projet d’extension urbaine de part et d’autre d’un talweg préservé. Une ZAC a ensuite été créée en 2010 assortie de son cahier de prescriptions, et EFIDIS a été retenu comme aménageur. C’est dans le cadre du concours que l’atelier d’architecture Bettinger et Desplanques a été retenu pour la construction de 52 logements.
Il a proposé la réalisation de six plots sur trois niveaux plus attique, sous toiture végétalisée. En terme d’espaces extérieurs et de communs, une place a été créée à l’extrémité du terrain, à proximité d’un bâtiment sur pilotis qui accueille une salle commune. Les bâtiments ont été agrémentés de coursives intérieures de desserte, et le stationnement en extérieur a permis de définir une zone tampon vis-à-vis de l’autoroute. Le chauffage est individuel au gaz, les eaux de pluie sont récupérées pour les sanitaires, la structure est en béton et l’isolation a été réalisée par l’extérieur. Les façades et les espaces collectifs ont été particulièrement soignés. La contrainte majeure de cette opération s’est cristallisée dans la recherche d’un haut niveau de performance énergétique permettant d’obtenir les subventions tout en maintenant un coût de production acceptable.

Dans les deux projets retenus, l’habitant a été placé au centre du processus de conception spatiale, à la fois en tant qu’individu, mais également comme membre appartenant à une communauté. Les espaces ont été pensés pour assurer son bien-être et son confort de vie. Le deuxième point essentiel a concerné la gestion de l’enveloppe du bâtiment faisant apparaître deux types de réponses possibles dans l’articulation entre le principe porteur et le « remplissage » des façades. Les deux équipes ont également du intégrer les exigences réglementaires, liées au contexte de la ZAC, ou aux attentes de performance énergétique, tout en respectant l’enveloppe du budget initial. Etant donnée le degré de complexité du programme, les architectes ont du en permanence innover pour trouver des solutions permettant de répondre à l’ensemble des contraintes.
L’étude comparative programmatique, puis opérationnelle et technique, proposée par Dimitri Toubanos a permis de faire apparaître les critères déterminants du succès d’une opération durable. Il a également confirmé que la réalisation d’un projet durable est en premier lieu un parcours semé de contraintes rigides. La réponse architecturale s’y est élaborée à travers l’articulation de solutions techniques opérant à différents niveaux de conception, dans une perspective de quête permanente d’une efficacité énergétique et de recherche de qualité des espaces extérieurs et des espaces collectifs.

 

V- Conclusion : un exercice réflexif révélateur et vecteur de connaissances

Les trois propositions étudiées ont rendu compte de contextes opérationnels et d’enjeux très différents à travers des méthodes d’analyse et d’interprétation spécifiques : via la gestion de la question foncière sur le long terme chez Charline Sowa, celle de la compréhension de la logique de composition architecturale chez Audrey Courbebaisse, ou encore celle de la mise en œuvre d’un programme et d’une conception durables chez Dimitri Toubanos. Chacun des doctorants a ensuite produit une modélisation appropriée de sa problématique à travers le compte-rendu du jeu des acteurs, la description méticuleuse des éléments architecturaux mobilisés, ou encore l’identification du rôle et de la marge de manœuvre de l’architecte dans des procédures très contraintes. Par leurs approches, ils ont également montré que la qualité de la réponse architecturale découlait principalement de sa capacité à s’emparer d’une logique opérationnelle adaptée en réponse à une question posée. Le principal travail de l’architecte a notamment consisté à choisir les « bons » termes permettant de décrire de manière appropriée une situation sur laquelle intervenir. Cette description a également fait apparaître les marges de manœuvres possibles pour l’architecte.

Les propositions des doctorants nous ont ici très directement parlé des enjeux contemporains de la conception architecturale, tout en nous donnant à voir des manières possibles d’y répondre. En rendant compte au plus près des logiques économiques, des processus de conception et des leviers de l’action, ils nous ont présenté un tableau instructif et assez complet d’une certaine activité architecturale. Dans ce cadre, ils ont donné un rôle fondamental à l’analyse, qui a servi à décomposer les différents niveaux de fonctionnement du projet. Par la désignation des éléments architecturaux mobilisés, le rappel des modèles et des références, la définition des enjeux, l’identification des acteurs et de leurs attentes, on a également accédé à la dimension nécessairement collaborative du projet architectural.
La démarche de recherche a alors permis de faire apparaître des « paramètres opératoires » aux différentes phases du projet. Elle a également montré tout son intérêt en identifiant, synthétisant, puis modélisant, les processus de conception à l’œuvre dans chaque situation étudiée. La durée de l’observation ainsi que la légère mise à distance permise par la position du chercheur ont constitué des opportunités irremplaçables pour la construction d’un regard permettant de décomposer la complexité du processus de conception. Chaque doctorant a, dans cette perspective, pu se confronter à une situation constructive concrète suivant un angle particulier constitutive d’une connaissance spécifique, mais opérant néanmoins sur le processus d’ensemble.

Il faut enfin souligner la finesse du travail réalisé par les doctorants dans le cadre d’un exercice de compréhension des modes contemporains de production de l’architecture. Les connaissances mobilisées ont alors sans cesse opéré à deux niveaux : celui permettant de décrire les formes concrètes manipulées et produites dans le cadre de la réalisation d’un cadre de vie contemporain, et celui relatif à une logique de conception et de production, éminemment économique et technique, inscrite dans le cadre d’une logique de négociation permanente avec les acteurs. Pour cela, les doctorants se sont en permanence appuyés sur un travail d’analyse auquel ils ont donné la forme d’une sorte de « diagnostic opératoire », qui a permis de rendre compte de la pertinence des solutions choisies par les architectes. Le choix et la précision des paramètres étudiés ont alors constitué les qualités essentielles des analyses proposées et de leurs conclusions.

 

Références :

  1. Les premières Rencontres ont eu lieu à Nantes en 2011, puis en 2013, à Belleville. Elles ont à chaque fois fait l’objet d’un numéro de compte-rendu publié par les Cahiers de la Recherche Architecturale et
  2. Article D123-13 du code de l’éducation, faisant suite au décret no 2002-482 du 8 avril 2002 portant application au système français d’enseignement supérieur de la construction de l’Espace européen de l’enseignement supérieur.
  3. III, article 11 du décret n° 2005-734 du 30 juin 2005 relatif aux études d’architecture. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000258877&dateTexte=&categorieLien=id
  4. Dans son intervention au collège de France le janvier 2015, Eric Langereau rappelait que l’architecture et les termes de son enseignement relèvent d’une politique publique. « L’architecture entre pratique et connaissance scientifique », colloque du 16 janvier 2015 au Collège de France, organisée par Jean-Louis Cohen . https://www.college-de- france.fr/site/jean-louis-cohen/symposium-2015-01-16-10h20.htm
  5. Décret n°68-1097 du 6 décembre 1968 portant sur l’organisation provisoire de l’enseignement de l’architecture.
  6. Article 1 du décret du 6 décembe 1968 : « Dans la région parisienne, ces unités pédagogiques se substituent à la section d’architecture de l’école nationale supérieure des beaux-arts. Leur nombre est fixé à cinq et leur implantation est déterminée par arrêté ministériel […] Sur le reste du territoire, les unités pédagogiques sont constituées par les écoles régionales d’architecture. »
  7. Décret n° 78-266 du 8 mars 1978, fixant le régime administratif et financier des unités pédagogiques d’architecture. art 1 : Conformément à la mission de service public de l’enseignement supérieur qui leur est confiée, les écoles nationales supérieures d’architecture placées sous la tutelle du ministre chargé de l’architecture ont notamment pour objet : 1. La formation initiale, à ses différents niveaux, des professionnels de l’architecture ; 2. La recherche en architecture et la valorisation de celle-ci ; 3. La formation à la recherche et par la recherche ; 4. Les formations spécialisées en architecture et dans les domaines relatifs à l’architecture ; … »
  8. Article 1 : « L’enseignement de l’architecture en France répond aux exigences d’intérêt général, définies notamment à l’article 1er de la loi du 3 janvier 1977 susvisée. Il prépare l’architecte à l’exercice de son rôle dans la société, en ses divers domaines de compétence. Cet enseignement contribue à la diversification des pratiques professionnelles des architectes, y compris dans leurs dimensions scientifique et de recherche. L’enseignement du projet est au coeur de la formation et intègre l’apport des autres disciplines qui concourent à sa réalisation. », https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000258877&dateTexte=&categorieLien=id
  9. Regroupant un ensemble de formations spécifiquement dédié à l’apprentissage des méthodes de recherche, et permettant de conduire l’étudiant au
  10. Le rapport Feltesse, enregistré le 16 mai 2013: http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r1042.asp, consulté le 30/01 /2017.
  11. Qui prenait le relais de l’AERES.
  12. Le Dream, département chargé de gérer la recherche, a été créé en 2007 à l’ENSA•M. Les premiers doctorants ont été accueillis à la rentrée 2008. L’Ecole Doctorale à laquelle le Dream est rattachée est l’ED 355 de l’AMU (Aix Marseille Université).
  13. Source : http://www.theses.fr
  14. Rapport sur la recherche en architecture produit par l’Inspection Générale de l’Administration et de l’Éducation Nationale et de la Recherche, http://www.education.gouv.fr/pid77/l-inspection-generale-administration-recherche.html
  15. Enseignants Habilités à Diriger des Recherches, au nombre de 80 en
  16. Rapport IGAENR 2014-074, 14.
  17. Sur ces 3.369, 726 sont des titulaires, 2.643 des contractuels (associés ou contractuel de différents types), et cela représente 1.562 ETP au
  18. Et largement réactivée à l’occasion du décret de 2005 : Vers un doctorat en architecture, 2007,
  19. Telle que la démarche a été promue par Donald A Schön, dans son ouvrage Le Praticien réflexif. A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel (1984) aux éditions Logiques, en 1993,
  20. Extrait de l’appel à contribution diffusé par le laboratoire project[s].
  21. Contribution de Charline Sowa, « Le projet urbain face à la décroissance urbaine : objet d’étude émergent dans la recherche architecturale », Laboratoire MHAevt, ENSA-Grenoble, sous la direction de Catherine Mauni. Thèse en cours sous la direction de Catherine Mauni, « La “ville rétrécissante” : un nouvel enjeu de la pensée architecturale contemporaine ».
  22. Oswalt , 2006, Shrinking Cities, vol. 1. International Research, Ostfildern-Ruit, Hatje Cantz.
  23. « Centres-bourgs. Programme de revitalisation », 2014, http://www.centres-bourgs.logement.gouv.fr/la-demarche-html
  24. « Nous entendons par remodelage urbain le processus simultané de déconstruction/reconstruction du parcellaire, du bâti et des usages, impactant la forme urbaine et le paysage urbain », résumé de Thèse en projet, « La ville rétrécissante » : un nouvel enjeu de la pensée architecturale contemporaine », par Charline Sowa, http://www.theses.fr/s118958.
  25. Contribution d’Audrey Courbebaisse : « La répétition dans le projet des grands ensembles, Toulouse », Laboratoire LRA, ENSA-Toulouse, sous la direction de Rémi
  26. Audrey Courbebaisse, « La répétition dans le projet de l’habitation Les grands ensembles de Toulouse »
    – Thèse de doctorat en architecture, 2015, ENSA Toulouse.
  27. Contribution de Dimitri Toubanos, « La conception architecturale au service du développement durable : Analyse d’opérations », laboratoire Liat, ENSA-Paris-Malaquais, sous la direction de Virginie PICON
  28. Le dispositif CIFRE est une Convention Industrielle de Formation par la Recherche qui subventionne toute entreprise de droit français qui embauche un doctorant pour le placer au cœur d’une collaboration de recherche avec un laboratoire public. Les travaux devront aboutir à la soutenance d’une thèse en trois
  29. Agence lauréate du Global Award for Sustainable Architecture TM en
  30. Architecture passive : un bâtiment passif est un bâtiment chauffé passivement, qui ne comprend pas de système de chauffage actif. Un bâtiment passif se chauffe avec moins de 15 kWh par an et par m². . Comment on construit un bâtiment passif ?: http://www.passivhaus-vauban.de/passivhaus.fr.html

 

Bibliographie :

Logement social dans le pavillonnaire

Résumé : Cet article interroge le croisement possible entre logement social et pavillonnaire. En examinant un cadre législatif identifié comme contradictoire, la validité des concepts mobilisés pour la production des logements sociaux, comme la mixité sociale, sont examinées par rapport au territoire pavillonnaire.

1. Introduction

Les formes typiques du logement social et du pavillonnaire sont deux formes d’habitat très importantes pour la réalité française contemporaine, tant dans les espaces urbains et périurbains, que dans le discours politique et académique autour du logement et de la ville. Elles sont deux formes qui sont rarement associées et qu’on imagine difficilement coexister (les grands ensembles du Modernisme et les pavillons-résidences inspirés du New Urbanism servant de contre-modèles d’habitat l’un de l’autre[1]). En revanche, les politiques de la ville menées par l’État ces dernières années soulèvent la nécessité de réfléchir sur leurs relations et le croisement possible entre certains de leurs enjeux. Ces réflexions sont notamment imposées, et en même temps inscrites, dans un cadre législatif créé principalement par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain de 2000 (SRU) et la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové de 2014 (ALUR), deux lois qui ont beaucoup influencé le débat sur, respectivement, le logement social et le pavillonnaire.

Dans cet article ce cadre législatif est interrogé, et, à partir de cette interrogation, une hypothèse forte est tirée : actuellement une contradiction pourrait exister sur le territoire pavillonnaire à cause des politiques de la ville résolutoires des lois SRU et ALUR. Cette contradiction résiderait entre l’application des politiques qui imposent une augmentation du taux des logements sociaux au sein des communes, et des politiques qui visent à faciliter la densification pavillonnaire (et donc la multiplication des logements privés).

Afin de mieux comprendre cette contradiction, les politiques qui favorisent les logements sociaux en France aujourd’hui sont examinées. La mixité sociale est une notion beaucoup utilisée pour mobiliser leur construction et, par conséquent, cette notion est questionnée dans le but de définir sa pertinence pour le territoire pavillonnaire. Le caractère social du pavillonnaire français est, donc, aussi analysé et certains exemples de construction des logements sociaux dans le contexte pavillonnaire sont présentés. Ces éléments constituent les fondements d’une discussion qui tend à dénouer la contradiction soulevée, et à envisager des solutions possibles pour la construction systématique de logements sociaux dans le pavillonnaire.

 

2. Le cadre législatif

L’article 55 de la loi SRU préconise un pourcentage d’au moins 20% de logements sociaux au sein des communes qui comptent au moins 3 500 habitants (1 500 en Ile-de-France), et il met en place un système de pénalisation avec des amendes annuelles et triennales prévues (calculées par rapport au niveau de carence de chaque commune)[2]. La loi appelée « Duflot » de 2013, renforce ces exigences, en portant les obligations à 25% pour la majorité des cas (certaines communes sont exonérées du nouveau taux), et en augmentant les niveaux d’amende[3]. En France, 8.5% des communes ont une population au moins égale à 3 500 habitants, et 67,6% de la population totale[4] habite dans ces communes. Dans le bilan annuel national de 2016, 1 218 communes ne respectent pas leurs obligations en matière de logement social et sont soumises à un prélèvement d’un montant total de 51 millions d’euros, qui sert à financer le logement locatif social[5].

D’autre part, les lois Grenelles I[6] et II[7] (2009-2010), suivies de la loi ALUR[8], visent à limiter l’étalement urbain et la consommation d’espace, et à prendre en compte les enjeux environnementaux en facilitant la densification. Les politiques qui découlent de ces lois rendent très difficile l’ouverture de nouvelles zones constructibles, et obligatoire l’évaluation des possibilités de densification des zones déjà urbanisées[9]. En outre, le coefficient d’occupation des sols (outil réglementaire qui limitait la superficie du rez-de-chaussée) et la superficie minimale des terrains constructibles sont supprimés[10]. Ces évolutions concernent particulièrement le périurbain, et notamment le tissu pavillonnaire. Comme l’ont démontré plusieurs programmes de recherche[11], ces tissus épars et peu denses, communément appelés « périurbains » ou « pavillonnaires », semblent constituer un véritable potentiel pour la densification.

Cependant, il est possible d’identifier une contradiction qui existerait dans le territoire pavillonnaire entre la création de logements privés par division parcellaire et la nécessité communale de créer des logements sociaux. En effet, la division parcellaire d’initiative privée va conduire à la création de nouveaux logements privés, comme le rend possible la loi ALUR. À son tour, la création de nouveaux logements privés va aggraver le déficit en logements sociaux (SRU). Le problème de plusieurs communes, certaines déjà carencées qui ont misé principalement sur le développement du pavillonnaire, c’est qu’elles n’ont plus de foncier disponible pour réaliser des opérations classiques à l’échelle des logements sociaux collectifs, avec bailleurs sociaux. En outre, les communes qui pour l’instant ne sont pas considérées comme carencées, mais qui ont beaucoup de territoire susceptible d’être densifié, risquent de se trouver en carence si leur politique de densification n’est pas accompagnée d’un projet systématique de production de logements sociaux. C’est un paradoxe législatif qui manifeste une contradiction entre les préoccupations environnementales et les préoccupations sociales de l’État français.

Aujourd’hui 56% de la population française habitent un logement individuel[12], et 87% le considèrent comme le logement idéal[13]. En même temps 74% des ménages sont éligibles au logement social[14], avec 4 millions de personnes considérées comme mal logées et 12,1 millions touchés par la crise du logement[15]. Par conséquent, des questions restent ouvertes sur le logement dans la France de l’avenir : Comment arrêter l’étalement urbain et continuer à respecter le droit au logement ? Comment satisfaire les populations qui ont envie d’habiter le pavillonnaire tout en offrant des logements à ceux qui en ont besoin? Comment les communes peuvent-elles accompagner la densification pavillonnaire souhaitée et imminente, avec la production systématique et diffuse de logements sociaux à l’échelle de la parcelle privée ?

 

3. Les moteurs de la production des logements sociaux

Le Code de la construction et de l’habitation, avec l’article L.411, définit depuis 1998 le rôle du logement social en France : « La construction, l’aménagement, l’attribution et la gestion des logements locatifs sociaux visent à améliorer les conditions d’habitat des personnes de ressources modestes ou défavorisées. Ces opérations participent à la mise en œuvre du droit au logement et contribuent à la nécessaire mixité sociale des villes et des quartiers. »[16] Ces premières phrases du livre IV (titré Habitations à loyer modéré) du Code, évoquent déjà les deux enjeux fondamentaux du logement social en France aujourd’hui : le droit au logement et la mixité sociale.

En effet, le droit au logement est l’idée centrale qui a conduit presque tous les pays européens à la construction en masse des logements sociaux après la seconde guerre mondiale[17]. Il a été identifié comme un droit fondamental de l’homme[18], et donc le logement a fait partie intégrante du « contrat social entre les gouvernements et leurs citoyens » [19] dans l’Europe de l’Ouest. En France, l’offre de logement à ceux qui ne peuvent pas y accéder reste une préoccupation continue de l’État (avec des nombreuses lois et politiques[20]), et dans les années 1990 un recentrement des politiques sur le droit au logement est noté. Sa mise en œuvre fait l’objet de la loi dite « Besson » du 31 mai 1990[21] qui institue un nouveau registre pour les politiques de l’habitat, ciblé sur les personnes défavorisées. Cette loi constitue le PLAI (connu aujourd’hui comme Prêt Locatif Aidé d’Intégration), et fait du monde associatif un acteur important des politiques du logement.[22]

Dans la même période, dans le vocabulaire des politiques de la ville, émerge l’enjeu de la mixité sociale (notamment avec la loi du 21 décembre 1989 dite « anti-ghetto », et dans son sillage, la loi d’orientation pour la ville de 1991)[23]. Une ghettoïsation de certaines populations, qui tend à habiter les logements sociaux et les grands ensembles, a été identifiée. Face à la ségrégation socio-spatiale de la population, et à la division socio-politique qu’elle engendre, la proposition mise en avant par la mixité sociale est une meilleure répartition des logements sociaux sur le territoire, la diversification de l’offre de l’habitat et donc la diversification sociale des quartiers[24]. La diversité évoquée comprend les revenus et les catégories socioprofessionnelles, mais aussi, de manière sous-jacente, la diversité ethnique, raciale, culturelle, religieuse, etc.[25] L’approche de cette politique est plutôt spatiale, dans une logique de « mettre ensemble » les différents groupes sociaux à travers toutes les échelles (intercommunale, communale, quartier)[26]. L’idée est que sa mise en œuvre apporterait : le changement pour un pourcentage de la population d’un quartier, la valorisation économique de ce quartier, la proximité spatiale de ces groupes sociaux dans l’espoir de cultiver une cohésion et une intégration sociale.[27]

Cependant, la communauté scientifique a mis en évidence la contradiction entre ces deux enjeux majeurs du logement social, puisque la population défavorisée est logée dans le parc social le moins cher, dans les quartiers populaires, contrairement aux objectifs de la mixité[28]. Si le droit au logement a un certain poids éthique et une valeur politique qui ne sont pas questionnés, ni au niveau de l’Europe ni à celui de la France, la mixité sociale est un levier mobilisé uniquement au niveau national[29]. Même en France, la mixité est un concept contesté par une ample littérature, par rapport aux principes de base sur lesquels elle est fondée, ses vrais objectifs, ses stratégies d’application, ses effets socio-politiques sur le territoire, etc.[30]

 

4. La mixité sociale : un concept contesté

La mixité sociale a connu, depuis le début, un succès dans le monde politique à cause de son « caractère plastique »[31], à cause « de la polysémie de cette notion et de la diversité des interprétations qui peuvent en être faites. Cette polysémie favorise une sorte de consensus et légitime des politiques fort différentes » comme nous le disent Éric Charmes et Marie-Hélène Bacqué[32]. Ils nous décrivent ensuite deux politiques distinctes, mises en place au nom de la mixité, qui sont presque l’inverse l’une de l’autre : une approche est de démolir des logements collectifs sociaux dans les quartiers populaires pour remplacer l’offre de logement, avec une offre plus diversifiée, au profit des classes moyennes. L’autre approche est de construire des logements sociaux dans des quartiers plus aisés. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Dans son œuvre Les politiques du logement en France, Jean-Claude Driant précise les politiques et les lois spécifiques qui mettent en œuvre ces deux approches sur le territoire français[33] :

La première face de la pièce est la politique de rénovation urbaine, née le 1e août 2003, avec la loi « Borloo »[34]. Elle favorise une politique de démolition/reconstruction dans le but d’améliorer l’image et l’attractivité des quartiers défavorisés, en remplaçant les logements sociaux par une offre plus attrayante pour les classes moyennes. Le relogement de la population défavorisée en faveur des ménages aux ressources supérieures, « tend à exclure ces ménages considérés comme fragiles »[35], et donc remet en question « la justice sociale de la rénovation »[36]. Autrement dit, cette politique est fortement liée à une procédure de gentrification de ces quartiers, puisque cette « amélioration » est considérée comme « à la fois sociale, économique, fiscale et politique »[37]. Mathieu Giroud considère que cette notion de mixité sociale est fondée sur une vision normalisée, pacifiée et harmonieuse de la ville, avec pour objectif, un contrôle social au détriment de la manifestation des complexités et des inégalités sous-jacentes. En outre, de nombreux chercheurs convergent sur le fait que la mixité spatiale des ménages de ressources différentes n’exclut pas la distance sociale (au contraire, elle peut la renforcer), et elle ne résorbe pas les inégalités sociales, économiques et politiques[38]. Cette politique de démolition/reconstruction de la rénovation urbaine est mise en place principalement dans les quartiers avec des logements sociaux collectifs, plutôt bien situés dans les agglomérations (ou au moins bien connectés avec elles), afin de promouvoir cette attractivité et la création d’une plus-value, en offrant « un alternatif à l’achat dans le périurbain » avec des logements accessibles « sans avoir à s’éloigner dans le périurbain »[39].

La deuxième face de la pièce est la politique qui exige un taux minimum de logements sociaux dans les communes qui n’en ont pas (avec le fameux article 55 de la loi SRU de 2000, et sa suite, la loi « Dufflot » de 2013). Si la rénovation urbaine concerne « un alternatif au périurbain », ces exigences de la loi SRU concernent principalement le périurbain lui-même. Depuis qu’elle a été adoptée, la loi SRU a eu une forte influence sur la production des logements sociaux dans les communes carencées, avec une augmentation de 12,7% entre 1999 et 2011 (par rapport à l’augmentation de 6% dans les communes non concernées), soit une augmentation du nombre absolu de nouveaux logements sociaux de 87 000 dans la triennale 2002-2004 avec une estimation de 187 000 dans la triennale 2014-2016[40]. Au contraire, dans la région PACA (où se trouvent presque 40% des communes carencées de France), une augmentation du nombre de ces communes a été observée depuis 2008, qui a été attribuée à l’augmentation de la population et donc à l’augmentation du nombre de résidences principales[41]. C’est une première indication de l’importance du pavillonnaire dans ce débat. Jean-Marc Stébé identifie que « les villes-centres ont fait preuve de volontarisme » en dépassant leur quota, et en revanche, les communes identifiées comme « très mauvais élèves » sont dans les périurbains des grandes agglomérations, et/ou sont des communes avec des territoires principalement pavillonnaires[42]. En effet, dans le bilan SRU pour 2016, les communes carencées qui payent les 5 amendes les plus élevées dans le pays sont : Saint-Maur-des-Fossés, Neuilly-sur-Seine, Le Cannet, Sanary-sur-Mer et Grasse[43]. Quatre sur cinq de ces communes sont issues d’un développement principalement pavillonnaire, et la cinquième (Neuilly-sur-Seine est la seule qui n’a pas de caractère pavillonnaire) se trouve dans le périurbain parisien[44]. C’est encore une indication que les obligations de la loi SRU posent de vrais problèmes pour le périurbain et le pavillonnaire.

Mais la question demeure quand même la suivante : est-ce que la justification politique de la mixité sociale (imposée sur le territoire par la loi SRU) est un discours pertinent pour ces communes périurbaines et pavillonnaires ?

 

5. La pertinence de la mixité pour le périurbain

Le périurbain est un territoire communément accusé d’une homogénéité socio-économique, d’absence de qualités urbanistiques et architecturales, un territoire rogné de sa mono-fonctionnalité. Si l’homogénéité architecturale et fonctionnelle reste peu contestée pour l’instant, les travaux de chercheurs comme Rodolphe Dodier, Anne Lambert et Éric Charmes (entre autres) ont clairement démontré la pluralité socio-économique et politique du périurbain.

En effet, « il n’y a pas un mais des périurbains »[45], et chacun des périurbains varie par rapport à ses attributs et qualités, ses populations ayant de diverses caractéristiques et de diverses orientations politiques. Tout en admettant une diversité sociale « un peu plus faible que dans l’espace urbain »[46] (notamment avec les catégories sociales très aisées et très paupérisées moins présentes), Rodolphe Dodier attire notre attention sur la présence de tous les groupes sociaux sur le territoire périurbain, et il nous invite à considérer la géographie et la sociologie plus fine du pavillonnaire. Même à l’intérieur de chaque périurbain, on découvre une pluralité de modes d’habiter, de rapports d’habitant au quartier et à la ville, d’aspects qui dépendent du genre, de l’âge, de l’accès à la mobilité, etc.[47] Entre toutes ces variations, certaines discriminations ont a été aussi soulevées, basées sur la classe, l’origine géographique, ethnique ou raciale, le genre, etc.[48] Tous ces éléments mettent en pleine évidence la diversité qui existe dans le territoire pavillonnaire, et nous poussent à dépasser la polarisation entre ville et périurbain. Ils nous démontrent l’importance de « se focaliser inlassablement sur le contexte et en particulier sur les inégalités entre quartiers et la différenciation sociale »[49] comme nous le conseille le principe le plus fondamental de l’enquête socio-urbaine de Robert Sampson.

Comme définie précédemment, la politique publique pour la mixité se fonde sur une approche spatiale. Pour les périurbains que Rodolphe Dodier a étudiés, dans la périphérie des villes de Tours et du Mans, il a identifié que les variations sociales sont liées à une « différentiation spatiale » composée de trois éléments : premièrement, la distance du centre-ville, à la façon d’un gradient de couronnes concentriques. Cette observation est constante et convergente entre chercheurs, avec la valeur des maisons et des terrains, et donc du niveau socio-économique, qui baisse de manière assez systématique au fur et à mesure de l’éloignement du centre-ville[50]. Deuxièmement, il y a une différentiation par rapport aux quadrants autour de la ville (nord, ouest, est, sud, etc.), c’est-à-dire des différentes dynamiques de développement liées à la spécificité du terrain (la qualité paysagère, la localisation par rapport aux infrastructures, les proximités aux lieux du travail, etc.). La troisième différentiation spatiale, qui provoque des variations sociales, dépend des segments de l’immobilier et elle est spécifique et interne à chaque commune (taille de parcelles, ancienneté des constructions, etc.).[51]

En respectant cette analyse socio-spatiale fine, et en donnant l’importance reconnue au contexte, l’échelle de la commune et d’un périurbain, se précise à l’échelle du quartier et des périurbains. À l’aune de cette nouvelle échelle, il est possible d’arriver à une compréhension profonde de chaque quartier périurbain et à une lecture de la vraie homogénéité, là où elle existe. Par conséquent, une politique de mixité sociale pourrait commencer à avoir une certaine pertinence.

 

6. Le logement social comme vecteur de la mixité pour le pavillonnaire ?

Avec cette analyse fine on arrive à reconnaitre que « dans les premières couronnes périurbaines des grandes villes, les situations sociales sont globalement plus spécifiques que les catégories moyennes »[52], voire aisées. Ces types de périurbains sont principalement des quartiers anciens, avec de grandes parcelles, mieux desservies, à proximité des transports en commun, avec un accès rapide à la ville, une proximité des équipements publics (scolaires, hôpitaux, etc.)[53]. Tous ces aspects correspondent assez bien aux conditions favorables tant pour une procédure de densification (grandes parcelles, bien servies, etc.)[54], que pour la construction de logements sociaux (proximité des transport et bassins de travail, etc.)[55]. En outre, le fait que les catégories socio-économiques qui les habitent sont moyennes (voire aisées), la mixité sociale avec la création du logement social trouve une légitimité moins conflictuelle, tout en offrant un habitat aux ménages défavorisés (en répondant à l’enjeu du droit au logement). Donc, dans ce périurbain de la première couronne, on découvre un terrain pour le croisement productif du pavillonnaire (ainsi que sa densification), et le logement social (ainsi que la mixité), tout en faisant attention à éviter les généralisations (en prenant toujours en compte les quadrants et la segmentation immobilière, le contexte social spécifique, etc.).

En effet, il y a aujourd’hui dans les périurbains des exemples fructueux d’opérations de construction de logements sociaux à l’échelle de la parcelle privée. Il existe notamment, des associations / « micro-bailleurs » qui produisent de manière systématique et diffuse des logements sociaux (1 à 12 logements par opération environ), lors de procédures de densification douce[56]. Les logements produits sont très sociaux (de la catégorie PLAI), et une condition pour lancer de telles opérations est la proximité des commodités (transports, commerces, écoles, bassins d’emploi, etc.). C’est une mise en œuvre des deux dispositifs de la loi « Besson » (associations/bailleurs et PLAI). Les PLAI dans le pavillonnaire constituent déjà une mixité, mais ces associations font l’effort aussi de produire des résidences étudiantes ou des résidences pour personnes âgées (tous deux comptabilisés par la loi SRU) quand c’est pertinent. Il y a même une volonté de faire de la mixité à l’échelle de chaque projet, avec le mélange de différents âges, de niveaux de revenu, etc. Finalement, quand Étienne Primard (co-fondateur et président d’une telle association, la Solidarité Nouvelles pour le Logement-SNL) a été questionné sur les critères qu’il considère comme essentiels pour lancer un projet, le premier qu’il a désigné a été la possibilité de mobilisation des voisins dans des procédures participatives[57].

Effectivement, en faisant du logement social dans les périurbains aisés, la mixité va trouver des habitants opposés[58]. La densification pavillonnaire est déjà une procédure mal acceptée par la majorité des populations locales[59], et la réputation du logement social ajoute en tension. Le processus participatif est une manière de débattre et d’ajuster le projet, afin de le réaliser en laissant satisfaits tous les acteurs intéressés. De tels types de processus contribuent à la constitution de nouveaux métiers et pratiques dans la fabrication de la ville[60]. L’analyse fine de Dodier et la compréhension profonde du périurbain, tout comme l’attention au contexte et la sociologie ascendante du terrain de Sampson, engendrent aussi la participation au sens de l’importance qui est donnée à la parole de l’habitant. De plus en plus, les approches participatives sont considérées comme de nécessaires éléments de la densification douce[61]. Pour le domaine du logement social, la concertation et la participation des locataires est déjà une pratique continue dans leur gestion[62], et dans ces dernières années Patrick Bouchain (architecte célèbre pour ses projets participatifs) a interrogé aussi les possibilités de la participation des habitants à leur conception et construction[63]. Même pour les politiques de la mixité, autant contestées que questionnées, les critiques résument qu’elles « sont malheureusement souvent conduites sans et parfois contre les habitants concernés »[64], en soulignant le potentiel d’une mixité produite par des procédures qui respectent les anciens habitants et créent de vrais liens sociaux entre anciens et nouveaux[65].

Il est important de ne pas anéantir la grande complexité de la procédure participative au projet de la ville, en la considérant comme une panacée à tous ces problèmes. Mais si, en 30 ans d’expérience de la SNL dans un domaine assez tendu et conflictuel, il n’y a jamais eu un permis de construire attaqué[66], leur modèle d’opérations peut au moins servir de source d’inspiration. Avec ses projets bien acceptés par les élus (en contribuant à baisser les amendes de la loi SRU), et aussi bien acceptés par les habitants du pavillonnaire (par une procédure participative et une taille modeste d’opérations), le modèle de la SNL sert d’exemple à succès. Il importe de tirer des connaissances, spécialement en suivant les conseils d’Étienne Primard sur les concertations et les élaborations avec les habitants, autant à l’échelle de l’intercommunalité (et la constitution de documents comme le SCoT et le PLH), qu’à l’échelle de la commune (document du PLU)[67]. En même temps, il faut aussi indiquer ses limites :

Ces associations sont basées sur un certain engagement politique de leurs fondateurs, par rapport au droit au logement de leurs concitoyens, et la grande majorité de leur personnel est bénévole. Mais la production de logements sociaux par la densification restera toujours très marginale si elle n’arrive pas à inclure des intérêts économiques pour les propriétaires à qui ces terrains appartiennent. Pour une politique de production systématique de logements sociaux dans les périurbains, il faut bien prendre en considération que la réalité de la densification commence à partir de la parcelle privée, et donc à l’initiative des propriétaires, qui sera rarement déclenchée sans la motivation d’un certain profit.

 

7. Conclusion

Au-delà des associations engagées, il y a d’autres acteurs qui sont bien intéressés par le sujet, acteurs qu’il faut mobiliser : tout d’abord les communes périurbaines (comme évoquées plus haut), qui trouvent un intérêt à faire face aux exigences de la SRU, tout en diversifiant leur parc de logements pavillonnaires ; ensuite les bailleurs sociaux traditionnels. Cette dernière décennie, les HLM sont de plus en plus intéressés aux petites échelles (avec 95% des logements construits dans de petits immeubles, ou dans des logements intermédiaires et maisons individuelles[68]). Leur collaboration avec des promoteurs et des constructeurs privés devient de plus en plus commune et facile[69]. En outre, ces bailleurs traditionnels ont commencé à s’engager dans des projets d’aménagements urbains (en incluant des espaces publics, des commerces, etc.)[70]. Avec l’hypothèse de l’engagement des bailleurs / aménageurs dans le pavillonnaire, le début d’une mixité urbaine et fonctionnelle pour les périurbains, est aussi imaginable. L’exemple des micro-bailleurs, tels que la SNL, pourrait effectivement servir de modèle d’opération pour ces acteurs (les communes elles-mêmes, les bailleurs traditionnels, etc).

Pour l’instant, il manque une structure règlementaire qui pourrait clairement et facilement associer les habitants, les communes et les bailleurs (qu’ils soient micro-bailleur, bailleur classique, bailleur / aménageur, etc.) dans des opérations de construction. Le besoin de solutions économiquement plus attrayantes, pour plus d’acteurs concernés, demande aussi réflexion. Des propositions architecturales, urbanistiques et paysagères qui répondent aux objectifs d’une densification douce, devraient être apportées en incluant systématiquement le logement social. L’ensemble des réflexions sur le sujet doivent prendre en compte toutes les échelles en commençant par celle de l’UE, puis l’échelle nationale, l’échelle intercommunale, la communale, celle de l’association des habitants et leurs parcelles, et pour terminer, l’échelle de la parcelle privée.

Les propositions devraient passer par une procédure participative, pour offrir des solutions socialement / politiquement / financièrement viables et durables pour les périurbains de l’avenir.

 

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SCANLON K., FERNÀNDEZ A.M., WHITEHEAD C., Social housing in Europe. European Policy Analysis (17), 2015. p.1-12

STÉBÉ J.M., Le logement social en France, Presses Universitaires de France, Paris, 2016

 

Références

[1] LELÉVRIER C., Diversification de l’habitat, Plan Urbanisme Construction Architecture, Lyon, 2014

[2] Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000

[3] Loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013

[4] Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2521169

[5] Source : http://www.logement.gouv.fr/transparence-logement-social#article (consulté le 26/4/2017)

[6] LOI n° 2009-967 du 3 août 2009

[7] LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010

[8] LOI n° 2014-366 du 24 mars 2014

[9] Source : http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/alur_fiche_lutte_contre_l_etalement_urbain.pdf

[10] Source : http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/alur_fiche_cos_mars_2014_nvversion.pdf

[11] BONNET F., Aménager les territoires ruraux et périurbains, 2016. Source : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/164000021.pdf (consulté le 26/4/2017);

HANROT S., Densifier le pavillonnaire: des principes à la réalité. Dans le journal Mix’cité, CAUE74, 2014 ;

Voir aussi : programme de recherche ANR-BIMBY ; CAUE 83, (2015). Guide : Maîtriser la densification des espaces pavillonnaires. ; CAUE74, (2014). Le concours d’idées Mix ‘cité. ; CAUE13 (2012). Dense, dense, dense. ; CAUE27, (2010). Contributions BIMBY et exposition : Quelle évolution pour les quartiers pavillonnaires

[12] Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2533533

[13] DAMON J., Les Français et l’habitat individuel : préférences révélées et déclarées. SociologieS [En ligne], Dossiers, Où en est le pavillonnaire?, mis en ligne le 21 février 2017. Source : https://sociologies.revues.org/5886

[14] Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1290403

[15] Source : http://www.fondation-abbe-pierre.fr/22e-rapport-etat-mal-logement-en-france-2017

[16] Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998

[17] SCANLON K. et al., Social housing in Europe. European Policy Analysis (17), 2015.

[18] Dans La Déclaration universelle des droits de l’homme, signée à Paris le 1948

[19] SCANLON K. et al., ibid., p.2

[20] DRIANT J.C., Les politiques du logement en France, La Documentation Française, Paris, 2015. p.165

[21] Loi n° 90-449 du 31 mai 1990

[22] DRIANT J.C., ibid. ; STÉBÉ J.M., Le logement social en France, Presses Universitaires de France, Paris, 2016

[23] DRIANT J.C., ibid.

[24] CHARMES E., BACQUÉ M.H. (dir.), Mixité sociale et après? , Presses Universitaires de France, Paris, 2016 ; DRIANT J.C., ibid.; LELÉVRIER C., ibid.

[25] CHARMES E., BACQUÉ M.H., « Au-delà de l’impératif de mixité social », in CHARMES E., BACQUÉ M.H. (dir.), Mixité sociale et après?, Presses Universitaires de France, Paris, 2016

[26] DRIANT J.C., ibid.

[27] LELÉVRIER C., ibid.

[28] JAILLET M.C., La mixité dans les politiques françaises du logement : une question « sensible » ; LELÉVRIER C., « Les mixités sociales », Problèmes politiques et sociaux, n°929, La Documentation Française, Paris, 2006 ;

[29] HOUARD N. (dir.), Loger l’Europe : le logement social dans tous ses États, La Documentation Française, Paris, 2011.; SCANLON K. et al., ibid. ; DHOQUOIS A. et al., L’avenir du mouvement HLM dans le contexte européen

[30] DRIANT J.C., ibid. ; LELÉVRIER C., ibid ; STÉBÉ J.M., ibid. ; CHARMES E., BACQUÉ M.H., Mixité sociale, et après? ;

[31] JAILLET M.C., ibid., p.351

[32] CHARMES E., BACQUÉ M.H., « Au-delà de l’impératif de mixité social », in CHARMES E., BACQUÉ M.H. (dir.), Mixité sociale et après?, Presses Universitaires de France, Paris, 2016, p. 12

[33] DRIANT J.C., ibid., p.65-67, 175-179

[34] Loi n° 2003-710 du 1 août 2003

[35] DRIANT J.C., ibid. p. 176-179

[36] LELÉVRIER C., Diversification de l’habitat, Plan Urbanisme Construction Architecture, Lyon, 2014. p. 11

[37] GIROUD M., Mixité, contrôle social et gentrification, p.55

[38] DRIANT J.C., ibid. ; GIROUD M., ibid. ; JAILLET M.C., ibid. ; LELÉVRIER C., ibid. ; STÉBÉ J.M., ibid.

[39] LELÉVRIER C., ibid. p.118

[40] Sources : http://www.logement.gouv.fr/logement-social-emmanuelle-cosse-publie-des-chiffres-de-production-record-en-2016-et-le-bilan-triennal-provisoire-2014-2016-de-la-loi-sru ; http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/logement-social-impact-loi-sru-20141230.html

[41] BOUILLON S., COUARTOU M., Refuser la constitution de ghettos, de pauvres comme de riches

[42] STÉBÉ J.M., ibid. p.115

[43] Donnés : Bilan SRU 2016 (source : logement.gouv.fr)

[44] En cherchant et naviguant sur maps.google.fr

[45] CHARMES E. et al., Le périurbain n’est pas une version dégradée de la ville

[46] DODIER R., Quelle articulation entre identité campagnarde et identité urbaine dans les ménages « périurbains »?, Norois-Poiters, Universités de l’Ouest, 2007, p.35-46

[47] CAILLY L., DODIER R., La diversité des modes d’habiter des périurbains dans les villes intermédiaires : différenciations sociales, démographiques et de genre, Norois-Poitiers, Universités de l’Ouest, 2007, p.66-80 ; DODIER R., ibid.

[48] LAMBERT A., “Tous propriétaires !”. L’envers du décor pavillonnaire, Seuil, Paris, 2015

[49] SAMPSON R., Une théorie des effets de quartier et du contexte social

[50] CAILLY L., DODIER R., ibid. ; DODIER R., ibid ; DRIANT J.C., ibid. ; JAILLET M.C., ibid.

[51] CAILLY L., DODIER R., ibid.

[52] DODIER R., ibid

[53] DESGRANDCHAMPS G. et al., ibid. ; DODIER R. ibid. ; PETITET S., Densifier l’habitat pavillonnaire : des démarches individuelles aux projets collectifs., Métropolitiques, 2013

[54] DESGRANDCHAMPS G. et al., ibid. ; PETITET S., ibid. ; CROZY J., TOUATI A. (dir.), La densification résidentielle au service du renouvellement urbain : filières, stratégies et outils

[55] Source : http://www.union-habitat.org/le-mag/vid%C3%A9os/construire-l-avenir-avec-les-hlm ; livre PACA, Stébé?, articles sur le logement social?, etc

[56] PRIMARD E., TOUATI A., La construction de logements sociaux en densification douce par les micro-bailleurs : le cas de Solidarités Nouvelles pour le Logement

[57] PRIMARD E., TOUATI A., ibid.

[58] HOUARD N. (dir.), Loger l’Europe : le logement social dans tous ses États, La Documentation Française, Paris, 2011.

[59] DESGRANDCHAMPS G. et al., « Lotir les lotissements : conditions architecturales, urbanistiques et sociologiques de la densification douce de l’habitat individuel », in S. Bendimérad (dir.), Habitat Pluriel densité urbanité intimité, PUCA, Paris. 2010, pp.117-138.

[60] BIAU V. et al. (dir.), L’implication des habitants dans la fabrication de la ville : métiers et pratiques en question, Éditions de la Villete – Reseau RAMAU, Paris, 2013

[61] HANROT S., Pour une stratégie de projet urbain participatif dans les quartiers pavillonnaires, La documentation Française, Paris, 2015. PETITET S., ibid. ; livre PUCA

[62] DEMOULIN J., Les organismes HLM et leur personnel face à la participation des locataires ; DHOQUOIS A. (dir.), HLM : changeons notre regard! Loger social pour développer local en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse, Éditions Autrement, Paris, 2016.

[63] BOUCHAIN P., Construire ensemble le grand ensemble, Actes Sud, Arles, 2010. ; BOUCHAIN P., Pas de toit sans toi : réinventer l’habitat social. Arles, Actes Sud, 2016

[64] CHARMES E., BACQUÉ M.H., ibid. p.99-100

[65] CHARMES E., BACQUÉ M.H., ibid. ; LELÉVRIER C., ibid.

[66] TOUATI A. (dir.), Vers des politiques publiques de densification et d’intensification douces?, Séminaire PUCA, Paris, 2014

[67] PRIMARD E., TOUATI A., ibid.

[68] STÉBÉ J.M., ibid.

[69] DHOQUOIS A. (dir.), HLM : changeons notre regard! Loger social pour développer local en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse, Éditions Autrement, Paris, 2016.

[70] COUARTOU M., Quand les HLM aménagent l’espace urbain

Le tiers-foncier

Résumé :

Cette recherche est née d’une interrogation sur les décalages existants entre la forme, le statut de propriété et l’usage du foncier non bâti, à l’origine d’une catégorie d’espaces communément nommés les délaissés urbains. Nous nous sommes interrogés sur l’introduction d’une notion, le tiers foncier, qui permettrait de définir cet état transitoire du foncier échappant aux cadres de la ville normée.

Pour la fonder, nous avons croisé l’analyse de ses formes, statuts et usages, dans le centre et la périphérie de Marseille. Il s’agissait de questionner les corrélations possibles entre les contextes morphologiques et sociaux. Le tiers foncier est apparu comme le support de plusieurs enjeux, en particulier l’habitat précaire, l’espace collectif et la biodiversité. Parallèlement, nous nous sommes interrogés sur les rapports de force, les négociations, les stratégies, tactiques et initiatives à l’œuvre et, delà, sur l’introduction de manières d’agir. Pour cela, nous avons mis en œuvre des procédures de recherche-action. Cette recherche identifie le tiers foncier non comme « un vide à remplir par du projet », mais plutôt comme l’un des constituants de la ville d’aujourd’hui, support d’un développement urbain informel qui ne fige pas la parcelle dans une forme pérenne, mais qui la fait évoluer en fonction des actions de transformation mises en œuvre par les citadins, des décisions prises par les propriétaires et des aléas budgétaires. In fine, l’un des enjeux majeurs du tiers foncier consiste à explorer des chemins de traverse qui permettraient le développement de processus d’appropriation, sans pour autant contribuer à la réduction des marges de manœuvres des citadins.

Le tiers foncier

 

En 2013, je commence un mémoire parcours recherche et un diplôme en architecture avec un intérêt croissant pour ce que l’on appelle l’envers des villes, les creux ou encore les interstices au sein desquels se glissent des pratiques, souvent invisibles et parfois mêmes invisibilisées par un environnement codifié, des représentations formatées, des politiques normalisées. Je pars alors en exploration sur le territoire marseillais, je trouve des lieux chargés de sens et d’histoire – les traces des bidonvilles des années 50 – et d’autres, qui semblent en latence, comme en attente de quelque chose.

Lorsque je présente ces découvertes à mon directeur, Stéphane Hanrot, une intuition commune se profile. Il existerait un état transitoire du foncier, échappant aux cadres spatiaux, statutaires et sociaux de la ville normée : le tiers foncier. Cette première piste de réflexion s’est enrichie au contact de Muriel Girard, avec qui nous nous sommes interrogés sur les corrélations possibles entre les contextes morphologiques et sociaux que pourrait révéler l’analyse du tiers foncier. Cela m’a conduite à formuler l’hypothèse du tiers foncier comme révélateur des rapports de force, stratégies, tactiques et initiatives à l’œuvre dans ces différents contextes et, delà, comme espace d’expérimentation. Commence alors l’aventure de la thèse, dont les objectifs ont été de vérifier l’existence de ce tiers foncier, de fonder théoriquement ce nouveau concept, de le confronter à la réalité du terrain marseillais et de tester son caractère opératoire. Pour cela, j’ai ouvert et mené parallèlement trois chantiers de recherche, correspondant aux trois grandes parties de cette thèse.

 

Un chantier théorique

Le chantier que j’ai présenté en premier consistait à retracer l’histoire de la formation du tiers foncier à partir de la Révolution Industrielle, considérée comme une période significative d’un changement de rapport entre les espaces bâtis et non bâtis. Ce travail théorique constitue les fondations de la recherche. Il m’a permis de comprendre l’évolution des formes et des représentations du vide dans le temps long de l’urbanisation et de situer le tiers foncier par rapport à l’ensemble des notions et concepts ayant été inventés pour définir un foncier dont le mode de gestion est indéterminé. J’ai identifié trois temps, marqués par des changements de formes, d’usages et de représentations du vide :

Revenir sur l’ensemble des notions ayant contribué à l’histoire des vides a montré que chaque époque est marquée par des phénomènes d’urbanisation spécifiques, traduits par des concepts que les praticiens et les théoriciens font évoluer, décomposent et recomposent pour rendre compte des réalités de leur temps. Cette exploration théorique nous a permis de construire « un arbre des concepts », permettant de situer le tiers foncier par rapport aux autres. Ce travail de classification avait pour objectif de tester l’originalité et d’identifier les spécificités du tiers foncier en regard des concepts existants.

 

 

Un chantier empirique

De manière à l’éprouver en situation concrète, j’ai ouvert dans le même temps un autre chantier sur le terrain marseillais, exposé dans la seconde partie de la thèse. Les aller et retour entre les deux approches (théorie et empirie) ont montré que le tiers foncier permet de décrire, expliquer et comprendre une situation réelle et de la théoriser. En effet, par le croisement d’une enquête intensive (6 parcelles) et d’une enquête extensive (739 parcelles), j’ai affiné la définition du tiers foncier en tant que modèle et en ai défini les typologies aux plans de la morphologie (morphotypes : linéaire, polygonal, conglomérat), des statuts (uni-propriétaire, de riveraineté, multipropriétaire et sans propriétaire) et des enjeux sociaux (habitat précaire, réappropriations collectives, biodiversité). Cette analyse m’a permis de valider l’hypothèse du tiers foncier comme révélateur de corrélations entre le contexte morphologique et le contexte social. Effectivement, on ne retrouve pas les mêmes formes, les mêmes usages, ni les mêmes statuts de propriété du tiers foncier en fonction de sa localisation dans le centre ou dans la périphérie de Marseille. Par ailleurs, l’analyse cartographique a mis en évidence une relation étroite entre la localisation du tiers foncier et celle des quartiers prioritaires, alimentant le débat sur les politiques de gestion des personnes considérées indésirables, souvent du fait de leur situation précaire.

Ce second chantier de recherche, nous permet aujourd’hui de définir le tiers foncier comme un espace de ressources et de controverses pour les acteurs institutionnels et non institutionnels de la ville. Il est le lieu par excellence des rapports de force, des négociations et des résistances à partir desquelles la ville se fabrique et met au jour les éternelles oppositions entre acteurs dominants et acteurs dominés, entre gagnants et perdants des processus d’urbanisation. En cela, le tiers foncier apparait comme un outil conceptuel permettant d’éclairer certains mécanismes de la fabrique de l’urbain en termes d’espaces, de statuts de propriété et de pratiques urbaines :

 

 

Un chantier opératoire

Dès le départ, j’ai choisi de mener de front une recherche sur l’objet « tiers foncier », et une recherche par la mise en projet du tiers foncier. Ce choix a été conforté par les résultats de l’enquête extensive et de la recherche automatisée du foncier, ayant mis en évidence un nombre conséquent de parcelles en état de tiers foncier. Le troisième chantier a donc été consacré à la recherche action. L’objectif de cette démarche était de tester l’opérationnalité du concept du tiers foncier, mais aussi d’enrichir les réflexions portées sur les méthodes de recherche action menées dans le domaine de l’architecture, en particulier concernant la mise en projet et l’expérimentation de conduites à projet participatives. Sachant que ce champ a fait l’objet de nombreux travaux, j’espère avoir apporté une pierre à l’édifice, en ayant pointé les spécificités locales, les apports et les limites de ces expériences :

 

Pour conclure ce troisième chantier, les possibilités et les conditions de transformation du tiers foncier reposent en grande partie sur les quatre piliers suivants :

 

 

Tester des manières d’agir dans un contexte réel m’a ainsi permis de construire des ponts entre des mondes qui ne se côtoient pas habituellement et, dans une certaine mesure, de rendre utiles mes compétences de jeune architecte et mes connaissances de doctorante aux personnes avec lesquelles j’ai travaillées. Réciproquement, la conduite de ces processus de recherche-action m’a permis d’enrichir mes compétences, à la fois par la pluralité des postures que j’ai adoptées (doctorante, architecte professionnelle, acteur associatif engagée et, parfois, militante) et par la découverte du rôle de médiateur que peut jouer l’architecte dans la mise en projet et les conduites à projet participatives. Au plan méthodologique, la porosité des frontières entre la recherche et l’expertise, entre la recherche et l’engagement, entre la recherche et la demande sociale se sont avérées parfois risquées, mais riches d’apprentissage et essentielles à la fabrication de cette thèse.

L’ensemble de ce travail de recherche nous a permis de confirmer l’hypothèse du tiers foncier comme un outil conceptuel et opératoire, permettant d’identifier des situations singulières morphologiques, statutaires et d’usages du foncier et d’envisager leur transformation ou leur préservation. Dans un contexte marqué par différentes crises généralisées (économiques, migratoires, environnementales), cette réflexion sur le tiers foncier espère avoir modestement alimenté les débats sur la fabrique contemporaine de la ville.

une marion

 

Vers un indice écologique pavillonnaire

Résumé :

En France, la loi ALUR (2014) vise à limiter l’étalement urbain qui consomme des terres agricoles et naturelles, en favorisant la densification du tissu urbain existant et en particulier les quartiers pavillonnaires de faible densité. Mais ce phénomène se heurte à de possibles conséquences négatives, avec notamment un risque de disparition des jardins qui revêtent un rôle à la fois social et écologique important. L’objectif est donc de trouver un compromis entre densification et préservation de ce patrimoine de nature périurbain. A ce titre, l’Indice Ecologique pavillonnaire (IEP ; Sibilat et al ., 2016) a été mis au point afin d’évaluer les conséquences écologiques de différents scénarios de densification sur les jardins pavillonnaires et assurer une meilleure prise en compte de la biodiversité dans le projet architectural. Au même moment, l’Indice de Biodiversité Potentielle des Jardins (IBPJ ; Riboulot-Chétrit, 2016) affichant des objectifs communs, a été finalisé par une autre équipe de chercheurs. Je propose ici d’établir une comparaison afin d’identifier les spécificités de ces deux indices et de les requestionner au regard des attentes des acteurs de la densification pavillonnaire. Il apparaît ainsi que ces deux indices sont complémentaires, répondant à des approches et à des échelles différentes. L’IBPJ permet d’effectuer un diagnostic de jardins pavillonnaires existants à l’échelle de la parcelle et de travailler à l’échelle territoriale par le grand nombre de données qu’il peut accumuler facilement, ce qui en fait un outil pertinent pour le géographe. En revanche, il semble mal adapté à l’usage que pourrait en avoir un architecte dans une pratique de projet, contrairement à l’IEP qui, en palliant à ces manques, semble être un outil pertinent pour la conception architecturale. Ces deux indices devraient au final donner les moyens aux acteurs de l’aménagement du territoire de préserver un patrimoine de nature périurbain important pour la qualité de vie des habitants et un maintien de la biodiversité dans un contexte de densification.

En France, la loi ALUR (2014) vise à limiter l’étalement urbain qui consomme des terres agricoles et naturelles, en favorisant la densification du tissu urbain existant. Par leur faible densité, les quartiers pavillonnaires présentent un fort potentiel de densification (Touati et Crozy, 2015). Depuis la parution de cette loi, de nombreux acteurs de l’aménagement du territoire s’emparent de cette opportunité. Mais ce phénomène se heurte à de possibles conséquences négatives qui ne sont aujourd’hui pas clairement identifiées par les collectivités locales. Se pose notamment la question du risque d’une disparition progressive des jardins pavillonnaires participant grandement à la qualité de ce type d’habitat plébiscité par 80% des Français (Viard, 2012) et qui pourrait avoir des incidences écologiques et paysagères importantes. Les conséquences de cette disparition des jardins semblent en effet anodines lorsque l’on considère les parcelles pavillonnaires individuellement, mais deviennent préoccupantes lorsque l’on prend la mesure de leur quantité sur l’ensemble du territoire : ces jardins couvrent plus de 2% du territoire national (Bismuth et Merceron, 2008), soit quatre fois plus que la superficie de toutes les réserves naturelles réunies (Riboulot-Chétrit, 2015).

Un précédent état de l’art (Sibilat, 2016) appuyé par des entretiens semi-directifs avec des habitants de quartiers pavillonnaires ont permis de montrer que les jardins revêtaient un rôle à la fois social (Loram et al., 2007 ; Prévot-Julliard 2010 ; Frileux, 2013) et écologique (Marco, 2008 ; Consalès, 2012 ; Cohen et al., 2013 ; Deschamps-Cottin et al., 2013). La protection de la biodiversité dans le cadre de la densification irait donc aussi dans le sens d’une préservation de ce qui fait la qualité de vie des habitants. Il semble donc essentiel aujourd’hui, pour toutes ces raisons, de prendre en compte et de valoriser la biodiversité en milieu urbain.

Ce travail de thèse, dans la continuité de la recherche BIMBY (Build In My BackYard) du programme ANR Ville durable (Hanrot, 2012), vise à comprendre le rôle écologique et paysager de ces jardins périurbains, mesurer les conséquences de leur densification et enfin déterminer les conditions de la protection de ce qui fait leurs qualités. L’objectif est donc de trouver un compromis entre densification et préservation de ce patrimoine de nature périurbain. Avec l’aide d’Estelle Dumas, écologue de l’IMBE, nous avons élaboré dans le cadre du travail de thèse l’Indice Ecologique Pavillonnaire (IEP ; Sibilat et al., 2016) afin d’évaluer et comparer l’impact écologique de différents scénarios de densification sans avoir à employer les méthodes de relevé plus complexes habituellement utilisées par les écologues. En plus d’un outil de diagnostic écologique, cet indicateur pourrait constituer un outil d’aide à la conception utile à l’architecte ou au paysagiste pour prendre en compte la biodiversité dans le projet de densification. L’IEP pourrait ainsi permettre d’intégrer les objectifs de préservation de la biodiversité à la maîtrise d’ouvrage de projets architecturaux de taille modeste, telle que la construction de maisons individuelles, dont l’impact sur la biodiversité n’est aujourd’hui pas pris en compte contrairement aux projets de plus grande ampleur (Clergeau, 2016). Parallèlement à ce travail, une autre équipe de chercheurs a construit indépendamment un indicateur similaire, l’Indice de Biodiversité Potentielle des Jardins (IBPJ), qui a été finalisé récemment (Riboulot-Chétrit, 2016). L’IEP et l’IBPJ ayant donc des objectifs communs, il nous a semblé important d’établir une comparaison afin d’identifier les spécificités de chacun d’eux et de les requestionner au regard des attentes des acteurs de la densification pavillonnaire : professionnels du projet, habitants et collectivités territoriales.

Nous reviendrons donc tout d’abord sur la construction de l’IEP. Nous le comparerons ensuite à l’IBPJ et terminerons ainsi par une discussion autour des objectifs et perspectives d’application de chaque indice.

 

1. Présentation de l’IEP

L’IEP étant destiné en priorité à l’habitant à l’initiative de la densification ou à l’architecte maître d’œuvre, nous avons cherché à définir une série de critères identifiables sans compétence particulière et témoignant de la qualité écologique d’un jardin. Un relevé des jardins d’un lotissement, des entretiens avec des écologues et une revue de la littérature des indices écologiques existants (Cf. Annexe 1) ont permis d’identifier les critères à intégrer à l’IEP. Plusieurs travaux issus de ces recherches prouvent la nécessité de travailler à différents niveaux d’observation afin de cerner les enjeux écologiques d’un projet (Burel et Baudry, 2000; Clergeau, 2007 ; Muratet, 2011). Nous avons ainsi défini trois niveaux d’analyse que nous avons appliqués à l’étude d’un lotissement à Aix-en-Provence[1] :

Figure 1 : Cartographie et identification des critères de l’IEP au niveau du quartier.

– Le niveau du quartier permet de contextualiser le lotissement (Cf. Fig.1). Le travail se base alors uniquement sur des vues aériennes, afin d’identifier des critères qui permettront de juger de la cohérence écologique du projet vis-à-vis d’enjeux territoriaux plus larges.

Figure 2 : Cartographie et identification des critères de l’IEP au niveau du lotissement.

– Le niveau du lotissement, considère l’ensemble des 12 parcelles qui le composent ainsi que ses abords (Cf. Fig.2). Des critères spécifiques correspondant à ce niveau ont été identifiés, en croisant l’utilisation de photographies aériennes et un relevé de terrain depuis l’espace public. Il est ainsi possible d’identifier les clôtures qui sont préjudiciables à la connectivité écologique, les haies monospécifiques et les haies plurispécifiques plus favorables à la biodiversité, et enfin les milieux ouverts (à dominante herbacée) et fermés (à dominante arbustive et arborée) qui composent les jardins. Nous considérerons comme favorable à la biodiversité le type de milieu correspondant aux espaces semi-naturels proches du lotissement, ou favorables à une potentielle continuité écologique identifiée au niveau du quartier. Ce niveau d’observation permet ainsi de contextualiser la parcelle à densifier dans le lotissement afin de prendre en compte l’environnement du projet.

Figure 3 : Cartographie et identification des critères de l’IEP au niveau de la parcelle.

– Au niveau de la parcelle (Cf. Fig.3), notre modèle se base sur les structures végétales facilement identifiables qui composent le jardin et dont le nombre influence positivement la biodiversité (Gaston et al., 2007, Loram et al., 2011) : les strates herbacées, arbustives et arborescentes. Nous définissons six critères qui qualifient plus précisément la composition de ces différentes strates au regard de leur potentiel écologique. On distingue ainsi : la formation herbacée indigène et le gazon ; la strate arbustive exotique et indigène ; les strates arborescentes exotiques et indigènes, ainsi que l’âge des arbres. Néanmoins, le manque de connaissances en botanique peut être un frein à la distinction entre espèces indigènes et exotiques. Cette identification pourrait être facilitée par la création d’un livret didactique recensant les espèces les plus couramment rencontrées, ou en remplaçant cette distinction par un comptage du nombre d’espèces différentes composant chaque strate.

En dehors de ces critères détaillant la végétation des espaces de pleine terre, nous retrouvons d’autres critères déjà définis par le Coefficient de Biotope par Surface[2] (CBS) de la loi ALUR, comme les surfaces minéralisées ou les toitures végétalisées par exemple. Nous avons aussi identifié d’autres éléments influençant la biodiversité : les abris artificiels qui peuvent servir d’habitat à certaines espèces (murets en pierre, toiture…), le bois mort, les clôtures et enfin la gestion du jardin par l’habitant, qui peut être néfaste ou éco-compatible.

Ces critères peuvent être pris en compte de manière quantitative par l’intermédiaire d’un système de notation, ou qualitative comme le montre la figure 4 (avec en vert les critères favorables à la biodiversité, en rouge les critères défavorables) et aider ainsi l’architecte à la préservation de la biodiversité dans le projet. Les modalités de notation des jardins ou d’un projet par l’IEP pourraient consister à appliquer un coefficient reflétant la valeur potentielle de biodiversité de chaque critère, qui multiplié par leur surface respective, aboutirait à une note écologique globale selon la formule :

IEP = Σ (coefficient du critère x surface couverte par le critère). Ces coefficients pourraient être déterminés à partir d’analyses de régression.

L’IEP, en améliorant le CBS de la loi ALUR, permet donc d’identifier les éléments du jardin porteurs d’enjeux écologiques à préserver dans le cadre de la conception du projet de densification.

Figure 4 : Schéma récapitulatif de l’IEP

 

2. Comparaison de l’IEP avec l’IBPJ

2.1 Présentation de l’IBPJ

L’IBPJ a été créé récemment par Mathilde Riboulot-Chétrit (2016), une doctorante en géographie du LADYSS (Laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces), assistée d’écologues du MNHN (Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris). L’objectif était de créer un indice utilisable par l’habitant et adapté aux jardins pavillonnaires permettant d’évaluer, voire d’améliorer leur état de biodiversité.

L’IBPJ se présente sous la forme d’un questionnaire rempli et retourné par les habitants, ce qui permet de récolter facilement un nombre très important de données sur le territoire. Il s’appuie sur des critères propres aux jardins pavillonnaires et considérés comme favorables à l’accueil de biodiversité. Il a été construit à partir de l’Index of Floristic Interest (IFI ; Muratet et al., 2008) et de l’Indice de Biodiversité Potentiel (IBP ; Larrieu et Gonin, 2008) sur lequel s’est aussi appuyé l’IEP. Pour évaluer la biodiversité potentielle des jardins, l’IBPJ se base sur trois facteurs identifiés comme pertinents par des recherches scientifiques antérieures (Collinge et al., 2003, Lizée et al., 2011, Muratet et al., 2007, Shwartz et al., 2013) : la gestion, l’hétérogénéité de la composition végétale et la surface couverte par la végétation.

L’IBPJ est calculé par la formule suivante : IBPJ = 1/3 (Gestion + Strate + SurfVeg). La note obtenue est comprise entre 0 (minimum de biodiversité) et 1 (maximum de biodiversité).

Le critère gestion se base sur la présence ou non d’espaces en friche dans le jardin, le nombre de tontes, et l’utilisation de produits phytosanitaires. De manière générale, la présence d’un élément favorable à la biodiversité est noté 1, celle d’un élément défavorable ou l’absence d’un élément désigné 0. Des valeurs intermédiaires sont employées quand cela s’avère nécessaire (Cf. Annexe 2 pour plus de précisions).

Le critère structure végétale prend en compte le nombre de types d’éléments de la végétation composant chaque strate végétale, partant du principe que plus il y en a, plus il y a une grande diversité de conditions environnementales, ce qui est favorable à la biodiversité. Le calcul se fonde, pour la strate herbacée, sur la présence ou non de pelouse, d’un potager, de plantes potagères et d’herbes aromatiques, de plantes en pots et de massifs de fleurs en pleine terre. Pour la strate arbustive, c’est la présence ou non d’arbustes, de plantes grimpantes et de haies (en distinguant l’absence de haie, les haies monospécifiques et plurispécifiques) qui sont prises en compte. Enfin, pour la strate arborescente, c’est la présence ou non d’arbres qui est retenue pour le calcul.

La note attribuée à « SurfVeg » varie entre 0 et 1 en fonction de la surface végétalisée du jardin, en considérant que plus cette surface est importante, plus elle est potentiellement riche en biodiversité (Muratet et al., 2007 ; Van Heezik et al., 2013). La valeur attribuée est ici définie à partir d’un travail de Muratet et al. (2007) étudiant l’évolution du nombre d’espèces présentes sur des friches urbaines en fonction de leur surface. On peut néanmoins s’interroger sur la pertinence de transposer ces données concernant des friches urbaines à des jardins pavillonnaires : les friches sont abandonnées, sans gestion humaine et sans aménagements guidés par des critères esthétiques contrairement aux jardins. L’évolution du nombre d’espèces en fonction de la surface végétalisée ne suit donc pas nécessairement les mêmes règles entre une friche et un jardin.

Enfin, nous voyons que l’IBPJ ne prend pas en compte d’autres facteurs qui peuvent influencer la biodiversité, tels que l’âge de la végétation ou les conditions écologiques des espaces entourant le jardin.

Les réserves que l’on peut avoir sur certains points de la construction de l’IBPJ ne remettent nullement en cause sa pertinence. En effet, il a été vérifié que les scores obtenus par l’IBPJ sont fortement corrélés à ceux obtenus par des indicateurs écologiques communément utilisés par les écologues tels que l’IFI, la richesse floristique, la diversité de Shannon ou la proportion d’espèces indigènes. Néanmoins, peut-être l’amélioration de certains points soulevés plus haut pourrait-elle améliorer encore l’IBPJ, dont le taux de corrélation ne dépasse jamais 0,59 sur une échelle pouvant aller jusqu’à 1 (indiquant une corrélation parfaite). Par ailleurs, le fait d’avoir une corrélation forte entre l’IBPJ et des indicateurs écologiques reconnus ne signifie pas qu’à la parcelle, le score obtenu par l’écologue et celui obtenu à partir de l’IBPJ conduisent à catégoriser la parcelle de la même manière concernant sa qualité écologique. Cet effet est masqué à l’échelle territoriale sur un ensemble important de parcelles et ne peut être révélé par un test de corrélation. Afin de vérifier la correspondance entre les classes de l’IBPJ et la catégorisation des écologues, un autre test statistique aurait pu être réalisé. Cette limite impacte peu l’usage que pourrait en avoir un géographe, mais témoigne d’un manque de précision qui peut être préjudiciable dans le cadre du travail d’un architecte se concentrant sur une seule parcelle.

L’IBPJ permet donc d’afficher des résultats satisfaisants en contournant des indices nécessitant des connaissances pointues en matière d’écologie. Il permet ainsi d’évaluer la biodiversité potentielle de jardins à l’échelle territoriale à un instant donné.

2.2 Quelles applications de l’IEP et de l’IBPJ dans le cadre de la densification pavillonnaire ?

L’IBPJ se présente comme un outil finalisé face à un IEP qui reste encore en construction. La question est donc de savoir si l’IBPJ pourrait servir à la pratique des architectes afin de déterminer s’il y a lieu de pousser plus loin la réflexion sur l’IEP dans le cadre du travail de thèse. Bien que présentant des similitudes notamment dans l’approche par strates végétales et l’utilisation des données de structure végétale et de surface, ces deux indices se différencient sur plusieurs aspects.

Même si il n’a pas été conçu dans ce but, il est possible d’imaginer utiliser l’IBPJ afin d’évaluer la biodiversité d’un jardin existant et, moyennant une localisation des éléments qui entrent dans sa notation, mesurer l’impact écologique de différents scénarios de densification. Cependant, spatialiser l’IBPJ pour en faire un outil d’aide à la conception présente des limites. Nous avons pris l’exemple de deux jardins théoriques (Fig. 5). En partant du principe qu’ils soient soumis à la même gestion de l’habitant, ces deux jardins, bien que très différents, obtiendraient le même résultat en suivant la notation de l’IBPJ, ce qui est discutable d’un point de vue écologique. En effet, dans le cas du « jardin 1 », les différents éléments de végétation sont si peu nombreux et isolés que l’on peut s’interroger sur leur fonctionnalité écologique réelle. La spatialisation de l’IEP permet de compenser cette limite en prenant en compte la surface couverte par chaque type de végétation du jardin.

Figure 5 : Comparaison de deux jardins différents ayant le même résultat avec les critères de l’IBPJ

Bien que l’IBPJ ait reçu un bon accueil des collectivités locales et des architectes, certains éléments qu’il prend en compte ne font pas sens dans le cadre de la conception du projet. C’est le cas des pots de fleurs qui sont des éléments mobiles, pouvant rester comme disparaître après la réalisation du projet et sur lesquels l’architecte n’a pas de prise. Il en va de même de la gestion du jardin qui varie en fonction des choix de l’habitant. L’IEP s’attache quant à lui à des éléments plus pérennes tels que les arbres, des strates végétales, des murets en pierre etc… Il prend en compte des éléments parfois anciens, mettant du temps à se constituer, ou connectés à des continuités écologiques, qu’il sera intéressant de conserver lors de la conception du projet. Par les critères qu’il utilise et leur spatialisation, l’IEP permet d’évaluer les conséquences sur la biodiversité d’un projet non encore réalisé à partir des qualités du jardin existant, ce qui en fait un bon outil d’aide à la décision dans la conception architecturale. Il pourra ainsi aider à penser la morphologie du bâtiment, son implantation, l’organisation des espaces extérieurs et l’organisation du chantier afin de préserver les formations végétales porteuses de biodiversité. En ce sens, l’IEP répondrait mieux aux attentes des architectes et des paysagistes agissant dans le cadre de la densification. En outre, lors d’une première expérimentation, l’emploi de l’indicateur par des étudiants en Master 1 de l’ENSA-Marseille en atelier de projet a montré une diminution de l’impact écologique de leurs projets de densification d’un lotissement et a permis de leur apporter les connaissances nécessaires pour mener une réflexion sur la préservation de la biodiversité. L’IBPJ semble quant à lui plus adapté à l’évaluation de la biodiversité d’un jardin existant, réalisant un instantané d’une situation à un moment donné. Il tient compte de la gestion de l’habitant et de certains types de végétation que ne considère pas l’IEP, mais ne permet pas d’aider à la décision lors de la conception du projet. En effet, si l’on trouve une forte biodiversité sur un site, on ne pourra mesurer les conséquences du projet qu’une fois celui-ci réalisé, au risque qu’il soit trop tard pour agir.

Face à ce constat, se pose la question de l’utilité de finaliser la notation de l’IEP étant donné que sa spécificité tient plus à la spatialisation des éléments afin de les prendre en compte dans le projet, et que l’IBPJ fait déjà bien ce travail de diagnostic. Néanmoins, une notation avec l’IEP pourrait permettre d’évaluer la biodiversité d’une parcelle existante et de la comparer avec un projet dessiné, indépendamment des choix du futur habitant quant à la gestion de son jardin. La différence dans la note obtenue permettra de voir le gain ou la perte de biodiversité engendrée par le projet. Celle-ci pourra faire l’objet de mesures de réglementation de la part du législateur, en demandant par exemple de ne pas dépasser la perte d’un certain pourcentage de biodiversité ou la conservation obligatoire de certains éléments du jardin. Dans des zones à enjeux écologiques, le PLU pourrait par exemple fixer une note écologique minimale nécessaire à atteindre pour accorder un permis de construire. Le particulier devra alors faire la démonstration de la prise en compte des enjeux écologiques identifiés sur sa parcelle, et les services instructeurs pourront vérifier grâce à l’IEP la valeur obtenue avant et après projet afin de valider ou non le permis de construire. Il sera alors nécessaire d’étalonner l’IEP en mesurant sa corrélation avec les résultats obtenus par un diagnostic fait par des écologues. Cette corrélation devra prendre un terrain d’étude commun : soit le lotissement étudié à Aix-en-Provence pour l’IEP, soit les cas d’études déjà utilisés par des écologues et l’IBPJ en banlieue parisienne.

Ainsi, nous avons démontré que ces deux indices sont complémentaires, répondant à des approches et à des échelles différentes. L’IBPJ permet d’identifier les jardins étant les plus susceptibles d’accueillir la biodiversité, et ceux qui y seraient moins favorables. Ces jardins peuvent ainsi être hiérarchisés en fonction de leur biodiversité potentielle et être localisés. Ces données pourraient constituer une base de renseignements servant d’aide à la décision pour les collectivités locales, afin de définir par exemple une stratégie de densification sur une commune. L’IEP permettra quant à lui, quelles que soit les zones pavillonnaires destinées à être densifiées, une prise en compte de la biodiversité dans le projet à la parcelle pour minimiser la disparition d’un patrimoine de nature intra-urbain.

 

Conclusion

L’IBPJ permet donc d’effectuer un diagnostic d’espaces verts urbains existants à l’échelle de la parcelle et de travailler à l’échelle territoriale par le grand nombre de données qu’il peut accumuler facilement, permettant une approche quantitative intéressante. Comme nous l’avons vu, la méthodologie de l’IBPJ semble en revanche mal adaptée à l’usage que pourrait en avoir un architecte, certains critères ne faisant pas sens dans une pratique de projet. L’IEP, en palliant à ces manques, semble être un outil complémentaire et pertinent pour la conception architecturale. En revanche, il ne permet pas de récolter assez de données pour travailler à l’échelle territoriale et, par sa spécialisation, ne prend pas en compte certains éléments -sur lesquels l’architecte n’a pas de prise- pouvant tout de même impacter la biodiversité.

Il semblerait donc que l’IEP mériterait d’être finalisé et testé sur d’autres cas d’étude dans le cadre de la thèse. Des critères relevant de formations paysagères et végétales responsables de la qualité de vie des habitants, sans pour autant être liées à la biodiversité, pourront peut-être aussi intégrer l’IEP comme un complément à prendre en compte lors de la densification de jardins. Il pourrait ainsi être intéressant d’intégrer la valeur d’usage des éléments végétaux du jardin, selon ce que leurs rôles paysager, de brise-vue, de protection du vent ou du soleil, par exemple, apportent aux habitants.

L’IBPJ et l’IEP pourraient au final permettre une meilleure prise en compte multiscalaire de la biodiversité en ville, ce qui représente aujourd’hui un enjeu majeur pour les politiques en matière d’écologie urbaine. Ils devraient ainsi donner les moyens aux acteurs de l’aménagement du territoire de préserver un patrimoine de nature périurbain important pour la qualité de vie des habitants et un maintien de la biodiversité dans un contexte de densification.

 

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Références

[1] Ce lotissement de 12 parcelles, par sa position voisine du centre-ville, fait l’objet d’une spéculation foncière importante et se retrouve exposé à un fort risque de densification. Les habitants aimeraient que cette densification potentielle ne se fasse pas au détriment de la forte présence végétale du lotissement. Cette situation constitue donc un cas d’étude réel intéressant dont nous nous sommes saisis pour notre recherche.

[2] Le CBS, conçu à l’origine par les services de l’urbanisme de la ville de Berlin, est un outil optionnel proposé par la loi ALUR afin de limiter l’imperméabilisation des sols et favoriser une présence végétale dans les projets de densification. Par son calcul, le CBS favorise la présence de sols se rapprochant le plus possible des caractéristiques de pleine terre, mais ne présage en rien de la qualité écologique du milieu et de la nature des espèces qui s’y développeront. Il garantit ainsi plus le maintien de qualités environnementales par l’amélioration du microclimat, de la qualité de l’air, de l’infiltration des eaux pluviales et l’amélioration du cadre de vie du citadin, que des qualités favorables à la biodiversité.

Recherche par le projet

Le niveau de complexité des défis auxquels les sociétés contemporaines doivent faire face exige la conception de solutions basées sur la mobilisation de compétences de multiples acteurs. Cette intelligence collective émerge de la capacité de ces acteurs à savoir mener des projets dans lesquelles leurs actions sont hautement interdépendantes. Néanmoins, le système pédagogique traditionnel, basé sur une logique disciplinaire et d’évaluation individuelle, rencontre des difficultés à former les étudiants à ce type de pratiques de conception collaborative.

Dans le paysage de l’éducation supérieure, l’enseignement de l’architecture se distingue de l’approche disciplinaire universitaire par l’usage du dispositif de l’atelier qui vise l’apprentissage de compétences à travers une approche intégrative des connaissances dans une démarche de projet. Ce processus d’apprentissage par le projet est par ailleurs mené dans un environnement particulier, caractérisé par des structures spatiales, temporelles, matérielles et sociales singulières. Bien que le système d’évaluation soit  ­ comme dans le modèle universitaire traditionnel ­ également structuré en fonction d’un travail individuel, ce dispositif pédagogique se différencie d’une part par la posture d’auteur dont l’étudiant doit faire preuve, et d’autre part par la dynamique collective de l’apprentissage qui est mise en œuvre dans cet environnement particulier de formation.

À partir de ces constatations, nous défendons la thèse que l’atelier d’architecture constitue un dispositif pédagogique capable de former à la conception collaborative, pour autant que certains de ses paramètres soient reconfigurés. Nous identifions dans cette optique l’atelier intensif de courte durée comme une évolution contemporaine du dispositif de l’atelier qui, grâce à une concentration de certains de ses paramètres (spatiaux, temporels, matériels et sociaux), est devenue un lieu d’expérimentations concrètes de la pratique et de l’apprentissage de la conception collaborative. Nous utilisons dans cette recherche l’acronyme “W­AU » (Workshop d’Architecture et d’Urbanisme) pour parler de l’atelier intensif de courte durée dans le but de le distinguer de sa version longue.

Pour défendre cette thèse, nous définissons tout d’abord l’atelier traditionnel à travers une perspective historique et l’analyse de sa structure et de son fonctionnement, pour identifier comment ce dispositif dialogue avec la notion de conception collaborative. Nous réalisons ensuite à une typologie du W­AU en fonction de ses différentes pratiques contemporaines pour situer trois études de cas à partir desquelles nous décrivons différentes mises en œuvre de la conception collaborative. Cette analyse nous permet de mettre en lumière le rôle clef des différents acteurs, de la configuration de la gouvernance et de la configuration des paramètres de l’environnement, ceci pour favoriser le processus de conception collaborative.

Cette recherche consiste ainsi à identifier les potentiels et les limites qu’offre le W­AU pour la formation à la conception collaborative dans les études d’architecture. Étant donné la diversité des variables qui entrent en jeu dans la mise en œuvre de cet environnement collaboratif, l’ambition de cette contribution n’est pas de proposer une marche à suivre pour la réalisation de ce genre de dispositif mais bien d’identifier et de faire connaître certains outils et certaines stratégies susceptibles d’être mobilisés par les acteurs de la conception collaborative pour faciliter et optimiser leur démarche.

Thèse de Julien Ineichen