Razionalismo manierista Milano 1940‑1960

Razionalismo manierista Milano 1940‑1960

Au premier coup d’œil, les immeubles d’habitation réalisés à Milan entre 1940 et 1960 par les architectes Mario Asnago (1896-1981) & Claudio Vender (1904‑1986), Luigi Walter Moretti (1907-1973), Ignazio Mario Gardella (1905-1999), le groupe BBPR 1 (1932-années 60), Luigi Caccia Dominioni (1913-2016), Angelo Mangiarotti (1921-2012) & Bruno Morassutti (1920-2008), ou Carlo Perogalli (1921-2005) & Attilio Mariani (1921-) et sûrement d’autres, ont quelque chose en commun – ils ont tous des bizarreries. Ces excentricités peuvent être produites par le caractère franchement insolite de la silhouette de l’édifice ou par la matérialité troublante de l’enveloppe. Elles peuvent être aussi provoquées par les licences prises par rapport aux conventions de la composition ou par l’incorporation ponctuelle d’éléments singuliers du vocabulaire vernaculaire. Ces bâtiments peuvent autant provoquer une stupéfaction immédiate que se nimber d’une étrangeté légère mais inquiétante lorsqu’on s’attarde à les scruter en détail. Il s’agit à proprement parler d’une démarche d’auteur où les propositions subjectives semblent ostensiblement assumées.
Ces architectes ont peu ou pas théorisé leur travail, en dehors d’Ernesto Nathan Rogers (1909-1969) mais ils ont assurément construit une architecture « qui donne à penser ». La grande diversité des productions ne permet pas de les classer dans un unique mouvement artistique même s’ils partagent certaines attitudes critiques. Les dates de construction elles-mêmes peuvent surprendre : ces bâtiments nous semblent tous beaucoup plus récents qu’ils ne le sont. Ces édifices partagent en effet avec l’architecture contemporaine des caractères communs comme l’aspect monolithique des enveloppes, la composition des façades à percements aléatoires, la flexibilité paradoxale du plan à pièces ou le caractère ludique et sophistiqué des détails d’assemblage et de mise en œuvre. Pourtant, ces édifices ont été construits dans un contexte culturel, politique et économique très particulier et très éloigné du nôtre – ils ont été construits pour une clientèle bourgeoise éclairée et manifestement un peu excentrique et gourmande de formes.

Pour caractériser ces architectures, une hypothèse naît, sous la forme d’un oxymore : que ces architectes engagent un processus particulier d’évolution du mouvement moderne, une forme de « modernisme maniériste ». Rassembler en une expression deux mouvements artistiques aussi éloignés historiquement qu’opposés théoriquement n’a pas pour objectif premier de proposer un nouveau mode de classement, anachronique et paradoxal, de l’histoire de l’architecture. Nous sommes plutôt guidés par l’intérêt porté à une certaine manière de concevoir et de réaliser l’architecture – à une forme d’arte di maniera. Dans son article « Pour une brève histoire du maniérisme », Daniel Arasse (1944-2003) cite les recherches de Robert Klein (1918-1967) 2 « (…) dans le maniérisme l’attention glisse du quoi, ce qui est représenté, au comment, le représenter. Il demande donc un regard d’appréciation artistique ou esthétique devant l’objet représenté, sur la manière dont on représente cet objet » 3.

Rapprocher du maniérisme la modernité hétérodoxe des édifices que nous étudions, c’est tenter de chercher des origines à ces bizarreries pour qu’elles ne restent pas de pures subjectivités. C’est imaginer que ces architectes, comme les artistes du XVIème siècle, ont en commun une pensée en mouvement, instable, fragile, complexe, une critique parfois désinvolte ou désabusée. Les licences prises au XVIème siècle par rapport aux théories de la Renaissance ont fait évoluer la notion de beauté : d’un art de nature à un art d’artifice. Le maniérisme est indissociable de la Renaissance classique, il s’est constitué à partir d’expérimentations toujours situées dans des relations dialectiques, c’est pour cela qu’on peut qualifier cette période de Renaissance maniériste. Daniel Arasse nous conseille d’éviter le terme de pré‑baroque, qui attribue à ce mouvement chaotique une direction qu’il n’avait pas 4.

fig.1 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Edificio per abitazioni (1948) Milano, Via Plutarco 13 Source Lombardia Beni Culturali Da bibliografia (Zucchi, Cadeo, Lattuada, 1998) Unità: AV108

 

En proposant le terme de Razionalismo manierista milanese, notre article sous‑entend qu’il s’agit d’une posture maniériste au sein du rationalisme italien. Le rationalisme italien est un mouvement éphémère pris dans le chaos de l’histoire – le Gruppo 7 5 n’a existé que l’année 1926 et le M.I.A.R. (Movimento Italiano per l’Architettura Razionale) a été fondé en 1930 pour se dissoudre en 1932. Giuseppe Terragni (1904‑1943) réalisera à Côme la Casa del Fascio (1932‑1936), une architecture d’une très grande précision et d’une grande pureté géométrique – une sorte de Rubik’s cube réglé par des proportions albertiennes. Kenneth Frampton (1930‑) analyse la cohérence et la rigueur de cet édifice : « Le bâtiment est traité comme s’il y avait une matrice spatiale continue, sans aucune indication concernant le haut, le bas, la gauche, la droite, etc. » 6. À Milan, en association avec Pietro Lingeri (1894‑1968), il réalise la Casa Rustici (1933‑1935) où la recherche de la transparence entre l’intérieur et l’extérieur de l’îlot, les amènent à proposer une façade constituée d’une grille légère de balcons, une solution réemployée à l’échelle urbaine pour l’aménagement du front du parc à Paris‑Bercy coordonné par Jean‑Pierre Buffi (1937‑). Ils réalisent aussi à Milan des immeubles d’habitation plus courants et plus classiques, la Casa Ghiringhelli (1933) et la Casa Lavezzari (1934). Deux édifices où on trouve une organisation parfaite de la symétrie avec une grille régulière des percements, une partition interne équilibrée et une décomposition des séquences parfaitement articulée. Un texte, intitulé « Note », que le Gruppo 7 publie dans la revue Rassegna Italiana en 1929, montre toutes les ambiguïtés de ce mouvement : « Notre passé et notre présent ne sont pas incompatibles. Nous ne souhaitons pas ignorer notre héritage traditionnel. C’est la tradition qui se transforme toute seule et prend de nouveaux aspects que seuls quelques‑uns peuvent reconnaître » 7. C’est une période où les notions restent floues entre tradition, classique et moderne. Cette origine présumée du rationalisme maniériste permet de donner une source plus ou moins canonique à ce mouvement architectural hétérogène et quelque peu hérétique. Bien sûr, ce mouvement a été aussi très fortement influencé par le Novecento milanese. Gio Ponti (1891‑1979) et Piero Portaluppi (1888‑1967) ont été des architectes importants dans les années 1920 à 1940 mais aussi des enseignants influents à l’école polytechnique de Milan. Enfin, l’étonnant travail de Giovanni Muzio (1893‑1982) pour laCa’Brutta (1919‑1923) ou pour Angelicum, (1939‑1942) a dû ouvrir pour cette nouvelle génération, un chemin vers des plaisirs cultivés et licencieux.

fig.2 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Edificio per abitazioni Santa Rita (1937) Milano, Via Euripide 1. Source Lombardia Beni Culturali Archivio Asnago Vender Photographe Olivo Barbieri Unità: AV081

 

Dès les années 1950, Colin Rowe (1920‑1999) devinait déjà ce penchant pour le maniérisme dans le mouvement moderne des années 1920. Dans les articles « Mathématique de la villa idéale » (1947) et « Maniérisme et architecture moderne » (1950) 8, Colin Rowe propose des analogies entre les tenants de cette modernité héroïque et les artistes du XVIème siècle. Il cherche à mettre en évidence les processus de conception par l’analyse visuelle des édifices et par la comparaison formelle des plans et des élévations. On pourrait d’ailleurs prolonger les analyses de Colin Rowe, en comparant les modes de composition d’Andrea Palladio (1508‑1580) à ceux d’Ignazio Mario Gardella. Sa Casa al Parco, Piazza Castello 29 (1947‑1954) offre des jeux paradoxaux entre les façades à ossature et remplissage et les façades à murs percés qui s’apparentent au Palazzo Chiericati (1550‑1680) ou au Palazzo Thiene Bonin Longare (1572‑1610) à Vicence.

Restons fidèle à cette méthode : en s’appuyant sur le vocabulaire riche et imagé de l’esthétique maniériste et son incarnation dans des chefs‑ d’œuvre, nous allons proposer une lecture critique de cette architecture moderne milanaise, qui met au jour leur rôle de pivot entre le XVIème siècle et certaines esthétiques contemporaines. Au cours de notre analyse, nous pourrons interroger à la fois l’attrait contemporain pour l’architecture fantaisiste, tout en trouvant du plaisir dans des architectures plus inquiétantes, plus paradoxales et peut‑être plus savantes

Nous nous attacherons plus spécifiquement à analyser les potentiels dynamiques que peuvent produire sur le spectateur les anomalies et entre autres dans les trames des façades. Mais aussi comment ces jeux de percements s’accompagnent d’une simplification volumétrique et une radicalité dans les enveloppes. C’est un dispositif formel très innovant à l’extérieur qui est paradoxalement contredit par des dispositions classiques dans les intérieurs, convoquant la figure des appartements à pièces bourgeois. Il s’agit d’une architecture d’un très grand raffinement nécessitant une sophistication extrême des détails, une architecture de designer. Une architecture moderne, radicale, sophistiquée et toujours très urbaine, ne remettant jamais en cause la continuité de la ville, bien que Milan, au lendemain de la guerre, soit devenue une quasi page blanche.

Une fenêtre par ci …

Commençons par l’architecture de Mario Asnago & Claudio Vender : l’une de ses caractéristiques est la façon assez inattendue de placer des fenêtres d’un format particulier ou de décaler quelques baies dans une trame régulière de percements. C’est le cas du petit immeuble d’habitation Via Plutarco 13 (1948) où on trouve au troisième étage, à peu près dans le milieu du bâtiment, une fenêtre un tiers plus large que les autres [fig.01]. Cet immeuble de logement à quatre travées, est construit entre deux mitoyens. La façade se décompose en deux registres horizontaux, un socle trop haut sur deux niveaux et un plan de façade un peu trop bas sur trois. Les surfaces de ces deux plans sont très contrastées ; le socle en pierre calcaire est très lisse alors que l’élévation en brique rustique est très rugueuse.

fig.3 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Edificio perabitazioni e uffici (1935) Milano, Viale Tunisia 50 Source Lombardia Beni Culturali Photographe Olivo Barbieri Unità: AV062

 

La délimitation entre les deux matières se fait juste au‑dessus du cadre des fenêtres du deuxième étage mais il est tellement près du haut des baies que l’on perçoit clairement que ce changement de matière ne correspond pas à une disposition constructive. Il s’agit plutôt d’une ligne abstraite de partition de la façade. C’est un dispositif de composition qu’on retrouve dans le bâtiment de logements et de bureaux Piazza Velasca 4 (1950‑1952). Les deux architectes ont l’habitude de composer de manière étonnante les plans de façades, Via Euripide 1 (1937‑1938) les balcons sont situés sur les trois étages inférieurs laissant les deux niveaux supérieurs nus. Une façade d’autant plus lisse que les volets se rangent à galandage dans l’épaisseur de la façade [fig.02]. Inversement, Via Tunisia 50 (1935), les balcons très élancés sont regroupés sur les étages supérieurs ce qui contraste fortement avec les étages inférieurs et donne le sentiment qu’il s’agit de deux bâtiments superposés [fig.03].
Est‑ce une manière de se jouer des conventions, comme une bouffonnerie d’Auguste – une fenêtre bizarre comme un nez rouge et des proportions grotesques comme un maquillage de clown ? Cette hypothèse, Daniel Arasse l’a déjà évoquée à propos du maniérisme : « Ce qu’on doit bien comprendre avec le maniérisme c’est qu’il a une dimension ludique, le paradoxe maniériste étant très souvent un jeu. En fait, dans une large mesure, le maniérisme met en scène le trouble, l’incertitude, pour en jouer et peut‑être aussi pour en exorciser le caractère inquiétant » 9.

Ce traitement particulier des percements est peut‑être aussi une manière de dérider la régularité, de composer de façon souple, de retrouver une fraîcheur enfantine [fig.04]. Il est tentant de le rapprocher du remplacement, dans la peinture et la sculpture du XVIème siècle, du noble déhanchement du contrapposto par la figure serpentinata, sinueuse comme un serpent en reptation. Patricia Falguières considère cette pose comme un élément significatif du maniérisme : « C’est ici qu’apparaît le mieux l’une des caractéristiques les plus marquées de l’avant‑garde maniériste. Elle aura privilégié l’idéal d’un mouvement fluide, aisé, affranchi de la pesanteur et des contraintes du réel » 10. Sur la façade à trois étages du modeste bâtiment d’angle de la Via Balbo 1 (1947), la fenêtre du deuxième étage se décale légèrement de l’alignement vers l’angle et sur l’autre façade la fenêtre du premier étage manque [fig.05]. Au Corso di Porta Nuova 52 (1963), c’est au deuxième et au huitième et dernier étage que deux baies se reculent de l’alignement à l’angle [fig.06]. Chaque fois, ces petits mouvements dans les alignements des baies font légèrement « onduler » la façade. Mais là où l’effet serpentinata est le plus sophistiqué, c’est à l’angle de Via Alberico Albricci et de la Piazza Velasca (1953‑1959) [fig.07]. Dans un premier temps, on perçoit deux fenêtres particulières, au premier et au deuxième étage qui se rapprochent anormalement de l’angle, faisant plonger le regard vers le sol. Inversement, au dernier niveau la trame est évidée et fait échapper le regard vers le ciel. On imagine que ces effets permettent d’attirer le regard vers la Torre Velasca (1951‑1958) des architectes BBPR en fond de perspective de la Via Larga. Mais très vite, le bâtiment échappe à l’entendement : le rez‑de‑chaussée offre une légère brisure, afin de ménager un retrait de l’alignement et de créer une petite ombre qui fait flotter l’impressionnant plan de façade. Et ce n’est que bien plus tard qu’on découvre qu’à partir du quatrième étage, les linteaux entre les baies se réduisent progressivement vers le haut de l’édifice, et font de ce fait à la fois « gonfler » et « onduler » la façade.

fig.4 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Ristrutturazione e ampliamento di una villa in palazzina per abitazioni (1948‑1955) Torino, Piazza Bernini 2 Source Lombardia Beni Culturali Da bibliografia (Zucchi, Cadeo, Lattuada, 1998) Unità: AV110

 

Bien entendu les bâtiments d’angle se prêtent plus facilement à des jeux de décalage des baies. Les contraintes d’éclairement de la pièce d’angle sont moins fortes et on peut choisir de les ouvrir d’un côté ou de l’autre, plus ou moins à sa guise. Le rendu du volume à l’angle est un sujet important de la composition architecturale et les projets contemporains jouent de ces opportunités pour créer des effets de rotation du volume sur l’angle par des percements en quinconce. C’est peut‑être pour cette raison que le bâtiment de Carlo Perogalli & Attilio Mariani, Via Beatrice d’Este 24 (1956‑1957), avec ses jeux de parement en damier de brique orange et rouge et ses fenêtres en quinconce, nous semble si contemporain. Pour autant, l’accumulation des irrégularités et des trames décalées finissent par être paradoxalement répétitives dans les nouveaux quartiers des ZAC parisiennes. On peut y lire le signe d’une inversion des valeurs entre régulier et irrégulier, entre sens du collectif et individualisme. En fait, cette nouvelle esthétique du quinconce qui gère, subit ou sublime, les normes en matière de propagation du feu – le fameux algorithme du « C+D » 11. À Boulogne‑Billancourt dans le nouveau quartier du Trapèze, il n’y a guère que l’agence de Roger Diener (1950‑) pour composer une façade régulière avec des balcons pour contourner la terrible norme. C’est pourtant la même agence qui a réalisé à Bâle (1993‑1995) un petit bâtiment d’angle, dénommé maison Kolhenberg par Martin Steinmann (1955‑) où les trumeaux et les châssis des fenêtres se disposent de part et d’autre de l’angle organisant à chaque étage des figures différentes. Le bâtiment se présente comme une œuvre d’Art concret qui donne des clefs de compréhension du processus de conception au spectateur – en lui laissant prolonger la composition en devenir. Pour Martin Steinmann, dans son article « Le regard du producteur », ce bâtiment agit comme un nouveau paradigme, un modèle pour une déclinaison. « Le thème en est déjà donné : la maison Kolhenberg fait naître un regard de producteur, un regard qui nous fait nous‑mêmes créer l’œuvre. Nous pouvons la répéter comme une partie d’échecs. L’œuvre ne nous apparaît pas comme achevée, elle se développe sous notre regard ou plus précisément nous la développons. Nous la réalisons selon les deux acceptions de ce terme : nous la comprenons et nous la rendons réelle en la comprenant » 12.

La Dernière Cène Via Faruffini

Le potentiel dynamique que crée le conflit entre régularité et irrégularité a été de longue date exploité en peinture. Lorsque Leonardo da Vinci (1452‑1519) réalise la peinture murale à tempera de « La Dernière Cène », entre 1495 et 1498 pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan, il utilise pour la dernière fois la perspective construite telle que Leon Battista Alberti (1404‑1472) l’a théorisée dans son ouvrage De pictura (1435).

Fig. 5 & 6

La perspective est parfaite, l’espace fictif de la storia est en continuité de l’espace réel de la pièce, on nomme vulgairement cette peinture « la pièce du haut ». Il s’agit d’une démonstration didactique de ce qu’est la perspective, construite mathématiquement. Depuis le point de vue du spectateur, c’est‑à‑dire une nonne assise en train de manger, le dessin du quadrillage du plafond à caissons et les lignes verticales des tentures, des portes et des baies permettent de rendre compte de la profondeur fictive. C’est presque un schéma de la grille de construction. L’architecture n’est qu’un décor pour le premier plan, la table derrière laquelle sont assis les apôtres, qui eux sont en avant, comme projetés hors de l’image. Leonardo da Vinci prend une licence par rapport aux règles en déplaçant le cadre de représentation, en cadrant trop serré, pour faire flotter la scène entre l’espace fictionnel et l’espace réel. Daniel Arasse nous montre que déjà lorsqu’il a réalisé sa première peinture en perspective, « L’Annonciation » (1475‑1476), la construction géométrique est invraisemblable ; « une apparence de réalité, de construction exacte » 13. Est‑ce une manière de cacher le mystère de l’Annonciation ou adopte‑t‑il déjà une distance critique, est‑il déjà désabusé par la trivialité de la construction géométrique ? Dans « La Dernière Cène », les personnages sont rangés très régulièrement par groupes de trois, de part et d’autre du Christ, qui est, lui, situé dans l’axe, sur le point de fuite central. C’est la première fois que Judas se retrouve avec les autres du même côté de la table – une question sûrement épineuse du point de vue de l’iconographie chrétienne ! Sans doute en accord avec le programme iconographique des Dominicains, ce positionnement de Judas a aussi permis à l’artiste de régler un problème de représentation. S’il avait dû placer autrement Judas, le personnage se serait trouvé du côté des nonnes, dans le vide. Cette disposition permet de donner une grande régularité à la composition et de fait, concentre l’attention du spectateur sur les attitudes des personnages. Daniel Arasse décrit parfaitement l’agitation qui règne dans ce premier plan, entre les postures des personnages et la trame perspective « Ce qui intéresse Léonard dans « La Dernière Cène », c’est justement le cadre géométrique donné par la perspective « régulière » comme instrument à dénier par les figures qui se déplacent sans arrêt dans la grille. C’est ça le mouvement du monde. » 14.

Lorsque l’on emprunte la Via Faruffini, on est dans un continuum urbain ordonné par l’alignement, la mitoyenneté, le gabarit et matérialisé par une architecture urbaine courante des années 1950 et 1960. On peut passer devant le numéro 6, construit en 1954 par les architectes Mario Asnago & Claudio Vender, sans y prêter plus attention que ça, si ce n’est qu’il est très blanc et très lisse [fig.08].
Lorsqu’on traverse l’avenue pour prendre du recul, le bâtiment apparaît plutôt régulier et plutôt austère. Mais très vite quand on s’attarde à observer la façade, le regard se met à se déplacer frénétiquement sur la surface murale : on se trouve dans une relation spectateur‑œuvre analogue à celle que provoque « La Dernière Cène ». La façade apparaît comme une surface abstraite, comme un dessin sur un papier millimétré. Le parement en mosaïque blanche produit un discret quadrillage, une analogie avec le papier millimétré. Ce plan de façade est décollé visuellement du sol par un très léger recul et par un singulier garde‑corps au rez‑de‑chaussée.

Fig. 7 & 7bis

Elle est aussi détachée du volume construit par une loggia d’angle située directement derrière le voile de façade. Au premier coup d’œil, la façade semble percée régulièrement mais très vite une baie particulière sur la droite attire notre attention et à partir de ce moment‑là, le regard se promène de droite à gauche, de haut en bas à la surface de la paroi pour chercher d’autres irrégularités. Paradoxalement, la trame qui semblait très régulière ne l’est en fait aucunement, tous les étages sont différents. Comme dans « La Dernière Cène », l’altérité n‘existe que sur un fond de régularité. À suivre Daniel Arasse, le regard s’amuse d’abord à repérer les différentes positions des groupes d’apôtres par leur position par rapport au décor, ce qui créé un premier niveau d’agitation dans l’image. Très vite, l’attention est captée par les mouvements des visages et les positions des mains, qui redirigent incessamment le regard, et on finit par être pris dans un tumulte général. Face au bâtiment de Mario Asnago & Claudio Vender, on se tient devant un jeu des 7 erreurs, le regard balaie la façade à la recherche de l’anomalie. La façade nous propose d’ailleurs une dernière énigme : le cadre métallique. C’est une structure légère, métallique, située un peu en haut à droite, écartée d’un bon mètre du mur, là où le regard s’était porté au premier coup d’œil. Est‑ce un cube virtuel qui transperce la façade ? Est‑ce une citation du monument aux victimes des camps d’extermination nazis, des architectes BBPR (1946) ? Est‑ce que les ombres portées de cette structure composent des figures géométriques changeantes suivant la course du soleil ? Ce n’est manifestement pas un étendoir à linge, il n’a semble‑t‑il pas d’usage particulier. Sans sources des auteurs cela reste une curiosa.

La répartition des percements sur la façade n’a pas non plus de raison d’être particulière par rapport à la partition interne des pièces. Il ne s’agit pas de répondre à des besoins fonctionnels, bien au contraire, dans certains logements les cloisons se « contorsionnent » pour s’adapter à la composition de la façade. « La Dernière Cène », aussi, pose une dernière petite énigme au flot de touristes qui s’agglutinent devant elle – mais où est passé Judas ? Revenu de l’autre côté de la table, dissimulé dans un groupe de trois apôtres ! – Comme dans la bande dessinée de Martin Handford, on cherche « Où est Charlie » !

Des monolithes paradoxaux

Pour mettre en mouvement les regards et les pensées, la peinture a inventé une autre technique : le chatoiement des étoffes et des drapés qui donne à la simplicité du volume un rendu très texturé. Entre 1955 et 1961, Luigi Caccia Dominioni réalise une série d’immeubles de logements à partir d’un même dispositif formel dont l’objectif avoué est de faire perdre l’échelle de l’édifice. Les volumétries sont simples, massives et les enveloppes de façade sont unitaires et traitées en allover. Les deux bâtiments de la Via Ippolito Nievo (1955‑1957) sont des barres qui s’inscrivent dans un plan urbain d’ensemble. Le bâtiment Corso Italia 22 (1957‑1961) est une petite tour à facettes implantée en cœur d’îlot. Le bâtiment Piazza Carbonari (1956‑1957) est un plot avec une singulière silhouette de toiture découpée à l’emporte‑pièce [fig.09].

Fig. 8 & 9

L’aspect unitaire des façades est rendu par la surface murale constituée de briquettes de parement posées verticalement, qui soulignent le caractère ornemental du dispositif. Elles sont vernissées. Leurs couleurs – bleu nuit, orange terre, vert pétrole – changent selon la lumière du jour et semblent couvertes d’or, de cuivre ou d’asphalte. Cet effet moiré ou mordoré, très apprécié dans les tissus vénitiens, est devenu une technique picturale de la Renaissance maniériste. Le cangiante est très utilisé par Paolo Caliari, dit Véronèse (1528‑1588) ainsi que par Michelangelo (1475‑1564) dans la Chapelle Sixtine (1508‑1512). Pour réussir la transposition à l’architecture de cet effet, les fenêtres sont insc

rites dans une figure particulière de composition. Elles sont disposées en semis, en constellation ou en guirlande enveloppant le volume [fig.10]. Elles ne laissent plus deviner la partition interne des logements et on finit par perdre même la notion d’étage. Les éléments particuliers de la façade comme les de l’agence BBPR, Via Cavalieri del Santo Sepolcro 10‑12 (1961‑1968) ou d’Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, Via Quadronno 24 (1959‑1960) ont une dimension monolithique rendue par le pliage de l’enveloppe et le dispositif répétitif d’un motif des travées de façade.

Jacques Lucan (1947‑), dans les deux livres qu’il consacre aux nouveaux processus de conception architecturale 15, analyse l’intérêt contemporain pour ce mode de composition en all‑over. C’est un dispositif de composition qui se prête plus facilement à des programmes d’équipement moins contraints par les nécessités des usages intérieurs. Pour autant, dans les immeubles d’habitation de Luigi Caccia Dominioni ou dans certains projets contemporains, on trouve des dispositifs analogues. L’agence milanaise baukuh (2004‑) a réalisé à Tirana (2015) un immeuble d’habitation avec une silhouette extrêmement massive, un traitement unitaire de l’enveloppe en carrelage et un mode de percement semi‑aléatoire. On retrouve aussi dans l’immeuble d’habitation des architectes Aldric Beckmann (1970‑) et Françoise N’thépé (1973‑) dans la ZAC Masséna (2007) le même aspect monolithique, donné par une enveloppe unitaire en béton teinté marron, juste contrariée par les ajouts dorés, associés à une multitude de formes de châssis pour faire perdre la compréhension de la superposition. Les architectes Jacques Herzog (1950‑) & Pierre De Meuron (1950‑), pour le bâtiment Südpark (2011) à Bâle, poussent le dispositif de la surface murale en all‑over en répartissant en semis les baies sur la totalité de la façade.

Fig. 10 & 11

La tour Agbar (2005) de Jean Nouvel (1945‑) à Barcelone, avant qu’elle ne soit capotée, révélait un ordonnancement impressionnant : la disposition des châssis semblait pixelliser la coque tandis que certains cadres pouvaient devenir structurels dans les enchaînements de percements. Plus récemment, l’agence suisse Philippe Bonhôte & Julia Zapata (2003‑) à La chapelle des Sciers (2009) à Lancy, utilise aussi un mode de percement en ruban pour faire « flotter » les couches les unes sur les autres. Ce dispositif fait aussi référence depuis l’intérieur à une fenêtre bandeau cadrant chaotiquement le paysage.

Le principal paradoxe des immeubles d’habitation de Luigi Caccia Dominioni est que la composition des façades très contemporaine en all‑over, est en contradiction avec le dispositif classique de distribution par pièces des appartements. On aurait pu s’attendre avec ce type de façade à des plans fluides, très ouverts alors qu’on trouve des plans à pièces, très composés. Ils ont toutes les caractéristiques des appartements bourgeois des XVIIIe et XIXe siècle avec hall, vestibule, galerie, antichambre, double distribution, cabinet, bibliothèque, dressing, office, etc. [fig.11].

Il ne s’agit pas d’un simple agrandissement des pièces comme on le voit souvent dans les nouveaux appartements bourgeois, les lofts mais bien d’un autre type de plan où chaque pièce a sa géométrie, sa matérialité, son ambiance. La structure poteau‑poutre est ici au service d’une composition de plan très dessinée, permettant à chaque étage de modifier la partition interne. Dans certains projets comme l’immeuble de la Via Massena (1959‑1963), Luigi Caccia Dominioni place un vestibule dans le prolongement du palier d’entrée afin de permettre d’assembler différemment les appartements. À certains étages, ce vestibule est partagé par deux logements, à d’autres il permet d’agrandir un appartement en prenant, par rachat, une partie du logement voisin ou encore permettre depuis le palier de distribuer un appartement indépendant. Dans le Cahier de théorie douze de l’EPFL, Bruno Marchand et Alexandre Aviolat 16 signalent une tendance contemporaine du retour du plan à pièces dans les concours récents de logements en Suisse. Ainsi l’agence Edelmann Krell (2005‑) pour le projet Seebahnstrasse à Zürich (2014), propose un dispositif de distribution par vestibule qui permet de compacter la desserte des chambres et des sanitaires. Dans le projet de l’agence Mathis Kamplade, Mehrgenerationenhaus à Zürich (2015‑2017) on retrouve un dispositif traditionnel de pièce centrale de distribution, la diele. Enfin, les architectes Sergison & Bates pour le projet Elderly Housing à London (2015) proposent un étonnant plan par agrégation de pièces. Dans ce projet comme dans les autres cités précédemment, la géométrie des pièces est très affirmée. On est clairement dans la filiation du travail des frères Perret et dans la continuité des dispositifs de composition du bâtiment de la rue Franklin à Paris (1903).

Attention aux détails

Le mouvement du regard du spectateur ne se déduit pas de l’approximation du geste du peintre ni d’une désinvolture vis‑à‑vis des détails, bien au contraire. Il semble même indispensable de s’attarder brièvement sur une des caractéristiques qui façonne l’identité de ces architectures, le soin et la singularité des détails de mise en œuvre. Un des plus cocasses est la façon, très énigmatique, qu’a Luigi Caccia Dominioni de cacher le parlophone de l’entrée de la Casa Pirelli, Via Cavalieri del Santo Sepolcro 6, (1962‑1964). Les sonnettes sont dissimulées derrière une pierre du parement de la façade qui pivote, une véritable cachette secrète [fig.12] comme dans la Camera degli Sposi (1465‑1474) du Palazzo Ducale à Mantoue d’Andrea Mantegna (1431‑1506).

fig.12 Architecte Luigi Caccia Dominioni Casa Pirelli (1962‑1964)Milano, Via Cavalieri del Santo Sepolcro 6 Photographie de l’auteur

Ce bâtiment, qui semble banal à première vue, recèle une multitude de détails qui signent la personnalité de l’auteur. Certains sont récurrents dans son travail à cette période comme le soin porté aux gouttières et aux descentes qui viennent marquer l’artificialité de l’angle du bâtiment. D’autres sont des emprunts de mise en œuvre au baroque milanais comme les biseaux dans l’épaisseur de la façade pour protéger la tranche des volets ou la décomposition en deux parties du volet pour en faciliter la manipulation au droit du garde‑corps. Quand on s’attarde sur cette façade, on découvre presque fortuitement que les vitres, un peu trop grandes, ne s’ouvrent pas classiquement en pivotant sur une charnière mais coulissent sur une crémaillère. Les intérieurs sont aussi investis : les voitures roulent sur des sols en mosaïque ou en marbre pour rejoindre un parking organisé comme une arène qui met en scène les calandres des bolides. C’est à qui fera le plus beau hall d’entrée, le hall le plus spectaculaire. Les toutes petites pièces de distribution intérieure, comme les vestibules deviennent de véritables boîtes à bijoux où les sens sont contrariés par le trouble provoqué par quelques artifices de mise en scène, une attitude typiquement maniériste. Ces architectes sont tous des designers. Peut‑être est‑ce la raison de ce soin porté aux détails. Cette excellence dans les mises en œuvre est aussi la signature d’un tissu industriel et artisanal qualifié.

Avant et après Aldo Rossi

En guise de conclusion provisoire à cet article, on peut se demander comment Aldo Rossi (1931‑1997) a perçu cette architecture, contemporaine de ses années de formation et du début de sa carrière de théoricien et de praticien. On ne peut pas ne pas imaginer que ses prises de position contre la destruction de la ville classique par le mouvement moderne, n’aient pu avoir comme origine ces réalisations, toutes très urbaines. Même le projet le plus radical de Luigi Walter Moretti, Corso Italia, ne déstructure pas la figure de l’îlot. Pourtant après les bombardements de 1943, qui entraînèrent la destruction presque totale des quartiers les plus anciens, le centre‑ville de Milan a été totalement reconstruit. Mais reconstruit par une architecture urbaine soucieuse du parcellaire, de l’îlot, des types tout en assumant une écriture architecturale moderne, cultivée et un peu bizarre. C’est une des multiples formes de la modernité, une forme un peu à la marge de son courant héroïque. Alors qu’Aldo Rossi n’a pas pu ignorer cette architecture depuis son studi di architettura Via Maddalena en plein cœur de la transformation du quartier du Duomo, ce sont ses anciens collaborateurs suisses comme Bruno Reichlin (1941‑) et Fabio Reinhart (1942‑) puis les tenants du mouvement de l’architecture analogue comme Miroslav Šik (1953‑), Hans Kollhoff (1946‑) et plus récemment Adam Caruso (1962‑), qui ont cherché dans ces architectures une voie pour penser le contemporain. C’est cette génération qui revient sur ces références d’un modernisme « maniériste » pour reconstruire une architecture contemporaine savante.

Bibliographie

1‑ Le groupe BBPR était composé de Gianluigi Banfi (1910‑1945), Lodovico Barbiano di Belgiojoso (1909‑2004), Enrico Peressutti (1908‑1976) et Ernesto Nathan Rogers (1909‑1969).

2‑ Robert Klein, L’esthétique de la techné, Institut national d’histoire de l’art, Saint‑Juste‑La‑ Pendue, 2017.

3‑ Daniel Arasse, Histoires de peintures, essais folio, Saint Amand, 2006, p.195.

4‑ Ibidem.

5‑ Le Gruppo 7 était composé d’Ubaldo Castagnoli, Luigi Figini, Guido Frette, Sebastiano Larco, Gino Pollini, Carlo Enrico Rava et Giuseppe Terragni. 6‑ Kenneth Frampton, L’architecture moderne, une histoire critique, Philippe Sers, Paris, 1985 (1ère édition 1980) p.179.

7‑ Kenneth Frampton, ibid, p.177.

8‑ Colin ROWE, Mathématiques de la villa idéale et autres textes, Édition Parenthèses, Marseille, 2014

9‑ Daniel Arasse, Histoires de peintures, essais folio, Saint Amand, 2006, p.199.

10‑ Patricia Falguières, Le maniérisme. Une avant‑garde au XVI e siècle, Découvertes Gallimard, Paris, 2004, p.74.

11‑ La règle du C+D appartient à la Réglementation Sécurité Incendie. Elle concerne la propagation verticale du feu sur des façades comportant des baies. Il s’agit de tenir une distance minimum entre deux baies superposées. Une règle qui amène souvent à décaler les percements pour l’obtenir la distance voulue.

12‑ Martin Steinmann, Forme forte, Birkhäuser, Bâle Boston Berlin, 2003, p.247.

13‑ Daniel Arasse, Histoires de peintures, essais folio, Saint Amand, 2006, p.140

14‑ Daniel Arasse,ibid, p. 145.

15‑ Jacques Lucan, Composition, non‑composition Architecture et théories XIX e – XX e siècle, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009. Jacques Lucan, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015.

16‑ Bruno Marchand et Alexandre Aviolat, Logements en devenir concours en Suisse 2005‑2015, Cahier de théorie douze, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015.

L’architecture dans le vestibule

Une école maniériste dans le Milan des années 60

Les travaux de ce séminaire de Master qui se sont tenus de septembre à décembre 2017 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille (ENSA•M) ont pris pour objet un moment particulier de l’histoire du Mouvement Moderne, un rationalisme maniériste milanais. Ce moment d’une modernité hétérodoxe s’est tenu à Milan entre les années 1940 et 1960. Cette appellation de rationalisme maniériste nous est personnelle, elle n’apparaît pas dans les livres d’histoire d’architecture traitant du Mouvement Moderne. Le terme veut rappeler que le Mouvement Moderne a été traversé de nombreuses tendances, débats quelquefois contradictoires et qu’on ne peut pas le réduire aux slogans de ses hérauts, critiques, historiens ou architectes propagandistes de l’avant et après seconde guerre mondiale. Le rationalisme maniériste suit l’apparition sur la scène architecturale italienne du rationalisme, épisode important du Mouvement Moderne mais s’il s’en réclame, il en porte dans le même temps la critique. Si le rationalisme italien a cherché une forme d’universalité, à l’exemple du classicisme Renaissant, le rationalisme maniériste met en crise le modèle dont il est issu. A l’image du Maniérisme du XVIe siècle qui met en crise la diffusion des modèles classiques établis en Italie dès le XVe siècle.

Ce séminaire s’est intéressé à des édifices réalisés par les architectes Caccia Dominioni, Mario Asnago et Claudio Vender, Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, Ignazio Gardella, Gian Luigi Banfi, Lodovico Barbiano di Belgiojoso, Enrico Peressutti et Ernesto Nathan Rogers (BBPR).
Le travail mené a été d’analyse, analyse détaillée des édifices, productions de ces architectes milanais, cette analyse permettant de rassembler un certain nombre de caractères communs à cette production nous autorisant a posteriori de la rassembler sous l’étiquette d’un mouvement critique, le rationalisme maniériste ou razionalismo manierista milanese.
Il est entendu qu’aucun des architectes cités dans ces travaux n’a explicitement fait référence à cette étiquette ou à une quelconque position critique commune. Et s’il existe une iconographie relativement accessible sur la production de ces architectes, peu ou pas de textes critiques ou historiques ne les fédèrent, soulignant « l’assourdissant silence » de ces praticiens sur leur travail, pensons à l’aristocratique mutisme d’Asnago et Vender. Seul Ernesto Nathan Rogers (BBPR) aura une activité critique et d’éditeur importante jusqu’à s’imposer comme figure centrale dans les débats sur l’architecture moderne de l’après‑guerre.
Ce séminaire entend compléter une historiographie qui a été peu ou pas faite sur cette production italienne de l’entre et après seconde guerre mondiale, pour le moins une part d’elle (nous pensons aux travaux d’Asnago & Vender ou Caccia Dominioni).

Il nous est apparu que l’intérêt de ce travail ne relevait pas de la seule curiosité d’historien, objet de fortune critique « […] attentive à récupérer la dimension de l’objet et son caractère d’unique en le soustrayant à ses dimensions économiques et fonctionnelles, en le fixant en tant que moment exceptionnel » 1.

« L’histoire n’est point un discours achevé. Même si les événements d’une période sont codifiés minutieusement, même si les sources semblent fouillées de façon exhaustive, les questions qu’on adresse à ces matériaux changent selon les nouvelles perspectives qui s’ouvrent à chaque nouveau point de vue atteint par le présent. »

Francis Strauven introduction à « L’architecture dans le boudoir –
Le langage de la critique et la critique du langage » de Manfredo Tafuri, Oppositions, n°3, 1974. Princeton Architectural Press, NYC, p.291-317.

 

Il nous est apparu que le travail de ces architectes notamment sur le plan, des plans figurant des pièces fortement caractérisées, autorisait une étonnante flexibilité des partitions et évolutivité des agencements. Cette qualité des plans nous est apparue une réponse appropriée et opérante aux nouvelles exigences de flexibilité du logement liées aux profondes transformations des modes d’habiter et d’occupation, observées par les sociologues depuis plus d’une vingtaine d’années. Hormis le travail sur les plans, les pièces, la commune préoccupation de ces architectes pour le dessin de façades épaisses ou encore les mises en œuvre sophistiquées des accès des immeubles à rez‑de‑chaussée, ont été largement empruntées et reprises dans des productions contemporaines sans qu’en soient citées les sources. 2
Ainsi donc, nous avons parallèlement au séminaire d’analyse, associé un atelier de projet lequel empruntant explicitement les dispositifs mis à jour par le travail d’investigation, s’est attaché à vérifier leur opérante adéquation aux modes de production courante du logement contemporain. Cet atelier de projet constituait le test des hypothèses avancées par les travaux du séminaire, outils de « redimensionnement » et d’expérimentation des énoncés.

Si « Traditionnellement, l’histoire de l’architecture a fonctionné comme répertoire et en même temps comme justification de la pratique projectuelle. »3, nous entendons dans ce petit développement mettre en écho deux périodes décisives pour la nature du métier d’architecte, l’organisation de son exercice et les discours qui le légitiment, périodes lesquelles dans « les significations politiques de l’architecture » semblent à partir des mêmes causes, produire les mêmes effets.
Deux périodes ; celle de l’ordre classique et sa mise en crise par le maniérisme et celle qui voit la naissance du mouvement moderne et sa contestation dès les années d’après la seconde guerre mondiale, par un retour de la culture architecturale à l’histoire.

Le grand ordre classique – la maniera

Au XVIe siècle, des condottieri qui par la guerre prennent des terres auxquelles ils imposent leur autorité tyrannique, commandent la scénographie des nouveaux ordres qu’ils inaugurent. La nouvelle représentation du monde dans une figuration outillée qui l’impose, devient l’ordre du monde, le pouvoir des images sert l’image du pouvoir. En bousculant les vieux ordres des corporations de l’Europe gothique, l’architecture classique se fera l’expression des pouvoirs des cours. Les causes ; les nouveaux rapports de production et d’échanges qui s’instaurent au XVe siècle, imposent un nouvel ordre dont la combinatoire et disponibilité des éléments font système « […] système linguistique que soutient une idéologie universaliste » 4. Mais l’expérimentation des éléments du système, les variations dans leur organisation et agencements, au risque de la fragmentation de la cohérence des ordres, opérés par la critique maniériste, en seront les effets.

Le grand style classique à travers sa redécouverte de l’antique va fixer les règles de représentation des nouveaux territoires conquis par des condottieri, nouveaux Princes qui imposent un nouvel ordre tyrannique.
A Urbino, Ferrare et Mantoue, s’épanouit l’art de la première Renaissance. Alberti fixe l’outillage nécessaire à l’établissement des nouvelles règles de représentation du monde que Brunelleschi avant lui avait établies, un monde ordonné et mesurable. Il est par son De Pictura, traité de la peinture à l’origine du développement de la géométrie descriptive.
« Avec le géométral, la ville est donnée dans sa totalité, d’un seul coup, dans l’ordre des coexistences et des coprésences que marquent la différence de l’espace libre et de l’espace bâti, le système des rues, des places, des jardins et son exact complémentaire celui des édifices, des maisons, des palais et des églises » 5.
On aura mis à plat la globalité du monde dans la carte, cette mise à plat autorise le tracé des lignes de division et des limites qui vont ordonner les autorités. Lignes amies, lignes ennemies, lignes déplacées dès lors organisent les alliances et les conflits. 6
Le droit moderne s’institue par l’imposition de lignes de partage, dans leur agencement l’organisation du nouveau monde et la délégation et régulation de son autorité par les chrétiens d’Europe. « […] ne pas perdre de vue le rapport entre ordre et localisation ainsi que les attaches spatiales de tout droit » 7.
À la fin du XVIe siècle, « En Italie comme dans le reste de l’Europe, des états puissants et centralisés, fondés sur une acceptation absolutiste du pouvoir et dotés d’administrations efficaces, se mettent en place » 8.

Un des outils de cette administration efficace au service d’états puissants est la mesure par le géométral des propriétés qu’on charge des architectes d’édifier et auxquels on confie le rôle d’instaurer les règles de représentation de la totalité du monde connu. A la fin du XVIe siècle le monde est ordonné aux pouvoirs d’états souverains, les règles et canons « tenus dans les signes du langage et dans les figures du regard » 9 formulent les exigences d’une vérité universelle. L’âge classique dans sa relecture de l’architecture du monde antique imposera les ordres soit des règles de proportions, des rapports réglés selon une arithmétique simple, règles entendues comme miroir d’un monde naturel harmonieusement composé.

Léon Battista Alberti par sa relecture des ordres de Vitruve règle l’expression d’une grammaire à partir de laquelle pourra se fonder une discipline, l’architecture. La colonne, variée en cinq ordres est l’élément premier, substantif de cette grammaire dont les propositions ; superposition des ordres, tripartition dans l’étagement, « […] colonnes et leurs différents engagements, pilastres, conjonction des colonnes et des arcs […] » 10 s’inscriront dans des inventaires aux infinies variations, des figures 11, à partir desquelles les architectes composeront jusqu’au XVIIIe s., les édifices qu’ils projettent. Que de ce langage, ils en distordent les énoncés « […] distorsions que Michel Ange imprime au latin de l’architecture »12 ou en varient les harmonies.
La fixation des règles universelles de représentation, l’imposition des modèles classiques « des formes et solutions plastiques » autorise leur duplication, reproduction et diffusion sur tout le continent européen. Cette diffusion des modèles est concomitante des développements des formes de reproduction mécanique, l’imprimerie et la gravure. 13


C’est moins de cinquante ans après l’établissement des règles qui fixent les canons d’un ordonnancement classique du monde, leur diffusion massive qu’en sera éprouvée la solidité. C’est pour les loisirs d’une nouvelle aristocratie, les condottieri, mercenaires mués en seigneurs fonciers que travaillent les artistes de la maniera. Ils dressent les tableaux, ornements et décors qui glorifient par leur expression « la puissance des princes et des grands » 14.
Cette expression qui légitime la puissance des nouveaux princes emprunte au charisme, la « […] reconnaissance […] par les dominés […] sur laquelle repose le pouvoir du maître charismatique (qui) trouve sa source dans l’abandon plein de foi […] à l’extraordinaire et à l’inouï, à ce qui est étranger à toute règle et à toute tradition et regardé par suite comme divin » 15.
« Partout le roi est d’abord un prince guerrier. La royauté dérive de l’héroïsme charismatique » 16. La maniera glorifie l’aura du roi en recourant aux mondes enchantés des romans de chevalerie, à l’héroïsme des figures mythiques tel l’Arioste, et rejoue l’exercice aristocratique du tournoi « […] tournoi chorégraphié où s’affrontent Guerre et Amour, Vertu et Luxure, où l’on délivre des demoiselles séquestrées […] où l’on affronte des magiciens juchés au sommet des montagnes » 17.

Cette scénographie des pouvoirs à laquelle s’emploient les peintres et architectes de la maniera, recoure aux machines à effets, au spectaculaire des invraisemblances et « fictions improbables », aux métamorphoses des genres, au merveilleux que la philosophie 18 cautionne, sublimant « l’absolument singulier, à ce qui est divin parce que singulier » 19. A cette exaltation de la force, proprement surhumaine, s’identifie la puissance du prince.

Mais la bizarrerie, l’extravagant, le monstrueux et l’exotique bousculent l’ordre harmonieux et réglé du monde naturel. L’exaltation déiste du prince affranchit ses portraitistes – auteurs de sa représentation – des « […] régulations techniques, esthétiques et sociales », des ordres classiques qui normaient l’exercice de l’art et de l’architecture. Les lois de l’anatomie s’en trouvent déformées, la vraisemblance des mouvements défiées dans les chutes spectaculaires de corps désarticulés, « […]

ill-1 et ill-2

 

les postures exagérées, acrobatiques, impossibles des voltigeurs de Tibaldi ou Coltzius » 20, les corps saisis dans de douloureuses langueurs.
Les architectes maniéristes brisent les frontons, assemblent bizarrement pièces et morceaux des figures des ordres classiques, font tomber les triglyphes des frises, font courir les chars dans les nuées offrant au spectacle les virilités dévoilées des appareils, conducteurs et chevaux… (Jules Romain au palais du Té de Mantoue) [ill.01]
Le maniérisme s’entend à vérifier que les merveilles, prodiges de l’extraordinaire ressortissent bien de l’ordre du droit naturel. Que l’investigation des limites du monde connu en élargit l’horizon sans en contester l’équilibre et l’ordre général. S’il en distord l’image, il ne remet pas en cause les codes de sa représentation. Si le maniérisme ébranle les fixités des règles classiques de représentation du monde, il en conforte, de manière apparemment paradoxale, la force et opérativité de ses agencements, aptes à dire le connu et l’encore inconnu.
L’extraordinaire du nouveau monde tout juste découvert « colibris […] flore du Mexique […] » ou l’extraordinaire du monde connu « la fonte d’un dindon de bronze grandeur nature, d’un hibou, d’un paon, d’un singe par Gianbologna, sculpteur du Grand‑duc de Toscane » 21 sont les objets d’une figuration scrupuleuse voire analytique. « Jacopo Ligozzi réalise […] des dizaines de peintures à la détrempe d’un raffinement inouï qui livrent le portrait d’oiseaux mouches, de scarabées, de crabes, de bulbes et de fleurs exotiques ou familières, sur fond neutre, dégagés de tout prétexte narratif » 21 [ill.02]

L’architecture se rallie à cet « […] engouement généralisé pour la puissance germinative de la nature ». Bossages, corruption des substances naturelles, « géants barbus comme emprisonnés dans leur gangue de pierre », colonnes grossières de l’entrée du Palais

du Té, encore serties dans les concrétions naturelles de la carrière d’où elles sont extraites, figurent une ontologie à l’ordre classique, agencements d’architectures extraits d’un ordre naturel de la matière. [ill.03]

La ville des Modernes, nouvel ordre du monde – L’Italie de l’après seconde guerre mondiale

Les maîtres

des avants gardes du mouvement moderne des années vingt, déclaraient se placer « en dehors de l’histoire », les

postulats techniques et fonctionnalistes du nouveau monde machinique devenaient les modèles pour l’intégration de l’architecture à l’édification d’un monde nouveau. En prétendant construire une histoire nouvelle, les modernes retrouvaient l’idéal classique universaliste d’institution d’un ordre nouveau « […] les choses industrielles remplacent la nature du classicisme […] » 22. La tabula rasa des modernes, ce mot d’ordre lancé par Dada à l’ancien monde en même temps qu’il en fait le lucide constat de son désordre, autorise sa reconstruction. L’art et l’architecture, débarrassés de l’Œuvre, doivent se dissoudre dans la ville. Les causes sont entendues d’une production continue dont le but précis est d’être consommé rapidement, faite et défaite constamment au rythme d’un présent indéfiniment actualisé qui va reconfigurer la totalité de notre environnement bâti. La culture italienne des années 50, chambre d’écho d’une critique dont l’onde recouvrira la culture architecturale de l’Europe jusqu’aux années 70, opère un retour au fétichisme des objets contre l’annihilation du passé. La ville ancienne, mythifiée devient un « objet » à défendre. Les maîtres milanais de l’après seconde guerre mondiale, héritiers de la tradition moderne, s’en remettent à un nouvel éclectisme puisant dans l’histoire comme dans un « […] magasin de mémoires à revitaliser » 23. Le retour du regard des architectes vers le passé est l’effet, apparemment paradoxal, de la tradition moderne qui succède à ses avant‑gardes.

Ill.03 Giulio Romano– Colonnes d’entrée au
Palais du Té, Mantoue. Photographie Gilles
Sensini

La phase de croissance du capitalisme qui s’accélère au XIXe siècle, va transformer en moins d’un siècle, notre environnement et ses territoires plus radicalement que toutes les époques précédentes ne l’avaient fait. L’homme fait l’expérience du tragique et ce tragique c’est l’expérience de la métropole – le choc de la Grosstadt, die Grosse Stadt.

L’angoisse de la grande ville et le traumatisme de la 1ère guerre mondiale – l’aperçu du chaos – vont permettre la convergence quant aux mobiles et motivations, des courants de pensée d’un capitalisme démocratique qui se fait jour [avec les figures d’un Walter Rathenau en Allemagne ou d’un Ford aux États‑Unis] et des mouvements du socialisme planificateur qui triomphera en Russie.
Cette convergence de vues c’est cette volonté de prévenir les risques d’un futur désastreux, faire du futur un futur dont le risque est éliminé et où le présent tout entier se projette. Pour ce faire on s’attachera à rationaliser « l’ordre du monde » et cet idéal progressiste va s’investir tout entier dans la production ;
« L’usine n’est plus le scénario d’un drame mais le lieu où opère une communauté liée par le même but productif, le centre ou le pivot d’une structure

urbaine considérée comme l’expression directe d’une structure sociale vivante » 24. Planification et organisation sont les mots d’ordre d’un capitalisme démocratique qui veut harmoniser travail et capital contre la spéculation et la rente, planification et organisation sont les mêmes mots d’ordre du socialisme planificateur dans son appel à la prolétarisation universelle qui cherche à dépasser ainsi par l’utopie le désarroi d’une classe de travailleurs.

Les intellectuels sont invités à penser un plan d’ensemble contre la révolte individualiste de « l’artiste fécond » et mettre l’art au service du travail. Un plan qui vise à une organisation collective et planifiée du monde contre l’individuel et hasardeux futur.
Le rôle qu’assignent les avants gardes du mouvement moderne à l’architecte est un rôle politique. L’architecte, quittant son manteau d’artiste créateur, endosse la responsabilité du travailleur intellectuel à l’avant‑garde du cycle de production auquel est dévolu la programmation et la réorganisation planifiée de la ville.
La ville des Modernes est une ville nouvelle, un événement hors de l’histoire qui investit les étendues neutres d’un monde nouveau qu’il reste à édifier, une ville réduite à quelques fonctionnalités sommaires essentiellement identifiées dans la gestion des flux et la prédominance du plan. C’est cette logique productiviste et sectorielle de l’espace qui conduira l’ensemble des aménagements urbains de l’après‑guerre en Europe, le nouvel ordre du monde est tout entier moderne même si des spécificités nationales en distinguent les politiques et résultats.

On a parlé de « miracle » à propos de l’Italie de l’après seconde guerre mondiale, l’essor de son économie après 1945 est spectaculaire ; son PIB progresse de 6,1% en moyenne dans les années cinquante et encore de 5,8% dans les années 60. Ces résultats sont obtenus par la forte croissance de la production industrielle et ses secteurs fortement capitalistiques comme la métallurgie, la mécanique ou la chimie. Ce bond de l’économie italienne d’après‑guerre est soutenu par une politique libérale relayée cependant par une forte intervention de l’état et les effets du plan Marshall. L’Italie de l’après‑guerre cumule les atouts des pays développés, institutions et infrastructures organisées et les avantages d’un pays en développement avec une importante réserve de main d’œuvre bon marché puisée dans l’émigration massive d’un Sud agricole régit par des structures latifundiaires archaïques. Le patronat italien qui concentre ses activités et l’accumulation du capital au nord du pays essentiellement dans le triangle septentrional, Milan, Gênes, Turin, peut maintenir les hausses de salaires à un niveau largement inférieur aux hausses de productivité. 25
Les immenses profits produits de cette différence sont réinvestis dans la rente immobilière. « A la fin des années cinquante, la valeur de la propriété immobilière dans la seule ville de Milan, était très supérieure à la valeur totale de la Bourse » 26. Les nouveaux condottieri du capitalisme transalpin, souverains stratèges d’une Italie sur la voie du progrès, chercheront à figurer l’exception de leur puissance. « Les formes modernes de création de souverains y compris les formes démocratiques, ne sont pas étrangères au charisme » 27.
Si l’architecte est chargé de porter les signes du pouvoir qui le commande, cette légitimité du rôle ne change pas combien même les pouvoirs se suivent. La flèche du progrès ayant remplacée la figure du roi 28, l’architecte est tout entier moderne dans sa prescription d’un nouveau monde dont on le charge de faire le plan.

Cependant, dans l’Italie de l’après‑guerre, les annonces d’affiliation aux thèses du mouvement moderne si elles restent protéiformes, revendiquent toutes « […] l’assonance spirituelle avec les valeurs du passé ». L’affirmation de programmes par les architectes et les critiques, se caractérise par le « culte de l’histoire ». « Même un mouvement en apparence de rupture à l’égard de la tradition comme le mouvement rationaliste, a pris racine et jeté ses bases en se fondant sur des justifications typiquement traditionnelles […] C’était un moyen de disputer à la culture aulique des épigones néo‑classiques et académistes, l’espace politique dont il avait besoin pour se développer » 29.
Pour autant Manfredo Tafuri reconnaît des spécificités entre écoles régionalement identifiées « […] tradition d’engagements et de luttes parfois ambiguës qui séparent l’école de Rome de celles de Milan, de Venise et de Florence » 30. En retrait des débats – pensons à l’assourdissant silence d’Asnago et Vender ou d’un Caccia Dominioni – affichant l’indifférence aux « […] nouveaux problèmes qui engagent politiquement la transformation de l’économie de la construction », les maîtres milanais, héritiers d’une riche culture lombarde, iront interpréter la ville comme « […] une sorte de musée à aménager […] et l’architecture comme un ensemble d’objets d’autant plus qualifiés qu’ils sont plus fondus dans l’ensemble » 31. Attachés à l’exactitude du détail technique, au fragment, leur repli sur une pratique savante de l’exercice du métier, leur façonnage d’objets irréels à destination d’une élite éclairée, ne peut compter que sur un « […] cycle organiquement achevé qui irait du projet à la construction en garantissant la préservation de leurs qualités d’origine », leurs réalisations s’appuyant sur les compétences d’un réseau d’artisans qualifiés. Ces « barons perchés » de l’architecture européenne « […] sont suspendus au‑dessus de l’enfer des contradictions quotidiennes. Comme pour le personnage du conte de Calvino, l’isolement aristocratique demeurait le statut inconsciemment accepté par les agents d’une culture architecturale au seuil de transformations radicales dont seuls les échos parvenaient jusqu’aux branchages de leur nid douillet » 32.
Le scepticisme de ces « barons perchés » à l’égard des nombreux et nourris débats sur l’architecture qui agitent l’Italie des années 50/60, dans « l’orgueil de la modestie » du métier sont pourtant les héritiers du mouvement moderne dont ils reprennent et cautionnent les modes de production alors généralisés de la construction ; préfabrication, structures béton, mise en œuvre de produits semi‑manufacturés produits en série ; structure poteaux/poutres et dalles épaisses, panneaux modulaires en ciment pour le complexe résidentiel de la Via Cavalieri del Santo Sepolcro des BBPR, panneaux modulaires en bois et métal pour la façade de l’immeuble de la Via Quadronno des architectes Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, structures poteaux/dalles des immeubles de la Via Faruffini et Via Vigoni respectivement d’Asnago, Vender et Luigi Caccia Dominioni…

Mais si ces architectes reconduisent les mises en œuvre notamment des structures, issues de la production courante du logement moderne, ils en portent dans le même temps, par leur méthode, la critique.
Cette méthode, commune à un Caccia Dominioni, Gardella, aux Asnago et Vender, c’est la mesure et le contrôle technique de l’ensemble des éléments du projet et leurs articulations. Indifférents aux questions larges d’aménagement du territoire et des politiques qui le conduisent, ils restent attentifs au syncrétisme de l’œuvre achevée à même de justifier toutes les valeurs d’échelle d’intervention de l’architecte. Par le métier, la précision artisanale des assemblages et la citation, ils veulent sceller les retrouvailles de la ville sans grâce du modernisme triomphant d’avec les « préexistences historiques » théorisées par les BBPR.

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Il est symptomatique qu’aucun des architectes que nous convenons de rassembler sous l’étiquette de razionalismo manierista milanese, ne participent au plan Fanfani pour le développement de l’habitat, plan instruit dans le cadre de la gestion de la construction économique Ina Casa 33 quand des figures du rationalisme à l’exemple de Figini et Polini y testeront les outils d’intervention à grande échelle 34 [ill.04]. Politique de construction régie par une administration publique, l’expérience Ina Casa s’appuie sur la « […] rapidité, efficience et précision de la production » et une urbanisation par grands ensembles « contre le romantisme exaspéré de trop nombreuses réalisations architecturales […] » 35.
Dans la gratuité des mises en œuvre en contradiction des usages, on pense aux balcons non accessibles de la Via Massena de Caccia Dominioni, des signes muets s’adressant qu’à ses seuls locuteurs, l’incongrue curiosa de l’immeuble de la Via Faruffini des architectes Asnago et Vender [ill.05], la « coprésence d’objets agrégés de manière constructiviste qui tendent obstinément à communiquer des messages impossibles […] racontent de façon exemplaire le drame de l’architecture moderne. L’architecture encore une fois s’est faite discours sur elle‑même » 36.

Nous avons parlé de maniera à propos de ces architectes milanais, maniera en tant qu’elle veut que les fixités et réductions des modes de construction modernes puissent être testées à l’aune des sophistications techniques maîtrisées d’un auteur. Cette maniera des maîtres milanais, dans cet improbable inconnu aux règles courantes des modes industrialisés de la production du logement qu’elle explore, s’en tient, dans ses vestibules, aux fêtes désenchantées d’un art, caché derrière les volets.
Ce sont dans les intérieurs d’édifices singuliers que les élégances s’offrent aux éloges telle celle de Gio Ponti pour la Casa Tognella d’Ignazio Gardella « Cette maison de Gardella répond à plusieurs exigences qui nous intéresse : c’est un bâtiment isolé et donc une « architecture » dans le sens d’une construction autonome et complexe […]. En se déplaçant à l’intérieur de la résidence […] nous mettons en avant le mobilier. Pourquoi ? Parce que pour moi, le mobilier moderne est le décor du vrai seigneur d’aujourd’hui (pas de l’homme riche mais de l’homme éduqué) » 37.
Les intérieurs sont les lieux d’un théâtre des apparences dont les scénographies offrent l’expérience de la mesure et des virtualités d’une maîtrise que la réalité de la ville ne manifeste plus, pas plus à ses architectes qu’à ses promeneurs.

L’épaisseur des façades qu’elle soit mise en œuvre dans la superposition des volets persiennés coulissants, disposés derrière l’étroit balcon filant des étages de l’immeuble de la Via Massena de Caccia Dominioni ou mise en œuvre dans le pliage des murs épais en retrait des nez de planchers devant lesquels des loggias sont disposées, de la casa Tognella de Gardella, sont autant de rideaux couleurs Odéon d’une scène soustraite au spectacle de la ville.

Ill.05 Immeuble de la via Faruffini des architectes Asnago et Vender. Photographie Gilles Sensini

La multiplication des pièces ; halls, vestibules, offices, antichambres, dans les plans des appartements de Dominioni, du plan de Gardella pour la casa Tognella ou dans la résidence de la Via Quadronno de Mangiarotti et Morassutti, sont autant de dispositifs proprement scéniques, autorisant la permutation et reconfiguration des lieux en fonction des vices et vertus privées.
La récurrence dans les plans de Dominioni des vestibules, une pièce disparue des programmes du logement moderne, fonctionne comme machinerie qui autorise les changements de rideaux. Le vestibule, plateforme distributive, permet la partition d’un même grand logement en deux logements de surfaces équivalentes, en trois ou quatre plus petits appartements. Une surprenante flexibilité du plan.

Ce sont l’expérimentation des dispositifs et figures spatiales empruntés à la tradition classique des XVIIIe et XIXe siècle autant qu’au vernaculaire lombard qui réactualisent, paradoxalement, ces maîtres milanais. Gilles Sensini 38 souligne la « tendance contemporaine du retour du « plan à pièces » dans les concours récents de logements en Suisse » ou encore la troublante actualité de la composition en « all‑over » des façades d’un Caccia Dominioni. Les trompeuses banalités des enveloppes des édifices des milanais dissimulent les aménagements précieux et savants des intérieurs, à l’image de l’ascenseur de l’immeuble de la Via Morrozzo della Rocca de Piero Portaluppi 39, conçu comme un carrosse, fût‑il tenu dans les guides d’une cage.
Nous avons dit que la maniera du XVIe siècle entendait éprouver par l’expérimentation d’agencements périlleux, la solidité de l’ordre classique. L’expérimentation c’est‑à‑dire le démontage et la manipulation, au risque de la perte de toute cohérence des ensembles à partir desquels se légitimaient l’idéal classique, est un travail critique.
Que des modernes, à Milan, au sortir de la seconde guerre, dans les traces d’un Pagano 40, figure morale de l’architecture italienne d’après le fascisme, puisent dans les magasins de l’histoire, des figures et dispositifs pour les glisser, précieusement dans les interstices du plan libre, au risque de le nier, ils opèrent là, eux aussi, un travail critique.
C’est en se fondant sur cet argument que nous 41 avons osé l’oxymore de rationalisme maniériste pour rapprocher deux discours de légitimation à l’exercice du métier d’architecte, antithétiques qu’en apparence ; toute tentative d’embrasser la totalité du monde dans une représentation qui lui suffirait emporte avec elle sa propre contestation.

Jérôme Guéneau – décembre 2017

Bibliographie

1‑ Manfredo Tafuri, « L’architecture dans le boudoir – Le langage de la critique et la critique du langage » p.20. Oppositions, n°3, 1974. Princeton Architectural Press, NYC, p.291‑317

2‑ Voir Gilles Sensini « Razionalismo manierista – Milan 1940‑1960 » ci‑après.

3‑ Francis Stauven « Introduction à L’architecture dans le boudoir – Le langage de la critique et la critique du langage » de Manfredo Tafuri, Oppositions, n°3, 1974. Princeton Architectural Press, NYC, p.291‑317.

4‑ Manfredo Tafuri « Théorie et histoire de l’architecture » SADG et Geneviève MESURET, Paris, 1976 p.63.

5‑ Louis Marin « Utopiques : jeux d’espaces » Coll. Critique, Éditions de Minuit, 1973, p.266.

6‑ « Les lignes amies apparaissent pour la première fois avec une clause secrète (…) du traité hispano‑français du Cateau Cambrésis (1599) » Carl Schmitt « Le nomos de la Terre » Coll. Quadrige, P.U.F 2001, p.93.

7‑ ibid, p.99.

8‑ Patricia Falguières « Le maniérisme. Une avant‑garde au XVIe siècle » Découvertes Gallimard, 2004, p.14. 9‑ Louis Marin, ibid p.264.

10‑ John Summerson, « Le langage classique de l’architecture » Thames & Hudson, 1991, p.40.

11‑ On caractérisera ici la figure comme certains agencements dont la récurrence dans l’histoire de l’architecture permet de les rassembler et les ordonner sous des caractéristiques communes et en décrire à partir de cette typification, les variations.

12‑ John Summerson, ibid, p. 63.

13‑ « Dès les années 1540, l’estampe diffuse les innovations de Rosso et du Primatice […] Elles sont reprises à Rome, à Venise, à Bologne […] On copie, on cite, on imite, l’émulation entre les ateliers est sans trêves. De même que les demandes des cours : il faut sans cesse « inventer » des décors de fêtes, des ornements de table, des costumes de scène […] ». Les outils de duplication mécaniques « alimentent un incessant travail de reproduction à n’importe quelle échelle et dans tous les types de matériaux » Patricia Falguières, ibid, p.17 et 18.

14‑ Patricia Falguières, ibid, p.23. 15‑ Max Weber « La domination » Coll. Politique & sociétés, La Découverte, 2013, p. 275.

16‑ Max Weber, ibid, p.276.

17‑ Patricia Falguières, ibid, p.27. 18‑ « Merveille, Stupeur, c’est le sourcil soulevé par l’étonnement que l’apprenti philosophe s’engage dans la voie de la connaissance. Ainsi Platon et Aristote ont‑ils dépeints dans le Théétète et la Métaphysique les commencements de la sagesse ». Patricia Falguières, ibid, p.28.

19‑ Max Weber, ibid, p.28.

20‑ Patricia Falguières, ibid, p.34

21 Patricia Falguières, ibid, p.99.

22‑ Manfredo Tafuri « Théorie et histoire de l’architecture » SADG et Geneviève MESURET, Paris, 1976 p.53.

23‑ ibid, p.89.

24‑ Giulio Carlo Argan « Projet et destin – Art, architecture, urbanisme » Les Éditions de la Passion, 1993, p.144.

25‑ Source Gerard Vindt « Italie, le « miracle » de l’après‑guerre » Alternatives Economiques, n°171, 1999.

26‑ Nanni Balestrini, Primo Moroni « La horde d’or – La grande vague révolutionnaire et créative, politique et existentielle – Italie 1968‑1977 » L’Éclat, 2017, p. 55.

27‑ Max Weber ibid, p.293. 28‑ Si on admet la position hégélienne d’une eschatologie chrétienne qui œuvre dans l’idée moderne de progrès. « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’état sont des concepts théologiques sécularisés » Carl Schmitt « Théologie politique » Gallimard 1988 ch.3.

29‑ Marco Dezzi Bardeschi « Le culte de l’histoire et de la personnalité dans l’architecture italienne » in AA n°113/114, Avril‑mai 1964.

30‑ Manfredo Tafuri « Les muses inquiétantes ou le destin d’une génération de ‘maîtres’ » in AA n°181, Sept‑oct.1975, p.14.

31‑ Manfredo Tafuri, ibid, p.28.

32‑ Manfredo Tafuri, ibid, p.14.

33‑ L’initiative de gestion InaCasa (Institut National de l’Assurance pour la Maison) est une expérience essentielle de l’effort pour la reconstruction de logements dans l’Italie de l’après‑guerre. La variété des architectes participant à l’expérience notamment par l’appel à projets via des concours, les questions de l’urgence et pénurie des matériaux, les spécificités locales et traditions des lieux d’intervention (l’action de l’InaCasa est généralisée à l’ensemble du territoire italien) constitueront pour des personnalités comme Savio Muratori ou Mario Ridolfi une expérience test pour la remise en cause des modes de productions industrialisés et les préceptes modernes qui les justifient.

34‑ Nous pensons notamment au quartier résidentiel entre les rues Novarra et Harrar à Milan, (Figini et Pollini arch.).

35‑ Citation de Saverio Muratori « La gestion Ina Casa » in AA n°41, juin 1952.

36- Manfredo Tafuri « L’architecture dans le boudoir – Le langage de la critique et la critique du langage » p.14.

37‑ Gio Ponti in DOMUS n°263, Janv.1951.

38‑ Voir Gilles Sensini « Razionalismo manierista – Milan 1940‑1960 » ci‑après.

39‑ Piero Porta Luppi (1888‑1967) architecte milanais associé au Novecento italien, mouvement artistique qui prône un retour aux vertus de l’esprit latin. Il occupera pendant la période du fascisme mussolinien de hautes fonctions officielles. Au sortir de la guerre, réhabilité, il sera président de l’ordre des architectes italiens de 1952 à 1963. Il réalisera avec Gio Ponti le projet d’un nouvel édifice pour le gouvernement de la justice (1956‑62). Professeur au Politecnico de Milan il aura influencé profondément les orientations professionnelles d’un Caccia Dominioni ou d’Asnago et Vender.

40‑ Giuseppe Pagano (1896‑1945), architecte, photographe est actif pendant les années du fascisme italien, il adhère aux thèses du mouvement rationaliste. Directeur de Casabella avec Edoardo Persico en 1933. Il entre dans la résistance au fascisme en 1943 et meurt en déportation à Mauthausen en 1945. Il aura entrepris un inventaire photographique des formes vernaculaires de la campagne lombarde qu’il expose à la triennale de Milan en 1936.

41‑ Le « nous », ce sont les étudiants et enseignants de ce semestre 2017 de master à l’ENSA•M.

7 architectures

1- Ignazio Gardella Casa Tognella, Piazza Castello 29, Milano

Par Paul Estublier, Marine Fabre et Pierre Hacquard

Ignazio Gardella Casa Tognella

Ignazio Gardella Casa Tognella, façade et coupe

Ignazio Gardella Casa Tognella. Photo de maquette 1/100e

Ignazio Gardella Casa Tognella. Photo de maquette 1/20e

2- BBPR Complesso residenziale, via Cavalieri del santo sepolcro, via Chiostri, via Solferino, Milano

Par Mathilde Dimper, Mathieu Rabian et Cédric Watrin

BBPR Complesso residenziale

BBPR Complesso residenziale. Axonométrie éclatée

BBPR Complesso residenziale. Axonométrie

BBPR Complesso residenziale, maquette au 1/100e

BBPR Complesso residenziale. Photo de maquette au 1/20e

3- Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti Edificio per abitazioni, via Quadronno 24, Milano

Par Yohan Depussay et Ismail Hafid

Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti Edificio per abitazioni

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. Représentation axonométriques des 3 modules constitutifs du principe de façade

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. détail du complexe de façades, décrit et annoté. Coupe façade détaillée, développé de façade et extrait module

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. Prise de vue d’une maquette au 1/100e

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. Prise de vue d’une maquette au 1/50e

4- Mario asnago et claudio vender edificio per abitazioni, via faruffini 6, Milano

Par Sara Maad, Margaux Nourrit et Ferzilet Leti Numani

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni.

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni. Façade via Faruffini

Mario asnago et claudio vender edificio per abitazioni. Coupe détail légendée

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni. Maquette au 1/100e

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni. Photo de maquette au 1/20e

5- Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena 18, Milano 88‑99

Par Léa Coulomb, Daniel Masia et Jean Pernal

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena 18

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Coupe légendées

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Élévation pignon sud et coupe détail et élévation correspondante (côté rue)

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Maquette au 1/100e

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Maquette d’intérieur au 1/20e

6- Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari 2, Milano

Par Redha Lazar et Khalida Omrani

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari 2, Milano.


Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari. maquette au 1/100e

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari. photo de l’intérieur maquette au 1/20e

7- Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni 13, Milano

Par Marjolène Cerles, Céline Labbé et Audrey Tam‑Tsi

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni
Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Coupe détail et façade.

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Coupe détail et façade.

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Photo d’une maquette au 1/100e

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Photo d’intérieur, maquette au 1/20e

Les scènes d’entrées de Caccia Dominioni

Dans les édifices d’habitations réalisés par Luigi Caccia Dominioni, les entrées sont de véritables petites scènes de théâtre. Qu’elles soient spacieuses ou compactes, elles sont d’une extrême sophistication volumétrique et matérielle. L’analyse propose de détailler les enchainements qui permettent de passer de la sphère publique aux espaces domestiques.

Plans d’entrée des édifices d’habitations

Plans du hall d’entrées des édifices d’habitation des vie Vigoni, Nievo et Massena, de la piazza Carbonari et des corsi Italia et Europa

Hall d’entrée et axonométrie du 13 via Vigoni, 1959

Hall d’entrée et axonométrie du 18 via Massena, 1963

Hall d’entrée et axonométrie du 22-24 corso Italia, 1961

Composition des entrées et jeux de perception

La composition des entrées et les jeux de perception. Vie Vigoni et Massena et Corso Italia

Géométrie des circulations verticales

La géométrie des circulations verticales. Vie Vigoni et Massena et Corso Italia

Les motifs du sol : La collaboration entre un artiste et un architecte

Conceptions et réalisations de la mosaïque des sols par F. Somaini des corsi Italia et Europa

Les ouvertures chez Caccia Dominioni

Les ouvertures chez Caccia Dominioni

L’espace de la baie, chez Luigi Caccia Dominioni, est un espace de projet sans limite. De la réinterprétation de la fenêtre traditionnelle baroque milanaise avec des embrasures biaises pour protéger la tranche des volets aux fenêtres en bandeau formant des guirlandes autour du volume, l’analyse dresse un inventaire des figures les plus caractéristiques.

Immeuble d’habitation via Vigoni 13, Milano. 1957

Une composition de façade animée

Immeuble d’habitation via Vigoni 13, Milano. 1957
Immeuble d’habitation via Vigoni 13, Milano. 1957

Façade principale sur via Vigoni • les bow-windows et plan du salon principal du 5ème étage avec son bow window

Axonométrie d’un des bow window de l’immeuble d’habitation. Via Vigoni
Axonométrie d’un des bow window de l’immeuble d’habitation. Via Vigoni

Façade principale sur Via Vigoni • Les embrasures en biais et plan du petit salon du 5ème étage

Axonométrie de l’ouverture avec embrasure en biais. Immeuble d’habitation Via Vigoni
Axonométrie de l’ouverture avec embrasure en biais. Immeuble d’habitation Via Vigoni

Coupes détail sur les fenêtres coulissantes du bow window et celles avec embrasure. Ech.: 1/20ème
Coupes détail sur les fenêtres coulissantes du bow window et celles avec embrasure. Ech.: 1/20ème

Immeuble d’habitation piazza Carbonari, Milano. 1959

Le monolithe percé

Immeuble d’habitation piazza Carbonari, Milano. 1959
Immeuble d’habitation piazza Carbonari, Milano. 1959

Façade sud Piazza Carbonari. Le bow window géant

Plan du salon et de la cuisine avec le bow window
Plan du salon et de la cuisine avec le bow window

Axonométrie du bow window géant de l’immeuble d’habitation. Piazza Carbonari
Axonométrie du bow window géant de l’immeuble d’habitation. Piazza Carbonari

Façade sud de Piazza Carbonari. Le bandeau vitré

Plan de la cuisine avec le faux bandeau vitré
Plan de la cuisine avec le faux bandeau vitré

Axonométrie du faux bandeau vitré Piazza Carbonari
Axonométrie du faux bandeau vitré Piazza Carbonari

Coupes détail du bow window au sixième étage et du faux bandeau vitré. Ech.: 1/20ème
Coupes détail du bow window au sixième étage et du faux bandeau vitré. Ech.: 1/20ème

Immeuble d’habitation via Santa-Maria alla Porta, Milano. 1960

Un alignement curieux d’ouvertures

Immeuble d’habitation via Santa-Maria alla Porta, Milano. 1960
Immeuble d’habitation via Santa-Maria alla Porta, Milano. 1960
Immeuble d’habitation via Santa-Maria alla Porta, Milano. 1960
Immeuble d’habitation via Santa-Maria alla Porta, Milano. 1960

Façade sur Via Santa Maria alla Porta. Le grand bandeau opaque

Façade du grand bandeau opaque
Façade du grand bandeau opaque

Axonométrie du grand bandeau opaque Santa Maria
Axonométrie du grand bandeau opaque. Santa Maria

Façade sur Via Santa Maria alla Porta. Les embrasures

Plan de la chambre avec l’ouverture en embrasure en biais
Plan de la chambre avec l’ouverture en embrasure en biais

Axonométrie de l’ouverture en embrasure en biais. Santa Maria
Axonométrie de l’ouverture en embrasure en biais. Santa Maria

Coupes détail sur le grand bandeau vitré et sur l’ouverture à embrasure en biais. Ech.: 1/20ème
Coupes détail sur le grand bandeau vitré et sur l’ouverture à embrasure en biais. Ech.: 1/20ème

La distribution chez Luigi Caccia Dominioni

Les particularités des plans à pièces de Luigi Caccia Dominioni l’amènent à concevoir des dispositifs de distribution particulièrement sophistiqués. Pour comprendre le raffinement de la hiérarchie des espaces, l’emploi du vocabulaire italien s’avère indispensable. L’analyse cherche à montrer à la fois la richesse distributive de ces grands logements bourgeois mais aussi leurs singularités géométriques et leurs excentriques matérialités.

Casa Caccia Dominioni, piazza Sant’Ambrogio 16, Milano. 1947-1949

Casa Caccia Dominioni, piazza Sant’Ambrogio 16, Milano, 1947‑1949
Casa Caccia Dominioni, piazza Sant’Ambrogio 16, Milano, 1947‑1949

La distribution • la capacité distributive

Circulation dans un des appartements du R+2

Circulation dans un des appartements du R+2
Circulation dans un des appartements du R+2

La légende est identique pour tous les schémas de circulation. Ces documents sont à lire comme une visite de l’appartement où les pièces s’allument au fur et à mesure :
Dans un premier temps, la première pièce de l’appartement, la galleria, est éclairée (1), puis on peut voir qu’elle donne accès à trois pièces (2). La première pièce visitée est la salle à manger et ne mène à aucune autre pièce (3). La seconde pièce distribuée par la galleria est un spogliatoio, qui donne accès au salon, à deux chambres et une salle de bain (4).La troisième pièce desservie par la galleria est un autre spogliatoio, qui donne accès à la cuisine et à l’appartement domestique composé d’une chambre et d’une salle de bain (5).

distribution dans un des appartements du R+2
distribution dans un des appartements du R+2

Edificio per abitazioni, via Massena 18, Milano, 1958-1963

Edificio per abitazioni, via Massena 18, Milano, 1958‑1963
Edificio per abitazioni, via Massena 18, Milano, 1958‑1963

La distribution • la capacité distributive

Circulation dans un des appartements du R+1

Circulation dans un des appartements du R+1
Circulation dans un des appartements du R+1
distribution dans un des appartements du R+1
distribution dans un des appartements du R+1

Edificio per abitazioni, via Nievo 28/1, Milano, 1955‑1957

Edificio per abitazioni, via Nievo 28/1, Milano, 1955‑1957
Edificio per abitazioni, via Nievo 28/1, Milano, 1955‑1957
distribution dans l'Edificio per abitazioni, via Nievo 28/1
distribution dans l’Edificio per abitazioni, via Nievo 28/1

La distribution • la capacité distributive

Circulation dans un des appartements du R+2

Circulation dans un des appartements du R+2
Circulation dans un des appartements du R+2
distribution dans un des appartements du R+2
distribution dans un des appartements du R+2

La distribution • la capacité distributive

Circulation dans un des appartements du R+6

Circulation dans un des appartements du R+6
Circulation dans un des appartements du R+6
distribution dans un des appartements du R+2
distribution dans un des appartements du R+2

Edificio per abitazioni, piazza Carbonari 2, Milano, 1960‑1961

Edificio per abitazioni, piazza Carbonari 2, Milano, 1960‑1961
Edificio per abitazioni, piazza Carbonari 2, Milano, 1960‑1961

La distribution • la capacité distributive

Circulation dans un des appartements du R+5

Circulation dans un des appartements du R+5
Circulation dans un des appartements du R+5

Edificio per abitazioni, via Vigoni 13, Milano, 1955‑1959

Edificio per abitazioni, via Vigoni 13, Milano, 1955‑1959
Edificio per abitazioni, via Vigoni 13, Milano, 1955‑1959

La distribution • la capacité distributive

Circulation dans un des appartements du R+1

Circulation dans un des appartements du R+1
Circulation dans un des appartements du R+1

Les formes de la distribution

Les formes de la distribution
Les formes de la distribution

Les pièces distributives

La qualité des pièces distributives

Caractériser le sens des mots est le départ de toute recherche. Trois mots en sont ressortis : ingresso, galleria et spogliatoio. L’ingresso correspond à une entrée desservant seulement une autre pièce de distribution. La galleria est un couloir pouvant présenter une grande largeur, souvent très décoré et distribuant de multiples pièces. Le spogliatoio est une anti‑chambre qui dessert plus en profondeur dans le logement souvent des pièces de nuit.

Collection d’ingressi pour la casa Caccia Dominioni, via Nievo et via Massena
Collection d’ingressi pour la casa Caccia Dominioni, via Nievo et via Massena

Collection de galleria pour la casa Caccia Dominioni, via Nievo, via Vigoni, via Massena et piazza Carbonari
Collection de galleria pour la casa Caccia Dominioni, via Nievo, via Vigoni, via Massena et piazza Carbonari

Collection de spogliatoi pour la casa Caccia Dominioni, via Nievo, via Vigoni, via Massena et piazza Carbonari
Collection de spogliatoi pour la casa Caccia Dominioni, via Nievo, via Vigoni, via Massena et piazza Carbonari

Portes autour de l’espace triangulaire de distribution en différentes positions
Portes autour de l’espace triangulaire de distribution en différentes positions
Portes autour de l’espace triangulaire de distribution en différentes positions
Portes autour de l’espace triangulaire de distribution en différentes positions
Portes autour de l’espace triangulaire de distribution en différentes positions

Teatro filodrammatici à milan
Teatro filodrammatici à milan
Intérieur via vigoni
Intérieur villa San Valerio
Intérieur villa San Valerio
Innenraum, Salle à manger circulaire
Innenraum, Salle à manger circulaire
Innenraum, Salle à manger circulaire
Innenraum, Salle à manger circulaire

Traductions

Bien que Luigi Caccia Dominioni soit un architecte important de la scène architecturale milanaise peu d’ouvrages lui sont consacrés et aucune publication française n’existe sur cet architecte à ce jour. Léa Coulomb et Daniel Masia ont pour leur parcours recherche traduit à peu près toute la littérature existante sur cet architecte. Il est proposé, ici, une sélection de ces traductions ainsi que les textes originaux.

LUIGI CACCIA DOMINIONI TOUR A MILANO • LUIGI CACCIA DOMINIONI TOUR À MILAN

Texte original : ELLE DECOR. Lien : http://www.elledecor.it/magazine/Itinerario-Caccia-Dominioni-architetto-Milano-ricostruzione-anni-50-70

Nel capoluogo lombardo sulle tracce di uno dei più eleganti progettisti dei nostri tempi.
In occasione della triste scomparsa di Luigi Caccia Dominioni riproponiamo un pezzo dal nostro archivio per ripercorrere i lavori del grande architetto. Probabilmente Luigi Caccia Dominioni verrà ricordato come il migliore e il più rappresentativo architetto della Milano della ricostruzione, dagli Anni 50 agli anni 70.
Nel cuore della città, ci sono una ventina di edifici progettati da lui : sono in gran parte intonacati, di mattoni o rivestiti in clinker. Il suo primo edificio significativo è un palazzo che risale al 1947 e si trova in piazza Sant’Ambrogio, dove abita da sempre.
Partendo dal centro città, da segnalare un edificio accanto a piazza Meda, uno in corso Monforte, uno in corso Europa, uno in piazza Velasca, uno in via Santa Maria alla Porta e uno in via Cavalieri del Santo Sepolcro. Tra la Cerchia dei Navigli e quella dei Bastioni, troviamo il bell’edificio di via Calatafimi, il palazzotto di via Massena, il blocco ad alta densità di appartamenti di via Nievo in zona Fiera, la casa all’inglese di via XX Settembre, una specie di villa di campagna. C’è poi una bella torre-piccionaia in via Maroncelli, in cui i mattoni formano una filigrana che ricorda i granai delle cascine. Più fuori, tra il centro e la periferia dove in quegli anni sopravvivevano ancora molte cascine, ci sono forse due tra gli edifici migliori di Caccia : quello di piazza Carbonari e la sede degli uffici della fabbrica Loro & Parisini in via Savona.
Quello di piazza Carbonari, un capolavoro del 1961, è una palazzina rivestita in piastrelle, con finestre di alluminio disposte apparentemente a caso sulle facciate, un tetto ripido e multifalda in metallo ; è oggi riverita da molti architetti svizzeri per la sua iconicità.

Traduction

Dans la capitale lombarde, sur les traces de l’un des créateurs les plus élégants de notre temps.
A l’occasion de la triste disparition de Luigi Caccia Dominioni, nous proposons une pièce de nos archives pour retracer l’œuvre du grand architecte. Luigi Caccia Dominioni restera probablement dans les mémoires comme le meilleur et le plus représentatif des architectes de la reconstruction de Milan, des années 50 aux années 70.
Au cœur de la ville, une vingtaine de bâtiments sont de sa conception : ils sont pour la plupart enduis, en briques ou revêtus de céramiques. Son premier bâtiment important est un bâtiment datant de 1947, il est situé sur la Piazza Sant’Ambrogio, où il a toujours vécu.
A partir du centre‑ville, on peut remarquer un de ses bâtiments à côté de la Piazza Meda, un autre sur le Corso Monforte, un sur Corso Europe, un sur la Piazza Velasca, un Via Santa Maria alla Porta mais aussi un Via Cavalieri del Santo Sepolcro. Entre l’anneau des Navigli et celui des Bastioni, on trouve le bel édifice Via Calatafimi, l’immeuble de Via Massena, le bloc à haute densité d’appartements Via Nievo dans la zone de la Fiera, la maison anglaise Via XX Settembre, une sorte de villa de campagne. Il y a ensuite une belle tour‑pigeonnier sur la Via Maroncelli, où les briques forment un filigrane qui rappelle les greniers des fermes. À l’extérieur, entre le centre et la banlieue où de nombreuses fermes ont survécu à cette époque, il y a probablement deux des meilleurs bâtiments de Caccia : celui de la Piazza Carbonari et les bureaux de l’usine Loro & Parisini, sur Via Savona.
Celui de la Piazza Carbonari, un chef‑ d’œuvre de 1961, est un bâtiment revêtu de carreaux de faïence, avec des fenêtres en aluminium disposées de manière apparente et aléatoire sur les façades, un toit abrupt en multiples couches de métal. Il est aujourd’hui vénéré par de nombreux architectes suisses pour son côté iconique.


Texte original : ORDINE ARCHITETTI. Lien : http://www.ordinearchitetti.mi.it/it/mappe/itinerario/45-luigi-caccia-dominioni/saggio

Luigi Caccia Dominioni è sicuramente tra i più autorevoli interpreti di quella tradizione milanese e lombarda dell’architettura riconducibile ad una disciplinata adesione alla realtà in cui ogni soluzione architettonica, pur non rinunciando a ricercate soluzioni formali, è sempre ricondotta ad una stringente logica architettonica, sapiente risultato di un’attenta quanto paziente sintonia con il luogo del progetto, le tecniche ed i materiali dell’opera. Attraverso un coerente percorso professionale il suo contributo sembra stabilire un punto di contatto tra il rigore del “modello razionalista” e le libertà espressive della “proposta organica”, senza mai tralasciare un’osservazione costante nei riguardi delle “preesistenze ambientali”. Il breve itinerario milanese intende quindi toccare alcuni capisaldi della sua opera con l’obiettivo di far affiorare le peculiarità di un instancabile ricerca progettuale mai legata ad una teoria scritta o insegnata, bensì affidata alla cristallizzazione degli oggetti costruiti in cui l’essenza di un mestiere traspare nel “senso della misura” e in una “rispettosa esecuzione” delineando la propria originale calligrafia compositiva.
Nel percorso di studio e professionale di Caccia Dominioni, come ci ricorda M.A. Crippa, “sono chiaramente leggibili tracce consistenti di figure che la storiografia del contemporaneo individua come razionaliste, organiche, storiciste, non però in un’eclettica miscela di componenti. Le stagioni culturali che, per contingenza storica, l’architetto attraversa, lo segnano con il contributo di accenti diversi, che egli riesce a far serenamente coesistere, modulandoli in un rapporto di reciprocità che non esclude a priori le differenze”.
Questa sintetica ma incisiva chiave di lettura dell’opera di LCD è molto utile per osservare, nel tentativo di intraprendere un percorso di comprensione, le sue tante e differenti opere nell’intenzione mai riposta di volerle integrare alla specificità di un luogo, di un paesaggio. Il rapporto architettura e città definisce lo sfondo entro il quale si muove il nostro itinerario e le opere che lo compongono affinchè si possa chiarire il percorso di costruzione del progetto d’architettura da parte dell’autore. Le opere di Caccia Dominioni, disseminate nella città, spesso costruite quando l’abitato circostante non aveva ancora assunto l’assetto attuale, altre volte sorte in ambiti urbani consolidati, si configurano quali cristallizzazioni di un approccio progettuale in cui l’opera, nel prendersi cura degli spazi urbani irrisolti o ancora in attesa di una configurazione definitiva, tenta di manifestare relazioni e preservarle, di rapportarsi al tessuto delle pre‑esistenze, ristabilendo una continuità con il racconto della città. La chiave di questa efficace sintonia tra architetture e città risiede in primo luogo nella vocazione urbanistica dell’approccio metodologico alla progettazione di Caccia, convinto assertore del ruolo della pianta quale matrice generativa dell’intero progetto, strumento per operare un efficace controllo della configurazione degli ambienti ed una funzionale definizione dei percorsi, ma sopratutto trascrizione di un’idea di spazio dinamico indissolubilmente legato al movimento dell’uomo ; in secondo luogo in un coerente ambientamento perseguito attraverso una “elegante” manipolazione degli elementi iconografici più caratteristici dell’ambiente urbano circostante, nelle opere ripresi e reinterpretati, o ancora mediante una sintonia materico-cromatica delle sue architetture con il contesto. Ripercorrendo alcune delle opere più significative realizzate da Caccia, si rintracciano i capisaldi di una ricerca tesa alla conformazione di una soluzione progettuale capace di interpretare le tracce della città, il carattere urbano dei luoghi per disporre un progetto di spazio in cui l’uomo e le sue necessità siano assunte come prioritarie.

Traduction

Luigi Caccia Dominioni est parmi les plus éminents interprètes de la tradition de l’architecture milanaise et lombarde en raison d’une adhésion disciplinée à la réalité. Chaque solution architecturale est toujours réduite à une stricte logique, sans pour autant renoncer aux solutions formelles raffinées. Ceci est rendu possible grâce à une minutie et une patiente symbiose entre l’architecte et le lieu, les techniques ainsi que les matériaux. Sa contribution semble établir un point de contact entre la rigueur du « modèle rationaliste » et la liberté d’expression de la « proposition organique » sans pour autant négliger l’observation de « l’environnement pré-existant ». Le court itinéraire Milanais a l’intention d’exploiter quelques-unes des pierres angulaires de son travail afin de faire ressortir les particularités d’une infatigable recherche conceptuelle. Jamais théorisée, ni enseignée, elle reste cristallisée dans sa production. L’essence de son métier transparaît dans le « sens de la mesure » et dans « l’exécution respectueuse » : on peut parler d’une calligraphie compositionnelle originale propre à Caccia Dominioni.
Dans le parcours d’étudiant et de professionnel de Caccia Dominioni, comme nous le rappelle M.A. Crippa, « à travers un oeil contemporain, des traces consistantes de figures relèvent du rationalisme, de l’organique et de l’histoire sans pour autant tomber dans un mélange éclectique des composants. L’architecte traverse plusieurs périodes historiques qui le marquent. Avec les différents éléments caractéristiques de ces périodes, il réussit à créer un rapport de respect réciproque en les faisant coexister. Il ne renonce pas aux différentes nuances».
Cette clef de lecture de l’oeuvre de Luigi Caccia Dominioni, synthétique mais incisive, est très utile pour observer, dans un effort de compréhension, ses multiples et diverses oeuvres toujours marquées par l’intention de les intégrer à la spécificité d’un lieu ou d’un paysage. La relation entre l’architecture et la ville définit le contexte de notre itinéraire et les œuvres qui le composent afin que nous puissions clarifier le chemin de conception architecturale de l’auteur. Les œuvres de Caccia Dominioni, dispersées dans la ville, sont souvent construites lorsque le bâti environnant n’a pas encore pris sa forme actuelle. Parfois nées dans des régions urbaines plus denses, elles font partie d’une approche conceptuelle qui prend soin des espaces urbains indéfinis (ou en attente d’une configuration définitive) tout en essayant de montrer les relations et de préserver ces dernières. Le but est de créer un lien avec le préexistant, de rétablir la continuité avec la ville. La clé de cette harmonie efficace entre architecture et ville se trouve :


Texte original : ETROPOLISMAG. Lien : http://www.metropolismag.com/architecture/luigi-caccia-dominioni-master-of-italian-modern-design-dies-at-102/

Luigi Caccia Dominioni, Master of Italian Modern Design, Dies at 102. Caccia Dominioni greatly influenced industrial design of the 20th century.
Modern architect and designer Luigi Caccia Dominioni died yesterday at the age of 102, just a few weeks shy of his 103rd birthday. He was the last member of a group of Milanese architects, planners and designers—including Gio Ponti and Ignazio Gardella—that founded Italian Modern design and enormously influenced the industry throughout the 20th century.
According to Brian Kish, a dealer and expert in Italian 20th-century design based in Manhattan, Caccia Dominioni was central to modern design’s progress : “His design aesthetic was sober, yet adventurous and challenging. It was charged with recurring enigmas unlike any other work of architecture in the second half of the 20th century. To my mind, he continued the path of Adolf Loos into unexpected territories.”
Caccia Dominioni, who graduated from Milan’s Polytechnic School, envisioned design, urban planning, and architecture as one intertwined discipline that aimed to improve people’s quality of life.
In 1947 along with Gardella and Corrado Corradi Dell’Acqua he founded Azucena, an artisanal manufacturing company that produced lamps, armchairs, handles, and design objects that experimented with new materials and forms. It’s impossible to name all the objects that Caccia Dominioni designed, but among the many masterpieces are the Porcino table lamp (1967), the Monachella floor lamp (1957), the Battibus chair (1959), and the San Babila door handle (1968), produced for Olivari.
Among his architectural works, some residential buildings stand out for their elegance and detail, particularly the residential complex at San Felice, Segrate (1967‑75) that he designed with Vico Magistretti, his home in Piazza Sant’Ambrogio, Milan (1947‑50), and the residential tower in Via Massena, Milan (1959‑63).
Whether he was working on a public square, a small apartment, or a floor lamp, every project had a strong architectural and urban component. As Caccia Dominioni affirmed, “my entrances, my stairs, and also my furniture are all urban planning projects.”

Traduction

Luigi Caccia Dominioni, maître du Design Moderne Italien, est mort à l’âge de 102 ans. Il a grandement influencé le design industriel du 20ème siècle.
L’architecte et designer moderne Luigi Caccia Dominioni est mort hier à 102 ans, à quelques semaines de son 103ème anniversaire. Il était le dernier membre d’un groupe d’architectes milanais, de designers et de planificateurs ‑ dont faisaient partie Gio Ponti et Ignazio Gardella – à l’origine du Mouvement moderne Italien et qui a énormément influencé la production industrielle tout au long du 20ème siècle.
Selon Brian Kish, un chercheur et expert du 20ème siècle italien basé à Manhattan, Caccia Dominioni était au centre du progrès du design moderne. « Son design esthétique était sobre, mais aventureux et stimulant. Il était chargé d’énigmes récurrentes comme aucun autre travail architectural dans la seconde moitié du 20ème siècle. Selon moi, il a prolongé le travail d’Adolf Loos jusque dans des territoires inexplorés ».
Caccia Dominioni, diplômé de l’école Polytechnique de Milan, voyait l’architecture, l’urbanisme et le design comme des disciplines entremêlées destinées à améliorer la qualité de vie des personnes.
En 1947, aux côtés de Gardella et Corrado Corradi Dell’Acqua, il fonde Azucena, une compagnie de production artisanale à l’origine de lampes, fauteuils, poignées et d’objets design qui jouent avec des matériaux et formes innovants. Il est impossible de nommer tous les objets dont Caccia est à l’origine, mais parmi les plus notables il y a la lampe de chevet Porcino (1967), la lampe à pied Monachella (1957), la chaise Battibus (1959) et la poignée de porte San Babila (1968), conçue pour Olivari.
Parmi ses travaux architecturaux, certains bâtiments résidentiels se distinguent par leur élégance et leurs finitions, plus particulièrement le complexe résidentiel à San Felice, Segrate (1967‑75) et la tour résidentielle Via Massena, à Milan (1959‑63).
Qu’il travaille sur un espace public, un petit appartement, une lampe à pied, chaque projet possède un intérêt architectural et urbain. Comme l’affirmait Caccia : « Mes halls, mes escaliers, et même mes meubles sont tous des projets d’urbanisme ».


Texte original : FEIERSINGER MARTIN & WERNER, ITALO MODERN 1 Architecture in Northern Italy, 1946-1976, Park books Edition, 2016, pp.138-141.

Born in 1913 in Milan. Studied architecture at the Politecnico in Milan ; graduated in 1936. Dominioni teamed up with Livio and Pier Giacomo Castiglioni for the design of several competition projects, interiors, flatware services, and even radios before setting up his own office in 1945. During a period lasting some sixty years and marked by all-consuming dedication to his work, Caccia Dominioni devised, in his own words, «hundreds of projects». Presence on the building site and the painstaking implementation of his designs were more important to him than taking part in the contemporary discourse. With his designs of elegant ceramic facades he established a school of his own : the office building on Via Savona and the orphanage on Via Catatafimi mark the beginning of his use of the material. He also designed furniture, lamps and other accessories – for example, door handles – for use in his resdential work. In 1947, in order to serially produce their own designs, Caccia Dominioni, Ignazio Gardella and Corrado Corradi Dell’Acqua established the firm Azucena.

Traduction

Né en 1913 à Milan. Il étudia l’architecture à l’école Polytechnique de Milan, et en sort diplômé en 1936. Dominioni s’associe avec Livio et Pier Giacomo Castiglioni pour la conception de plusieurs projets, intérieurs, services et même radios avant de fonder sa propre firme en 1945. Durant une période d’une soixantaine d’années marquées par un dévouement sans pareil à son travail, il dessine, selon ses propres termes, des « centaines de projets ». La présence et l’implantation minutieuse de ses bâtiments furent pour lui bien plus importantes que de participer aux discours contemporains. Avec le design élégant de ses façades en céramique, il crée sa propre école : les bureaux Via Savona et l’orphelinat Via Calatafimi marquent le début de l’utilisation de ce matériau. Il dessine aussi des meubles, lampes et autres accessoires ‑ par exemple des poignées de porte – pour les utiliser dans ses projets résidentiels. En 1947, afin de produire en série leur propre design, Dominioni s’associe à Ignacio Gardella et Corrado Corradi Dell’Acqua, avec qui il fonde Azucena.


IOARCH. LIEN : http://www.ioarch.it/scompare_a_102_anni_%20luigi_caccia_dominioni-982-2.html

Avrebbe compiuto 103 anni il 7 dicembre, giorno di Sant´Ambrogio. E´ morto oggi l´architetto Luigi Caccia Dominioni, uno dei grandi protagonisti dell´architettura milanese del dopoguerra. Lo ricordiamo ripubblicando la conversazione che avevamo avuto con lui, un pomeriggio del 2005, presso il suo studio in Piazza sant’Ambrogio. Nel seminterrato di Casa Caccia Dominioni che fu anche il suo primo progetto.
Architetto, scultore, designer. Luigi Caccia Dominioni vive e lavora al 16 di piazza Sant’Ambrogio a Milano, nel palazzo di famiglia che fu anche la sua prima opera di giovane architetto. Una casa importante, nel cuore di questa città dove è nato, cresciuto e si è laureato nel 1936. Tra i suoi amici e compagni di corso c’erano i grandi nomi dell’architettura e del design come Livio e Piergiacomo Castiglioni, Marco Zanuso, e architetti che hanno raggiunto il successo in discipline diverse come Renato Castellani, Alberto Lattuada e Luigi Comencini, che sono diventati grandi registi cinematografici. La personalità – si capisce – è forte, ma è mischiata con una singolare semplicità e accostata a una gentilezza con la quale nasconde gli spigoli di un carattere molto deciso, tutt’altro che accomodante. Riceve tutti, anche senza appuntamento ; la gente entra, gli chiede consiglio e lui risponde, garbato e sbrigativo.
Vicino a lui tutto appare più semplice e più bello. Sembra che sappia distinguere immediatamente ciò che è importante da quello che non lo è, per istinto.
Il motivo del suo successo ? Fin da giovane riesce a capire i bisogni delle famiglie, i desideri delle persone, li interpreta e li realizza. Caccia Dominioni ha il senso del bello, ce l’ha dentro e lo esprime nelle cose che fa per sé e per gli altri. Per questo è tanto amato, e tanto invidiato da suscitare gelosie e polemiche, ogni volta che fa qualcosa. E di cose ne ha fatte moltissime nella sua lunga e fortunata carriera. Il tavolo appena dentro è immenso e pieno di carte, faldoni, libri. Gli ospiti vanno e vengono, parlano sottovoce per non disturbarlo e lo salutano piegandosi un pochino. Per parlare tranquilli scendiamo, una scaletta breve e sotto incontriamo un altro spazio bellissimo.
Intervista 2005 :
Architettura come medicina. Una volta era una facoltà che si sceglieva per passione. È stato così per lei ?
Sì. Ma c’è da dire una cosa, lei deve sapere che io sono nato il 7 dicembre, il giorno di Sant’Ambrogio. Io mi sentivo attratto in modo particolare dalle opere del Bernini, sono andato a vedere sui libri alla voce Bernini Gian Lorenzo e mi sono accorto che anche lui, che di scultura s’intendeva, era nato un 7 dicembre. Era scritto. Io sono nato architetto e lavoro con l’intento di far bello. Studio le case e le loro piante in modo tale che la gente dentro ci stia bene, quella è la differenza tra me e gli altri architetti. Io sono un piantista, questo è il mio mestiere e lo dico sempre! Il che significa far nascere le case dal di dentro, partendo dal letto, dal tavolo da pranzo… Dai particolari si arriva al generale, non il contrario.
Le sue case sono molto eleganti e molto personali. In Valtellina, a Montecarlo, e soprattutto qui a Milano. Dica architetto, che cosa pensa della Milano di oggi ?
Milano è un disastro in questo momento, non le sembra ? Secondo me, a mio parere. Un disastro perché le cose importanti si fanno senza quel minimo necessario discernimento. Si chiamano grandi, bravissimi architetti per poter fare delle offerte e per poter vincere dei concorsi, ma quello che conta è altro. Sarebbe di gran lunga meglio fare dei progetti molto più posati e molto più tranquilli, ma fatti conoscendo bene la città, le sue esigenze, i suoi problemi, l’ambiente, i necessari collegamenti, l’inserimento del nuovo col vecchio e comunque con quanto c’era e c’è lì da unire, collegare e far crescere insieme.
Invece…
Invece si chiamano queste grandi autorità dell’architettura, si mettono insieme un po’ come si fa per mettere assieme una équipe sia essa di calcio o di pallacanestro, ecco. Capisce… Quindi sa, siamo nel mondo di queste cose, per vendere i terreni ex‑Fiera si fa un concorso a chi offre di più. E questa a me non sembra la via migliore, il modo di risolvere i problemi. Ci vuole ben altro, occorrono capacità e cultura, tanta, tanta buona volontà e impegno.
E quando passeggia per Milano, cosa le piace ?
Quando passeggio per la città quello che mi piace è ancora la vecchia Milano, il centro che ancora ha una certa misura e una certa serietà e compostezza. Anche se quando è stata fatta la ricostruzione dopo i bombardamenti si è persa l’occasione, forse la grande occasione di fare un po’ come a Vienna, un ring di giardini tra il Naviglio e la circonvallazione. E lì fare una città con una specie di anello costellato di grattacieli, una sola semplice ma brillante idea. Che il centro rimanesse centro antico come era, attorno un ring moderno fatto di giardini e torri le più alte possibili ; oltre il ring una periferia di qualità. Che allora si poteva e si doveva fare con una Milano semi‑distrutta com’era. Insomma, una grande occasione perduta.
Non è stato fatto. E adesso…
No. Adesso niente, adesso cosa vuol che le dica, io sono vecchio ormai ho finito la mia partecipazione. Ho fatto quello che potevo. Nel mio piccolo, capisce.
Ma lei che cosa pensa dell’architettura ?
Vede, io ho un’idea mia dell’architettura, fatta come servizio, per fare case serie che nascano dall’interno, come un’automobile deve nascere dal telaio e dal motore e non dalla carrozzeria. Invece adesso si fa tutto l’inverso. Si fa la forma esterna e poi l’interno come viene viene. Insomma ecco, un modo proprio differente, un modo diverso di fare. Cioè io concepisco l’architettura come qualcosa che deve dare. Qui invece la prima cosa che si fa è la forma esterna, ci si costruisce il monumento. Comunque Milano resta una grande città, dove si sa lavorare e questa è cosa molto importante. Però è una città che rispetto a Parigi, New York, cosa vuole è come Pavia. Però, però Pavia è bella, è simpatica, piena di cose belle e importanti. E quindi tanto di cappello.
Che cosa è cambiato nella sua professione nel corso dell’ultima metà del secolo scorso ? Nel modo di lavorare ?
È cambiato che più ero giovane, più potevo contare su artigiani bravi, più ero giovane, più facevo disegni buoni, ma non bellissimi ; l’artigiano correggeva e le cose riuscivano molto belle. Adesso mi sembra di fare delle cose belle, e mi sembra che non riescano così belle, perché l’artigiano le tradisce in negativo. Comunque io ho la fortuna di trovare ancora artigiani bravi, sono vecchio, conosco tanta gente e mi appoggio a quelli bravi. Nel nostro lavoro, per raggiungere un ottimo risultato non basta essere bravi, bisogna saper costruire una buona squadra.
Il suo lavoro più bello ?
Io sono abbastanza soddisfatto dei miei lavori, nei quali alla fine trovo un po’ meno errori che in altri. Purtroppo spesso i più belli sono progetti che non si realizzano. Una casa che mi piace sempre molto è quella di piazza Carbonari, anche Ippolito Nievo è buona così come la casa di Santa Maria alla Porta e quella di via Cino del Duca. Ma i pezzi di cui mi vanto sono due chicche particolari, e cioè il piccolo collegamento tra San Fedele e la casa della Chase Manhattan e il pavimento del presbiterio della basilica di Sant’Ambrogio, che ho realizzato recentemente e che ha suscitato tante polemiche. Eppure quel pavimento non è solo bello, è straordinariamente bello.
Che opera le piacerebbe aver fatto lei ?
Tutto. Per la grande passione che ho per il mio mestiere, ma se fossi proprio costretto a scegliere, direi per esempio il San Satiro di Bramante.
Chi è Luigi Caccia Dominioni ?
Una brava persona, semplice, che cerca di lavorare bene.
Ma solo per un’élite…
Non è vero, non è assolutamente vero. Io lavoro per chi mi chiama. Anzi, più la persona è semplice e ha pochi mezzi, più io lavoro con intensità e con maggior gusto. Mi sono divertito una volta a fare degli appartamenti piccoli, che ho chiamato Appartamento Pirelli, Appartamento Agnelli, perché anche l’appartamento piccolo può e deve avere una sua classe, riuscire ad avere alte qualità pur nella piccola dimensione ed un suo tono dignitoso.
Si laurea a Milano nel 1936 e qui inizia l’attività professionale con Livio e Piergiacomo Castiglioni. Negli anni della guerra si dedica all’arredamento e al design – da ricordare i suoi apparecchi radio Phonola – attività che non abbandona e che lo porta a realizzare diversi elementi d’arredo, dalle poltrone alle posate di Alessi, alle maniglie Olivari.
Coerente continuatore della tradizione lombarda, si esprime con eccellenti risultati nell’intera gamma delle soluzioni abitative : dalla villa cittadina alla residenza di campagna, dal singolo edificio residenziale ai complessi di San Felice o di Monticello.
A Milano realizza importanti edifici in diverse zone della città : in via Carbonari, via Ippolito Nievo, via Tamburini, Santa Maria alla Porta, piazza Velasca e corso Europa, definita per un ampio tratto dai suoi sei palazzi neri. Un cenno a parte merita la fabbrica della Loro Parisini. Numerosissime le ville in Lombardia, importanti quella di Palau, in Sardegna, e la villa Stoppani in Milano. Degli anni ottanta sono il grattacielo e le case del Parc St. Roman, nel Principato di Monaco. Da ricordare la biblioteca Vanoni a Morbegno, la chiesa di San Biagio a Monza e quella di San Martino ad Arenzano, e ancora l’orfanotrofio dell’Addolorata a Milano, l’abbazia di Viboldone nel milanese e il convento agostiniano di Poschiavo, in Engadina.
Impossibile riassumere in poche righe tanti anni di attività, ma non possiamo dimenticare il rifacimento della Pinacoteca Ambrosiana, di parte del museo Poldi Pezzoli, del teatro dei Filodrammatici fino alla recente sistemazione di piazza San Babila, con la nuova Fontana e i collegamenti in quota della Fiera di Milano.
L´Ordine degli architetti di Milano ha dedicato uno dei suoi itinerari di architettura alle opere di Luigi Caccia Dominioni.

Traduction

Il aurait eu 103 ans le 7 décembre, jour de la Saint‑Ambroise. L’architecte Luigi Caccia Dominioni, l’un des grands protagonistes de l’architecture milanaise d’après‑guerre, est décédé aujourd’hui. Nous lui rendons hommage en re-publiant la conversation que nous avions eue avec lui, un après‑midi de 2005, dans son atelier à Piazza Sant’Ambrogio, dans le sous‑ sol de la Casa Caccia Dominioni, qui fut son premier projet.
Architecte, sculpteur, designer. Luigi Caccia Dominioni vivait et travaillait au 16 Piazza Sant’Ambrogio à Milan, dans le palais familial qui fut aussi sa première œuvre en tant que jeune architecte. Une importante maison au coeur de cette ville où il est né, a grandi et obtenu son diplôme en 1936. Parmi ses amis et camarades de classe figuraient de grands noms de l’architecture et du design comme Livio et Piergiacomo Castiglioni, Marco Zanuso, et des architectes qui ont réussi dans différentes disciplines telles que Renato Castellani, Alberto Lattuada et Luigi Comencini, qui sont devenus de grands réalisateurs. Sa personnalité ‑ on pouvait l’entendre ‑ était forte, mais mêlée à une simplicité singulière et doublée d’une gentillesse avec laquelle il cachait les traits d’un caractère très décisif, loin d’être accommodant. Il recevait tout le monde, même sans rendez‑vous; les gens entraient, demandaient conseil, il répondait, avec politesse et concision.
Près de lui tout avait l’air plus simple et plus beau. Il semblait qu’il puisse immédiatement distinguer ce qui était important de ce qui ne l’était pas, instinctivement.
La raison de son succès ? Jeune homme, il comprenait les besoins des familles, les désirs des gens, les interprétait et les réalisait. Caccia Dominioni avait le sens de la beauté. Il l’avait à l’intérieur de soi et l’exprimait dans les choses qu’il faisait pour lui-même et pour les autres. C’est pour cela qu’il était tant aimé, et qu’il suscitait de la jalousie et provoquait des polémiques chaque fois qu’il faisait quelque chose. Et il a fait de nombreuses choses durant sa longue et chanceuse carrière. Son bureau était immense et plein de papiers, de dossiers et de livres. Les invités allaient et venaient, parlaient doucement pour ne pas le déranger et le saluaient en s’inclinant légèrement. Pour parler tranquillement, nous avions descendu une courte échelle et en bas, avions rencontré un espace magnifique.
Entrevue de 2005 :
Architecture autant que Médecine. Autrefois, ces disciplines se choisissaient par passion. Était-ce ainsi pour vous?
Oui, mais il y a une chose à dire, vous devez savoir que je suis né le 7 décembre, jour de la Saint‑ Ambroise. Je me sentais particulièrement attiré par les œuvres du Bernin, je suis allé voir dans les livres, cherchant Bernini Gian Lorenzo et je me suis aperçu que, lui aussi, qui s’y connaissait en sculpture, est né un 7 décembre. C’était écrit. Je suis né architecte et je travaille avec l’intention de faire la beauté. J’étudie les maisons et leurs plans pour que les gens s’y sentent bien à l’intérieur, c’est la différence entre moi et les autres architectes. Je suis un ‘‘planiste’’, c’est mon travail et je le dis toujours! Ce qui signifie donner naissance aux maisons de l’intérieur, à partir du lit, de la table à manger … Partir des détails pour arriver au général, et non l’inverse.
Vos maisons sont très élégantes et très personnelles. En Valtellina, à Monaco, et surtout ici à Milan. Dites Monsieur l’architecte, que pensez‑vous de Milan aujourd’hui ?
Milan est une catastrophe en ce moment, n’est‑ce pas ? À mon avis, il s’agit d’un désastre parce que des choses importantes sont faites sans ce discernement qui est le minimum nécessaire. Ils se disent grands, très bons architectes pour être en mesure de faire des offres et de gagner des concours, mais ce qui compte vraiment est ailleurs. Il serait mieux de faire des projets beaucoup plus décontractés et plus calmes, en connaissant la ville, ses besoins, ses problèmes, l’environnement, les connexions nécessaires, l’inclusion du nouveau avec l’ancien ou en tout cas avec ce qu’il y a et avait pour se joindre, se connecter et grandir ensemble.
Au lieu de cela …
Au contraire, on appelle ces grandes autorités d’architecture, on les met ensemble un peu comme on pourrait mettre en place une équipe que ce soit de football ou de basket‑ball, et voilà. Vous comprenez … Donc, vous savez, nous sommes dans le monde de ces choses. Pour vendre des terrains de l’ancienne foire on établit un concours pour le plus offrant. Et cela ne me semble pas la meilleure façon de résoudre les problèmes. Il faut bien autre chose : capacités et culture sont nécessaires, autant qu’énormément de bonne volonté et d’engagement.
Et quand vous vous promenez dans Milan, qu’aimez‑ vous ?
Quand je me promène dans la ville j’aime toujours autant le vieux Milan, le centre qui a encore une certaine mesure et du sérieux, une composition. Bien que lorsque la reconstruction fut faite après les bombardements, l’occasion (peut‑être la grande opportunité) ait été manquée pour faire un peu comme à Vienne, un anneau de jardins entre le Naviglio et la périphérie. Et faire là une ville avec une sorte d’anneau constellé de gratte‑ciels, une idée simple mais brillante. Que le centre resterait ancien comme il l’a toujours été, autour, une ceinture moderne faite de jardins et des plus hautes tours possibles ; au-delà de l’anneau une banlieue de qualité. Cela aurait alors pu et aurait dû être fait à partir du Milan semi-détruit tel qu’il était. En bref, une grande opportunité perdue.
Cela n’a pas été fait. Et maintenant …
Non. Maintenant rien, maintenant que voulez‑vous que je vous dise, je suis vieux désormais, j’ai fini ma participation. J’ai fait ce que je pouvais. A mon échelle, vous comprenez.
Mais que pensez‑vous de l’architecture ?
Vous voyez, j’ai ma propre idée de l’architecture, en tant que service, pour faire des maisons sérieuses qui naissent de l’intérieur, car une voiture doit naître du châssis et du moteur, pas de la carrosserie. Au lieu de cela, maintenant on fait l’inverse. On fait la forme extérieure et ensuite l’intérieur comme il vient. En bref, voici une manière très différente, une autre façon de faire. Autrement dit, je conçois l’architecture comme quelque chose qui doit donner. Ici, cependant, la première chose à être faite est la forme extérieure, le monument est construit. Quoi qu’il en soit, Milan reste une grande ville où l’on peut travailler et c’est très important. Mais c’est une ville qui par rapport à Paris, New York, ce qu’elle veut, c’est être comme Pavie. Mais, Pavie est belle, sympathique, pleine de choses belles et importantes. Soit… chapeau.
Qu’est‑ce qui a changé dans votre profession au cours de la dernière moitié du siècle passé ? Dans la façon de travailler ?
Plus j’étais jeune, plus je pouvais compter sur de bons artisans ; plus j’étais jeune, plus je faisais de bons dessins mais pas très beaux ; l’artisan corrigeait et les choses ressortaient très belles. Maintenant, il me semble que je fais de belles choses, et qu’elles ne sortent pas si belles, parce que l’artisan l’a traduite de manière négative. En tout cas, j’ai la chance de trouver de bons artisans, je suis vieux, je connais tellement de monde, et je soutiens les bons. Dans notre travail, pour atteindre un bon résultat il ne suffit pas d’être bon, il faut savoir construire une bonne équipe.
Votre plus belle oeuvre ?
Je suis assez satisfait de mes travaux, dans lesquels je trouve un peu moins d’erreurs que dans d’autres. Malheureusement, souvent les plus beaux sont des projets qui ne sont pas réalisés. Une maison que j’aime toujours autant est celle de Piazza Carbonari, même celle d’Ippolito Nievo est bonne ainsi que la maison de Santa Maria alla Porta et celle de via Cino del Duca. Mais les oeuvres qui me rendent fier sont deux pépites, à savoir la petite connexion entre San Fedele et la maison de Chase Manhattan et le sol du presbytère de la basilique Sant’Ambrogio, que j’ai récemment réalisé qui a suscité beaucoup de controverses. Pourtant, ce sol n’est pas seulement beau, il est extraordinairement beau.
Quelle oeuvre auriez‑vous aimé avoir réalisé ?
Tout. Pour ma passion pour mon travail, mais si j’étais vraiment forcé de choisir, je dirais, par exemple, le San Satiro de Bramante.
Qui est Luigi Caccia Domnioni ?
Une bonne personne, simple, essayant de bien travailler.
Mais seulement pour une élite …
Ce n’est pas vrai, ce n’est absolument pas vrai. Je travaille pour ceux qui m’appellent. Au contraire, plus la personne est simple et a peu de moyens, plus je travaille avec intensité et goût. Une fois, je me suis amusé à faire des petits appartements, que j’ai appelés Appartement Pirelli, Appartement Agnelli, parce que même le plus petit appartement peut et doit avoir sa propre classe, sa dignité et être en mesure d’avoir une excellente qualité malgré la petite taille.
Luigi Caccia Dominioni est diplômé à Milan en 1936 et commence son activité professionnelle avec Livio et Piergiacomo Castiglioni. Pendant les années de guerre, il se dédie à l’aménagement et au design – rappelons sa radio Phonola – activités qu’il n’abandonne pas et qui le conduit à réaliser plusieurs meubles, chaises, jusqu’aux couverts Alessi et les poignées Olivari.
Perpétuant la tradition lombarde, il s’exprime avec d’excellents résultats dans la gamme complète des solutions d’habiter : de la maison de ville à la maison de campagne, du complexe résidentiel unique à la construction San Felice ou Monticello.
A Milan, il réalise des bâtiments importants dans les différents quartiers de la ville : Via Carbonari, Via Ippolito Nievo, Via Tamburini, Santa Maria alla Porta, la Piazza Velasca et Corso Europa, marqué par ses six palais noirs. L’usine de Loro Parisini mérite également une attention particulière. Ses villas en Lombardie sont nombreuses, d’autres très importantes sont celles de Palau en Sardaigne, et la villa Stoppani à Milan. Dans les années 1980, il réalise le gratte‑ciel et les maisons du Parc St. Roman, dans la Principauté de Monaco. Sans oublier la bibliothèque Vanoni à Morbegno, l’église de San Biagio à Monza et celle à San Martino à Arenzano, ainsi que l’orphelinat Addolorata à Milan, l’abbaye Viboldone à Milan et un couvent des Augustins à Poschiavo, Engadin .
Il est impossible de résumer en quelques lignes les nombreuses années d’activité, mais nous ne pouvons pas oublier la rénovation de la Pinacoteca Ambrosiana, la partie du Musée Poldi Pezzoli, du théâtre Filodrammatici jusqu’à la restructuration récente de la place San Babila, avec la nouvelle fontaine et les liens à la Fiera de Milan.
L’Ordre des architectes de Milan a consacré un de ses itinéraires architecturaux aux œuvres de Luigi Caccia Dominioni.


Texte original : FSTYLEPARK. LIEN : https://www.stylepark.com/en/news/luigi-caccia-dominioni-and-the-house-as-a-bespoke-suit

«A serious architect who wants to create good architecture must start from the inside, not the outside. The arrangement of the individual furnishings and fittings determines the partitioning of the living space and therefore also dictates the placement of doors and windows. All this together shapes the apartments, and the sum of the apartments shapes the building. The facade basically has to adapt around the various floor plans from which it is constituted.» This statement not only describes Dominioni’s deeply humanistic character, but also underlines the fact that his approach distances itself from any kind of prefabricated, formal solution and, which is far more crucial, that it moves beyond all «ideological agendas». Dominioni identifies strongly with the requirements of the users, which is why he also designs a house as a «bespoke suit». Caccia Dominioni’s approach seems to produce a dense and inexhaustible promenade of different living arrangements. His work belongs to the Modern Age, yet he is also able to listen to history. He does not attempt to push through a revival or to emulate individual styles. On the one hand his architecture may appear to be the product of his work as a branch outsider, yet on the other it is precisely because of its uniqueness that it sets new precedents.
It should therefore come as no surprise that Luigi Caccia Dominioni’s work also been of seminal influence in the area of interior furnishings. For instance, his unsurpassable «Catalina» armchair from 1958 provides a groundbreaking treatment for metal structures with its three metal rods and flat, curved metal strips, one of which twists like a piece of fabric to form an elegant backrest – an approach that Tobia Scarpa also experimented with in 1960 with his «Vanessa» bed. Similarly, the building by architects Antonio Citterio and Patricia Viel in Brera, which is now home to the Bulgari hotel, was doubtless influenced by the reception of the perfect composition of the «Casa Caccia Dominioni» on Piazza Sant’Ambrogio 16 in Milan, since it evidently copies its rhythm and curves. The later was the first architectural project on an urban scale by the then thirty‑year‑old Caccia in the city centre. Furthermore, the architectural theory of architect Cino Zucchi is an academic homage to the «Caccia Style» and makes reference to features such as the seductive irregularities and brown hues of the building facades on Via Nievo (1956) and Piazza Carbonari (1960). And the recently built houses and apartments on Portello seem to bring to life a completely new quality of Milanese residential architecture.
Without a doubt, the entire work of Luigi Caccia Dominioni is based on the principle of synthesis. The design of the furnishings and fittings is always in close harmony with the structure of the interior. Thus, for example, the mosaics by Francesco Somaini are an integral component of the overall composition of the building, which is seen as a complex organism. Caccia has explained on several occasions that he primarily sees himself someone who designs whole complexes. The draft of the plan, which in his logic follows the movements of people, gives rise to considerations that are channelled into the facade design. A further spin‑off of this process are ideas for the design of objects, furnishings, accessories, lamps, handles and doors – designs that received the Compasso d’Oro award in 1985. Such ideas embrace a permanent exchange between the private and public spheres. These two areas are both tackled with equal intensity, whereby particular attention is given to the spatial quality of the axes and transitions, to corridors in private apartments, to public galleries in large buildings, to stairways and linking elements. One example of the latter is the link, built in 1968‑70, between the San Fedele church and the Chase Manhattan Bank of the BBPR in the centre of Milan – which is pure genius.
The stairs in Caccia’s buildings not only function as a more or less natural, vertical partitioning element, but also act as the central hub – usually in an oval or elliptical form – around which the entire architectural organism is designed. «Yes, I think people essentially move in meandering lines,» states Caccia, adding : «They don’t go back and forth in straight lines like a shuttle, but move in circular, oval or meandering lines.» This form of human movement forms the matrix for Caccia’s architectural designs.
Since his career began after graduating in 1936, Luigi Caccia Dominioni has often been involved in object design – an involvement that was sometimes due to the objective conditions of his surroundings and sometimes to the possibilities for work that arose. Such objects include the famous «Phonola 548» transistor radio which he co-designed with brothers Livio and Pier Giacomo Castigioni with whom he shared a studio for several years. Due to its semantic intensity and many new elements, this radio is seen today as one of the fist significant objects of Italian Design.
When designing the «Phonola 548», Luigi Caccia Dominioni replaced the traditional housing for the bedside table with a newly shaped solution expressing «connection and congruity between content and container.» As Giuseppe Pagano approvingly notes, this laid «the foundation for the functionally designed object.» Yet the product range of «functional items of furniture» possibly did not go far enough for Caccia. To meet the demand for the furniture and products he designed and restored, he teamed up with Ignazio Gardella, Corrado Corradi Dell’Acqua, Maria Teresa and Franca Tosi in 1947 to co‑found Italy’s first business for the production and sale of objects and items of furniture : Azucena.

The Italian company Azucena was not so much a range of modern furniture with avant-garde appeal than an assortment of isolated design items that emerged after a long design phase and were intended to furnish the interiors of the new buildings. It was only in a second phase that the collection was wrought into a modern range of furnishings, that – fifty years on – now certainly has to be seen as an important chapter of Italian design history. It is immediately apparent from the collection that it had more than one root and was almost always designed around some concept of architectural space.
Experimentation, elegance, scale, essential nature and inventiveness : these concepts characterise the items that Azucena designed – always working towards an interior design concept to which the items relate in terms of their conceptual and objective intensity. «Azucena», states Marco Romanelli, «is a symbol for a certain type of project development which is characteristic of improved, Italian design – a project development which is always rooted in the dimension of interior design or understands this as its core. It is a control possibility and a fantasy which simultaneously lead from the environment to the object and from the object to the environment.»
Caccia has designed more than two hundred and forty objects, which, even though they may have been produced for specific purposes and made to deadlines as parts of individual projects, were always intended for reproduction and mass production. Although he likes to describe himself as «Baroque» – qualifying this as being «in the sense that Baroque is in its own way the most rigorous, the strongest and the most urban of all styles, and even motorway junctions and vortices in rivers are Baroque by their very nature, and look how beautiful and how functional they are» – for Luigi Caccia Dominioni design is primarily characterised by simplicity. «Everything that is not absolutely necessary must be stripped away and the object must be reduced to its bare essentials. It is therefore about designing the object so that it is suited to its intended purpose and only then, perhaps, adding anything ; but within limits please.»

Traduction

« Un architecte sérieux qui veut créer une bonne architecture doit commencer par l’intérieur, non par l’extérieur. L’arrangement des meubles détermine la partition de l’espace et par conséquent le positionnement des fenêtres et portes. Tout cela modèle l’appartement, et la somme des appartements crée le bâtiment. La façade doit simplement s’adapter aux variations des plans de chaque étage qui constituent l’ensemble ». Cette affirmation non seulement décrit le caractère profondément humain de Dominioni, mais aussi souligne le fait que son approche se distancie de toutes formes de solutions formelles, préfabriquées et, ce qui est bien plus crucial, qu’elle dépasse les « programmes idéologiques ». Dominioni s’identifie fortement aux besoins de l’occupant, ce qui fait qu’il dessine les foyers comme « une suite sur mesure ». L’approche de Dominioni parait produire un cheminement inépuisable et dense entre plusieurs manières de vivre l’espace. Son travail appartient à l’Age Moderne, bien qu’il reste capable d’avoir un regard rétrospectif. Il ne cherche pas non plus à pousser les réminiscences ou imiter des styles individuels. D’une part son travail peut apparaître comme marginal, mais d’autre part, c’est justement parce qu’il est unique qu’il pose des bases nouvelles.
C’est donc sans surprise que le travail de Dominioni fut fondateur dans le domaine de l’aménagement d’intérieur. Par exemple, son inimitable fauteuil « Catalina » de 1958 montre un travail avant-gardiste, une structure en métal avec trois baguettes de métal et des lignes plates, incurvées de métal, dont une se plie élégamment pour former une assise – une approche que Tobia Scarpa a aussi tenté en 1960 avec son lit « Vanessa ». De la même manière, le bâtiment de Antonio Citerrio et Patricia Viel à Brera, qui est maintenant le siège de l’hôtel Bulgari, a été sans aucun doute possiblement influencé par « La maison Caccia Dominioni » sur la Piazza Sant’Ambrogio 16, à Milan, au vu du rythme et courbes qu’il copie. Ce dernier a été le premier projet architectural an centre-ville à une échelle urbaine du trentenaire Caccia Dominioni. En outre, la théorie architecturale de Cino Zucchi est un hommage au « Style Caccia » et fait référence à des particularités de son architecture comme les séduisantes irrégularités et les teintes marron de la façade du bâtiment Via Nievo (1956) et Piazza Carbonari (1960). Les récentes maisons et appartements à Portello semblent d’ailleurs faire apparaître une toute nouvelle qualité à l’architecture résidentielle milanaise.
Sans aucun doute, tout le travail de Luigi Caccia Dominioni est basé sur le principe de synthèse. Le design des meubles et les pièces sont toujours en harmonie étroite avec la structure de l’intérieur. Ainsi, par exemple, les mosaïques de Francesco Somaini sont un élément primordial de la composition globale du bâtiment, perçu comme un organisme complexe. Caccia a expliqué de nombreuses fois qu’il se voit d’abord comme quelqu’un qui dessine des complexes dans leur entièreté. L’ébauche du plan, qui dans sa logique suit le mouvement du corps, doit se retrouver dans la façade. Ce processus est poussé pour le design de ses meubles, accessoires, lampes, poignées, portes ‑ design qui reçut en 1985 le prix Compasso d’Oro. C’est mettre en relation permanente la sphère privée et publique. Ces deux aires sont traitées avec la même intensité et une attention particulière est portée sur la qualité spatiale des axes et des seuils, corridors des appartements privés, galeries publiques dans des bâtiments, les escaliers et autres éléments liants. Un exemple est le lien entre l’église San Fedele et la Banque Chase Manhattan de BBPR au centre de Milan, construit en 1968‑70 qui relève du pur génie.

L’escalier dans l’oeuvre de Dominioni ne fonctionne pas seulement comme un élément de partition verticale plus ou moins naturelle, il est aussi le bloc central – habituellement de forme ovale ou elliptique autour duquel l’architecture vient se greffer comme un organisme sur sa colonne. « Oui, je pense que les gens bougent essentiellement selon des lignes sinueuses » affirme Caccia, ajoutant : « ils ne vont et viennent pas en ligne droite comme une navette, mais se déplacent en cercle, ovale ou ligne sinueuse ». Ces mouvements des corps constituent la matrice du design de Caccia Dominioni.
Dès le début de sa carrière, après son diplôme en 1936, Luigi Caccia Dominioni s’est impliqué dans le design d’objets – une implication due aux conditions objectives de son environnement et parfois des possibilités de travail qui surviennent, les objets tels que le transistor « Phonola 548 » qu’il a co-dessiné avec les frères Castigioni (Livio et Pier Giacomo) avec qui il partage une agence pendant plusieurs années. A cause de son « intensité sémantique » et de nouveaux éléments, cette radio est considérée aujourd’hui comme le premier objet représentatif du design Italien.
Alors qu’il dessinait le « Phonola 548 », Luigi remplaça la traditionnelle table de chevet par une nouvelle solution exprimant « la connexion et la conformité entre le contenant et le contenu ». Comme l’a souligné Giuseppe Pagano, cela est à « l’origine de l’objet design fonctionnel ». Cependant, l’étendue de la production des « objets fonctionnels d’ameublement » n’est potentiellement pas allée assez loin selon Caccia. Pour arriver à trouver une demande pour les objets et fournitures qu’il dessine, et restaure, il s’allie avec Ignazio Gardella, Corrado Corradi Dell’Acqua, Maria Teresa et Franca Tosi en 1947 pour co-fonder la première compagnie de production et de vente d’objets d’ameublement : Azucena.
La compagnie italienne Azucena n’est pas tant producteur d’une collection de meubles modernes avec une touche avant-gardiste qu’un assortiment d’objets design qui sont produits après une longue période de maturité et qui sont destinés à meubler l’intérieur des nouveaux immeubles. C’est dans un second temps que la collection finit par s’élargir vers un design moderne, lequel, maintenant, est perçu comme un important chapitre de l’histoire du design italien. On peut voir qu’il y a plus d’une seule inspiration pour la collection et qu’elle a presque toujours été dessinée à partir de la conception d’espaces architecturaux.
Expérimentation, élégance, échelle, nature intrinsèque et inventivité : ces qualités caractérisent les objets que produit Azucena – travaillant toujours un design d’intérieur selon lequel les objets sont pensés dans leur fonction et leur « intensité ». « Azucena », établit Marco Romanelli, « est un symbole pour un certain type de production qui est caractérisé par un design italien amélioré – un développement qui puise toujours dans les concepts d’aménagement intérieur ou qui le pense à partir de ses fondamentaux. C’est une possibilité de contrôle et de fantaisie qui mène simultanément l’objet à l’environnement et l’environnement à l’objet ».
Caccia a conçu plus de deux cent quarante objets, qui, même s’ils ont été dessinés dans un but précis et faits pour des projets spécifiques, ont toujours été dans l’optique d’être reproduits et pour une production de masse. Caccia Dominioni aime se définir comme « Baroque » ‑ « dans le sens où Baroque est à sa manière le plus rigoureux, le plus fort, et le plus urbain de tous les styles, mais aussi les jonctions d’autoroute et les tourbillons dans les rivières sont baroques dans leur nature même et regardez comme ils sont beaux et fonctionnels ». Le design de Luigi Caccia Dominioni est néanmoins en premier lieu caractérisé par sa simplicité, « Tout ce qui n’est pas absolument nécessaire doit être retiré, et l’objet doit être réduit à sa substantifique moelle. Il s’agit de penser l’objet pour qu’il remplisse son but et son but seulement et peut‑être, après, rajouter des choses : mais dans une certaine mesure évidemment ».


Texte original : CORE 77. LIEN : http://www.core77.com/posts/26293/design-file-005-luigi-caccia-dominioni-26293

The beauty of form is either a digression or a clarification. In the latter case—clarification—time or collective use is the shaper of form, as in the way a spoon or any quotidian object is morphed by broad utility through generations. The former case, the digressive, is when an individual journeys into an exclusive focus on the shape of a particular thing ; this is the singular task of designers, generally speaking. This is true for the deceptive simplicity of Dieter Rams as well as the material arabesques of Ettore Sottsass. To be clear, contrary to popular opinion, a designer doesn’t clarify, she/he explores. An individual can’t possibly control the unforeseen and logistical, like the cosmic economy of collectivity, so it is giving shape to the mystery of memory and preference that really informs a designer’s quarry.
In light of the above lines, the work of Luigi Caccia Dominioni is an impeccable example of what a single designer can achieve. His 70‑plus years of work have yielded buildings and objects of a deep sensitivity.
Dominioni is an architect and a designer. At university he studied under Luigi Moretti (a first‑wave Italian modernist), which seems to have been a fairly influential tutelage, as Dominioni’s architectural work has consistently been in close dialogue with this first phase of modernism. His professional life started successfully, designing objects and interiors with the Castiglioni brothers (Achille, Livio and Pier Giacomo). He is often quoted as saying that a good building is designed from the inside out, and this idea was surely the catalyst for Dominioni’s 1947 opening of Azucena, a design firm focusing on furniture and objects. From then on, Dominioni was a cornerstone of the post‑war generation of Italian architects, alongside Franco Albini, Ico Parisi, Ignacio Gardella, Osvaldo Borsani, Angelo Mangiarotti and Carlo Mollino.
When looking at Dominioni’s designs, it is important to keep in mind that European homes, unlike those in the U.S., are often older, having ornamental notes in the keys of different eras (at times classical, sometimes even ancient). And, even if a particular building is totally new, the street on which it rests typically presents an array of historical perspectives. American designers working in parallel with Dominioni (George Nelson, Charles Eames, etc.) were less confined and were often designing toward unbuilt, forward‑looking vistas. The shapes of much midcentury modernist Italian furniture, due to said architectural constraints, have a modern feel, but with accents more inclusive of a multitude of situations ; whereas much American furniture can feel of the time. Dominioni’s Monachella floor lamp (1953), Ambrosianeum chair (1955), Boccia sconce (1967) and Pipistrello desk (1998) speak to this versatility amazingly well.
There is an element of Dominioni’s work which separates him from all his peers, and which brings us back to the first inquiry of this essay : design and the expression of beauty. In an interview, Dominioni pointed to himself as «urban,» a word he explained as connecting his architecture and design to function, thinking of the city as a place of pure utility. Initially, this statement may seem to undermine what I originally said about him being digressive more than functionally inclined—but invoking functionality is a conceit of most architects and designers ; it is expected and understandable. But the practical pursuit in good design is not the same as that of, say, an engineer of fluid dynamics ; as ventured earlier, it is more mysterious, almost like the quality of being compelling. To put it another way : a good designer is not expressly working to design a chair around the problem of back fatigue, so that an employer can maximize working hours, but to design a chair as to confront our sense of Appearances. Looking at Dominioni’s work I don’t feel that it is correct, or tasteful, or intelligent, or even expressive. I see something like soft vortexes of examination—zones or dimensions of matter where potent focus has been applied. All of Dominioni’s work functions well as furniture, as interiors, or what have you—but it is his clear commitment to mastering gracefulness that sets his work apart.

Traduction

La beauté de la forme est soit une digression, soit une clarification. Dans ce dernier cas ‑ une clarification ‑ le temps et l’usage modèlent l’esthétique, de la même manière qu’une cuillère ou tout objet du quotidien s’adapte à nos besoins au fil des générations. Le cas de la forme, la digression, est celle d’un individu qui se concentre exclusivement sur la forme d’une chose en particulier : c’est la tâche d’un designer. C’est particulièrement la simplicité trompeuse de Dieter Rams ou les arabesques d’Ettore Sottsass. Pour être clair, contrairement à l’opinion générale, un designer ne clarifie rien, il/elle explore. Un individu seul ne peut pas contrôler l’invisible et la logistique comme l’économie de la collectivité, c’est plutôt la forme qu’il donne au mystère de la mémoire qui définit le métier d’un designer.
A la lumière de ce qui est dit là, le travail de Dominioni est un exemple impeccable de ce qu’un designer seul peut faire. Ses soixante-dix et plus années de travail ont produit des bâtiments et des objets d’une profonde sensibilité.
Dominioni est un architecte et un designer. A l’université, il suit l’enseignement de Luigi Moretti (un moderniste de la première génération), qui semble l’avoir influencé. Le travail architectural de Dominioni a systématiquement été en dialogue étroit avec la première période du modernisme. Son travail commence sur les chapeaux de roues, il dessine des intérieurs et des objets avec les frères Castiglioni (Achille, Livio et Pier Giacomo). On lui attribue la citation selon laquelle un bon bâtiment est dessiné depuis l’intérieur vers l’extérieur et cette idée a sûrement été un catalyseur pour la création d’Azucena par Dominioni en 1947, une firme de design, d’ameublements et d’objets. Dominioni s’est imposé comme la pierre angulaire de la génération post‑guerre d’architectes italiens, avec Franco Albini, Ico Parisi, Ignacio Gardella, Osvaldo Borsani, Angelo Mangiarotti et Carlo Mollino.
Au regard de la production de Dominioni, il est important de garder à l’esprit que les maisons européennes sont généralement plus anciennes que celles des États‑Unis. Elles ont des ornementations datant souvent de différentes périodes (parfois classiques, parfois plus anciennes) et même si un bâtiment en particulier est neuf, la rue dans laquelle il prend place présente toujours une perspective historique. Les designers américains qui travaillaient en parallèle de Dominioni (George Nelson, Charles Eames etc) étaient moins contraints et tendaient plus souvent à dessiner des choses non référencées, dans une perspective plus utopique. La forme de la plupart des meubles modernes de la moitié du siècle, à cause des restrictions architecturales, dégage une impression de moderne, mais avec des airs plus particuliers à chaque situation, tandis que les américains semblent plus dans leur temps. La lampe à pied Monachella (1953), la chaise Ambrosinaeum (1955), l’applique Boccia (1967) et le bureau Pipistrello (1998) démontrent l’adaptation du travail des italiens à la tradition.
Il y a un trait du travail de Dominioni qui le sépare de ses pairs dès ses premiers essais : celui du design comme expression de la beauté. Dans une interview, Luigi Caccia Dominioni se définit comme « Urbain », un mot qu’il explique être le lien entre son architecture et son design, en pensant la ville comme un espace de pure utilité. Initialement, cette déclaration peut sembler contradictoire avec ce que j’ai dit sur lui comme auteur digressif plus que fonctionnel – mais invoquer la fonctionnalité est une prétention de la plupart des architectes et designers ;

c’est attendu et compréhensible. Mais atteindre un bon design ce n’est pas, disons‑le, le travail d’un ingénieur fluide. C’est plus mystérieux, une qualité d’être convainquante. Pour le dire de manière différente : un bon designer ne travaille pas expressément à son design en fonction des problèmes de fatigue, qu’un employé puisse maximiser ses heures de travail, mais travaille à un design qui confronte notre sens des Apparences. Parlant du travail de Dominioni, je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il soit correct, ou de bon goût, ou intelligent, ou même expressif. Je vois quelque chose de révélateur – une dimension conceptuelle sur laquelle il s’implique. Tout le travail de Dominioni fonctionne comme ameublement, aménagement d’intérieurs, ou ce que vous voulez, mais c’est sa dévotion à chercher la grâce qui place son travail à part.


IL SENSO DI CACCIA PER L’ABITARE • LE SENS DE L’HABITER DE CACCIA

Texte original : L’ARCHITETTO. LIEN : http://magazine.larchitettoarchiworld.awn.it/magazine/gennaio-2014/gli-argomenti/attualita/il-senso-di-caccia-per-l-abitare-.html

Luigi Caccia Dominioni ha compiuto cento anni lo scorso dicembre. La sua poetica progettuale è estremamente attuale e supera gli schemi spesso usati per definirlo.
Come non rendere omaggio a un grande maestro dell’architettura italiana in occasione del suo compleanno (il centesimo), testimone involontario di un secolo di storia e protagonista partecipe, moderno e disinvolto di settant’anni di cultura architettonica ? E, oggi più che mai, riferimento dichiarato per i complessi percorsi progettuali di alcune raffinate voci del panorama internazionale.
Il lavoro di Luigi Caccia Dominioni, riletto alla luce della ricerca contemporanea, incarna, infatti, una dicotomia di valori che, se un tempo lo avevano relegato a protagonista del territorio e della cultura lombarda, ora finalmente lo proiettano, e a ragione, nel dibattito contempoaneo tout court. Il suo costante essere in bilico tra tradizione e modernità – frase nel suo caso quasi meccanicamente abusata – sembra finalmente assumere dei connotati che vanno ben oltre lo slogan, sia nelle sue architetture fatte anche di sperimentazione sulla pelle in un dialogo costante con la città sia nei suoi pezzi di design che hanno sfiorato persino il post‑modern con elegante ironia. Riconoscergli dunque quel superamento dei diktat razionalisti a favore di una ricerca tutta personale, in cui il valore dell’involucro e della pelle assumesse la medesima importanza della distribuzione interna e dei flussi dei suoi edifici, è fatto di estrema attualità, proprio di una ricerca che appartiene alle ultime generazioni di progettisti.

Il suo essere “piantista” come spesso ama ripetere, con un vocabolo inesistente in italiano ma che così bene rende il senso della sua concezione spaziale e relazionale, in parte lo avvicina al raumplan di Adolf Loos o alle trame alla Wright, in parte lo proietta però nell’universo dell’urban design più all’avanguardia. Ha dichiarato : “Io sono un ‘piantista’ : nel senso che sulla pianta ci sono, ci muoio, sia che si tratti di un palazzo per uffici che di un appartamento di sessanta metri quadri […] Sono architetto sino in fondo e trovo l’urbanistica ovunque […] In realtà l’appartamento è una microcittà, con i suoi percorsi, i suoi vincoli, gli spazi sociali e quelli privati. Mi sono sempre appassionato agli spazi piccoli e ho sempre dato l’anima per farli sembrare più grandi, ad esempio allungando i percorsi, contrariamente a una certa tendenza che tende a ridurli. L’ingresso diretto in soggiorno non lo amo perché non riserva sorprese, mentre il compito dell’architetto, io credo, è anche quello di suscitare un succedersi di emozioni […] I miei ingressi, le mie scale, persino i mobili sono soluzioni urbanistiche”.
Così la sua impronta di architetto‑urbanista Caccia inizia a lasciarla già con la casa di famiglia in piazza Sant’Ambrogio (1947‑50), scura, tripartita, moderna ed elegante pronta a dialogare, senza timore alcuno, con l’antistante monumento simbolo della città. Prosegue poi senza esitazione nel primo dei condomini di via Nievo (1955), iconico parallelepipedo azzurro acqua marina ritagliato dall’irregolarità di finestrature e bow‑window in metallo scuro e alluminio che dichiarano la variazione del taglio degli appartamenti. Nella casa di via Massena (1958‑63) dialoga con il verde e con la città attraverso le due facce complici e contrapposte : l’una, verso strada, più introspettiva e rivestita in clinker poligonale marrone, l’altra, in intonaco, aperta con le vetrate verticali e i ballatoi continui sul giardino. E poi ancora clinker marron glacé, come lo definisce lo stesso architetto, e sperimentazione sul rivestimento (come anche nella sede dell’ormai snaturata Loro Parisini 1951‑53) e sulla distribuzione degli appartamenti, anche duplex, in una serie di condomini che vanno dal secondo intervento in via Nievo a quello di via Tiziano, passando per l’emblematico e irregolare volume poliedrico di piazza Carbonari (1960-61) che segna forse il culmine di questo filone residenziale.
Un linguaggio che diventa nel tempo ‘stile’ da emulare, modus operandi per i costruttori e i professionisti del boom economico che, impegnati nei numeri, non ne coglieranno però il più delle volte lo spirito e la qualità. Ma la mappatura delle opere di Caccia non si esurisce con il tema del clinker, nel cuore storico della città si affacciano, senza irruenza ma con elegante riconoscibilità, i nuovi fronti dagli intonaci rossi intensi e marroni, dagli archi ribassati che segnano gli accessi o dalle finestre strombate. È così nella villa bifamiliare in via XX Settembre (1958‑64) o nel bellissimo e inusuale edificio di via Vigoni (1959), in corso Monforte 9 (1963‑64), in Santa Maria alla Porta, nel sorprendente raccordo tra la chiesa di San Fedele e la Chase Manhattan Bank dei BBPR in piazza Meda (1969‑70), nel complesso in più fasi di corso Italia e in casa Pirelli in via dei Chiostri a poca distanza da un altro intervento dei BBPR su via Pontaccio‑Ancona. Nuove architetture che ci riportano in un istante alla storia e alla contemporaneità.
La passione mai celata, poi, di Caccia Dominioni per il disegno del verde e la relazione costante con il paesaggio attraverso il ritagliare vedute e punti di vista, non possono che considerarsi altri elementi di una sensibilità tutta contemporanea dell’abitare. Il contrasto costante tra l’essenzialità di certi suoi segni e il lusso ‘aristocratico’ di altri, ci riporta ai giochi d’equilibrio di tanti lavori di Jean Nouvel o di Herzog & de Meuron e lo fa essere, oggi più che mai, figura di riferimento per importanti progettisti contemporanei, tra i quali Cino Zucchi che non ha mai celato la sua passione indiscutibile per il maestro milanese nei cui spazi ha avuto la fortuna di crescere (gli Zucchi sono stati suoi committenti in più occasione).
Certo, poi, la cura quasi maniacale per il dettaglio e per il valore dell’artigianato dei lavori di Caccia ci riportano bruscamente agli anni eroici, e in questo senso unici, del dopoguerra, quelli che lo videro protagonista di una ripresa insperata tutta italiana, e lombarda in particolare, assieme agli altri ‘baroni rampanti’ dell’architettura : come Vico Magistretti, Ignazio Gardella, i BBPR e Marco Zanuso e con loro certamente anche gli Asnago e Vender, Latis, Freyrie, Soncini, Minoletti, Malchiodi e altri ancora. Costoro, con le loro opere, fecero gridare allo scandalo il noto critico Reyner Banham – sulle pagine di Architectural Review scrisse “The Italian retreat to liberty” – e l’intero mondo anglosassone che, al tempo, si schierava in difesa dei valori del Movimento Moderno in decisa contrapposizione con la ‘pericolosa’ ripresa di certi elementi della tradizione e della storia che, invece, nelle visioni dei progettisti italiani conduceva a una umanizzazione dell’architettura (e dell’urbanistica). Tema questo che, assieme a quello del genius loci di cui Alvar Aalto era stato emblematico interprete, dominerà gli ultimi CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne) e che, in un certo senso, ne decreterà anche la fine con l’imporsi della generazione del Team 10 (dagli Smithson a De Carlo, da Candilis a Erskine) che proprio dei valori di partecipazione e di umanizzazione faranno la propria bandiera.
Dunque, come si diceva, una sensibilità al disegno urbano che contraddistingue la folta costellazione di edifici di Caccia Dominioni, residenziali e non, tutti pensati per contribuire alla costruzione di una Milano Moderna secondo una visione che non era esclusiva del grande architetto, ma di una intera generazione. Va infatti ricercato un clima culturale, quello ad esempio che ruotava intorno all’MSA (Movimento Studi Architettura) e le relazioni tra i protagonisti di quei momenti – i compagni di strada con cui Caccia ebbe relazioni di stima, talvolta distanti e, in rari casi, più ravvicinate – per comprendere al meglio la sfaccettata personalità di questo raffinato e mai scontato progettista. Egli, del resto, esordisce appena laureato nel 1936 aprendo un proprio studio con Livio e Piergiacomo Castiglioni (i due fuoriclasse, fratelli maggiori di Achille), dedicandosi all’edilizia industriale, a concorsi e ad alcuni allestimenti per la Triennale. Frequenta assiduamente Gardella con il quale, pur non condividendo incarichi di architettura, sebbene accomunati da posizioni ed elementi di fascinazione derivati dal proprio retaggio culturale e sociale, trova come campo di confronto quello del design. Fondano, infatti, nel 1947 (con Corrado Corradi dell’Acqua) la società Azucena, ancora oggi elegante marchio, che produrrà pezzi indimenticabili dell’uno e dell’altro, come la poltrona Catilina e il divano Sant’Ambrogio di Caccia o le lampade‑appliques LP5 di Gardella.
Ma è con Magistretti, cui fu legato da stima reciproca e riservata amicizia, che nel tempo ha condiviso una serie di occasioni progettuali. Incarichi in cui ciascuno ritaglierà il proprio spazio autoriale in assoluta indipendenza, ma sempre in una visione unitaria, oppure casualmente ‘ravvicinati’. Come accade ad esempio a partire dal 1953, quando si ritrovano, l’uno accanto all’altro, a realizzare per committenti diversi un’interpretazione tutta personale del tema dell’edificio per uffici in courtain wall nel cuore della città, a due passi da piazza San Babila, in corso Europa. Qui sorgeranno i due intensi ‘armigeri neri’ di Caccia Dominioni (e nei decenni successivi ben altri due interventi), con i loro fronti vetrati e raccordati dalla lunga pensilina che corre su strada : adiacenti all’appena concluso, più contenuto ma altrettanto raffinato, progetto di Magistretti dalla stretta facciata disegnata da pannelli ciechi e trasparenti in base alle necessità arredative interne. Lavorano assieme, convocati dall’estro pragmatico e visionario di una donna imprenditrice come Anna Bonomi Bolchini, nel forse troppo precoce progetto per Milano San Felice (1966‑69), quando la buona borghesia giusto intravedeva nelle residenze extra-moenia una possibile alternativa a una metropoli che iniziava a essere caotica e controversa. Qui Magistretti realizzerà le torri extra urbane, mentre Caccia si dedicherà alle residenze a schiera e unifamiliari e al verde ; insieme, invece, studieranno il masterplan generale e i servizi comuni. Un progetto di riferimento, questo di San Felice, che farà da apripista alla lunga schiera di quartieri borghesi cresciuti intorno a Milano a partire dalla fine degli anni Settanta (compresi i berlusconiani Milano 2 e 3).
Con Vittore Ceretti, ingegnere e amico da poco scomparso, infine, la condivisione sarà poi sia su progetti residenziali milanesi – come quello per il complesso di via Monterosa – sia su interventi engadinesi come avvenne a Celerina. A tale proposito va aperta una breve parentesi sul legame di Caccia con la Svizzera e i Grigioni in particolare, luogo di vacanza per la sua famiglia, paesaggio e tradizione architettonica antica e montana da cui certamente il grande progettista ha tratto evidente ispirazione per i propri progetti, anche quelli urbani. Sarebbe un errore pensare che nelle strombature delle finestre di casa Pirelli, della casa di via XX Settembre o di quella in corso Monforte, nello spessore murario di molte delle sue opere, come la bellissima biblioteca Vanoni a Morbegno, ritorni esclusivamante la medievalità milanese : gli echi sono anche la colorazione intensa delle abitazioni ci riporta allo stile di Caccia, anche se, come lui stesso ha dichiarato lo scorso 6 dicembre sul Corriere della Sera, “Non lo chiamerei uno stile. Piuttosto, un modo di fare. Qualcosa che s’inserisce di volta in volta nell’ambiente, usando materiali sempre vicini alle caratteristiche del luogo”.

Traduction

Luigi Caccia Dominioni a fêté son centième anniversaire en décembre dernier. La poésie de son architecture est actuelle et dépasse les modèles souvent convoqués pour le définir.
Comment ne pas rendre hommage à un grand maître italien de l’architecture à l’occasion de son anniversaire (le centième), témoin d’un siècle d’histoire et protagoniste important, moderne et désinvolte de soixante‑dix ans de culture architecturale ? Aujourd’hui plus que jamais, il est une référence explicite par son parcours sur la scène internationale.
Aux yeux de la recherche contemporaine, le travail de Luigi Caccia Dominioni incarne, en fait, une dichotomie de valeurs. Une première l’avait relégué à la place de protagoniste du territoire et de la culture lombarde. Une seconde, et à juste titre, le place dans le débat contemporain tout court. Le fait qu’il soit constamment en équilibre entre tradition et modernité ‑ stéréotype à son sujet ‑ semble enfin prendre des traits qui vont bien au‑delà du slogan, tant dans son architecture expérimentale couplée à un dialogue constant avec la ville, tout autant dans ses oeuvres de design qui vont jusqu’à toucher le post-moderne avec une élégante ironie. Reconnaître en lui ce dépassement des diktats rationalistes en faveur d’une recherche personnelle, dans laquelle la valeur de l’enveloppe et de la peau assume l’importance accordée à la distribution interne et flux dans ses bâtiments, fait de son travail une oeuvre totalement actuelle. Une recherche qui appartient aux dernières générations de concepteurs.
Le fait d’être « planiste » comme il aime souvent dire, un mot inexistant en italien (ni en français) décrit bien le sens du concept spatial et relationnel. D’une part, ceci le rapproche au Raumplan d’Adolf Loos ou aux trames à la Wright et d’autre part, le propulse dans l’univers de l’innovation tant urbaine que de design. Il déclare: « Je suis un ‘‘planiste’’ dans le sens que je vis en plan, je meurs en plan, que ce soit un immeuble de bureaux ou un appartement de soixante mètres carrés […] Je suis architecte jusqu’au bout et perçois l’urbain partout […] En fait, l’appartement est une micro‑ville, avec ses chemins, ses ruelles, des espaces communs et privés. Je me suis toujours intéressé aux petits espaces et je leur ai toujours donné du sang pour les faire paraître plus gros, par exemple en allongeant les parcours, contrairement à une certaine tendance qui tend à les réduire. L’entrée directe dans le salon ne me plait pas parce qu’elle ne réserve aucune surprise, alors que la tâche de l’architecte, je crois, est de susciter une succession d’émotions […] Mes entrées, mes escaliers, même mes meubles sont des solutions urbaines ».
Ainsi, Caccia commence par déposer sa pâte d’architecte-urbaniste avec sa maison de famille sur la Piazza Sant’Ambrogio (1947‑1950), sobre, tripartite, moderne et élégante, prête au dialogue, sans crainte aucune, avec le front monument symbolique de la ville. Elle se poursuit sans hésitation avec son premier édifice Via Nievo (1955), parallélépipède iconique, couleur bleu marine, découpé par l’irrégularité des fenêtres et bow-windows en métal noir et aluminium qui permettent de lire la variation des dispositions des appartements. Le bâtiment Via Massena (1958-1963) communique avec le parc et avec la ville ; deux façades opposées mais complices : l’une sur la route, plus introvertie et couverte de tomettes hexagonales en céramique brune, l’autre, enduite, ouverte avec des fenêtres verticales en verre et des balcons continus donnant sur le jardin. Il expérimente plusieurs fois le ‘‘Clinker marron glacé’’ tel qu’il le définit, comme par exemple sur le revêtement du siège de Loro Parisini (1951‑1953) et sur certaines distributions d’appartements, des fois en duplex, dans une série de bâtiments allant de Via Nievo jusqu’à Via Tiziano, en passant par le volume emblématique et irrégulier de la Piazza Carbonari (1960‑1961), qui marque peut‑ être le point culminant de cette série résidentielle.
Une écriture qui devient dans le temps un «style» à imiter, un modus operandi pour les constructeurs et les professionnels du boom économique lesquels, occupés par les chiffres, n’en relèveront cependant la plupart des fois ni l’esprit, ni la qualité. Mais la suite des œuvres de Caccia ne s’épuise pas avec le thème de la céramique. Sans extravagance mais avec reconnaissable élégance, dans le centre historique de la ville, apparaissent de nouvelles façades enduites en rouge intense ou en marron, aux arcs surbaissés qui marquent les entrées ou aux fenêtres évasées. Il en est ainsi dans la maison bi-familiale sur la Via XX Settembre (1958-1964) ou dans le beau et inhabituel bâtiment Via Vigoni (1959), au Corso Monforte 9 (1963‑1964), à Santa Maria alla Porta, dans la connexion surprenante entre l’église San Fedele et la Chase Manhattan Bank de BBPR sur la Piazza Meda (1969‑1970), au complexe réalisé en plusieurs phases du Corso Italia et dans la maison Pirelli sur Via dei Chiostri situé près d’une autre intervention de BBPR sur Via Pontaccio‑Ancona. De nouvelles architectures qui en réfèrent à l’histoire et au contemporain.
La passion sans défaut de Caccia Dominioni pour le dessin du végétal et son intérêt pour le paysage se traduisent dans des vues et regards qui ne peuvent qu’être considérés comme ceux d’une sensibilité contemporaine de l’habiter. Le contraste constant entre la simplicité de certains de ses signes et le luxe « aristocrate » d’autres, nous ramène aux jeux d’équilibre de nombreuses oeuvres de Jean Nouvel ou de Herzog & de Meuron et fait de Caccia, plus que jamais, la figure de référence pour les concepteurs contemporains, y compris Cino Zucchi qui n’a jamais caché sa passion pour le maître milanais et qui a eu la chance de grandir dans les lieux conçus par l’architecte : les Zucchi ont étés clients de Caccia Dominioni à plusieurs reprises.
Alors, bien sûr, l’attention quasi‑maniaque au détail et à la valeur de l’artisanat des œuvres de Caccia nous ramène brusquement aux années héroïques et uniques de l’après‑guerre, celles qui l’ont vu protagoniste d’un renouveau inespéré italien et surtout lombard aux côtés de Vico Magistretti, Ignazio Gardella, BBPR et Marco Zanuso mais aussi Asnago & Vender, Latis, Freyrie, Soncini, Minoletti, Malchiodi et bien d’autres encore. Avec leurs œuvres, ils firent crier au scandale. Le critique Reyner Banham écrivit dans les pages de Architectural Review : “The Italian retreat to liberty”. À l’époque, l’ensemble du monde anglophone s’alignait sur la défense des valeurs du Mouvement Moderne en opposition avec la reprise « dangereuse » de certains éléments de la tradition et de l’histoire, laquelle, dans la vision des concepteurs italiens conduit à une humanisation de l’architecture (et de l’urbanisme). Thème qui, avec le Genius Loci dont Alvar Aalto s’est fait l’interprète emblématique, dominera le dernier CIAM (Congrès International de l’Architecture Moderne) et, dans un certain sens, qui en décrétera la fin avec la génération du Team 10 (des Smithson à De Carlo, de Candilis à Erskine) qui feront de «l’humanisation» leur ligne directrice.
Donc, disions‑nous, une sensibilité pour la conception urbaine qui distingue la constellation des bâtiments de Caccia Dominioni, résidentiels ou autres, tous conçus pour contribuer à la construction d’un Milan moderne selon une vision qui n’était pas exclusive au grand architecte, mais celle d’une génération entière. Afin de comprendre les différentes facettes de la personnalité de ce concepteur sophistiqué et sans précédent, il faut observer le climat culturel ainsi que les relations entre les protagonistes de l’époque – des compagnons pour lesquels Caccia avait une grande estime, parfois éloignés et, dans de rares cas, plus proches. Tout juste diplômé en 1936, l’architecte ouvre sa propre agence avec Livio et Piergiacomo Castiglioni (deux hors‑classe, grands frères d’Achille). Ensemble, ils se consacre à la construction industrielle, à des concours et à certains préparatifs de la Triennale. Tout en ne bénéficiant pas de mission de projet d’architecture, il fréquente assidûment Gardella avec qui il échange à propos du design et avec lequel il partage des positions et des éléments de fascination issus de leur héritage culturel et social commun. En effet, ils fondent en 1947 (avec Corrado Corradi dell’Acqua) la société Azucena, considérée aujourd’hui encore comme une marque élégante, qui produira des pièces inoubliables, comme le fauteuil Catilina et le canapé Sant’Ambrogio de Caccia ou encore les lampes-appliques LP5 de Gardella.
Mais c’est avec son ami Magistretti qu’il partage une série de projets. Ils travaillent de manière à ce que chacun trouve sa place d’auteur indépendant tout en concevant une vision commune des projets. À partir de 1953, ils se retrouvent côte à côte au service de plusieurs clients pour réaliser leur interprétation du bâtiment de bureaux en plein coeur de la ville, à quelques pas de Piazza San Babila, en cours Europa. C’est alors que naissent les deux «armuriers noirs» de Caccia Dominioni, avec leurs façades vitrées et reliés par une longue verrière qui longe la route. Les deux bâtiments sont adjacent au projet fraîchement inauguré de Magistretti, plus petit mais tout aussi raffiné, avec une façade étroite, composée par des panneaux tantôt aveugles et tantôt transparents selon les besoins de l’intérieur. Ils sont convoqués par l’inspiration pragmatique et visionnaire d’une femme entrepreneur du nom d’Anna Bonomi Bolchini, pour le projet peut‑être trop précoce de San Felice (1966‑1969), alors que la bonne bourgeoisie voit en les résidences extra-muros une alternative possible à un métropole commençant à être chaotique et controversée. Magistretti réalise les tours extra‑urbaines, alors que Caccia se concentre sur des résidences en bandes et sur les espaces verts. Ensemble, ils étudient le plan masse et les services communs. Un projet de référence, ce San Felice, qui sera le précurseur de la longue lignée de quartiers bourgeois se développant autour de Milan à partir de la fin des années soixante‑dix (y compris les berlusconiani Milano 2 e 3).
Enfin, avec Vittore Ceretti, ingénieur et ami récemment décédé, Caccia Dominioni a travaillé sur des projets résidentiels milanais – tels que le complexe Via Monterosa – ainsi que sur diverses interventions comme celle à Celerina. À cet égard, il convient de préciser les rapports de Caccia avec la Suisse et les Grigioni en particulier, lieu de vacances pour sa famille, paysages et anciennes traditions architecturales montagnardes dont le grand designer s’est certainement inspiré pour ses propres projets, même urbains. Ce serait une erreur de penser que l’évasement des fenêtres de la maison Pirelli, de la maison Via XX Settembre ou celle de Corso Monforte, l’épaisseur de paroi de plusieurs de ses œuvres, comme celle de la belle bibliothèque Vanoni à Morbegno, se réfèrent exclusivement au Milan médiéval: on retrouve une caractéristique de son travail également dans la couleur intense des logements, un style de Caccia, bien que, comme il l’a dit le 6 décembre dernier dans le Corriere della Sera « Je n’appellerais pas ça un style. Plutôt, une façon de faire. Quelque chose qui s’insère de temps en temps dans l’environnement, en utilisant toujours des matériaux proches des caractéristiques du lieu ».


Texte original : MONOCLE. LIEN : https://monocle.com/magazine/issues/63/part-of-the-furniture/

Despite its status as a design capital and fashion mecca, a stroll through Milan’s streets is a study in shades of grey. Once visitors get past its striking Duomo and Gio Ponti’s slender Pirelli skyscraper, the rest of the Lombard capital can be a hard sell. The local mindset is one of elegant understatement (think scores of businessmen in navy-blue suits) and the same goes for the city’s modern architecture.
After suffering aerial bombardment during the war the metropolis underwent a makeover, with mixed results. Yet amidst broad swathes of drab urban scenery a distinct vernacular emerged in the work of architect and designer Luigi Caccia Dominioni. Now nearing his 100th birthday – which coincidentally falls on the feast day of the city’s patron saint – the Milan native is no archistar : he has long avoided the spotlight and rarely grants interviews.
Caccia Dominioni’s contribution to the cityscape has been a series of projects best known for their subtlety. Many commissions were homes for local industrialists who were part of Italy’s postwar economic boom, including the Pirelli family ; people who preferred discretion and dwellings that didn’t attract too much attention.
“I’m an architect but everywhere I see urban planning,” explains Caccia Dominioni. “My job is to provoke emotions, be it through my entranceways, my stairs, even the furniture – they are all solutions.”
Instead of buildings with protruding profiles, he plays with the façade. His signature look clads the exterior in smooth ceramic tiles, often arranged in a decorative hexagonal pattern. “It’s a simple architecture,” he says, referring to the honeycomb shape he borrowed from beehives. “I needed a coating that could work equally for both the transparent and solid parts.”
At times he breaks up a monotonous apartment tower by inserting variously sized windows to disrupt the solid block of glass on each floor or uses overlapping sliding doors on balconies. For villas he favours recessed windows similar to ones found in mountain chalets in the Engadine, where he often built residences for affluent Milanese.
If his well‑to‑do clients needed furnishings, the architect already had the answer. In 1947 he started Azucena together with fellow architect Ignazio Gardella and friend Corrado Corradi dell’Acqua. The company, now run by his niece Marta Sala and her sister, makes over 150 objects from sofas to doorknobs, with more than 100 pieces created by Caccia Dominioni over the years and nearly all still in production.
Founded years before the bigger, more famous Italian design brands got their start, the business was a natural offshoot of his architectural practice. Caccia Dominioni adds : “It was not about launching a brand. At times we had problems not having the right interior furnishings so I’d have to invent something new.”
Unlike the competition, Azucena doesn’t have its own factory, relying instead on a network of artisans extending from the nearby furniture-manufacturing district of Brianza all the way to Veneto. Its funnel‑shaped Imbuto lamp, for example, requires half a dozen artisans to make its stem, base and lampshade, then handpaint and varnish it before an electrician puts it together.
“It’s time consuming but the quality is there,”
says Azucena owner Marta Sala. “We’ve tried laser cutting to make certain parts but we’ve found the product loses its identity. It’s an artisanal process.”
Save for a recent project with German designer Konstantin Grcic, the collection centres on seating and lighting that Sala’s uncle dreamed up more than half a century ago. The past decade has seen him active too, even unveiling a sleek new wingchair that bears his name. While past orders have arrived mostly from Italy, Azucena’s recent converts include well-travelled Lebanese and architect David Chipperfield, who sourced hundreds of pieces for his recent Café Royal renovation in London. “It’s more an art gallery than a furniture brand,” says Milan architect Tiziano Vudafieri, who has furnished fashion boutiques and a local restaurant with the firm’s luxe velvet sofas and shiny brass lamps.

Among Vudafieri’s favourites is Boccia, a Murano glass lamp fixed to an iron chain. “It mixes the industrial with traditional Venetian glassblowing. It’s quintessential Caccia Dominioni.” The light fixture is often found hanging in threes and fours in the foyers of stately palazzos.
One of Caccia Dominioni’s most well-known works is actually a public space. The Galleria Strasburgo is a meandering arcade of shops in Milan’s centre that was completed in the 1950s, featuring globe lights and a swirling mosaic pavement. His peer Ernesto Nathan Rogers, who built the nearby Torre Velasca skyscraper, accurately summed up the elegant project in a 1959 issue of Casabella magazine by commenting that the urban passageway “stands out as an oasis where the nomad can finally quench his thirst”.

Traduction

En dépit de son statut de capitale de la mode et du design, une promenade dans les rues de Milan montre que tout est nuances de gris. Une fois que le visiteur a passé le mythique Dôme et la tour de Gio Ponti, le reste de la capitale Lombarde peut paraître un peu austère. L’état d’esprit local est une subtile élégance (façon homme d’affaire en costume bleu marine) et cet esprit s’applique aussi à l’architecture moderne de la ville.
Après avoir souffert des bombardements aériens durant la guerre, la capitale est rénovée, avec des résultats mitigés. Au milieu des mornes allées de la scène urbaine, un style vernaculaire distinct a émergé à travers le travail de Luigi Caccia Dominioni. Aujourd’hui près de fêter son centième anniversaire – qui coïncide avec le jour de fête du Saint Patron de la ville- le milanais n’est pas une star reconnue : il a toujours évité les feux des projecteurs et a rarement donné d’interviews.
La contribution de Caccia Dominioni au paysage urbain de Milan se compose d’une série de projets connus principalement pour leur subtilité. Plusieurs commandes ont été des résidences pour des industriels locaux qui prirent part à l’expansion économique de l’après‑guerre en Italie, comme la famille Pirelli : des gens qui préfèrent la discrétion et des résidences qui n’attirent pas trop l’attention.
« Je suis un architecte, mais partout je vois de l’urbanisme » explique Caccia. « mon travail est de susciter des émotions, au travers de mes halls d’entrée, de mes escaliers, et même de mes meubles ‑ tous sont de bons moyens ».
A la place de bâtiments aux profils protubérants, il joue avec les façades. Son style c’est le revêtement de céramiques extérieur, souvent arrangé selon une disposition hexagonale : « C’est une architecture simple » dit‑il, se référant au nid d’abeille « j’avais besoin d’un revêtement qui marche aussi bien pour de la transparence que pour du plein ».
Avec le temps, il en vient à «casser» la façade de la tour d’appartement monotone en disposant des fenêtres de tailles différentes pour déconstruire le bloc par du vide et à chaque étage utilise des coulissants sur les balcons. Pour les villas, il favorise les fenêtres en retrait, similaires à celles que l’on trouve dans les chalets de montagne à Engadine, où il construit des résidences pour les milanais aisés.
Si ses clients aisés avaient besoin de meubles, l’architecte avait déjà la réponse. En 1947, il fonde Azucena avec deux de ses proches, Gardella et dell’Acqua. La compagnie, maintenant dirigée par sa nièce Marta Sala et sa soeur, produit plus de 150 objets, du sofa aux poignées de portes, avec plus de 100 pièces dessinées par Caccia au fil des années et toujours en production.
Fondée il y a quelques années avant que les plus grandes marques italiennes ne s’imposent, cette compagnie s’est présentée comme une extension naturelle du travail de l’architecte. Caccia Dominioni ajoute : « Il ne s’agissait pas de lancer une nouvelle marque. Durant cette période, nous avions pour problème de ne pas avoir les bons meubles, donc j’ai dû inventer quelque chose de neuf ».
Contrairement à la concurrence, Azucena n’a pas sa propre usine mais confie sa production à un réseau d’artisans des quartiers industriels proches de Brianza et du Veneto. Sa lampe entonnoir, par exemple, a besoin de presque une douzaine d’artisans pour réaliser la tige, base et abat‑jour, la peinture et le vernis avant qu’un électricien n’assemble le tout.
« C’est chronophage mais la qualité est là », dit la directrice de Azucena Marta Sala. « Nous avons essayé la découpe laser pour certains morceaux mais nous avons pensé que le produit perdait en identité. C’est un assemblage artisanal ».
Tiré d’un projet récent avec le designer allemand Konstantin Grcic, la collection se concentre sur les assises et la lumière dont l’oncle de Sata a rêvé plus d’un demi siècle auparavant. Il a aussi été actif durant la dernière décennie, révélant même une nouvelle chaise à bascule portant son nom. Alors que la plupart des commandes proviennent d’Italie, la conversion récente d’Azucena a vue rentrer dans ses rangs l’architecte David Chipperfield, qui s’est procuré une centaine de pièces pour la rénovation du Café Royal à Londres. « C’est plus une galerie d’art qu’un magasin de meuble », explique l’architecte milanais Tiziano Vudafieri, qui a doté des boutiques de mode et des restaurants de lampes clinquantes et de sofas en velours de luxe.
Parmi les favoris de Vudafieri, on trouve Boccia, une lampe Murano fixée à une chaîne. « Elle mixe la production industrielle à la traditionnelle technique de soufflage de verre vénitien. C’est la quintessence de Dominioni ». On trouve souvent cette lampe en trois ou quatre exemplaires dans les palais majestueux.
L’un des travaux les plus emblématiques de Dominioni est un espace public. La Galerie Strasburgo est une galerie sinueuse de boutiques en plein coeur de Milan, terminée dans les années 50, qui comprend globes de lumières et mosaïques tourbillonnantes au sol. Son pair, Ernesto Nathan Rogers, qui est à l’origine de la tour Velasca, résume précisément le projet élégant dans un texte de Casabella, en 1959, en disant du passage urbain qu’il « se présente comme un oasis où le nomade peut finalement étancher sa soif ».


Texte original : LOMBARDIA BENI CULTURALI. LIEN : http://www.lombardiabeniculturali.it/architetture900/schede/p4010-00175/

Condominio in via Massena 18 • Immeuble Via Massena 18

Edificio a destinazione residenziale, sviluppato su nove piani fuori terra a partire da una pianta rettangolare. Collocato in un contesto lasciato prevalentemente a verde nei pressi della Fiera Campionaria, il blocco è orientato quasi perpendicolarmente alla strada secondo un asse est‑ovest e, dunque, nega il tradizionale allineamento del condominio alla cortina edilizia circostante. Anche in questo caso il progettista ricorre all’uso di tessere esagonali in clinker, che vengono messe a contrasto con il legno chiaro naturale dei serramenti e che, ripetute nella forma ma svuotate, disegnano i pannelli ad alveare spesso usati da Caccia Dominioni (Istituto della Beata Vergine Addolorata e Convento dei Frati Minori di Sant’Antonio) e interpretati dalla critica come rilettura, in chiave contemporanea, del linguaggio dell’architettura rurale lombarda. Come spesso accade per le residenze condominiali di Caccia Dominioni non esiste un piano tipo ripetuto sempre uguale a se stesso, ma la scelta cade su un’ampia gamma di variazioni distributive che aggregano gli spazi secondo il ritmo dettato dalle esigenze dei condomini, da piani suddivisi in tre appartamenti ad alloggi che occupano l’intero livello. La grande attenzione al ruolo svolto dagli spazi comuni, altro aspetto ricorrente nei condomini di Caccia Dominioni, si manifesta ancora una volta nel coinvolgimento di Francesco Somaini, cui viene affidata la realizzazione di un mosaico pavimentale in tessere di marmo collocato nell’atrio principale.
Il sodalizio professionale tra Caccia Dominioni e Somaini affonda le proprie radici nell’incarico che la famiglia dello scultore affida all’architetto in occasione della ristrutturazione di Casa Rosales a Lomazzo (1955‑1957), e che culminerà in episodi milanesi significativi come il mosaico pavimentale per la Galleria Strasburgo in corso Europa (1957) o per l’atrio al rinnovato Teatro dei Filodrammatici (1968). Tuttavia Somaini ha lavorato con molti altri architetti nell’epoca del dibattito sulla sintesi delle arti, che a partire dal secondo dopoguerra lo vede coinvolto, insieme a Mario Radice, nel progetto di Ico Parisi e Gianpaolo Allevi per la Villa Bini a Monte Olimpino (1950) o nella realizzazione del Padiglione di Soggiorno (oggi Biblioteca al Parco) di Parisi, Longhi e Antonietti, costruita per la X Triennale di Milano.

Traduction

Il s’agit d’un immeuble résidentiel de neuf étages sur plan rectangulaire. Situé aux abords d’un parc près de la foire, le bâtiment est orienté presque perpendiculairement à la route selon un axe est-ouest et rejette donc l’alignement traditionnel avec les édifices environnants. Dans ce projet, Caccia Dominioni a recours à des tomettes hexagonales en céramique qui contrastent avec le bois clair des menuiseries et, à certains endroits évidées, créent une maille en nid d’abeille. C’est un procédé fréquemment utilisée par Caccia Dominioni dans des projets tels que l’Institut de la Beata Vergine Addolorata et le Couvent des Frères Mineurs de Sant’Antonio et vu par la critique comme une réinterprétation du langage de l’architecture rurale lombarde dans un contexte contemporain. Comme c’est souvent le cas pour les immeubles d’habitation de Caccia Dominioni, il n’y a pas de plan type répété à chaque étage mais un large éventail de variations dans la distribution des espaces selon un rythme dicté par les besoins de trois logements par étage, deux ou bien un grand logement qui occupe tout le niveau. La grande attention portée aux parties communes, un autre aspect récurrent chez Caccia Dominioni, se manifeste dans l’implication de Francesco Somaini, a qui l’architecte a confié la réalisation d’une mosaïque en marbre pour le sol du hall principal.
La relation professionnelle entre Caccia Dominioni et Somaini puise ses racines dans le rôle que la famille du sculpteur attribue à l’architecte lors de la rénovation de Casa Rosales à Lomazzo (1955‑1957), et continuera épisodiquement à Milan comme pour le sol en mosaïque de la Galleria Strasburgo en Corso Europa (1957) ou dans l’atrium du Théâtre rénové des Filodrammatici (1968). Cependant, Somaini a travaillé avec de nombreux autres architectes à l’époque des débats sur la synthèse des arts, qui, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale se manifestent dans les réalisations de Mario Radice, dans le projet de Ico Parisi et Gianpaolo Allevi pour Villa Bini Monte Olimpino (1950 ) ou dans la réalisation du Padiglione di Soggiorno (aujourd’hui Bibliothèque Al Parco) de Parisi, Longhi et Antonietti, construite pour la Xe Triennale de Milan.


Texte original : ARCHITETTO. LIEN : http://www.architetto.info/news/protagonisti/luigi-caccia-dominioni-una-storia-ancora-da-scrivere/

Luigi Caccia Dominioni, une histoire encore à écrire

Raffinato e rigoroso architetto e designer, Luigi Caccia Dominioni era fra gli ultimi testimoni viventi del professionismo colto milanese del secondo dopoguerra. Eppure, rispetto a nomi egualmente validi, la sua storiografia è ancora limitata
Luigi Caccia Dominioni si è spento a Milano appena prima di compiere 103 anni, ragguardevole traguardo in cui, nel mondo dell’architettura, è stato superato solo da Oscar Niemeyer.
Nato a Milano nel 1913, appartenente a un’aristocratica famiglia di origine novarese, al capoluogo lombardo lega una formazione e una lunga attività professionale in cui si riflettono l’Italia del secondo dopoguerra, che è riuscita a raggiungere ineguagliati traguardi nell’avanzamento dell’ingegneria e delle costruzioni, nell’architettura e nel design, e i cambiamenti di Milano, i dibattiti architettonici e gli attori dell’intera generazione di progettisti attivi nella ricostruzione e nella costruzione della città dopo la guerra, da Gio Ponti ad Asnago e Vender, da Ignazio Gardella a Vico Magistretti, da Figini e Pollini ai fratelli Castiglioni arrivando ai BBPR.
Caccia Dominioni si laurea in Architettura nel 1936 al Politecnico di Milano, dove è allievo di Piero Portaluppi, e inizia da subito un’attività che lo porta a disegnare oggetti e allestire mostre alla Triennale che legano il suo nome a quello di Livio e Piergiacomo Castiglioni, con i quali collabora fino al 1942.
La fine della seconda guerra mondiale, e i duri ma molto fecondi anni di una ricostruzione seguita da una crescita economica finora rimasta senza pari, segnano l’inizio dei decenni più prolifici dell’attività di un progettista che ha sempre preferito un lavoro svolto in autonomia. La sua architettura affronta in modo indipendente l’entrata in crisi del razionalismo offrendo un’alternativa agli esempi di revivalismo postbellico che stavano nascendo a Milano e soprattutto a Torino, dove la Bottega d’Erasmo di Roberto Gabetti e Amaro Isola diventa l’emblema di un neoliberty coniato sulle pagine di “Casabella continuità” amplificate da Reyner Banham sul ”The Architectural Review”.
Caccia Dominioni è autore di edifici i cui comuni denominatori sono l’alta qualità che informa tutte le parti del processo progettuale e la consapevolezza dell’importanza del contesto, unite alla funzionalistica convinzione che l’architettura debba essere prima di tutto la migliore risposta a un’esigenza. Le tipologie spaziano dalle abitazioni alle architetture per la produzione (uffici e stabilimenti produttivi) a cui, a partire dalla fine degli anni sessanta, si affiancano sempre più numerose commesse provenienti dal mondo ecclesiastico per chiese e conventi. La tematica dell’abitazione borghese, forse più analizzata da una storiografia ancora incompleta, è spesso al centro di un’elaborazione progettuale che ha prodotto eleganti realizzazioni in cui massima è la cura del dettaglio, attenta è la selezione di materiali, raffinate sono le finiture e profondo è lo studio della composizione di spazi interni a definizione di planimetrie che l’hanno portato ad autodefinirsi “un piantista… che trova l’urbanistica ovunque”.
Le opere milanesi più riuscite, che sono oggi la guida di uno specifico itinerario architettonico offerto dalla Fondazione dell’Ordine degli Architetti di Milano e furono salutate dai contemporanei come segnatrici del passaggio di Milano verso la modernità, comprendono l’intervento sulla casa di famiglia in piazza Sant’Ambrogio (1947‑49), l’edificio per abitazioni e negozi in corso Italia (1957‑62), le abitazioni in Santa Maria alla Porta (1958‑61) e l’intervento di corso Monforte (1963‑66).
Ambito di azione e confronto per un professionismo colto e una professione a tutto tondo vissuta in una dimensione “di bottega”, di cui Caccia Dominioni era forse l’ultimo dei testimoni, il design, la progettazione di oggetti ed arredi e la loro produzione industriale ha sempre attirato il suo interesse di un progettista che vi si dedica fin dall’anteguerra : dopo le esperienze che hanno portato il radioricevitore Phonola, sviluppato nel 1939 con i fratelli Castiglioni, nel 1949 fonda con Ignazio Gardella e Vico Magistretti la ditta Azucena, nella cui esperienza unisce il suo essere progettista al ruolo di imprenditore e produttore di pezzi di arredamento semiartigianali nelle cui lavorazioni sono impegnate maestranze locali di alto livello. Tra le realizzazioni, l’ormai classica poltrona Catilina (1958), il divano Nonario (1963) e un’ampia serie di divani, sedie, poltrone, scrivanie e lampade tutt’oggi in produzione.
La fortuna critica di Luigi Caccia Dominioni, che nel 2015 è stato insignito anche con la Medaglia d’Oro alla carriera dalla Triennale di Milano, ci restituisce un’attenzione proveniente da una pubblicistica di settore che negli anni gli si rivolge in modo puntuale parlandone prevalentemente attraverso le sue opere, a partire dallo “Stile di Caccia” firmato da Gio Ponti su “Stile” nel 1941. Escludendo l’unico lavoro monografico finora pubblicato, curato da Fulvio Irace e Paola Marini per Marsilio in occasione della mostra organizzata nel 2002‑2003 al Museo di Castelvecchio, la storia è una storia ancora tutta da scrivere.

Traduction

Architecte raffiné et rigoureux mais aussi designer, Luigi Caccia Dominioni a été l’un des derniers témoins vivants du grand professionnalisme des architectes milanais d’après la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, par rapport à d’autres, son histoire est encore peu connue.
Luigi Caccia Dominioni meurt à Milan juste avant l’âge de 103 ans, un parcours impressionnant dans le monde de l’architecture, uniquement surpassée par Oscar Niemeyer.
Né à Milan en 1913, il appartient à une famille aristocratique originaire de Novara. C’est à Milan qu’il entreprend sa formation et une longue carrière professionnelle qui reflète l’Italie d’après la Seconde Guerre mondiale. Une Italie qui réalise des prouesses sans précédent dans l’avancement de l’ingénierie et la construction, que ce soit dans le monde de l’architecture ou celui du design. Mais la carrière de Dominioni reflète aussi les changements de Milan, les débats architecturaux et les acteurs de toute la génération de designers actifs dans la reconstruction de la ville après‑guerre (Gio Ponti, Asnago et Vender, Ignazio Gardella, Vico Magistretti, Figini, Pollini, les frères Castiglioni, BBPR…).
Caccia Dominioni obtient son diplôme d’architecture en 1936 à L’école Polytechnique de Milan, où il est l’élève de Piero Portaluppi, et entreprend immédiatement une activité qui l’amène à dessiner des objets et à organiser des expositions à la Triennale, reliant ainsi son nom à celui de Livio et Piergiacomo Castiglioni, avec qui il collabore jusqu’en 1942.

La fin de la Seconde Guerre mondiale et les difficiles mais fructueuses années de la reconstruction (suivie d’une croissance économique sans précédent à ce jour) marquent le début des décennies les plus prolifiques d’un concepteur qui a toujours préféré travailler de manière autonome. Son architecture affronte de manière indépendante l’entrée dans la crise du rationalisme offrant une alternative aux exemples de revivalisme après-guerre qui naissait à Milan et surtout à Turin. La Bottega d’Erasmo Roberto Gabetti et Amaro Isola devient l’emblème d’un neoliberty inventé sur les pages de «Casabella continuità» amplifié par Reyner Banham sur «The Architectural Review».
Caccia Dominioni est l’auteur de bâtiments dont les dénominateurs communs sont : la haute qualité présente dans toutes les parties du processus de conception, la conscience de l’importance du contexte ainsi que la conviction que l’architecture fonctionnaliste doit être, tout d’abord, la meilleure réponse à une exigence. Les programmes vont du logement aux architectures de production (bureaux et usines) qui, à la fin des années soixante, sont de plus en plus complétés par de nombreuses commandes du monde ecclésiastique (églises et couvents). La thématique de l’habitation bourgeoise (analyse sûrement plus approfondie dans l’historiographie encore en cours) est souvent au centre d’un projet qui a produit d’élégantes réalisations. L’attention aux détails est maximale, la sélection des matériaux est minutieuse, les finitions sont raffinées et l’étude de la composition des espaces intérieurs est profonde. Ainsi, cette étude composée de multiples plans a conduit l’architecte à s’auto‑définir «un fabriquant de plans (‘‘piantista’’)… qui trouve l’urbanisme partout».
Les œuvres les plus réussies à Milan constituent aujourd’hui un itinéraire proposé par la Fondation de l’Ordre des architectes de Milan. Les oeuvres ont été salués par leurs contemporains et considérées comme marquantes dans la transition moderne de la ville de Milan. Ces oeuvres sont, entre autres, l’intervention sur la maison de famille Piazza Sant’Ambrogio (1947‑1949), l’édifice d’habitation et de commerces Corso Italia (1957‑1962), les logements à Santa Maria alla Porta (1958-1961) et l’intervention au Corso Monforte (1963‑1966) .
Malgré un large champ d’action et de nombreuses confrontations, un professionnalisme cultivé et une profession complète, Caccia Dominioni était peut-être le dernier à avoir vécu cette expérience à une échelle d’ «atelier». Le design, la conception d’objets et de mobilier ainsi que leur production industrielle ont toujours suscité l’intérêt de l’architecte, et ce, depuis l’avant‑guerre. Après les expériences qui ont conduit à la création du récepteur radio Phonola, développé en 1939 avec les frères Castiglioni, Dominioni fonde en 1949, avec Ignazio Gardella et Vico Magistretti, la société Azucena. Cette expérience le pousse à associer ses capacités de concepteur au rôle d’entrepreneur et fabricant de meubles produits semi‑artisanalement bénéficiant de savoir-faires locaux de haut niveau. Parmi ses réalisations, le fauteuil désormais classique Catilina (1958), le canapé Nonario (1963) et une large gamme de canapés, de chaises, de fauteuils, de bureaux et de lampes encore aujourd’hui en production.
Le succès critique de Luigi Caccia Dominioni, qui a été récompensé par la médaille d’or pour sa carrière lors de la Triennale de Milan en 2015, a suscité une certaine attention de la part des médias du milieu au fil des ans. Son travail a notamment été salué dans « Stile di Caccia » signé Gio Ponti sur « Stile » en 1941. En excluant la seule monographie jamais publiée, édité par Fulvio Irace et Paola Marini pour Marsilio à l’occasion de l’exposition organisée en 2002‑2003 au Musée de Castelvecchio, l’histoire de l’oeuvre de Dominioni reste encore à écrire.


Texte original : ABITARE N°423, DICEMBRE 2002. LUIGI CACCIA DOMINIONI MAESTRO MILANESE.

Giunto all’età dei grandi saggi, luigi Caccia Dominioni festeggia il suo ottantanovesimo compleanno con una mostra a Verona nel Museo di Castelvecchio : accanto alla testimonianza delle opere storiche, nuovi lavori aprono uno squarcio significativo sullo sbocco verso l’informale di uno dei maestri dell’architettura italiana contemporanea.
Presente nel panorama architettonico italiano da tre quarti di secolo, Luigi Caccia Dominioni appartiene a quell’industriosa razza di architetti lombardi come Ponti, Muzio, Gardella o Magistretti, la cui opera è imprescindibile dal peculiare rapporto con la città d’adozione. Nato a Milano il 7 dicembre 1913, giorno di Sant’Ambrogio, Caccia è stato da sempre il simbolo indiscutibile di una milanesità raffinata e reticente, aperta al nuovo e al tempo stesso avida di radici, desiderosa del nuovo ma anche bisognosa di una forma d’ambiente apparentemente senza tempo e fuori moda.
Laureato al Politecnico di Milano nel 1939, esordisce con Livio e Piergiacomo Castiglioni nel campo dell’arredamento e del design, suscitando l’interesse e l’ammirazione di un maestro come Gio Ponti che nel 1941 lo presenta ai lettori di Stile come un esempio di naturale superamento del razionalismo attraverso il carattere «evocativo» delle sue architetture d’interni : fattosi regista – scrive Ponti – l’architetto «interpreta ed esprime il personaggio». Resi ineguagliabili per la raffinatezza dell’esecuzione, i materiali poveri – iuta, fustagno, vimini eccetera – cui spesso ricorre nelle ristrettezze dell’autarchia, costituiscono una convincente anticipazione di quell’idea di design come valore aggiunto che contraddistinguerà la stagione d’oro del design italiano degli anni Cinquanta. Nascerà da questo stretto legame con l’architettura l’avventura di Azucena, la società per la produzione di oggetti d’arredo, fondata nel 1947 con l’obiettivo di «garantire i necessari complementi ad ambienti già arredati dei palazzi delle antiche famiglie milanesi che non si ponessero con le preesistenze in polemico contrasto».
Come architetto Caccia esordisce nello stesso anno, con la ricostruzione della casa di famiglia in piazza Sant’Ambrogio dove tuttora vive e lavora : un saggio anticipatore di quella poetica delle «preesistenze ambientali» teorizzata più tardi da Rogers su Casabella. Da allora la sua produzione riceve un’accelerazione che ha del miracoloso : i condomini ceramici di via Ippolito Nievo, la casa di piazza Carbonari, la fabbrica Loro&Parisini, l’istituto di via Calatafimi e il convento di via Maroncelli, i palazzi per uffici di corso Europa e le ville appartate di via Cavalieri di San Sepolcro e via Gesù, le costruzioni intensive di via Massena e di via Vigoni, la ristrutturazione dell’Ambrosiana, la chiesa di San Biagio a Monza e le Cartiere Binda sotto la Torre Velasca. Un carnet de travail intenso e frenetico, che la ritrosia dell’architetto alla storicizzazione sfuma nel mito del repertorio sterminato. Ma naturalmente non si tratta di un problema di quantità, ma di qualità, e non solo perché tutti gli edifici citati sono landmark della Milano moderna, ma per lo straordinario ruolo di inventore, oltre che di regista, che Caccia assolve nella costruzione di una identità milanese. Nelle Milano incerta e rampante del Dopoguerra e del miracolo economico, Caccia Dominioni mette a punto un’idea di abitare che diviene il tratto contraddistintivo di una borghesia in cerca d’autore. Rinnovando l’iconografia del contenitore domestico e del luogo di lavoro, progetta con successo il tipo stesso del nuovo condominio milanese, costruendo edifici che si inseriscono nell’ambiente urbano senza usare violenza. Ma lo «stile» di Caccia non sta solo nella nota ricerca di un equilibrio in punta di piedi : la sua attitudine a un’architettura modellata sui modi della vita si è spinta infatti dalle più conosciute prove di illusionismo spaziale a una vera e propria strada organica alla rappresentazione dell’abitare. Attraverso l’abolizione della legge dell’angolo retto, Caccia è arrivato a una visionarietà temperata dal suo consolidato pragmatismo, ma forte di tutte le sue ragioni soprattutto negli squarci preparatori dei grandi disegni dove le linee pastose delle matite e dei colori aprono a una concezione quasi animistica dello spazio.

Il design di Caccia Dominioni per Azucena

Nel settembre 1947 Luigi Caccia Dominioni fonda – con Ignazio Gardella, Corrado Corradi dell’Acqua, Maria Teresa e Franca Tosi – la piccola società Azucena. Azucena, che prende il nome dal bassotto di Corrado Corradi, intende produrre mobili, oggetti, lampade in piccola serie da utilizzare inizialemente nelle architetture che Caccia e Gardella andavano costruendo. In realtà pezzi destinati a riempire il vuoto, fisico e psicologico, provocato dalla guerra e a costituire un panorama abitativo dimentico delle forme del passato, ma non dei suoi valori. Alle sorelle Tosi (cognate di Gigi Caccia) spetto l’organizzazione produttiva e commerciale dell’avventura.
Azucena appare oggi, cinquantacinque anni dopo, il paradigma di un metodo una volta tipicamente italiano, oggi dimenticato, che conduceva, per strade dirette, dall’architettura degli interni al design. Ogni singolo oggetto nasceva da una precisa esigenza abitativa verificata durante il progetto (da qui i nomi di luogo sovente adottati : Montecarlo, Arenzano, San Siro), ma che si riteneva fosse generalizzabile ad altre analoghe situazioni e quindi meritasse conservarne memoria.
Staordinario il rapporto tra progetto ed esecuzione, straordinaria la longevità dei pezzi disegnati : moltissimi ancora oggi in produzione. Non riedizioni dunque, e va decisamente segnalato, ma oggetti eterni nella loro ottimale risposta a una funzione, nel loro gusto sicuro e in qualche misura sovrastorico.

Traduction

Ayant atteint l’âge des grands sages, Luigi Caccia Dominioni célèbre son quatre-vingt-neuvième anniversaire avec une exposition à Vérone au Museo di Castelvecchio: à côté du témoignage d’œuvres historiques, de nouvelles œuvres forment une ouverture significative au travail hétérogène de l’un des maîtres de l’architecture italienne contemporaine.
Présent dans le panorama architectural italien depuis trois quarts de siècle, Luigi Caccia Dominioni appartient à cette race industrieuse d’architectes lombards tels que Ponti, Muzio, Gardella ou Magistretti, dont le travail est indispensable du fait de leur relation particulière avec leur ville d’adoption. Né à Milan le 7 décembre 1913, le jour de Sant’Ambrogio, Caccia a toujours été le symbole indiscutable du milanais raffiné et minimal, ouvert à la fois au nouveau et attentif aux racines, avide de nouveauté mais ayant besoin d’un environnement apparemment intemporel et hors mode.
Diplômé de l’École polytechnique de Milan en 1939, il fait ses débuts avec Livio et Piergiacomo Castiglioni dans le domaine du mobilier et du design. Il suscite l’intérêt et l’admiration d’un maître tel que Gio Ponti qui le présenta en 1941 aux lecteurs de Stile comme exemple d’un dépassement du rationalisme par le caractère «évocateur» de son architecture intérieure: une fois devenu réalisateur, écrit Ponti, l’architecte «interprète et donne voix à un personnage». Fabriqués avec un raffinement d’exécution sans précédent et des matériaux pauvres (jute, futaine, osier, etc.) souvent utilisés en raison des contraintes de l’autarcie, ses meubles constituent une anticipation convaincante de cette idée du design comme valeur ajoutée (qui distinguera la saison dorée du Design italien des années 1950). Entretenant un lien étroit avec l’architecture, l’aventure d’Azucena prend vie. Il s’agit d’une société de production d’objets d’ameublement, créée en 1947 dans le but de «garantir les compléments nécessaires aux environnements déjà aménagés des bâtiments des anciennes familles milanaises sans se placer en opposition avec la tradition si polémique »
En tant qu’architecte, Caccia a fait ses débuts cette même année (1947), avec la reconstruction de la maison familiale située Piazza Sant’Ambrogio où il vit et travaille encore: essai anticipatif de la poétique des «préexistences environnantes» théorisée plus tard par Rogers dans Casabella. Depuis lors, sa production s’accélère de façon miraculeuse: les immeubles d’habitation en céramique de Via Ippolito Nievo, le bâtiment Piazza Carbonari, l’usine Loro & Parisini, l’institut Via Calatafimi, le couvent de Via Maroncelli, les immeubles de bureaux de Corso Europa, les villas isolées de Via Cavalieri di San Sepolcro et de Via Gesù, les constructions de Via Massena et de Via Vigoni, la restructuration de l’Ambrosiana, l’église San Biagio de Monza et les Cartiere Binda sous la tour Velasca… Un carnet de travail intense et frénétique lequel, à cause de la réticence de l’architecte à historiser, s’estompe dans le mythe d’un répertoire infini. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un problème de quantité, mais de qualité, et pas seulement parce que tous les bâtiments mentionnés sont des repères du Milan moderne, mais aussi pour le rôle extraordinaire d’inventeur et de réalisateur que Caccia joue dans la construction de l’identité de Milan. Dans le Milan incertain et rampant de l’après‑guerre et du miracle économique, Caccia Dominioni a imaginé une idée de la vie comme trait distinctif d’une bourgeoisie à la recherche d’un auteur. Renouvelant l’image du contenant domestique et du lieu de travail, il a conçu avec succès le type de l’édifice d’habitation milanais, en construisant des bâtiments s’intégrant dans l’environnement urbain sans recourir à des ruptures. Mais le «style» de Caccia ne se situe pas uniquement dans la recherche bien connue d’un équilibre méticuleux : son attitude envers une architecture modelée sur les modes de vie s’est en fait élancée à partir de concepts d’illusionnisme spatial pour aboutir à un vrai parcours organique de l’habiter. Par l’abolition de la loi de l’angle droit, Caccia fait preuve de vision néanmoins tempérée par un solide pragmatisme. Fort de toutes ses raisons, on aperçoit ce caractère visionnaire en particulier dans les grands dessins préparatoires à travers les lignes pâteuses des crayons et des couleurs qui ouvrent à une conception presque animiste de l’espace.

Le design de Caccia Dominioni pour Azucena

En septembre 1947, Luigi Caccia Dominioni fonde ‑ avec Ignazio Gardella, Corrado Corradi dell’Acqua, Maria Teresa et Franca Tosi ‑ la petite société Azucena. Azucena tire son nom du teckel de Corrado Corradi et a pour objet de produire du mobilier, des objets et des lampes en petites séries, initialement pour meubler l’architecture construite par Caccia et Gardella. En réalité, il s’agit de pièces destinées à combler le vide (physique et psychologique) provoqué par la guerre en constituant un éventail de produits faisant fi des formes du passé sans renier ses valeurs. Ce sont les soeurs Tosi (belle-soeur de Gigi Caccia) qui sont responsables de la production et de l’organisation commerciale.
Aujourd’hui, cinquante‑cinq ans plus tard, Azucena apparaît comme le paradigme d’une méthode autrefois typiquement italienne mais aujourd’hui oubliée qui menait de l’architecture intérieure au design. Chaque objet est né d’un besoin spécifique des logements, vérifié au cours du projet (d’où les noms de lieux souvent adoptés: Montecarlo, Arenzano, San Siro), mais que l’on pensait pouvoir être généralisé à d’autres situations similaires et il méritait donc d’en préserver la mémoire.
La relation entre la conception et l’exécution est extraordinaire, tout comme la longévité des pièces conçues : beaucoup sont encore en production. Il faut bien le préciser : ce ne sont donc pas des rééditions mais des objets éternels dans leur réponse optimale à une fonction, dans leur goût sûr et une certaine intemporalité.


Texte original : BERIZZI CARLO, ARCHITECTURAL gUIDE, MILAN. BUILDINgS AND PROJECTS SINCE 1919, DOM PUBLISHERS, 2015, P.122.

A few years after the completion of the building on Via Nievo, Caccia Dominioni designed a residential complex near Via Massena on a plot of land adjacent to the Bompiani garden. The desire to work with the natural environment of the park and draw inspiration from this setting led to the misalignment of the building from the road, with which it forms an angle.
The building is clearly divided on its central axis into two parts : the living rooms and a section of the bedrooms are located facing west and overlooking the park, whereas the service areas are situated on the eastern side. This separation of functions is also evidenced in the different treatment of the facades. The facade overlooking the natural environment of the park is covered in ground plaster, and continuous railings follow the lines given by the volumetric nature of the facade. The large floor‑length windows ensure continuity between the interior space and the outside, imbuing the residencies with an ethereal feel as well as providing stunning views for the occupants.
The floor‑length windows are obscured by a system of wooden sliding shutters. On the services side, the building’s towering presence is emphasized by its continuous cladding with hexagonal clinker brown tiles, interspersed with five large vertical marks corresponding to two rows of aligned windows. The system of loggias that serve as a service entrance with clinker sunscreens draw inspiration from the honeycomb design.
The elevator shaft allows light to permeate the staircase. The entrance, as is often the case with buildings designed by Caccia Dominioni, is located a level bellow via Massena.

Traduction

Quelques années après avoir fini le bâtiment Via Nievo, Caccia Dominioni dessine un complexe résidentiel près de la Via Massena sur un terrain adjacent au jardin Bompiani. La volonté de travailler avec l’environnement naturel du parc et l’inspiration qu’il y puise l’amène à décaler l’alignement du bâtiment avec la rue et former un angle.
Le bâtiment est clairement divisé en deux parties selon son axe central : les séjours et une partie des chambres sont situés face à l’ouest en vue directe sur le parc tandis que les espaces de service sont situés du côté est. Cette séparation des fonctions est aussi mise en évidence par un traitement différent des façades. La façade donnant sur le parc est simplement enduite couleur marron, et un garde corps continu suit sa volumétrie générale. Des baies toute hauteur assurent la continuité entre espace intérieur et extérieur, donnant un sentiment de transparence en même temps qu’il offre des vues éblouissantes pour les occupants.
Ces baies sont protégées par un système de volets coulissants en bois. Du côté des espaces de services, la présence imposante du bâtiment est accentuée par un revêtement continu de tomettes hexagonales marron foncées, entrecoupé de cinq larges bandes verticales correspondant à l’alignement des fenêtres groupées par deux. Les loggias qui servent d’entrée de service aux logements sont occultées par des claustras dont le motif, en forme de tomettes, puise son inspiration dans le dessin des ruches d’abeilles.
La trémie d’ascenseur permet à la lumière de pénétrer dans la cage d’escalier. L’entrée, comme c’est souvent le cas pour les bâtiments dessinés par Caccia Dominioni, est située en dessous du niveau de la Via Massena.


Texte original : FEIERSINGER MARTIN & WERNER, ITALO MODERN 1 ARCHITECTURE IN NORTHERN ITALY, 1946-1976, PARK BOOKS EDITION, 2016, PP.138-141.

The ten-story block located on the edge of Giardino Valentino Bompiani has a bi‑partite structure : the half of the building facing the park is distinguished by balconies, floor‑to‑ceiling glazing, shutters and stucco walls. Caccia Dominioni’s detailing of the other half draws on a design of an orphanage that he began working on in 1948 : the facade is composed of hexagonal tiles and hexagonal brick grilles. Despite this formal dichotomy, through his color scheme the architect attained a homogeneous overall impression. The apartment building’s ceramic skin extends all the way to the ground : there is no separate base detail.

Traduction

Le bloc de dix étages situé sur le côté de Giardino valentini Bompiani possède une structure bi‑ partite : La moitié du bâtiment côté parc se distingue par ses balcons, ses ouvertures toute hauteur, ses volets et ses murs couverts de stuc. Caccia Dominioni recrée de l’autre côté un design déjà employé pour un orphelinat sur lequel il travaille en 1948 : la façade se compose de tomettes hexagonales et d’une grille hexagonale. En dehors de cette dichotomie de forme, par son emploi des couleurs, l’architecte s’attache à créer une impression générale d’homogénéité. La peau en céramique du complexe résidentiel s’étend jusqu’au sol : il n’y a pas de détail marquant au rez-de-chaussée.

Architecture et jeu didactique en arts

Introduction

Nous souhaitons étudier ici quelques aspects de la place de l’architecture en cours d’arts plastiques au collège. Précisons que n’étant pas spécialiste du champ, le terme d’architecture est ici employé pour désigner le bâti et l’espace scolaire dans lesquels les élèves circulent et apprennent à l’école. Dans une vision élargie du didactique, nous cherchons à comprendre comment l’enseignement des arts plastiques construit le(s) milieu(x), les outils, les moyens qui autorisent les élèves, y compris les plus défavorisés et les plus éloignés du monde scolaire, à produire pour apprendre dans le contexte offert par l’établissement. En milieux d’enseignement dits « difficiles » et culturellement très défavorisés, on remarque que les élèves s’appuient souvent sur le « déjà-là » architectural pour répondre aux problèmes plastiques posés par le professeur. Le bâti semble agir comme une grammaire commune, un arrière-plan stabilisé qui permet, d’une part, de cadrer l’action didactique du professeur et d’autre part de partager le sens donné aux réponses apportées par les élèves. Cet existant préalable à l’arrivée des élèves au collège est à la fois un territoire socialement identifiable à conquérir dès l’entrée en 6e, un élément impressionnant ou rassurant selon les élèves. Le plus souvent, l’édifice du collège n’est pas très séduisant, les cours sont bitumées, et des grilles séparent le monde scolaire de l’extérieur du quartier, à l’urbanisme souvent dégradé.

Dans le cadre du cours d’arts plastiques, ces élèves nous invitent à repenser l’ordinaire du cadre scolaire et nous révèlent quelques impensés de la relation pédagogique : comment parviennent-ils à jouer de l’espace public et de l’architecture du collège pour s’autoriser à se mettre au travail, à prendre des risques, à rencontrer l’incertitude, à accéder progressivement à une culture scolaire, tout en leur donnant du plaisir et en valorisant leur(s) réussite(s) ?

Pour que la ludification de l’espace du collège soit partie prenante des apprentissages individuels et collectifs, il faut que le jeu soit de nature didactique, et que le milieu soit pourvoyeur de significations. Il est également nécessaire que les élèves partagent entre eux et avec le professeur des systèmes de règles inhérentes aux savoirs disciplinaires qui permettent à chacun de comprendre « à quoi l’on joue » en cours d’arts plastiques afin d’évaluer ensemble « comment on a fait ce qu’il y avait à faire ».

En resituant la place de l’architecture dans les programmes d’enseignement nous rappelons brièvement quelques principes fondamentaux de la didactique des arts plastiques. L’introduction de la notion de « jeu didactique » permettra de comprendre l’importance qu’y prend l’architecture scolaire en cours d’arts plastiques.

Quelques études cliniques, issues d’analyses de situations d’enseignement en arts plastiques (Espinassy, 2019) sont regroupées ici pour permettre d’appréhender différentes façons dont l’architecture du collège sert de point d’appui structurant aux productions plastiques des élèves.

I Éléments de cadrage

I.1 Place de l’architecture dans les programmes d’arts plastiques

Si l’on reprend les questions et les problématiques des programmes d’enseignement en arts plastiques depuis 1996 (BO n° 5 du 30 janvier 1997), l’architecture est appréhendée en classe de 6e par une première approche à travers le travail en volume, la fabrication d’objets, les sculptures d’assemblage. En classes de 5e et de 4e (appelées « cycle central » à l’époque) sont ajoutées les questions portant sur la construction, l’organisation spatiale et la structure. La classe de 3e aborde les questions posées par l’environnement (auxquelles les élèves ont déjà été sensibilisés), qu’il soit naturel, artificiel ou bâti. Les objectifs sont, à travers la pratique, de faire observer et de faire acquérir les moyens de comprendre l’environnement architectural. Savoir regarder la ville, l’édifice, le « construit », en comprendre les enjeux, en mesurer l’intérêt. Des outils d’analyse sont élaborés avec les élèves à partir de leurs propres productions plastiques et en relation avec des connaissances issues du champ artistique. Le professeur associe le lieu de vie des élèves et quelques grandes références architecturales pour faire travailler la fonction (destination des espaces et des bâtiments, leur utilisation) et la relation au lieu (les modalités différentes de leur intégration).

Les Programmes du collège de 2008 (BOEN spécial n° 6 du 28 août 2008) spécifient qu’en classe de 3e, les élèves ont acquis une culture artistique prenant appui pour partie sur l’histoire des arts, qui leur permet de :

On comprend donc qu’en arts plastiques l’architecture n’est pas vraiment un objet d’enseignement en soi, mais qu’elle est très souvent incluse aux problématiques relatives aux grandes questions (telles que les « relations Œuvre, espace, auteur, spectateur ») qui traversent les différents cycles d’enseignement. Les derniers programmes en vigueur le rappellent (B.O. Spécial N°11, du 26/11/2015) ; ils valorisent l’expérimentation de divers processus de création favorisant la démarche de projet, valorisant la curiosité, le tâtonnement et la prise d’initiative. Aujourd’hui, en cycle 4 (classes de 5e, 4e et de 3e) on trouve par exemple :

On constate que de nombreuses problématisations liées à la question de l’espace et de l’architecture sont régulièrement travaillées en arts plastiques visant à faire acquérir progressivement aux élèves des compétences spécifiquement disciplinaires, et d’autres plus transversales (socle commun[1]), ainsi qu’un registre de connaissances et de vocabulaire précis. Mais ici, nous souhaitons aborder l’architecture comme élément permettant aux élèves de résoudre le problème posé par le professeur.

I.2 Une double orientation théorique

Nos analyses des phénomènes d’apprentissage et d’enseignement s’intéressent aux multiples facettes et finalités du travail enseignant. Si les approches didactiques se focalisent sur les modalités de (co)construction des savoirs reliés aux pratiques culturelles qui les légitiment (Brière-Guenoun, 2017 ; 2018), les approches ergonomiques analysent l’activité réelle des sujets dans des tâches prescrites qu’ils redéfinissent.

Cette approche ergo-didactique cherche à conceptualiser les rapports entre l’activité professorale, l’action didactique et les milieux dans lesquels ils se développent (Espinassy & Terrien, 2018 ; Espinassy, 2019), et nous permet ici de considérer l’architecture comme élément du milieu d’apprentissage. Les cadres théoriques invoqués s’appuient notamment sur la notion de milieu didactique (Brousseau, 1998) et les apports de la théorie de l’action conjointe en didactique avec les notions liées au jeu (Sensevy et Mercier, 2007).

Le cadre de l’analyse ergonomique de l’activité dans une approche historico-culturelle héritière de Vygotski et de Leontiev, considère que les résultats de l’activité humaine constituent des ressources ou des moyens d’action pour l’activité à venir.

Le croisement de ces orientations théoriques questionne la notion de milieu comme espace pluridimensionnel (Brousseau, 1998 ; Sensevy, 2007). Par « milieu », nous entendons aussi une construction chargée d’histoire, de culture, de « social » et de techniques. À la suite de Canguilhem (1947) et de Wallon (1954), nous considérons qu’un être vivant n’est pas simplement situé dans un environnement : il est en relation avec un milieu où il cherche à la fois à se maintenir en vie et à accroître son pouvoir d’agir, ce qui stimule son développement. Ce milieu n’est pas seulement une somme de données physico-chimiques : c’est un carrefour de significations vitales.

À l’école, ce milieu est à la fois un artefact matériel et symbolique, constitué par des objets culturels, des signes ou des outils ; ce qui nous intéresse dans les situations d’enseignement, c’est la conception et l’organisation de « tout ce qui agit sur l’élève ou ce sur quoi il peut agir » (Brousseau, 1998, 32), s’imposant comme une composante non négligeable du système didactique, qui impacte l’enseignant et l’apprenant.

I.3 Jeu didactique

Le jeu didactique (Brousseau,1998, 25-28) fait partie des conditions que crée l’enseignant, en classe, pour que les élèves modifient leurs rapports de connaissance aux objets du milieu.

Cette notion mise en avant par les travaux de Sensevy, à la suite de Brousseau (Sensevy, 2007, 26-29), définit les caractéristiques des jeux d’apprentissage qui posent les règles d’actions didactiques : « définir ; dévoluer ; réguler-adapter ; institutionnaliser-routiniser ».

Cette co-construction des savoirs y est étudiée selon trois plans, appelés « descripteurs de l’action conjointe » (Sensevy & Mercier, 2007) :

Les outils théoriques construits dans la théorie de l’action conjointe rendent ainsi possible l’étude simultanée des actions du professeur et des élèves en lien avec les objets de savoirs mis à l’étude. Cet outillage peut facilement éclairer la façon dont les professeurs d’arts plastiques élaborent des situations d’enseignement lorsqu’il s’agit de situations d’apprentissage relatives à des objets et/ou des savoirs formalisés (description, analyse d’œuvres, de productions, …).

La difficulté est accrue lorsque les élèves vont entrer dans le jeu de la pratique plastique pour développer des stratégies pour résoudre les problèmes posés par le professeur, où les objets de savoirs sont moins directement nommés, et où les rapports topogénétiques peuvent échapper au scenario didactique de départ. Concevoir un « jeu » destiné aux élèves implique que le professeur en définisse les règles en regard de sa connaissance de l’objet d’apprentissage ; le jeu est le résultat d’une transposition didactique interne, qui par l’organisation d’un espace d’appropriation du savoir, donne sens aux apprentissages.

Aussi, il est légitime de s’intéresser à la manière dont le professeur d’arts plastiques « construit le jeu » du point de vue des objets cognitifs, des instruments psychologiques (Vygotski,1997) au moyen desquels il organise son activité et l’adresse aux élèves.

I.4 En Arts plastiques : une didactique ludique

Notre système éducatif vise dans un même élan la transmission des connaissances et la socialisation. Charlot (1997) démontre qu’il n’est pas de savoir sans rapport au savoir (plus exactement « à l’apprendre »), qui est en même temps rapport au monde, à soi et aux autres. C’est une forme d’appropriation du monde (rapport épistémique), mais aussi une forme d’appropriation de soi (rapport identitaire), tout cela restant inscrit dans une réalité sociale déjà là, sous des formes qui préexistent au sujet (rapport social). Pour résoudre le problème du sens, l’école doit faire en sorte qu’apprendre puisse être quelque chose de vivant, tout en faisant comprendre qu’il n’y pas de savoir simple, ni de savoir sans complexité.

En arts plastiques, une forme courante de dispositif pédagogique suscitant la mise au travail des élèves est souvent nommée « incitation ». Elle se présente sous la forme d’une petite phrase, accompagnée ou non de document(s) et/ou de matériaux, qui doivent ensemble servir de déclencheur au cours ; ce qui caractérise l’intérêt de ce dispositif c’est l’enchevêtrement des composantes ergonomiques et didactiques du milieu d’enseignement en arts plastiques et son efficacité en une heure de cours hebdomadaire.

Pour la réalisation, les élèves utilisent les matériaux et outils annoncés dans les consignes et contraintes de l’énoncé (souvent mis en partie à leur disposition par l’enseignant), et disposent de l’espace de la salle de classe, éventuellement de ses extérieurs. Cette façon de mettre les élèves au travail de façon rapide et motivante, est un outil précieux pour des enseignants qui sont à la recherche de dispositifs et formulations porteurs d’un maximum de potentialités didactiques et pédagogiques. En termes d’ergonomie, « l’incitation » est un moyen de prescrire la tâche à réaliser par les élèves et doit susciter leur projet d’action. Il s’agit que ces derniers prennent à leur compte la situation conçue pour eux, par le professeur, sans que celui-ci ne puisse augurer des résultats produits. En résumé, l’enjeu de l’incitation est de pouvoir poser le cadre d’une attente générique, tout en permettant le jeu des attentes singulières ; d’instaurer les règles de l’organisation tout en engageant la subjectivité des acteurs (Espinassy, 2019).

De façon sans doute plus marquée que dans d’autres disciplines, le milieu pour l’étude en arts plastiques est chargé d’objets (matériels – physiques, sociaux, objets de savoir, …), de rapports à ces objets, de relations humaines où une activité multiforme se déploie. Les frontières du milieu didactique sont poreuses et les élèves y importent souvent des objets imprévus, des rapports spécifiques ; ainsi, en s’appropriant le milieu proposé par le professeur, ils le transforment (cf. Annexe 1).

C’est en tenant compte de l’ensemble de ces points relatifs au milieu d’apprentissage et au jeu didactique que nous abordons les cas suivants où l’architecture prend place ; le premier montre combien l’espace et la matérialité de la salle d’arts plastiques est un acteur majeur du milieu didactique de cette discipline, les suivants considèrent l’ensemble de l’espace du collège.

II Études de cas

II.1 La salle de classe d’arts plastiques

II.1.1 Un déluge extraordinaire

Nous avons analysé une situation d’enseignement en arts plastiques sous divers aspects (Espinassy, 2016) pour reprendre ici celui qui concerne le rôle la salle de classe dans la mésogenèse du cours.

Il s’agit d’une classe de 6e, d’une vingtaine d’élèves, au second trimestre, dans un collège en zone d’éducation prioritaire, équipé d’une petite salle d’arts plastiques. La professeure propose l’incitation suivante aux élèves :

« Un déluge extraordinaire se produira, lors du prochain cours, dans la classe d’arts plastiques ; vous utiliserez au maximum les objets qui s’y trouvent ».

L’analyse des échanges professeur-élèves permet de comprendre comment s’élucide en classe le problème inattendu du « déluge », en s’emparant des enjeux de ce qui est permis à et par la fiction, pour concevoir des transpositions envisageables dans le domaine plastique. Le projet se précise et les élèves concluent que pour donner l’impression d’un déluge, il faut que ce soit « spectaculaire, et impressionnant », à moins que, du fait du caractère « extraordinaire » de ce déluge précisé dans l’incitation, il suffise qu’il soit tout simplement « imaginaire » comme le suggèrent quelques élèves.

Le professeur rappelle qu’il y a des obligations qui cadrent l’action (par exemple : utiliser un objet en volume) associées aux exigences des programmes d’enseignement (il s’agit que les élèves « découvrent le potentiel d’expression offert par le caractère concret, matériel et poétique de l’objet quand il est abordé d’un point de vue artistique » (Prog. 6e BO. N°6 28/08/08).

La notion de projet est un vecteur privilégié en arts plastiques pour soutenir, individuellement et collectivement, des apprentissages et encourager l’élève à manifester progressivement ses aspirations et ses idées, à les développer et les réaliser, en s’en donnant les moyens. Le professeur ne réduit pas l’évaluation à la notation du résultat visible des réalisations plastiques ; en prenant appui sur les observables dans les productions, mais également dans le discours produit à leur sujet, il évalue les actions, les attitudes, le raisonnement, la distance réflexive de l’élève. La pratique de la « verbalisation » est donc constante en arts plastiques.

Lorsque les élèves exposent leur projet, l’enseignant revient systématiquement sur les consignes de départ : « où dans la classe ? », et « pourquoi ce choix ? ».

Quelques descriptions de productions plastiques permettent d’apprécier le type de réponse que sont capables d’apporter des élèves de 6e (cf. Annexe 2).

Projet 1. Les élèves proposent d’installer leur travail sur un rebord de fenêtre ; ils sont capables d’argumenter, et ils ont anticipé les conséquences de leurs choix en termes plastiques : les problèmes liés aux rapports d’échelle, au point de vue du spectateur, aux contrastes statique/mouvement, intérieur/extérieur sont envisagés, ainsi que la place et le rôle du photographe qui gardera trace de leur projet.

Projet 2. Trois élèves expliquent qu’ils veulent prendre un seau avec des petits jouets qui flottent et vider une bouteille d’eau : « ça fera comme une grosse douche, une trombe d’eau ».

Prenant vite conscience que l’espace restreint d’un seau n’est pas adapté, ils orientent leur projet vers les longs lavabos de la classe dont l’usage est partagé par tous et qui sont un repère fort dans la salle d’AP. Pourquoi aller chercher de l’eau ailleurs alors qu’elle peut couler à flot, et qu’il suffit de jouer sur le contraste d’échelle avec de « petits jouets » pour donner l’impression du déluge ? Ainsi, ils transforment le rapport aux autres et au monde qui les entoure, notamment par l’usage nouveau du lavabo.

Projet 3. Ce groupe annonce qu’il s’agit « d’une histoire » où le déluge sera le personnage principal qui y jouera un rôle extraordinaire ; il propose une fiction et imagine les moyens de la mise en scène pour en « donner l’impression » en faisant « entrer le vent dedans ». Remarquons que, comme le premier groupe qui avait repoussé les limites physiques de la classe en imaginant que l’on en voit l’extérieur dans leur production, ce troisième groupe va jusqu’à faire intervenir les éléments météorologiques externes dans son projet qui s’apparente à une architecture.

D’autres propositions, toutes différentes, ont été faites par les autres groupes, témoignant ainsi du fait que les mots de « l’incitation » associés au cadre de la salle de classe ont fait l’objet d’une spéculation collective et individuelle en regard des contraintes du contexte que les élèves se sont appropriées pour les transformer en outils pour agir.

II.1.2 Fonction didactique de la salle de classe

L’incitation « Déluge extraordinaire » (comme bien d’autres[2]) met au cœur de son dispositif la salle de classe, agissant comme instrument médiatisant entre l’activité de l’enseignant et celle des élèves en considérant le « ici et maintenant » de leur action conjointe, soit : 55 minutes de cours hebdomadaire, 25 à 30 élèves dans une salle de classe plus ou moins bien équipée. Le rapport instauré par l’incitation à la salle de classe spécialisée lui donne le statut à la fois de contrainte et de gisement de ressources.

Rappelons que la formulation complète de l’incitation est : « Un déluge extraordinaire se produira, lors du prochain cours, dans la classe d’arts plastiques ; vous utiliserez au maximum les objets qui s’y trouvent ». Il est donc attendu que cette salle soit le lieu des expériences individuelles et collectives ; sa réalité spatiale, architecturale, mobilière est susceptible d’être transformée au gré de l’imagination des élèves pour construire de nouvelles réalités.

Dans les productions des élèves en réponse à « Déluge extraordinaire », les éléments de « la réalité » sont en grande partie issus des ressources de la salle de classe qui ne présente aucun équipement sophistiqué ; elle est par contre agencée par le professeur pour permettre la production plastique des élèves, dont on a compris qu’elle pouvait revêtir des formes très variées. Cette salle rectangulaire présente sur ses grands côtés, d’une part, étagères basses remplies de bacs de petits matériaux le plus souvent récupérés (ficelles, tissus, magazines, éléments naturels…) surmontées par des fenêtres, et d’autre part, de grands panneaux d’affichage des travaux bidimensionnels. L’un des petits côtés est consacré au bureau du professeur, à l’ordinateur, au matériel de projection, au tableau sur lequel peut se superposer un écran de projection ; des lavabos et du matériel de peinture occupent l’un des coins, et des armoires contiennent certains outils ou médiums que les élèves peuvent demander si besoin. Le fond de la classe est occupé par une longue desserte destinée au séchage des travaux, à des bacs de matériaux encombrants (cartons, papiers divers, …), à des étagères présentant les productions en volume des élèves. Quatre grandes tables occupent le centre de la salle autour desquelles s’installent 5 à 6 élèves selon l’effectif des classes.

L’organisation artefactuelle et sociale de cette salle constitue un milieu spécifique qui offre les conditions nécessaires à l’appropriation des contraintes de réalisation transformées en outils pour agir ; elle crée un système de contraintes et de ressources dans lequel vont évoluer les élèves pour donner des formes matérielles à des mots, des associations d’idées, etc. (Espinassy & Saujat 2016).

D’un point de vue didactique, cette salle revêt de multiples dimensions (cf. Annexe 1).

Au plan mésogénétique :

Au plan topogénétique :

Cette salle régit le système des règles de fonctionnement en son sein qui sont dictées par des nécessités de l’action didactique. Ces règles indispensables pour se partager les outils communs, (matériel, techniques, références, postures …), ne sont pas seulement « disciplinaires » au sens du maintien de l’ordre ; elles le sont aussi au sens de la discipline enseignée, car elles sont constitutives de l’activité de travail (Espinassy & Saujat, 2016).

II.2 Éléments architecturaux et structure extérieure de l’établissement scolaire

À l’occasion d’une étude menée à propos de l’usage de la photographie en cours d’arts plastiques, en contexte difficile (Espinassy, 2018 ; 2020), nous avions constaté que de nombreuses réponses d’élèves aux incitations de leur professeur incluaient « le collège » en tant que cadre architectural acteur de la situation. En voici deux exemples.

2.1 En Sixième : « Le collège n’est pas de ce monde »

Cette proposition vise à ce que les élèves nouvellement arrivés au collège, ouvrent littéralement les yeux sur leur environnement et trouvent des stratagèmes simples mais pertinents pour « faire croire que » le collège n’est pas de ce monde. Il est donc attendu que les élèves établissent, par le biais de la photographie, un rapport entre réel architectural, vécu quotidien de collégien et fiction.

La situation est ludique car elle pousse soit à des mises en scènes rapides, soit à des perturbations de la perception habituelle des lieux, et in fine, à une sorte de concours de la « photo mystère ». Les productions sont accompagnées de quelques mots que les élèves ajoutent en guise de titre ou de commentaire. En voici quelques exemples (cf. Annexe 3).

Une photographie présente une sorte de gouffre vertigineux ; il s’agit en fait d’un escalier photographié d’en haut, en vue très plongeante, mais présenté le bas en haut. L’élève explique ses choix : « Un cadrage, un peu de flou, à l’envers… ». Une autre montre un couloir où des élèves tapent à toutes les portes en semblant vouloir s’échapper ; nous sommes selon le-les auteur-s « Dans un lieu en pleine panique… ». Un gros projecteur est montré en plan rapproché, à contre-jour, floutant ses contours mais révélant sa structure métallique, le faisant ressembler à une soucoupe volante ; on est : « Dans un film de SF… ». Par des jeux de repérage de matériaux et d’inversion d’image, ou de fixation sur les éclairages et les couleurs, d’autres élèves nous emmènent « dans un chalet au ski » ou « en boite de nuit ».

2.2 En Cinquième : « Mes points de vue, c’est mon point de vue »

En début de séance, la polysémie du terme « point de vue » a été mise en évidence, jouant de la coïncidence ici entre une caractéristique plastique consciente et déterminée, et une opinion, un avis porté. Un ensemble de trois images associées doit permettre aux élèves d’exprimer ce qu’ils souhaitent évoquer de la réalité sociale, humaine, spatiale, temporelle, etc. du collège.

En réponse, un trio d’image se focalise sur l’aspect carcéral du collège : les cadenas sous divers angles, avec gros plan sur le métal rouillé, et au centre un plan plus large montrant un élève qui tente de se glisser entre deux grilles. Le commentaire indique que « l’École c’est zonzon » (pour signifier la prison). Un autre ensemble présente trois monochromes rouge-jaune-vert où l’on perçoit la matérialité de la peinture en bâtiment sur le crépi : « Le collège c’est trois mêmes couleurs tout le temps, partout ». Une autre triade autre affiche qu’« ici, c’est moi le boss » en alternant des effets visuels traduisant la menace ou la domination en se servant de vues prises depuis les coursives encadrant la cour de récréation (cf. Annexe 4).

II.3 Qu’apprendre en jouant avec l’architecture ?

Dans les exemples décrits, l’architecture apparaît comme un élément révélateur de la forme du projet des élèves en permettant, d’une part, de le matérialiser en passant de l’intention à sa trace visible et, d’autre part, d’en faire l’objet d’un partage social avec d’autres. L’architecture de l’établissement, en tant que base commune partagée, accélère les interrelations élève/enseignant et élève/élèves en facilitant la mutualisation rapide des réflexions et l’émulation de la classe. Elle est le cadre qui permet aux élèves de se mettre en scène, de jouer de leurs affects et de leurs expériences, d’accéder au statut d’auteur par l’exploration de territoires, de situations inédites à l’école. Dans le contexte très restreint d’un cours d’arts plastiques, le cadre architectural permet à la fois de renforcer l’unité de lieu, de temps et d’action et de considérer l’ensemble de l’espace scolaire pour donner du sens aux savoirs enseignés en contexte, et pour instaurer des rapports au monde, aux autres et à soi, dans une visée d’éducation démocratique au sens où l’entend Dewey (1916).

Au-delà de ces généralités, de nombreuses compétences spécifiques aux arts plastiques sont travaillées par le rapport à l’architecture, parmi lesquelles on peut citer :

Pour résumer, l’architecture, en rapatriant le « concret » de sa structure dans la classe d’arts plastiques, autorise les élèves à passer à l’action, les motive tout en les incitant à respecter une logique de gestion de groupe, et les invite au dialogue, dans une perspective d’éducation à la citoyenneté.

Conclusion

Nos travaux montrent que malgré le peu d’intérêt architectural des collèges où se déroulent les dispositifs d’enseignement décrits, ces espaces favorisent néanmoins les interactions, le développement de l’estime de soi, de l’empathie, de la créativité ou la valorisation de la coopération entre les élèves.

Sensevy (2011) plaide pour une « reconstruction de la forme scolaire », resituant l’école dans la société ; si l’on ne retient que le contenant bâti de la « forme scolaire » (Vincent, 1994), on s’aperçoit que l’architecture joue comme une sorte de structure d’une grammaire commune, qui offre un arrière-plan collectif qui permet de saisir la logique que nous attribuons à nos actions et de leur donner sens. Cette grammaire est liée à la pratique et au réseau d’usages de celle-ci, dans une conception de l’apprentissage où le savoir acquis par l’élève est considéré comme une puissance d’agir, et où le jeu didactique qui est au départ le même pour tous, permet au cours de l’activité de différencier le parcours accompli par chaque élève.

Le milieu, notamment matérialisé par l’architecture, est rendu problématique aux élèves par le jeu proposé par l’enseignant qui les invite à prendre position, à plusieurs sens du terme : spatialement, socialement et relativement à un système de valeurs. Cette façon d’apprendre pousse les élèves à reconsidérer leur manière de voir les faits, à prendre une distance par rapport à ce qu’ils avaient coutume de pratiquer, et espérons à terme, à s’émanciper.

La didactique des arts plastiques invite les élèves à considérer les lieux dans lesquels nous vivons, apprenons, travaillons, non plus comme de simples décors mais plutôt comme un levier au service d’actions potentielles. Elle les incite à se saisir des lieux disharmonieux du collège, à les détourner, à les ré-enchanter, nous rappelant ainsi que certains endroits, tels que la cour de récréation et les espaces interstitiels sont souvent laissés pour compte par les architectes et par les politiques éducatives et vécus comme anxiogènes par les usagers. En explorant les problématiques d’espace « fermé / ouvert », l’enseignement des arts plastiques fait émerger la dialectique « école sanctuaire » / « espaces de liberté » entre des conceptions régies par des critères d’organisation et de sécurité et des jeunes en devenir, en attente d’espaces de liberté et d’échanges pour apprendre.

On comprend que l’espace scolaire n’est jamais neutre, historiquement, il signe les orientations pédagogiques et les choix politiques d’une époque, il en rend manifeste les valeurs collectives.

Aujourd’hui, la relation de l’individu à son environnement dans le cadre scolaire est questionnée autant dans la manière dont il affecte les modes de penser, d’organiser et de dispenser les savoirs que dans sa fonction sociale et politique (cf. les travaux du laboratoire BONHEURS[3]).

Le potentiel didactique de l’espace scolaire mérite donc d’être pris en considération dans les projets de construction de futurs établissements dans une visée du mieux-vivre et du mieux-apprendre ensemble, rejoignant ainsi la définition de la santé de Canguilhem (2002, 68) liée à la question du développement du pouvoir d’agir : « Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi ».

Références

M.E.N. Éducation Artistique et Culturelle (B.O. N°28, 09/07/2015). http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=91164M.E.N. Socle Commun de Connaissances de Compétences et de Culture. (B.O. n° 17 du 23 avril 2015) http://cache.media.education.gouv.fr/file/17/45/6/Socle_commun_de_connaissances,_de_competences_et_de_culture_415456.pdfSensevy, G. (2007). Des catégories pour décrire et comprendre l’action didactique, Agir ensemble. L’action didactique conjointe du professeur et des élèves, G. Sensevy & A. Mercier (dir.), Rennes : PUR. 13-49.Sensevy, G. (2011). Chapitre 9. Dispositifs didactiques et reconstruction de la forme scolaire. Dans G. Sensevy, Le sens du savoir : Éléments pour une théorie de l’action conjointe en didactique (pp. 291-640). Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck Supérieur.Sensevy, G., et Mercier A. (2007). Agir ensemble. Rennes : PUR.Vincent, G. (1994, Dir.) L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles. Lyon : PUL.Vygotski, L.S. ([1934] – 1997). Pensée et langage. Paris : La Dispute (réedition, 1885, 1997) 3ème : 2002)Wallon, H. (1954/1969). « Les milieux, les groupes et la psychogenèse de l’enfant ». Enfance, numéro spécial, p. 287-296.

[1] SCCC : Socle Commun de Connaissances de Compétences et de Culture. (B.O. n° 17 du 23 avril 2015

[2] Par exemple « Petit insecte cherche abri dans la salle d’arts plastiques » (cf. Espinassy, 2008).

[3] BONHEURS (Bien-être, Organisations, Numérique, Habitabilité, Éducation, Universalité, Relation, Savoirs), Université de Cergy-Pontoise.

La règle entre projet et vivre ensemble

SENSIBILISATION AU PROJET EN MILIEU SCOLAIRE : LA RÈGLE, ENTRE PROJET, JEU ET VIVRE ENSEMBLE

UN ENGAGEMENT CITOYEN

Être architecte c’est inscrire sa production dans le cadre de la loi sur l’architecture (77-2 du 3 janvier 1977) qui la déclare expression de la culture et d’intérêt public. A ce titre, le texte instaure la création de Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement ayant pour mission de développer l’information, la sensibilité et l’esprit de participation du public dans le domaine de l’architecture, de l’urbanisme, de l’environnement et du paysage. D’autres organismes et associations proposant diverses actions de sensibilisation ont suivi.

Être architecte c’est inscrire sa pratique professionnelle dans le cadre du code de déontologie de l’Ordre des architectes (J.O. 25-03-80), qui, au-delà de la maîtrise d’œuvre traditionnelle, précise que nous avons aussi une mission d’enseignement et de sensibilisation et ce, dans l’intérêt général.

Être architecte, enseignante et chercheure, c’est inscrire ses activités dans la Stratégie nationale pour l’architecture établit par le Ministère de la Culture en 2015, dont l’axe premier est de Sensibiliser et développer la connaissance de l’architecture par le grand public et l’ensemble des acteurs publics et privés de la construction. On lit :

« …l’architecture reste une notion parfois lointaine dans les esprits. Il faut donc […] « créer un désir d’architecture »[1], en donnant un nouveau souffle aux actions de sensibilisation de tous les publics, et notamment des plus jeunes… »[2]

Depuis plusieurs dizaines d’années, sous formes de conférences, d’expositions, de visites, d’ateliers, de jeux, les actions proposées au jeune public fleurissent, jusqu’à des interventions directement en milieu scolaire. Ces expériences sont généralement menées par les CAUE, les Maisons de l’architecture, des centres d’information, de documentation et d’exposition[3] ou des associations[4]. Alors, si l’on n’est pas un professionnel de la médiation, mais seulement architecte, la sensibilisation à l’architecture et à la ville dans les écoles, bénévole et peu valorisée, relève d’un engagement citoyen.

Pour les ateliers, nécessitant une préparation en amont, les organismes à l’origine des interventions mettent à disposition des matériaux pour dessiner ou faire des maquettes autour d’un thème spécifique, d’autres réinvestissent des jeux de construction existants type Kapla®, d’autres encore créent leur propre matériel, souvent sous forme de kits ou utilisent des « jeux pédagogiques » spécifiques existants. Ces derniers sont en plein essor et c’est l’objet de l’exposition tout public, La ville en jeux[5], qui s’est tenue à la MAV-PACA fin 2018.[6].

ENTRE APPRENTISSAGE, SENSIBILISATION ET MÉDIATION

Depuis une quinzaine d’années, je fais des interventions en maternelles, primaires, collèges et lycées, allant de la sensibilisation à l’architecture (cours, ateliers, visites), à l’information sur les études et les métiers de l’architecture (conférences, discussions). Je propose ici, un retour réflexif et critique sur une expérience parmi d’autres, dans une classe de l’école primaire Saint-Jean-Baptiste à Mazargues, durant l’année 2014-15.

À l’origine de ces interventions, une rencontre, presque fortuite, comme une réunion de rentrée « parents-maîtresse ». Échanges récurrents après la présentation de l’année par l’enseignante :

« – Avez-vous des questions ?

– Oui. Pour le programme d’arts-plastiques, qu’y a-t-il de prévu ?

– Vous savez, moi, les arts-plastiques… Mais si vous avez des propositions, elles sont les bienvenues ! »

Les arts-plastiques et plus précisément, l’histoire des arts, pourtant au programme depuis 2008[7], sont déjà « une notion lointaine dans les esprits »[8], alors que dire de l’architecture ? Ainsi, l’action de sensibilisation devient effectivement, médiation[9], entre école et culture artistique, car il s’agit souvent de (ré-)concilier les enseignants et le jeune public, avec les arts en général et l’architecture en particulier.

Mais lors d’une intervention dans le cadre scolaire s’ajoute à l’objectif de sensibilisation, plutôt flou, celui d’apprentissage, inversement précis. Sensibiliser n’est pas apprendre. Alors, avec l’institutrice, nous avons construit une intervention sur mesure, un mini projet pédagogique.

CONCEVOIR L’INTERVENTION : PUBLIC / SAVOIRS-COMPÉTENCES / MOYENS PÉDAGOGIQUES / ACQUISITION-SENSIBILISATION

Concernant les enseignements artistiques, le BOEN[10] précise que « La sensibilité et l’expression artistiques sont les moyens et les finalités des enseignements artistiques » […] Ceux-ci « sont propices à la démarche de projet. Ils s’articulent aisément avec d’autres enseignements pour consolider les compétences, transférer les acquis dans le cadre d’une pédagogie de projet interdisciplinaire, s’ouvrant ainsi à d’autres domaines artistiques, tels que l’architecture […] Par leur intégration au sein de la classe, ils instaurent une relation spécifique au savoir, liée à l’articulation constante entre pratique et réflexion. » Ceci nous renvoie directement à l’enseignement du projet par le projet que nous pratiquons dans les Écoles Nationales Supérieures d’Architecture (ENSA), justement fondé sur la dialectique théorie/pratique[11].

Ainsi, dans le cadre d’une sensibilisation, « si l’architecte n’est pas le seul acteur compétent en matière de transmission de l’architecture, il est le seul à parler en tant qu’architecte ; c’est-à-dire à partir des notions qui entrent en jeu au moment du projet, dans la conception architecturale. »[12]

Une première recherche[13] m’a permis de montrer comment l’enseignement du projet articule « savoirs / modes·de·transmission / pratiques »[14], autrement dit, enseigner « quoi / comment / pourquoi ? » Dans le cas présent, cette modélisation pourrait s’adapter par : Quelles connaissances-compétences[15] et notions de la culture architecturale transmettre ? Par quels moyens pédagogiques ? Pour quelles acquisitions ou sensibilisation ? Auxquels j’ajoute : A qui transmettre ?[16]

Je vais tout particulièrement m’attarder sur les « moyens pédagogiques », qui en situation de médiation, entre médiateur (architecte) et médiums (format d’intervention et matériel utilisé), sont centraux. Je pose que dans le cadre d’une sensibilisation à l’architecture et à la ville en milieu scolaire, le projet en maquette, en tant que médium, favoriserait l’apprentissage croisé des savoirs, savoir-faire et savoir-être.

Une classe de CE1

L’intervention s’adresse à des élèves ayant majoritairement 7 ans et à leur maîtresse. Ils viennent d’apprendre à lire et à compter en CP. Selon Piaget[17], ils sont à l’articulation du stade préopératoire (2-6/7 ans) et du stade opératoire concret (6/7-11/12 ans) :

Expérimenter des savoirs et compétences transversaux et diffus

Inscrire l’intervention dans le cadre du programme pédagogique[18], c’est permettre la collaboration avec la maîtresse. En CE1, à la fois les disciplines ne sont pas encore clairement installées et l’histoire des arts se veut pluridisciplinaire et transversale. Je relève les savoirs et compétences croisant l’architecture et le projet :

Français Communiquer et vivre en société ; Enrichir son vocabulaire ; Exprimer à l’oral un point de vue ; Comprendre les apports des pairs.
Arts-plastiques Développer l’invention au sein de situations ouvertes favorisant l’autonomie à partir d’éléments du langage artistique (forme, espace, lumière, couleur, matière, geste, support, outil, temps), afin d’explorer des domaines variés (dessin, peinture, collage, modelage, photo, vidéo, numérique, etc.) ; Rencontrer des œuvres dans une approche sensible et curieuse ; Expérimenter, créer, mettre en œuvre un projet plastique ; Représenter le monde ; Exprimer des émotions ; Narrer par les images.
Enseignement moral et civique Devenir conscient de ses responsabilités dans sa vie personnelle et sociale ; Acquérir une conscience morale par l’identification et l’expression des émotions et sentiments ; Acquérir le sens des règles du vivre ensemble ; Mettre en pratique ces valeurs par l’autonomie, la coopération et la responsabilité vis-à-vis d’autrui.
Questionner le monde Décrire et comprendre le monde qui nous entoure ; Devenir citoyens ; S’approprier des outils et méthodes pour se situer dans l’espace et dans le temps.
Mathématiques Modéliser, représenter, raisonner ; Grandeurs et mesures ; Espace et géométrie.

Il n’est pas question de se substituer à l’institutrice, garante et maître des objectifs pédagogiques. L’intervention doit consolider les connaissances déjà apprises en les mettant en situation, afin de vérifier, par l’expérience pour les élèves et par l’observation pour l’enseignante, si elles sont effectivement intégrées[19].

Sensibiliser au projet par le projet

Sensibiliser à l’architecture et à la ville, c’est construire des situations permettant leur appréhension par la stimulation des sens (vue, toucher, ouïe et déplacement – pour explorer l’espace), car nous vivons continuellement dans un environnement aménagé, généralement bâti, sans le voir pour autant.

Néanmoins, les visites sensibles ne suffisent pas à comprendre l’architecture et la ville. Il faut en faire une expérience consciente pour apprendre non seulement à les percevoir, mais aussi les expliciter, les qualifier et les replacer dans une production intellectuelle et matérielle, afin de les relier à notre culture. L’expérience doit aussi être engagée, via le faire, en initiant les élèves au projet. L’objectif n’est pas d’apprendre à des CE1 à concevoir un projet, mais de les mettre en situation de projet, considérée comme moyen d’apprentissage par l’expérimentation, afin de les sensibiliser, en tant que citoyen, à la fabrique individuelle et collective de l’architecture et de la ville. Cela nécessite d’explorer les moyens matériels pour (se) représenter le monde : photos, cartes, diagrammes, dessins, maquettes, collages.

En écho au programme de CE1, quelques notions liées à la constitution de l’architecture et de la ville :

Architecture . Conception : contextes, représentations.

. Construction : techniques, matériaux.

. Perception : formes, espace, proportions, promenade architecturale, vues, lumière, couleur.

. Habiter : usages, confort.

Ville . Aménagements : environnement, règlements.

. Formes urbaines : parcelles, voies, édifices, ilots.

. Programmation : logements individuels et collectifs, équipements, espaces publics, espaces verts.

Par nature pluridisciplinaire[20], le projet permet de croiser des connaissances variées, en mobilisant celles du programme et de surcroît, les notions architecturales et urbaines nouvellement découvertes.

Éveiller une conscience citoyenne

Par ailleurs, depuis le tournant des années 2000, le « vivre ensemble » a envahi toutes les sphères de la société, jusqu’aux programmes pédagogiques des écoles[21]. Or, les élèves d’une même classe vivent déjà ensemble, partageant un quotidien scolaire (cours, récréations, repas, sorties). Mais au-delà de l’habituel groupe de copains, partagent-ils vraiment des règles de vie, des valeurs civiques, sociales et morales[22], une culture ? Afin de partager du commun, il faut en prendre conscience en le fabriquant ensemble au sein du groupe classe, puis en le reliant à un commun plus grand, l’école, l’histoire des arts, la culture.

Pédagogie par le projet / par le jeu

Avec l’enseignante, nous n’avons pas évoqué d’apprentissage par le projet ou le jeu. Pourtant, dans les sciences de l’éducation, la pédagogie « par le projet » remonte au tournant du XXe siècle. Et si l’apprentissage « par le jeu » a toujours existé, sa reconnaissance en tant que méthode pédagogique est récente[23].

Pour saisir la pédagogie « par le projet », il faut commencer par définir ce dernier. D’après Boutinet, psychosociologue, l’étymologie du projet est double : du grec problema (problème), jeter une question dans son esprit et du latin projectum (projet), jeter en avant. Le projet articule réflexion et action, ce qui conditionne une itérativité conception-réalisation[24]. [ill. 01] En se matérialisant, la pensée se confronte au réel, auquel elle n’est jamais totalement adaptée, il faut alors la reformuler et la rematérialiser. Au fil des allers-retours, les écarts et incertitudes se réduisent[25]. Ainsi, le projet est une anticipation opératoire de type flou d’un avenir désiré[26]. L’objectif du projet est de faire sens en établissant des liens entre des choses qui n’ont apparemment rien à voir ensemble[27].

Schéma
ill. 01 : Écriture orthographique du projet signifiant le travail itératif conception/réalisation. Jean-Pierre Boutinet, Grammaires des conduites à projet, Paris, PUF, 2010, p. 76 / L’essence du projet. Patrick Mestelan, L’ordre et la règle, Vers une théorie du projet d’architecture, Lausanne, PPUR, 2005, p. 26

S’appuyant sur la notion kahnienne « d’ordre »[28], Mestelan définit « l’essence du projet », reformulation de l’itération conception/réalisation, en précisant la visée de « la pensée », à la recherche d’un ordre et celle de « l’expression », à la recherche de règles[29]. [ill. 01] La règle renvoyant inévitablement au jeu (voir infra).

Dans les écoles d’architecture, le projet s’apprend essentiellement par la pratique du projet. Nous partageons la pédagogie par le projet avec les sciences de l’éducation. En effet, Dewey prônait un apprentissage par et dans l’action[30]. Son successeur, Kilpatrick, dégagea quatre types de projet dans l’éducation[31]. Cette forme pédagogique s’est peu à peu imposée dans la deuxième moitié du XXe siècle[32].

Perrenoud en donne la définition actuelle suivante : entreprise collective gérée par le groupe-classe […], orientée vers une production concrète […], induit un ensemble de tâches dans lesquelles tous les élèves peuvent s’impliquer et jouer un rôle actif […], suscite l’apprentissage de savoirs et de savoir-faire de gestion de projet (décider, planifier, coordonner, etc.), favorise en même temps des apprentissages identifiables (au moins après-coup) figurant au programme d’une ou plusieurs disciplines […] »[33]

Par ailleurs, pour Bordallo et Ginestet, la pédagogie de projet est un équilibre entre trois pôles : affectif (mise en jeu de la motivation, du plaisir et du désir) ; social (prise en compte des ressources et contraintes de la réalité) ; rationnel (acquisition des savoirs, savoir-faire et compétences)[34]. Le pôle affectif entre en résonnance avec « le désir d’architecture » évoqué plus haut et le plaisir, présent dans les définitions du jeu (voir infra).

Et parce qu’il élabore plusieurs scénarios, opère par tâtonnements empiriques et évalue son propre processus en cours d’action, le projet s’assimile à une activité de « résolution de problèmes »[35]. Précisément, c’est l’itérativité entre réflexion et action qui s’apparente à la méthode par « essais-erreurs »[36]. De leur côté, les neurosciences cognitives l’appellent « retour d’information », l’un des quatre piliers de l’apprentissage[37].

Par ailleurs, qu’entend-on par pédagogie « par le jeu » ? Ce dernier est polysémique, désignant des actions variées. Dans sa dimension ludique, c’est une activité spontanée et universelle chez l’enfant, lui permettant de découvrir le monde.

Il existe de nombreuses tentatives de classifications des jeux, selon divers critères. Pour sa part, Caillois a mis en évidence les rapports entre jeu et interactions sociales, en le définissant comme une activité : libre (sans obligation pour être divertissante), séparée (limitée dans le temps et l’espace), incertaine (finalité inconnue), improductive (ne créant ni bien, ni richesse), réglée (temporairement) et fictive (non inscrite dans la réalité)[38]. Et il se trouve que vers 6 ans (CP), l’enfant accepte et respecte les règles d’un jeu, signe du développement de sa capacité de socialisation.

Pour de Grandmont, le jeu est un moyen pédagogique à part entière, permettant d’enclencher la motivation nécessaire à l’apprentissage. Elle dégage le jeu : ludique (libre, source de plaisir, sans apprentissage, nécessaire au développement de l’enfant), éducatif (apprentissage de nouvelles connaissances, observation des acquis, aspect éducatif caché, plaisir diminué) et pédagogique (travail, examen des connaissances, apprentissage précis, plaisir de performer)[39]. L’auteure distingue l’acte ludique, premier palier de la pédagogie du jeu, d’une application éducative seconde, où s’établit la structuration de règles. Et précise : « Le jeu éducatif permet d’apprendre des règles par déduction, par hypothèse, par réflexion, ce qui développera un large spectre de stratégies en résolution de problèmes. »[40]

L’architecture est régulièrement associée au jeu dans les discours des architectes. Le Corbusier prétendait par exemple que « L’architecture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière »[41]. Une exploration plus scientifique de ce rapport émerge actuellement[42]. Et effectivement, au regard des travaux de Winnicott[43], qui voit l’origine de notre pulsion créative dans le jeu enfantin, le rapprochement projet/jeu semble fécond[44]. Pour lui, jouer est un « phénomène transitionnel », nous permettant de gérer la tension entre le monde extérieur (la réalité) et notre monde intérieur (notre omnipotence d’enfant, nos rêves), notre omnipotence d’enfant, nos rêves, dans une aire d’illusion intermédiaire que nous créons pendant et pour le jeu, un « espace potentiel », propice au projet.

Médiums de sensibilisation

Quelle que soit la nature de l’intervention, elle nécessite du matériel pédagogique spécifique. Fabriqué en amont, il est de deux natures :

En plus, sont à disposition : divers matériaux majoritairement de récupération (papier, carton, bois, polystyrène, argile, végétaux, etc.), ainsi qu’un peu de matériel (peinture, colle, etc.)

Dans le cadre d’un atelier convoquant la participation active des élèves, la maquette est au centre de l’intervention, d’abord, parce que c’est un artefact du projet permettant de confronter dans l’espace réel, la construction concrète des projections mentales, base des itérations entre imaginaire et réalité. Ici, le projet n’ayant pas vocation à être construit, il se confond avec sa représentation, la maquette.

Ensuite, elle permet d’expérimenter la matière, de la prendre en main pour en prendre la mesure (poids, dimensions, textures), d’apprendre à la mettre en ordre dans l’espace (concevoir : poser, enclore, couvrir, etc.) et à la mettre en œuvre (construire : éprouver la gravité par empilement, équilibre, etc.), de faire et défaire (itérativité ou essai-erreur).

Enfin, elle spatialise l’activité, qui devient aisément collective (le dessin, bi-dimensionnel, est plutôt individuel). Elle permet de visualiser sa production au regard de celle des autres, d’engager les échanges entre élèves, enseignante et architecte, d’opérer des choix concertés, bref, de co-construire un projet.

RÈGLE : DU PROJET, DU JEU ET DU VIVRE ENSEMBLE

La notion de règle revient dans les définitions du projet, du jeu et du vivre ensemble (engagé dans les deux précédents). Cette polysémie, viendrait-elle du fait que certaines règles sont explicites, similaires à des règlements, que l’on ne peut transgresser et d’autres, implicites, relevant de conventions, que l’on peut interpréter, voire enfreindre ?

Concrètement, la règle est l’instrument de mesure de l’architecte. Elle quantifie la matière, via une unité, le mètre par exemple. Associée à la notion de rapport dans nos représentations, elle en établit l’échelle. Mais nous mesurons aussi l’espace par ses qualités (proportion, lumière, etc.). Alors, le corps, par exemple, devient l’étalon de la règle (hauteur d’œil, pas, etc.)

Dans la théorie architecturale, la règle, dans sa dimension abstraite, remonte au traité inaugural albertien[46], où la conception se base sur des principes universels et des règles génératives (issus du corpus), couvrant l’ensemble de l’espace édifié, de la maison à la ville[47]. Souvent confondus, Quatremère de Quincy les distingue et hiérarchise : « Les principes sont des vérités générales, les règles en sont les applications particulières. »[48]

Pour Epron, la doctrine (ou discours) de l’architecte rend opératoire les principes de la théorie en énonçant des règles concrètes ou préceptes, pour le projet[49]. La part d’interprétation, de création, de « jeu », du projet, réside dans ce passage, entre principes et règles.

Par ailleurs, la règle renvoie à la notion d’unité[50]. L’architecture étant constituée de parties et d’éléments divers (corps de bâtiment, pièces, planchers, portes, etc.) et de réalités hétérogènes (idées, règlements, électricité, etc.), la règle, en formulant le mode d’assemblage, cadre et contrôle le projet, fait sens entre les parties.

Autrefois, l’académie fixait les principes et les règles, garants du goût officiel, ces dernières étant néanmoins offertes à la transgression[51]. Aujourd’hui, seules les règles persistent dans notre vocabulaire. Devenues synonymes de principes, elles ont perdu en subtilité. Elles englobent « les règles intrinsèques à la discipline architecturale » ou « tirées des contraintes » du projet ou proviennent « d’une posture éthique ou esthétique du concepteur » [52] – son goût personnel. Elles ont toujours pour objectif d’assurer l’unité et la cohérence du projet, pour faire sens.

Ces règles se distinguent des règlements urbains ou des normes constructives (les règles de l’art) que le projet se charge d’appliquer, en les interprétant en situation particulière. Explicites et officiels, ils émanent généralement d’autres disciplines, comme le droit.

De son côté, la règle du jeu est écrite, expose le but et les conditions de l’action, donne un cadre (ce qu’il faut faire et ne pas faire). On l’applique pour jouer. Elle relève plutôt du règlement. Elle est explicite, non interprétable, sinon il y a triche. Elle rattache le joueur à la réalité. Pendant le jeu, des règles implicites, floues, car parfois différentes d’un individu à un autre, relevant du savoir-vivre, sont spontanément expérimentées. Les joueurs les respectent, en testent les limitent ou les transgressent, au risque de provoquer l’arrêt du jeu ou de s’en faire expulser par les autres joueurs.

Les règles sociales sont des principes supérieurs que l’on ne discute pas, gérant la vie quotidienne, comme les acteurs au sein du projet, les joueurs au sein d’un jeu ou les élèves au sein d’une classe. Liées à un projet collectif, elles opèrent dans le champ symbolique[53] et servent de base à l’organisation sociale en régulant les interactions, afin de garantir la liberté de chacun. Elles exercent une contrainte psychique sur les comportements des acteurs. Elles ont pour corollaire, la régulation[54], la part de liberté qu’ils s’autorisent : maintien, création, modification, destruction, des règles initiales.

Alors, dans le cadre d’une sensibilisation à l’architecture et à la ville en milieu scolaire, comment la règle permet-elle le projet et comment fait-elle lien entre projet, jeu et vivre ensemble ?

PROJETER ENSEMBLE

Cela s’est traduit par deux interventions distinctes, néanmoins articulées et fondées sur le même principe : D’abord, une discussion collective autour de notions architecturales et urbaines, adossée à des documents ou une visite, puis, un atelier pendant lequel les élèves fabriquent une production individuelle et une collective.

Vivre ensemble à Mazargues : Ma maison, notre quartier[55]

Cette première session s’est déroulée en classe, sur deux séances.

Discussion

Il s’agit d’abord de sensibiliser les élèves à quelques notions fondamentales, par la transmission d’un vocabulaire spécifique se rapportant à la ville, l’architecture, l’habiter et la construction, tout en apprenant à se repérer dans l’espace :

Puis, l’approche est plus culturelle :

Enfin, l’approche est plus technique :

ill. 02 : Matériel pédagogique pérenne et réutilisable.
Règles

Il est demandé à chaque élève de projeter une habitation, selon ses envies, mais dans le respect de ses voisins. Puis, les enfants construisent l’assemblage des maisons pour former un quartier autour d’une école.

Une photo de classe, distribuée à chacun, sert de règle : quantitative, via une échelle graphique et qualitative, via le corps humain, de chaque élève et de l’ensemble de la classe. Cette règle permet de se repérer dans les maquettes. La notion d’échelle est présente, bien que non explicitée, les élèves ne maîtrisant pas encore la division, donc la notion de rapport. [ill. 03]

ill. 03 : Matériel pédagogique spécifique à une intervention.

Les règles explicites, les règlements urbains, sont présentées sous forme de plan, où des icônes précisent, en fonction de la nature des limites de parcelle : quand on peut avoir des fenêtres (façade), en orange ; quand on ne peut pas en avoir (pignon aveugle), en bleu. [ill. 02]

Des règles implicites sont données par le matériel pédagogique. D’abord, quatre patrons d’habitations différents, distribués au hasard : deux petites maisons permettant de libérer du sol (jardin) ou deux grosses habitations prenant toute la parcelle. Ils portent la règle implicite de leur forme, mais l’assemblage étant libre, ils sont modifiables. [ill. 03] Ensuite, chacun tire au sort une parcelle numérotée qui s’implante sur la maquette de site, reprenant une situation spatiale urbaine familière (autour de l’église de Mazargues), pour s’y projeter facilement. A l’exception d’une école, elle semble vide. En réalité, elle comporte des tracés (parcelles, voies) qui renvoient aux règlements urbains. Ainsi, les parcelles offrent une diversité de dispositions (en partie courante, en angle, avec un ou plusieurs voisins, etc.)

Les règles implicites du vivre ensemble sont celles de la classe en situation réelle dans le cadre de l’atelier (camaraderie, etc.) et celles du citoyen, transposées dans le cadre du projet (« on ne dépasse pas chez le voisin » par exemple).

Atelier

Au départ, il y en a partout, puis les enfants s’organisent. Ceux qui sont à côté dans la grande maquette se regroupent pour travailler.

Après avoir reçu un patron d’habitation, chacun se l’approprie : en effectuant le montage à sa façon, en traçant des fenêtres et des portes (carrés, rectangles), symétriquement ou non, etc. La géométrie est intuitive. Il y a peu de variété et de créativité dans les couleurs, ce sont celles qui ont été posées sur la table. [ill. 04]

ill. 04 : Vivre ensemble à Mazargues : Ma maison, notre quartier.

La fabrication des maquettes amorce l’entrée dans le projet grâce à diverses formes d’itérations :

Parfois, l’interprétation de la règle implicite, débouche sur l’établissement d’une règle du projet. [ill. 05] Par exemple, celui qui a une grosse habitation prenant toute la parcelle n’a pas de jardin. Premier test : Décaler la maison en empiétant sur la parcelle voisine pour libérer du sol. Maîtresse et architecte : « Non, pas le droit ! » Deuxième test : Autre décalage, sur la rue. « Toujours pas le droit ! » Troisième test : Quand on appuie sur le toit à deux pentes, il s’aplatit. Sont-elles vraiment nécessaires ? On pourrait récupérer une surface horizontale et en faire une terrasse ou un jardin. Maîtresse : « Pas le droit ! » L’architecte : « Bonne idée ! »[56] Cette transgression individuelle, reprise par plusieurs élèves, se transforme en règle collective du projet fabriquant du commun : « Si j’ai une habitation qui occupe toute la parcelle et donc, que je n’ai pas d’espace extérieur privatif, alors je fais un toit-jardin. » Certains la copient, d’autres l’interprètent en ne mettant à plat qu’une pente, d’autres la copient sans la comprendre, en plantant de la végétation sur un toit resté en pente.

ill. 05 : Vivre ensemble à Mazargues : Ma maison, notre quartier.

En corollaire, tout le monde tombe d’accord pour que les petites maisons, avec jardins, gardent leur toit en pente, mais protègent leur intimité des regards, par des clôtures, des auvents ou de la végétation. Il n’y a pas eu de règle, comme par exemple : « Si je soulève la maison sur des pilotis pour libérer le sol, alors j’ai un jardin plus grand », peut-être par manque de « culture architecturale » ?[57]

L’itérativité est spatialisée par les va-et-vient entre le travail sur la maquette individuelle et son implantation dans celle qui est collective. On y pose son habitation à côté de celles des copains, on observe, on discute, on l’enlève, on retourne à sa place faire des adaptations et on réessaie la nouvelle disposition.

Le rassemblement des projets individuels dans la grande maquette, pour former le projet collectif, met en évidence la liberté d’expression de chacun dans le respect de tous. Mais à notre insu, certains ont transgressé les règlements urbains, consciemment ou par incompréhension. La sanction est immédiate : les fenêtres sur la façade en limite séparative sont bouchées quand l’habitation voisine s’installe sur sa parcelle. La règle urbaine, explicite et collective montre son bien-fondé : réguler les transgressions individuelles. [ill. 04]

Si l’individuel a été très investi, le collectif moins, sauf la cour de l’école. Le temps a peut-être manqué.

Jusqu’ici il n’était question que de projet et de travail, aucunement de jeu. Mais une fois le projet terminé, la maquette devient le modèle réduit du quartier imaginé, tel un objet transitionnel, un support de jeu. Alors, ayant au préalable demandé l’autorisation de les amener, les élèves sortent personnages, animaux et voitures, afin de jouer dans leur quartier, avec le plaisir du travail accompli, ensemble.

Vivre ensemble à la verticale : De l’unité d’habitation de Le Corbusier à la tour des CE1

Pour cette deuxième session, nous avons d’abord visité une œuvre architecturale, puis, il y a eu un atelier en classe, sur deux séances.

Visite

L’Unité d’habitation de Le Corbusier[58] est, certes, une icône du Mouvement Moderne, mais elle présente aussi l’avantage d’être à proximité de l’école, dans un quartier voisin à Mazargues, ce qui permet d’en souligner les limites. C’est un modèle d’appartements individuels qui fabriquent un immeuble de logements collectifs. Et elle a justement été construite « libre de toute réglementation »[59]. Elle est dite de « grandeur conforme », car ses dimensions sont au Modulor[60] et parce qu’elle correspond à un quartier d’habitations autonome, empilées à la verticale, soit environ 1600 habitants, avec commerces, services et espaces publics afférents, car à l’époque de la construction, il n’y avait quasiment pas d’autres constructions alentours.

La visite a vocation de faire l’expérience de l’architecture par les sens et d’expliciter in situ quelques notions architecturales fondamentales. Avant d’entrée, je fais un point sur Le Corbusier et les contextes dans lesquels le projet est né, en croisant : histoire (démolitions et après-guerre), géographie (orientation), modernité (art), logement social et services communs (confort pour tous), technique et matériaux (béton armé), mesures et géométrie (Modulor), plastique (couleur, moulage, faïence), etc.

J’ai fabriqué une maquette de principe, qui permet de montrer l’assemblage des cellules dans la grille structurelle en béton. Les enfants manipulent les appartements traversants en double hauteur, montants ou descendants, afin de comprendre leur emboîtement deux à deux, tête bèche, générant une rue intérieure au cœur de trois étages, car une fois à l’intérieur, plus rien n’est visible ni compréhensible. [ill. 02]

Au fil de la visite du collectif (hall, rue, commerces, toit-terrasse) et de l’individuel (appartement), on prend la mesure de l’architecture avec le corps et nos sens : espace, proportions, lumière, vues, matière, moulages, etc. [ill. 06] L’unité de mesure est la classe : Combien d’enfants dans une chambre ? Combien pour faire le tour d’un pilotis ? etc. [ill. 06] A cela se superpose l’approche sociologique au travers des modes de vie des habitants des années 1950.

ill. 06 : Visite de l’Unité d’habitation de Le Corbusier : Comprendre, expérimenter, percevoir, mesurer avec les sens, le corps.

Lors d’une pause sur le toit-terrasse, les élèves dessinent, sélectionnent, relèvent, restituent. Spontanément, ils prennent les empreintes du béton brut, des faïences. Les dessins montrent aussi ce qui vient d’être appris, comme l’emboîtement des cellules, les pilotis ou le toit-terrasse. [ill. 07]

ill. 07 : Visite de l’Unité d’habitation de Le Corbusier : Dessiner, restituer, relever.

De manière inattendue, sur le chemin du retour un élève m’explique longuement avoir été très intéressé par les stratigraphies[61] sur les murs de l’appartement. Il aime les choses qui ont vécu, la patine du temps[62].

Règles

De retour à l’école, même principe que pour le premier atelier. Les patrons des appartements avec deux murs en carton marron, deux planchers (haut et bas) en carton bois et un plancher intermédiaire avec escalier, portent des règles implicites, comme le sens de l’espace, donc les possibilités d’assemblage entre eux.

Et s’est bien ce qui est en jeu, comment assembler l’ensemble. Aux élèves à décider de la règle cette fois. Seulement deux sont clairement énoncées. Je demande, après tout ce que l’on a vu et appris : un quartier à la verticale. Ils précisent que ce sera une tour, grande comme un CE1 (environ 1,20 m).

Atelier

Chacun tire un au sort un patron. L’objectif n’étant pas tant la « cellule » individuelle que l’assemblage de l’ensemble et les usages communs qu’il peut générer, le montage individuel des appartements est rapide. Etonnamment, son appropriation par des ajouts de mobilier ou autre n’est quasiment pas investi.

Les élèves passent tout de suite aux parties communes qui, pour eux, font vraiment l’objet du projet. Après une discussion nourrie, ils en décident le programme : une école et un jardin à rez-de-chaussée ; des terrasses plantées à mi-hauteur ; un toit avec des aménagements sportifs. L’Unité n’est pas loin. Assez logiquement, les espaces entre les regroupements d’appartements sont collectifs.

Les élèves se réunissent en fonction des espaces et usages collectifs à réaliser. Par exemple, le toit-terrasse mobilise cinq élèves, car pour eux, la surface de cinq appartements est nécessaire pour aménager : un terrain de sports, une piscine avec plongeoir, un local pour se changer, un petit jardin. [ill. 08] Ce dernier étage conditionne le reste de la tour, car il faut arriver à monter 1,20 m avec les appartements restants, tout en ayant des espaces vides aux étages intermédiaires et néanmoins assurer la stabilité de l’ensemble.

Il faut décider comment assembler les morceaux de la tour, constitués de deux ou trois appartements. Alors, directement sur la maquette, on réfléchit, on discute, on argumente, on confronte les points de vue individuels au regard de l’intérêt collectif, on essaie, on recommence. Finalement, des écarts sont systématiquement ménagés en largeur et en hauteur, ainsi ils peuvent être plantés. [ill. 08]

Les apports du projet précédent sont réinvestis : l’école, le jardin, etc. ; ainsi que ceux de la visite : la pataugeoire est réinterprétée, plusieurs volumes sont soulevés (non sur pilotis, mais entre deux étages), etc.

Valorisation finale des deux ateliers

Ce n’est pas une note qui valorise le travail effectué, c’est la fierté du travail accompli, au sein de la classe, puis par l’exposition des maquettes à l’école d’architecture pour les Portes Ouvertes et enfin, à l’école primaire, pour la fête de fin d’année. Mais ce qui est produit reste à soi, chacun repart avec un livret restituant les deux ateliers et la visite et avec sa maquette. Son œuvre deviendra peut-être, surement, support de jeu.

Une valorisation entérine un travail, une production personnelle, un projet collectif. Un jeu, non.

PROJETER N’EST PAS JOUER

Projet en maquette et jeu de construction

Inévitablement, le projet en maquette dans le cadre d’une sensibilisation à l’architecture et à la ville en milieu scolaire, ressemble à un jeu de construction. Pourtant, il s’en distingue par son rapport à la règle, celle-ci ne servant pas les mêmes enjeux.

Entendu que les règles du « vivre ensemble », de la bienséance entre acteurs ou joueurs, qui dans le projet, comme dans le jeu sont a priori les mêmes, favorisent l’apprentissage de savoir-être. Je n’y reviens pas.

Plus précisément, si l’on reprend les critères de de Grandmont, le jeu de construction est ludique, c’est-à-dire : libre, sans règle, donc sans contrainte, source de plaisir, déconnecté de la réalité (sauf par des conditions physiques comme la gravité), sans apprentissage, sans but. Seules existent des règles implicites liées au matériel, généralement constitué de modules standards, comme les blocs Gigi®, les planchettes Kapla® ou les pièces Meccano®, imposant des dimensions, voire des formes. Avec le projet en maquette, les patrons de maisons restent modifiables et les matériaux proposés ne sont pas uniformes, mais découpables et adaptables. Dans les deux cas, la créativité est à l’œuvre.

Le projet en maquette pourrait aussi être perçu comme un jeu éducatif. Toujours d’après de Grandmont, il est : distrayant, sans contraintes perceptibles bien qu’il ait des règles, axé sur le développement de savoirs déjà acquis, l’apprentissage de nouvelles notions et la structuration de la pensée. Mais un jeu qui met en situation des connaissances en mathématiques par exemple, est loin de faire projet.

Le jeu existe avant que l’on y joue. Il est composé de règles explicites et éventuellement de matériel spécifique. Les règles cadrent le jeu, fabriquant des situations fermées. Le joueur n’y échappe pas, il ne peut les changer. Le jeu ne fabrique pas ses propres règles pour exister.

Le projet n’existe pas avant d’être conçu. Il est composé de règles explicites et implicites. Certaines existent avant de commencer. Le concepteur se les accapare, les rend opératoires et en crée de nouvelles pendant et pour le projet, justement pour qu’il existe. Pour se développer le projet a besoin de situations ouvertes.

Dans le jeu de construction ou le jeu éducatif, l’apprentissage de savoir, savoir-faire et savoir-être est inégal. Le projet en permet l’apprentissage croisé.

De polysémique, la règle s’évère être transversale, ayant la capacité de tisser des liens entre projet, jeu et vivre ensemble.

Sensibiliser et après ?

Sensibiliser à l’architecture et à la ville un enfant, adulte, habitant et citoyen en devenir, c’est essayer de le rendre exigeant et lui donner envie d’y participer[63]. Et il sera peut-être, pourquoi pas, maître d’œuvre, maître d’ouvrage, constructeur ou tout autre acteur de l’aménagement de notre cadre de vie.

Impossible de savoir ce que les élèves ont réellement appris lors de cette expérience. Une graine semée aussitôt envolée ou au contraire, qui a germé ?

Au fil du temps, des témoignages arrivent. Les enfants en gardent « un bon souvenir ». Ils sont globalement contents d’avoir « appris à travailler ensemble » et d’avoir « découvert l’architecture ». Les ateliers n’ont pas été perçus comme un jeu, mais comme une activité « pédagogique », « manuelle » ou « artistique ».

Fait inattendu, les interventions ont touché les familles par ricochet. Des mamans m’ont avoué n’être jamais entrées dans l’Unité d’habitation, alors qu’elles habitent dans le quartier. Certains enfants ont emmené leurs parents ou grands-parents visiter « le Corbu ». L’intervention aurait-elle rempli son rôle de médiation en donnant l’envie de franchir le seuil de l’architecture ? De son côté, la maîtresse a demandé à reconduire l’intervention l’année suivante.

Une forme de plaisir et ainsi, de « désir d’architecture », aurait-elle bien été transmise ? L’expérience d’un jeu éducatif, quand bien même centré sur l’architecture ou la ville, pourrait-elle engendrer un tel désir ?

Références

[1] Expression empruntée au rapport Bloche (2014). Première partie « Créer un désir d’architecture » : « La création architecturale, hier portée par une commande publique d’État dynamique et ambitieuse, semble s’être essoufflée. Non relayée par les maîtres d’ouvrage locaux, elle est aujourd’hui essentiellement limitée aux équipements publics des grandes villes et au logement social. La commande privée, quant à elle, s’adapte à la demande de ses clients ; en l’absence d’un désir d’architecture affirmé, ce sont des produits standardisés qui forment aujourd’hui la majeure partie du paysage urbain. Face à ce constat, il est urgent de créer, au sein de la société, un désir d’architecture partagé auquel puissent répondre un architecte mieux formé et une profession plus fortement structurée. » En ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2070.asp

[2] Depuis, notre tutelle a créé les Journées Nationales de l’Architecture (JNA).

[3] Comme : Arc en rêve (Bordeaux, 1981), le Pavillon de l’Arsenal (Paris, 1988), le Forum d’architecture et d’urbanisme (Nice, 1999), etc.

[4] Comme : Robin des villes (Lyon, 1997), La compagnie des rêves urbains (Marseille, 2003), etc. Il y a aussi des associations étudiantes au sein des ENSA(P), comme Graines d’archi à l’ENSA-Marseille.

[5] Organisée par La Compagnie des rêves urbains, elle « propose aux visiteurs de découvrir et de tester des jeux pédagogiques sur la ville et l’architecture, pour prendre conscience de leur intérêt dans la transmission de la culture de la ville et en encourager leur valorisation et édition. Elle a pour objectifs de : Présenter la richesse des jeux de médiation urbaine et architecturale développés par des structures nationales et internationales par le prisme des apports pédagogiques qu’ils offrent ; Valoriser l’expertise des professionnels qui les produisent et les utilisent dans leurs actions de médiation, renforcer leur visibilité ; Créer une prise de conscience de l’intérêt d’éditer ces jeux pédagogiques. »

[6] Organisée par Nadja Monnet, Christel Marchiaro, Laure Sabine Bampi, Project[s], ENSA-Marseille, ADEF-ESPE AMU, ENSP-Marseille-Versailles, novembre 2018.

[7] L’enseignement de l’histoire des arts est obligatoire en primaire, collège et lycée (arrêté 11 juillet 2008). Il se veut pluridisciplinaire et transversal. Essentiellement mis en œuvre dans le cadre des humanités (arts, français, histoire, etc.), il peut aussi s’inscrire dans le cadre d’enseignements scientifiques et techniques ou en éducation physique et sportive. Il comporte l’histoire des arts : de l’espace (architecture), du langage, du quotidien, du son, du spectacle, du visuel.

[8] Les arts-plastiques sont inégalement enseignés et valorisés à l’école. Le cadeau de Noël, de la fête des mères ou des pères fait souvent office de travail d’arts-plastiques. Le meilleur de la classe reste le bon en maths et/ou en français, le sportif est valorisé pour son esprit compétitif, mais quelle place pour celui qui est bon en arts ? Pour mémoire : En France, au collège, il y a 1h de musique + 1h d’arts-plastiques par semaine et a minima 3h de sport.

[9] Médiateur : Personne qui sert d’intermédiaire entre deux ou plusieurs entités ; qui s’entremet entre des personnes ou partis ayant des différends pour tenter de parvenir à un accommodement. D’après CNRTL.

[10] Bulletin Officiel de l’Education Nationale, 11, 26 novembre 2015, p. 35-41.

[11] Jean-Pierre Boutinet, « Discipline, didactique et projet, à propos de l’enseignement du projet en architecture », Cahiers Thématiques, 1, 2001, Discipline, visée disciplinaire.

[12] Sophie Paviol, Mireille Sicard, Marianne Veillerot, Transmettre l’architecture en milieu scolaire, Cahier de recommandations à l’attention des architectes, Grenoble, ENSA-Grenoble, 2010, p.13.

[13] Christel Marchiaro, 71-95 : L’enseignement du projet à travers les savoirs, mémoire de recherche, DEA Le projet architectural & urbain, dir. Yannis Tsiomis, Ecole d’Architecture Paris-Belleville / Université Paris 8, 1999.

[14] Guy Tapie, « Esquisse pour une théorie des modèles d’enseignement du projet d’architecture », in Guy Tapie (dir.), Enseigner le projet d’architecture, Ministère de l’Équipement, du Logement et des Transports, Paris, 1994, p. 13-39.

[15] Dans les textes de l’Education Nationale (décret 2015-372), les « savoirs » à transmettre ont fait place à un « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » à acquérir et maîtriser par l’élève au fil des cycles 2, 3 et 4 (du CP à la 3e).

[16] On ne peut enseigner sans savoir à qui l’on s’adresse. Michel Serres, « Petite Poucette. Les nouveaux défis de l’éducation. », séance solennelle, Académie Française, Paris, 2011.

[17] Jean Piaget, Bärbel Inhelder, La psychologie de l’enfant, Paris, PUF, 1966

[18] En ligne : https://cache.media.eduscol.education.fr/file/programmes_2018/20/0/Cycle_2_programme_consolide_1038200.pdf

[19] La sensibilisation ne prévoyant pas un contrôle des acquisitions, l’intervention peut facilement glisser de pédagogique à ludique.

[20] « Le savoir de l’architecte est riche d’un assez grand nombre de disciplines et de connaissances variées. » Vitruve (trad. P. Gros), De l’architecture, Livre I, Paris, Les belles lettres, 1990 (De architectura, env. 35 av. JC).

[21] Sous forme de débat de 30 min dans l’emploi du temps hebdomadaire : « Chacun apprend à se situer dans un horizon plus large que celui de l’école : celui du quartier, de la commune, de la France. Les élèves commencent à prendre conscience de la responsabilité de chacun dans la société. Ils découvrent l’articulation entre leur liberté et les contraintes de la vie en commun, les valeurs relatives à la personne et le respect qu’ils doivent aux adultes et à leurs camarades. » Collectif, Qu’apprend-on à l’école élémentaire ? Les nouveaux programmes, Paris, XO Editions, 2002 (édition actualisée régulièrement), p. 26-27, 63.

[22] Ibid., p. 95-99.

[23] « Introduire du jeu dans la pédagogie, c’est vouloir mêler plaisir et travail… Or, ce ne sont pas là des notions que le sens commun ni les enseignants rapprochent volontiers, du moins en France et à notre époque. » Chantal Barthélémy-Ruiz, « Le mariage de l’eau et du feu ? Jeu et éducation à travers l’histoire », Cahiers Pédagogiques, 448, 2006, Le jeu en classe.

[24] Jean-Pierre Boutinet, op. cit., p. 46-48, p. 65-77.

[25] Jean-Charles Lebahar, Le dessin d’architecte, Simulations graphiques et réduction d’incertitude, Marseille, Parenthèses, 1983.

[26] Jean-Pierre Boutinet, op. cit., p. 66.

[27] « Le projet consiste à rapprocher des réalités hétérogènes, sans rapport logique préalable entre un programme social, des structures porteuses, des réseaux de fluides, des formes urbaines, des règlements, des couleurs, des matériaux, etc., à découvrir ou bien à établir des rapports entre ces réalités. En d’autres termes, à construire une nouvelle réalité ordonnée (on peut dire de cet ordre qu’il est un sens, une harmonie, etc.), ceci en vue d’un résultat essentiel : rendre l’espace habitable (fonctionnellement, symboliquement, etc.) » Christian Devillers, « Sur l’enseignement de l’architecture », l’Architecture d’Aujourd’hui, 282, 1992.

[28] « L’ordre est l’incarnation des lois de la Nature. » Louis Kahn, Silence et lumière, Paris, Linteau, 1996, p. 14-15, 19-21, 27-39.

[29] « L’élément fondateur du projet réside dans l’intelligibilité d’une pensée et son expression. L’un et l’autre sont indissociables et engendrent un rapport de sens. Deux plans intersécants où toute évolution de l’un entraine une transformation de l’autre […] Le plan conceptuel est celui où la pensée se structure à la recherche d’un ordre, une vision du monde […] Le plan de l’expression est celui où la matière se structure à la recherche de règles […] pour donner une vocation à l’espace. » Patrick Mestelan, L’ordre et la règle, Lausanne, PPUR, 2005, p. 26-27.

[30] John Dewey, Experience and education, Indianapolis, Kappa Delti Pi, 1938.

[31] 1/ Matérialiser une idée sous une forme concrète ; 2/ S’approprier une expérience vécue ; 3/ Résoudre un problème ; 4/ Acquérir une connaissance par l’expérience. William H. Kilpatrick, « The project method », Teachers College Record, 19, 1918.

[32] Catherine Reverdy, « Des projets pour mieux apprendre ? », Dossier d’actualité Veille et Analyses, 82, 2013. En ligne : http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA/detailsDossier.php?parent=accueil&dossier=82&lang=fr

[33] Philippe Perrenoud, « Apprendre à l’école à travers des projets : pourquoi ? comment ? », Éducateur, 14, 2002. En ligne : https://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1999/1999_17.html

[34] Isabelle Bordallo, Jean-Paul Ginestet, Pour une pédagogie du projet, Paris, Hachette, 1993, p. 12.

[35] Ibid., p. 20.

[36] Le projet architectural, dans son objectif d’édification, ne se limite pas à résoudre des problèmes, où ceux-ci seraient considérés comme les contraintes. L’architecture, produit du projet, dépasse justement les contraintes.

[37] 1/ L’attention ; 2/ L’engagement actif ; 2/ Le retour d’information ; 3/ La consolidation. Stanislas Dehaene, Sciences cognitives et éducations, Les grands principes de l’apprentissage, Paris, Collège de France, 2012.

[38] Roger Caillois, Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard, 1991 (1958), p. 42-43.

[39] Nicole de Grandmont, La pédagogie du jeu, Paris-Bruxelles, De Boeck université, 1995.

[40] Nicole de Grandmont, Le jeu pédagogique, 2007. En ligne : http://pdagogieetphilosophiedujeu.blogspot.com/2007/04/le-jeu-pdagogique.html

[41] Le Corbusier, Vers une architecture, Paris, Crès, 1923, p. 16.

[42] Maryvonne Prévot, Éric Monin, Nicolas Douay (dir.), L’urbanisme, l’architecture et le jeu, Villeneuve d’Ascq, PUS, 2020.

[43] Donald W. Winnicott, Jeu et réalité : l’espace potentiel, Paris, Gallimard, 2002 (1971).

[44] David Malaud, Architectus ludens : faire illusion. Situation, symbole, diagramme, carte, thèse, dir. P. Amaldi, ENSA-Versailles / Université Paris-Saclay, 2018 ; Jennifer Buyck, Nicolas Tixier, Inès Ramirez-Cobo, « La maquette in situ comme pédagogie immersive du projet urbain. Des étudiants au cœur du quartier des Escanaux à Bagnols-sur-Cèze. A quoi joue-t-on ? », in Maryvonne Prévot, Éric Monin, Nicolas Douay (dir.), op. cit., p. 55-68.

[45] J’évite les découpes au cutter en classe, potentiellement dangereuses.

[46] Leon Battista Alberti (trad. P. Caye, F. Choay), L’art d’édifier, Seuil, Paris, 2004 (De re ædificatoria, 1485).

[47] François Choay, La règle et la modèle, Paris, Seuil, 1996 (1980), p. 22, 30.

[48] Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy, Dictionnaire historique d’architecture, tome 2, Paris, Le Clere & Cie, 1832.

[49] Jean-Pierre Epron, L’architecture et la règle, Bruxelles-Liège, Mardaga, 1981.

[50] Jacques Lucan, Composition – Non-composition, Architecture et théories, XIXe-XXe siècle, Lausanne, PPUR, 2009, p. 23-25.

[51] Jean-Pierre Epron, L’école de l’académie (1671-1793) ou l’institution du goût en architecture, Rapport de recherche, Ministère de l’urbanisme et du logement, CEMPA, Ecole d’Architecture de Nancy, 1984.

[52] Mathias Rollot, La conception architecturale – Méthodes, réflexions, techniques, Montpellier, L’Espérou, 2017, p. 165-167.

[53] Se distinguant ainsi des lois, relevant du juridique.

[54] Jean-Daniel Reynaud, Les règles du jeu, l’action collective et la régulation sociale, Paris, Armand Colin, 1989.

[55] Le programme pédagogique demande à ce que les élèves questionnent le monde en partant de leur environnement proche, la classe, puis l’école, puis le quartier, puis la ville.

[56] La règle, pris comme un règlement, l’emporterait-elle sur la créativité à l’école ?

[57] Nous n’avions pas encore visité l’Unité d’habitation et quand j’ai montré la construction d’une maison en maquette en classe, elle avait deux versions de toit (à deux pentes ou plat) et je n’ai pas soulevé la maison avec des pilotis.

[58] Le Corbusier, Unité d’habitation de grandeur conforme, Marseille, 1952.

[59] « L’œuvre est là : « l’Unité d’Habitation de Grandeur Conforme » érigée sans règlements – contre les règlements désastreux. Faite pour les hommes, faite à l’échelle humaine. Faite aussi dans la robustesse des techniques modernes et manifestant la splendeur nouvelle du béton brut. Faite enfin pour mettre les ressources sensationnelles de l’époque au service du foyer – cette cellule fondamentale de la société. » Le Corbusier, « Discours inaugural », Marseille, 14 octobre 1952.

[60] « Le Modulor est un outil de mesure issu de la stature humaine et de la mathématique. Un homme, le bras levé, fournit, aux points déterminants de l’occupation de l’espace – le pied, le plexus solaire, la tête, l’extrémité des doigts, le bras étant levé -, trois intervalles qui engendrent une série de Section d’Or. » Le Corbusier, Le Modulor, Paris, l’Architecture d’Aujourd’hui, 1950.

[61] Etude chronologique des couches de peinture, qui, dans le cadre d’une restauration, permet de retrouver la couleur originale.

[62] Sachant que la notion de temps n’est pas complètement acquise à 7 ans.

[63] « La sensibilisation aux enjeux de l’aménagement du cadre bâti renvoie aux droits et devoirs de chaque habitant à faire entendre sa voix et à assumer sa responsabilité citoyenne. » Sophie Paviol, Mireille Sicard, Marianne Veillerot, op. cit., p.11.

Sensibiliser à l'architecture par le jeu?

Exemple de manipulation architecturale intergénérationnelle

Résumé :

La sensibilisation à l’environnement bâti est une mission de l’architecte prévue par la Loi du 3 Janvier1977. Quels outils sont les plus usités pour permettre au public de comprendre et de s’exprimer sur l’architecture ? Est-il nécessaire de simplifier par le jeu, le discours architectural pour transmettre des notions élémentaires à un large public ?

Article

Parler d’architecture revêt actuellement la forme de l’amusement. Il émerge dans l’offre de sensibilisation nationale que, pour faire comprendre les enjeux de la projection collaborative des paysages bâtis, le plus efficace serait d’élaborer des activités ludiques dont le titre contiendrait des jeux de mots ou le mot jeu. Que ce soit l’atelier « Jeu de maisons », proposé par l’association Arc en rêve centre d’architecture (Bordeaux) pour la projection d’un tissu urbain, ou « L’architecture moderne, un jeu d’enfant » engagé par La compagnie des rêves urbains (Marseille), pour la sensibilisation aux formes d’un paysage construit, ou encore « Ludopolis, la ville en jeux » mis en place par Chic de l’archi (Lyon), l’architecture est souvent abordée sur le thème du divertissement.

Le jeu serait-il le moyen le plus efficace pour aborder les questions d’architecture ? La sensibilisation à l’environnement bâti serait-elle vectrice d’amusement ? Nous allons tenter dans cet article de répondre à cette problématique en deux étapes : nous allons tout d’abord établir les raisons qui poussent l’équipe de maitrise d’œuvre à consulter les usagers, et les moyens mis en œuvre pour ce faire. Nous examinerons ensuite le cadre théorique de la notion du jeu chez l’enfant que nous retiendrons pour notre démonstration. Enfin, nous illustrerons notre propos par l’exemple d’une manipulation intergénérationnelle ayant pour objet la familiarisation de tous les publics à la question de perte de repères dans un espace architectural.

1. La médiation culturelle en architecture, une mission de l’architecte.

Prévue à l’article L103-2 du code de l’urbanisme la concertation publique liée aux questions du cadre bâti permet à l’ensemble des responsables des projets paysagers, urbains et architecturaux (architectes, ingénieurs, élus, associations, commanditaires), de recueillir auprès des usagers (habitants) les informations permettant l’élaboration de projets ad hoc. L’usager, par sa pratique quotidienne de l’architecture thésaurise des perceptions, des ressentis et des compétences spatiales qui peuvent parfois être difficiles à verbaliser. Nous pouvons tous établir qu’un obstacle comme un luminaire ou une poubelle sur un trottoir peut rendre ce dernier difficilement praticable. Nous pouvons également comprendre que parfois une contrainte urbaine incontournable, comme une réglementation, une obligation d’équipement, des raccordements de réseaux, empêche la suppression du dit obstacle. Seul le dialogue entre usagers et équipe de maitrise d’œuvre peut placer cet obstacle à l’endroit le plus approprié pour que chacun puisse circuler à son aise, et au pire, envisager à l’endroit de l’équipement un élargissement du trottoir s’il est établi que la circulation piétonne à cet endroit le nécessite. Pour que ce dialogue soit efficace il faut parfois accompagner l’usager à nommer et hiérarchiser les informations exploitables en gardant en tête l’intérêt général. Ainsi, plutôt que de déduire des formes architecturales envisagées grâce à un préconçu issu de déductions théoriques, l’architecte pourra mettre en œuvre un environnement bâti répondant à des usages de territoire.

Pour ce faire, l’équipe de maitrise d’œuvre dispose d’artefacts conçus dans une volonté d’aide coopérative qui amènent « l’utilisateur à produire ses propres décisions »[1] en l’accompagnant dans son activité d’analyse (Falzon 1989). L’artefact est un objet technique (Brandt-Pomares 2013) considéré comme un Objet Matériel Fabriqué (Rabardel & Vérillon, 1985) qui, par son appropriation par le sujet au cours de sa manipulation, permet soit de « réaliser des opérations », soit de « prélever des informations »[2]. Nous distinguons ainsi l’outil (le marteau par exemple) de l’instrument (le piano) qui « demande plus d’engagement du sujet dans l’activité »[3]. Par l’usage que fait le sujet de l’objet (Rabardel 1995), il se l’approprie (prise en main, adaptation, ajustement, transposition) et transforme l’artefact en instrument. Ainsi, les activités, objets et manipulations proposées dans le cadre de concertations publiques et de campagnes de sensibilisation de tous les publics à l’architecture sont des artefacts, instrumentalisés par les sujets sollicités (les usagers) qui leur permettent de comprendre l’espace et de transférer aux instances compétentes, les informations essentielles à sa conception. Ces artefacts peuvent donc revêtir la forme d’outils et être mis à la disposition des usagers, comme des affiches, des fascicules ou des expositions relatant les projets en cours ou à venir. Ou alors revêtir la forme d’instruments, comme des ateliers, des manipulations des questionnaires directifs ou semi directifs, permettant le recueil de données. Ces artefacts sont à l’interface entre les usagers, ceux qui pratiquent l’espace, et l’architecte, celui qui conçoit l’espace. Pour qu’une concertation publique produise les résultats escomptés, il faut que les interlocuteurs se comprennent. Le choix des artefacts est donc décisif à ce moment de la conception. Ils vont permettre par exemple, de cibler et de simplifier les contraintes en présence, de retenir les éléments du programme qui induisent les connaissances des usagers, d’établir des liens entre les formes bâties existantes et projetées, de diriger le débat public pour le rendre efficace. Dans les nombreuses missions de l’architecte nous en retiendrons deux qui nous paraissent fondamentales ici : écouter (Champy 2001) et retranscrire par le dessin les informations transmises (Lebahar 1983). Ainsi, déterminer les moyens qui permettent de faire comprendre des problématiques urbaines complexes (Prévot, Monin, Douay 2020) peut s’avérer délicat. C’est sans doute pour cela, et quel que soit l’âge des usagers consultés, que nous utilisons des artefacts ludiques et faciles à appréhender par le plus grand nombre. D’autant que, généraliser l’utilisation de ces artefacts répond à la volonté des pourvois publics (Tasca 2000) de mettre en oeuvre une sensibilisation aux questions relatives à l’architecture, au paysage et à l’urbanisme auprès de tous les usagers. Cette orientation éducative et culturelle découle d’un même constat national et européen (Conseil Européen 2000) : l’environnement bâti s’améliore avec la participation active d’usagers éclairés.

Si nous devons recueillir les avis de tous les usagers, comment parvenir à élaborer un échange constructif avec les plus jeunes ? Quel mode de communication choisir et quelles activités ? Le discours de l’enfant, s’il est dirigé et incrémenté d’un champ lexical adapté, se révèle structuré et inspirant. Sollicitée par des enseignants de l’élémentaire dans le cadre du parcours obligatoire à l’éducation artistique et culturel (PEAC prévu par la Loi de 2013), j’ai commencé à concevoir des activités de sensibilisation à l’architecture en tentant de ne pas imputer à l’enfant les aprioris que l’on pourrait avoir sur la façon dont il perçoit son environnement (Montessori 1914). Il est assez fréquent d’entendre dire que lorsqu’un enfant joue, on peut l’interrompre, comme si cette activité venait en marge des tâches quotidiennes qu’il devrait accomplir pour acquérir les compétences d’un futur adulte. Or, lors de mes interventions en milieu scolaire, organisées sous forme de manipulations ludiques afin d’être appréhendable par les enfants, je me suis rendue compte que parler d’architecture au jeune public peut se faire sans infantiliser les élèves. Il suffit, pour se faire comprendre, de simplifier son discours d’architecte. Cette méthode établie par René Descartes en 1637 et commentée par Etienne Gilson en 1987[4], prévoit pour bien conduire sa pensée, de diviser les idées (A, B et C par exemple) afin de les isoler les unes des autres, de les énumérer (en trois parties : A, B et C) afin que chacun puisse les identifier et suivre leur développement, puis de simplifier son argumentaire avant d’y intégrer des éléments plus complexes, de vocabulaire par exemple. Utiliser cette technique (acquise en collège) a permis de développer mon appétence à clarifier mon discours auprès de tous les publics, d’enrichir leur champ lexical par l’usage de mots simples agrémenté de synonymes techniques sans pour autant infantiliser mon auditoire. Un enfant de 7 ans par exemple est capable d’entendre et de retenir qu’une fenêtre dans le champ lexical de la construction, se nomme menuiserie et est dessinée et conçue par le menuisier.

J’espère donc ici, réduire le fossé creusé entre ce que l’adulte perçoit de l’enfant quand il joue, et ce que l’enfant perçoit de son propre jeu. Je pourrais ainsi, après avoir défini le terme de jeu tel que j’entends l’utiliser, définir comment, par le désir et le plaisir, nous pouvons encourager les citoyens d’aujourd’hui et de demain à affirmer leur capacité à prendre part à la construction de leur environnement bâti. L’analyse de l’expérimentation effectuée auprès d’un large public lors de MP 2013 viendra compléter mes propos.

2. Le jeu, une activité isolée dans les interactions sociales ?

Si je me réfère aux œuvres de certains auteurs, je comprends que le jeu peut être considéré comme une activité située en dehors de la sphère sociale réelle. Dans son ouvrage homo Ludens, J. Huizinga défini le jeu comme,

« une action qui se déroule dans certaines limites, de lieu, de temps et de volonté, dans un ordre apparent, suivant des règles librement consenties, et hors de la sphère de l’utilité et de la nécessité matérielles. »

Il poursuit en ces termes :

« L’ambiance du jeu est celle du ravissement et de l’enthousiasme, qu’il s’agisse d’un jeu sacré, ou d’une simple fête, d’un mystère ou d’un divertissement. L’action s’accompagne de sentiments de transport et de tension et entraîne avec elle joie et détente.[5] »

Le jeu serait, selon l’auteur, une activité annexe à la réalité. C’est la définition que R. Caillois retient également dans son œuvre Les jeux et les hommes (1958) dans laquelle il définit le jeu comme « une activité libre, incertaine, avec des limites précises de temps et de lieu, il a ses règles et il est sans conséquence pour la vie réelle[6] ». Je poursuis avec J. Chateau, qui écrit en 1973 que le jeu est,

« Une action libre, sentie comme fictive, située hors de la vie courante, dépourvue d’intérêt matériel et d’utilité, bien délimitée dans le temps et dans l’espace, se déroulant sous certaines règles et suscitant des relations de groupe qui accentuent leur étrangeté vis-à-vis du monde habituel[7]».

L’enfant qui joue se prêterait donc à une activité accessoire sans incidence sur sa construction et ses apprentissages.

Ce n’est pas le sens que retient R. Bailly (2001) lorsqu’il cite D.W. Winnicott qui aborde le jeu en ces termes : « L’enfant peut distinguer la réalité de ses désirs propres, mais le jeu est un moyen d’exister en tant que « soi », malgré les contraintes de la réalité auxquelles il doit s’adapter[8] ». Ainsi, l’enfant est conscient, même dans le jeu, qu’il s’inscrit dans une réalité sociale contraignante et astreignante. Le caractère libérateur du moment de jeu est intégré à l’école par la systématisation en 1866[9] de pauses récréatives[10] qui permettent à l’enfant de « reconstituer la force de travail et l’attention mobilisée en classe[11] » (Delalande 2001), il est admis que l’enfant a besoin pour bien apprendre, de séquencer une journée entre travail et amusement. L’auteure va plus loin dans un article de 2003 puisqu’elle démontre que le moment récréatif, moment de la journée durant lequel l’adulte considère que l’enfant joue en dehors des temps consacrés à l’apprentissage, est un moment privilégié qui permet aux enfants d’acquérir une certaine autonomie en apprenant entre eux[12]. L’enfant se construirait donc dans le jeu, car « le jeu, dans le monde social, n’est pas « inutile » ; il a une fonction de création de sens.[13] » (Catinaud 2017). Je retiens donc cette approche du jeu chez l’enfant : une activité formatrice qui favorise la construction du soi dans l’amusement et le plaisir.

La notion de plaisir inhérente au jeu de l’enfant (Fauquier 2003) serait donc un moyen d’apprentissage. La création de jeux dont le but serait de permettre l’acquisition de nouvelles compétences et connaissances relèverait alors de la pédagogie, puisque la pédagogie, selon la définition de P. Meirieu est « d’inventer obstinément des dispositifs et des médiations qui permettent à tout sujet de mettre en œuvre et de développer sa liberté d’apprendre[14]». Nous pourrions donc considérer le jeu non pas comme une activité ludique accessoire mais comme un artefact pédagogique.

La problématique de cette théorie est de parvenir à proposer (créer) une activité qui procurera du plaisir à l’enfant et qui sera perçue par les adultes comme génératrice de nouveaux acquis nécessaires à la construction du citoyen de demain. J’évince volontairement, lors de la conception d’interventions en médiation culturelle, le caractère infantile du jeu tel que l’adulte le perçoit. J’augmente la difficulté lorsque je vise comme résultat de l’activité, de permettre aux enfants comme aux adultes, de bénéficier des apports culturels d’un atelier sans qu’ils perçoivent le fossé générationnel.

3. Pour une sensibilisation accessible à tout âge.

Je vais, pour illustrer mon propos, vous relater le premier atelier que j’ai proposé au public dans le cadre de MP 2013[15]. Cette activité s’adressait à un jeune public (inscription libre de 4 à 14 ans) et à leurs accompagnateurs (parents, grands-parents et éducateurs). La mixité du public rendait l’expérience particulièrement intéressante. Que proposer comme activité à un public dont les perceptions et les attentent paraissent, de l’avis de tous, être si divergentes ? J’ai tout d’abord déterminé un sujet commun à l’architecture, à l’enfant et à l’adulte : la question des pertes de repères. Un enfant panique lorsqu’il perd ses référents adultes dans un édifice ; un adulte est inquiet lorsqu’il s’égare dans une construction complexe, cette appréhension est en partie la raison de l’apparition de la signalétique. J’ai ensuite déterminé un objet commun à l’architecture, à l’enfant et à l’adulte : le labyrinthe. Retrouver son chemin au travers les dédales de cet édifice est une activité appréciée à tous les âges et sous toutes ses formes, du parcours initiatique primitif au parc d’attraction cette forme architecturale est comprise et connue d’un très large public. Lors de l’activité, les participants devaient projeter, dessiner et édifier un labyrinthe à l’aide de blocs de cartons et ce à l’échelle une. Pour parvenir à leur faire comprendre que la peur liée à la perte de repères est une émotion identifiable et contrôlable, il fallait dérouler un argumentaire logique : le labyrinthe est une forme exploitée depuis des siècles justement pour stimuler l’anxiété puis le soulagement d’avoir traversé l’épreuve avec succès. Désacraliser cet édifice en intégrant les phases de sa conception et de sa mise en œuvre peut fournir des moyens de contrôler l’émotion. Je leur transmettais, pour réaliser l’activité, quelques rappels historiques et archéologiques, avec une étude rapide du palais de Cnossos (7000 AEC) découvert en 1878, qui fut conçu autour d’une cour centrale desservie par des dédales complexes.

Image 01 : Plan du Palais de Cnossos, Crète. (Image : Jolle~commonswiki)

Cet édifice ne contenait ni cuisine, ni écurie. L’aspect étrange de cette construction et la découverte de restes de taureau dans les vestiges de la cour furent à l’origine de la légende du Minotaure dans la mythologie grecque. J’ajoutais ainsi quelques rappels littéraires.

J’y ajoutais les notions connues de tous et utiles au dessin d’un labyrinthe comme la géométrie et les mathématiques. Puis leur ai tracé au sol, comme repère de dessin une grille au scotch vinyle.

Image 02 : Planche de présentation de l’activité. (image : Lsb)
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Sensibiliser à l'architecture par le jeu
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Image 07. Images 03 à 07 : Le labyrinthe fut construit en collaboration intergénérationnelle.

Cette manipulation a permis au public de prendre conscience de l’effet de perte de repères dans un édifice sur son état émotionnel et a été mis en situation de s’y orienter quand même. Démystifiant ainsi certains aprioris que les utilisateurs ont à l’idée de se déplacer dans un parking souterrain ou dans une ville étrangère, tout en se mettant à la place de ceux qui pratiqueront l’espace : « j’ai mis un pont ici, c’est pour que les gens perdus se repèrent » (Gaël, 9 ans).

Le résultat de cette collaboration entre petits et grands a dépassé mes attentes puisque, même si j’avais volontairement appuyé sur le caractère initiatique d’un tel ouvrage, l’interaction entre les adultes, qui se concentraient sur la réalisation à proprement parler de l’œuvre, et les enfants qui concevaient un projet ayant pour vocation à stimuler la peur puis le soulagement, a permis la conception d’un parcours amphigourique novateur. Le public a ensuite pratiqué cet espace et l’a fait évoluer au gré des remarques que chacun apportait : « il faut une porte ici », « ici on met une impasse pour que tout le monde fasse demi-tour », « là je mets la brique à la verticale, comme ça on sait si on est déjà passé par là ». Les adultes, alors qu’ils avaient pris en main la mise en place des blocs de cartons rappelant les règles que j’avais énoncées (la disposition de briques en quinconce, la largeur des passages, la hauteur des murs), se sont très vite pris au « jeu » et ont fini par adhérer volontiers à cette conception plus instinctive que leur proposaient les enfants. Ils ont tous fini par concevoir dans l’espace en trois dimensions, sans plus se référer au plan qu’ils avaient dessiné. Chacun a ainsi apporté sa pierre à l’édifice sans qu’aucun des usagers ne sente la différence d’âge qui les séparaient.

4. La médiation culturelle comme outil de concertation publique.

Ainsi, si l’on considère que les artefacts adaptés au recueil des besoins collectifs en matière d’architecture sont inspirés des jeux de l’enfance pour privilégier leur appréhension par le plus grand nombre, il se révèle constructif de plonger un groupe intergénérationnel dans la même activité culturelle sans forcément proposer de niveau de compréhension, juste en se fondant sur les perceptions et émotions révélées par l’espace. Et que par ces manipulations nous parvenons non seulement à former le citoyen de demain aux questions relatives à la construction de son environnement bâti, mais aussi de former le citoyen d’aujourd’hui, et de leur permettre, à tous, de communiquer leurs intentions clairement. Ne pourrait-t-on pas envisager le jeu de l’enfant non plus comme une activité accessoire dans l’acquisition de ses savoirs et de ses compétences, mais plutôt comme une activité nécessaire à sa construction par l’engagement qu’il fait, pendant le jeu, des compétences et savoirs déjà acquis ?

Il ne semble donc pas impératif de simplifier le discours architectural au point de le grimer sous la forme du jeu. L’action éducative engagée lors de manipulations participatives peut être conçue dans l’optique de procurer au sujet le seul plaisir d’acquérir les notions utiles à l’enrichissement de son vocabulaire architectural et de parvenir à communiquer les besoins qui se révéleront profitables dans l’avenir. Atteindre ces deux objectifs, par le recueil et la collection de renseignements choisis, garantit la coconstruction d’un environnement bâti de qualité (Conseil Européen 2000). Penser la conception d’outils adaptés au public concerné (jeune public, public adulte, élus, enseignants), au cadre dans lequel interviendra la concertation (Conseil d’intérêt de quartier, établissement scolaire, municipalité) et au projet envisagé (aménagement urbain, équipement, logement) devrait prendre l’ascendant sur la notion d’amusement que cette intervention procurera, et laisser au public, non pas le sentiment de s‘être diverti, mais celui d’avoir activement participé au projet qui sera mis en œuvre. Ainsi, nous comprenons que, si « le processus joue sur la substance »[16] comme l’aborde Nicolas Louvet (2005) dans sa thèse, et qu’il faut envisager la concertation publique comme étant productrice d’un « apport effectif […] à l’élaboration d’une politique publique »[17], les artefacts mis en œuvre doivent, malgré la simplicité des moyens convoqués, respecter le caractère solennel de la démarche. Penser collectivement l’architecture engage l’ensemble des acteurs de la cité. Qu’ils soient décideurs, projeteurs, commanditaires ou usagers, chacun possède des savoirs inéluctables sur le sujet. Solliciter positivement et efficacement le public lors d’une concertation, par une conception judicieuse des outils de recueil de données, permettra d’exploiter telles quelles les informations produites induisant ainsi l’action effective et directe des usagers sur les décisions urbaines.

Références

[1] Brandt-Pomares, P, (2013) Les technologies de l’information et de la communication en didactique de l’éducation technologique Analyse des instruments de l’activité enseignante. Éducation. Aix-Marseille Université, p39

[2] Ibid p33

[3] Ibid

[4] E, Gilson (1987) Discours de la méthode, J. Vrin, Paris.

[5] J, Huizinga, 1988, Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, 1988, p217.

[6] R, Caillois, 1958 Les jeux et les hommes, Gallimard Paris, p32

[7] J. Chateau, 1973, Le jeu chez l’enfant, introduction à la pédagogie, 6° édition J. Urin.

[8]R, Bailly, 2001 Le jeu dans l’oeuvre de D.W. Winnicott, « Enfances et psy » ERES p43

[9] par Victor Duruy (1811-1894) homme politique et historien français.

[10] La récréation sera inscrite dans la législation scolaire par Jules Ferry.

[11] J. Delalande, 2001, La cour de récréation, Presses Universitaires de France, Paris.

[12] Delalande Julie, « La cour d’école. Un espace à conquérir par les enfants », Enfances & Psy, 2006/4 (no 33), p. 15-19. DOI : 10.3917/ep.033.0015. URL : https://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2006-4-page-15.htm

[13] R, Catinaud, Conférence Université du tiers temps, Montpellier 2 octobre 2017 Homo ludens, qu’est-ce qu’un jeu et pourquoi l’homme joue ?

[14] Meirieu, P Conférence à l’Université Lumière-Lyon 2, A quoi sert la pédagogie ?

[15] Marseille Capitale de la culture en 2013

[16] Louvet, N. (2005). Les conditions d’une concertation productive dans l’action publique locale : le cas des plans de déplacements urbains. Sociologie. École des Ponts Paris Tech P. 15

[17] Ibid P 282

Bibliographie