Les laboratoire utopiques du bonheur

Avant-propos sur l’évolution du sujet de thèse : Cette note propose un point d’étape sur un sujet qui connaît des évolutions dans sa formulation. Les terrains de référence identifiés sont situés aux Etats-Unis. Un premier voyage effectué en avril 2017 permet de confronter les problématiques et les hypothèses énoncées avec la réalité de ces terrains.

Résumé :

Face aux enjeux écologiques qui nécessitent un changement profond de nos modes de vie et d’habiter, les propositions architecturales des plus récentes communautés intentionnelles sont-elles en train d’inventer des alternatives crédibles et durables ? Dans un cadre comparatif des expériences historiques et actuelles, on se propose de montrer que, contrairement aux expériences des années 1960-70, leur engagement se positionne, non plus en miroir mais en complément de l’univers urbain.

 

I. SUJET DE THÈSE INITIAL ET PREMIÈRES INVESTIGATIONS

A. Définition et périmètre

Le sujet proposé s’intéresse aux communautés de vie dites « intentionnelles » dont le projet social s’accompagne d’une production architecturale spécifique.

D’un point de vue sociologique, Ronald Creagh[1] en propose la définition suivante :

« (…) les participants ont délibérément choisi de vivre dans un même lieu. Ils rejettent un certain style de vie devenu la norme dominante en Occident. Ils construisent un autre type de société, où ils partagent les tâches, multiplient les échanges et, parfois, mènent ensemble toutes les autres activités. Ils se voient comme les membres d’une société alternative. »

Cette volonté affirmée de sortir du « mainstream » des sociétés occidentales recouvre une remise en question du modèle bourgeois, de la société de consommation, du capitalisme industriel et plus récemment financier, et enfin une nécessité profonde de retrouver une connexion avec la nature.

Ce désir de changement peut être rapproché d’une démarche de réappropriation du mode de vie, mais surtout des valeurs dont une existence individuelle et collective est investie.

Ainsi, la formule « Construire sa vie » prend ici une signification simultanément sociale et architecturale. Tout en liant ces deux disciplines, elle induit une rupture avec le contexte urbain et un déplacement physique vers un ailleurs. Cet « autre » espace est à son tour investi d’une dimension spécifique qui va emprunter autant aux utopies qu’au pragmatisme pour s’inscrire dans la mouvance des contre-cultures.[2]

Pour Yona Friedman, une Utopie réalisable[3] est bien un passage à l’acte, que l’on agisse seul ou collectivement. Dans le cas des expériences communautaires, le rapport fond-forme (le projet communautaire face à sa production architecturale) produit nécessairement un paradoxe : l’acte qui permet de passer de l’idée à sa formalisation nécessite de renoncer à un idéal de référence, par définition inatteignable. Avec Michel Foucault, l’utopie de départ bascule une deuxième fois, se transformant en hétérotopie lorsqu’il s’agit de choisir une localisation géographique ancrée dans le monde réel pour établir la communauté.[4]

Il n’est donc pas rare que le passage de la théorie à la pratique génère des tensions et des contradictions dans l’organisation de ces nouvelles formes de vie et d’habitat.

Les Etats-Unis ont été choisis comme territoire de référence historique. Comme le montre Pierre Lagayette[5], le pays constitue une terre de prédilection pour combiner d’une part l’expérimentation (le work in progress )[6], d’autre part l’installation de nombreux projets utopiques fondée sur l’arrivée des premiers colons en 1620, Les Pilgrims. L’identité et les valeurs américaines se sont structurées sur des thématiques que l’on retrouve chez la plupart des communautés intentionnelles : fuite d’un système oppresseur pour partir en quête d’un bonheur individuel et collectif, une conquête territoriale repoussant sans cesse ses frontières (des terres vierges à la conquête spatiale) et une culture des idéologies contestataires (transcendantalisme, désobéissance civique) mettant en avant une défense farouche des libertés individuelles.

Le périmètre historique étudié s’étend des années 60 à nos jours, une période de cinq décennies au cours de laquelle les vagues de créations communautaires entretiennent des liens avec des événements historiques et des mouvements de contestation marquants (le refus de la guerre du Vietnam, la lutte pour les droits civiques, la critique de la société de consommation, la montée du féminisme et les premières alertes écologiques). Certains de ces thèmes ne vont faire que se renforcer au cours de la période pour être encore plus présents au niveau mondial dans la période contemporaine notamment à travers les crises énergétiques, le rejet du capitalisme financier et les impacts d’un changement climatique désormais à l’œuvre.

 

B. Problématiques et hypothèses initiales

Pour la plupart des communautés, le projet social et économique ne requiert pas une forme propre. De fait, l’habitat et l’organisation spatiale investissent des formes du passé, existantes ou revisitées. D’autres se distinguent au sens où elles cherchent à générer des architectures qui s’inspirent du projet de vie lui-même pour en incarner le sens. Dans ce cas, les formes sont la matérialisation symbolique d’une impulsion contre-culturelle plus vaste. Elles tentent de se situer hors d’une référence à la norme, pour cela de chercher l’innovation, technique et/ou formelle.

La coexistence de ces deux courants montre l’importance des contextes historiques, et pose des questions sur les motivations théoriques, ainsi que sur le fond et la forme des productions architecturales.

Pour explorer ce constat, une problématique centrale et une hypothèse générale ont été posées et déclinées en amont des visites de terrain. La problématique centrale pose la question suivante : quel rôle joue l’architecture dans un projet social communautaire en réaction aux modèles conventionnels ?

En réponse, l’hypothèse générale propose que l’architecture (à toutes les échelles) et les formes d’organisation sociale qu’elle suscite permettent d’apporter une réponse aux contradictions inhérentes à mode de vie, en s’appuyant sur un socle de procédures expérimentales.

Trois grands points interrogent le caractère alternatif de ces expériences.

Une économie pauvre : l’architecture entre références savantes et populaires.

Comment échapper aux modes de vie bourgeois et à l’architecture dominante qui les abrite, tout en adoptant ou en inventant des règles constructives répondant à une logique économique minimaliste ?

On a posé l’hypothèse que les réponses à ces contradictions sont des propositions alternatives. D’une part, elles font référence à des modèles savants (certains, eux-mêmes orientés vers la notion d’architecture expérimentale) ; d’autre part, elles empruntent à des stratégies de détournement, telles que l’auto-construction, le recyclage, la réinterprétation.

Le rapport homme/nature : l’architecture entre archaïsme et technologie

Comment poser sur divers plans la recherche d’une vie meilleure — contrôle des impacts de l’activité humaine sur l’environnement, production de nourriture et d’objets — dans un nouveau rapport à la Nature, sans pour autant renoncer aux acquis de l’évolution sociale et technique, voire en y apportant des améliorations ?

L’hypothèse avancée est que les projets architecturaux élaborés sont en capacité d’apporter une réponse à cette contradiction en mobilisant simultanément des références archaïques et technologiques, dans une tentative de synthèse ; par ailleurs, ils font émerger des visions syncrétiques qui mettent en relation et font dialoguer des contradictions (faire avec des matériaux simples, naturels et/ou réutiliser des rebuts industriels, concilier l’ancien rêve virgilien avec une approche moderne et raisonnée des problématiques environnementales..

Le rêve communautaire : l’architecture entre « l’ordre et l’aventure ».

Interroger le rêve communautaire — valeurs de partage égalitaire, nouvelles règles sociales, valeur d’exemple —induit d’inventer une voie pour construire une architecture, mais aussi l’espace collectif d’une cité. Comment projeter un rapport au territoire (lieux habités, lieux de production, espaces « naturels ») dont les formes supportent et symbolisent un laboratoire social, soit un dispositif non stable, en perpétuelle évolution ?

Nous avons fait l’hypothèse que ce type de projet architectural relève de l’expérimentation. En rupture avec les protocoles opérationnels les plus établis, il se développe comme un work in progress, proposant des règles et des degrés de liberté évolutifs. Enfin, cette typologie de projet architectural interroge une capacité à « soutenir », dans l’espace et dans le temps, l’idéologie du projet social sur un prisme large qui est loin d’être maîtrisable (de la disparition à la gentrification).

 

C. Des études de cas historiques identifiées

Parmi les communautés qui se créent dans les années 1960, 1970, 1980, trois avaient été retenues, chacune pouvant représenter une décennie et ayant un projet socio-architectural spécifique.

Drop City (1965-1970): une communauté d’artistes qui fuit la norme, devenue symbole d’une époque, qui a totalement disparu aujourd’hui pour devenir un mythe

Arcosanti (1970- ): une vision d’architecte en réaction à la ville américaine, basée sur une économie artisanale

Cal Earth (1991- ): une vision d’architecte basée sur une technique de construction appropriable (visée éducative et humanitaire)

 

D. Des visites de terrain

1- une adaptation à la réalité et une ouverture

La préparation du voyage a mis en évidence une nécessité d’adaptation aux possibilités effectives de visite de sites et de rencontres.

Le cas de Drop City a nécessité une première adaptation. Située dans le sud du Colorado à proximité de Trinidad, Drop City (19655-1970) est toujours considérée comme mythique pour le contexte contre-culturel des années 1960. Un documentaire[7], montrant des images actuelles et des témoignages des fondateurs, a permis de comprendre qu’il n’existait plus rien sur le site. L’ensemble de dômes géodésiques, bricolé avec des carcasses de voitures par Steve Baer et le groupe d’artistes fondateurs, a été complètement démantelé après abandon des derniers résidents.

Drop City reste cependant une toile de fond historique incontournable. Plusieurs articles montrent qu’elle avait inspiré d’autres initiatives communautaires, telles Lama Foundation, Synergia Ranch et Libre, existant encore aujourd’hui. Sur les trois, seule Lama Foundation (située à San Cristobal, Nouveau Mexique) a accepté une rencontre.

A l’instar de la Californie qui est habituellement considérée comme l’état américain le plus prolifique en matière de communautés intentionnelles, le Colorado et le Nouveau Mexique sont également des territoires de prédilection. L’immensité des espaces « vierges », des paysages grandioses confrontant montagnes et déserts, très peu de grandes villes, des terres très peu chères à acquérir dans les années 1960, et probablement la proximité avec Drop City, sont sans doute une partie de l’explication.

Ce constat étant fait, il semblait intéressant de saisir l’opportunité d’être sur place pour élargir le périmètre des visites.

2- descriptif synthétique des terrains visités

Deux expériences situées au Nouveau Mexique, à proximité de Taos : Lama Foundation et the Greater World Earthship Community, plus connue sous le nom de Earthship.

Lama Foundation est une communauté dont le projet social spirituel universaliste passe par une reconnexion avec la nature. Fondée en partie par des anciens de Drop City, elle se caractérise par la présence de constructions empruntant au dôme géodésique ou au Zome[8]. Elle est habitée par moins de 10 résidents de l’automne au printemps. Les workshops et séminaires d’été peuvent faire grimper la population jusqu’à une centaine.

La visite a permis d’accéder aux bâtiments collectifs (cuisine, terrasse, espaces de méditation, bibliothèque, salle de bain), deux logements de résidents permanents, l’atelier de sérigraphie (petite activité économique), logements et sanitaires utilisés en été par les résidents temporaires.

Sous la neige, la beauté du paysage avec une vue surplombant une vallée, mettait en évidence la relation entre la localisation dans le paysage et le projet spirituel qui s’appuie sur une reconnexion avec la nature environnante. Les bâtiments semblent avoir été conçus non pas pour disparaître dans ce paysage grandiose, mais plutôt pour s’en faire une chambre d’écho, chaque ouverture étant positionnée, dessinée pour le capter et le faire entrer dans les espaces intérieurs.

Earthship est un laboratoire d’architecture, plutôt qu’une communauté intentionnelle. Initié par l’architecte Michael Reynolds à partir des années 1970, il est à double entrée : une académie pour apprendre la technique de construction, adossée à un terrain dont le statut permet la construction d’architectures expérimentales soutenables[9]. Propriétaire des lieux, Michael Reynolds (1945-) revend des parcelles de différentes tailles et y construit des maisons individuelles 100% autonomes pour des commanditaires privés. L’objectif de Reynolds est de montrer que son modèle de construction fonctionne, qu’il est adaptable à différents contextes, sans renoncement à aucune forme de confort. A Taos, son entreprise commence à ressembler à un village.

Bien que les habitants des Earthships ne partagent pas des espaces de vie collective, ils sont régis par un règlement intérieur qui définit leurs droits et obligations. Le modèle communautaire est pris à contre-sens : partant d’un modèle architectural original, le staff de Michael Reynolds, compagnons de route des trente dernières années voire plus, semble faire communauté, gère l’accueil du public, l’organisation, la tenue des workshops, et une diffusion du projet à l’échelle internationale. La visite et le logement sur place ont permis de mesurer la crédibilité de sa proposition de maison autonome.

Dans le désert de l’Arizona, Arcosanti Urban Laboratory (panneau à l’entrée du site) s’appuie fortement sur un projet communautaire. A 60 km de Phoenix, Arcosanti a été fondé par l’architecte Paolo Soleri (1919-2013). D’origine italienne, élève prodigue et rebelle de Franck Lloyd Wright, Soleri base son projet sur une critique de la ville américaine caractérisée par l’étalement, aboutissant à un éloignement lieux de vie/lieux de travail, à une prédominance de la voiture et des autoroutes urbaines embouteillées, à la pollution et à une perte de connexion avec la nature.

A ce jour, seule une petite partie du projet urbain de Soleri a été réalisée. Conçu et mis en œuvre à partir de 1970 pour accueillir 5000 personnes au final, le projet communautaire compte aujourd’hui environ 60 résidents permanents, dont la plupart sont membres du staff, ainsi que des résidents temporaires (volunteers) qui prolongent leur workshop par des séjours plus ou moins longs (gîte et couvert assuré contre des tâches d’entretien, de gestion du café-restaurant-bar, de travail dans les ateliers de production de cloches, visites guidées du site, accueil librairie-galerie, hôtellerie). Le site est touristique aujourd’hui (public d’architectes, d’étudiants) et les résidents sont ouverts à la discussion.

En Californie, Cal-Earth Institute est un laboratoire d’architecture fondé par l’architecte Nader Khalili en 1991 (1936-2008), situé à Hesperia, à 140km de Los Angeles. Le lieu est dédié à des workshops de formation à la technique de l’adobe, clairement inspirée d’Hassan Fathy, de façon à la rendre appropriable par tous. Enclos sur un terrain aux dimensions modestes qui côtoie des maisons individuelles classiques, le laboratoire dispose d’un site internet attrayant qui laisse supposer une entreprise de grande ampleur. Mais …impossible à contacter, ni par e-mail ni par téléphone, aucun rendez-vous préalable n’a pu être fixé. Le lieu étant fermé au public contrairement à l’information trouvée, la visite et la possibilité de faire des photos sont négociées sur place.

La visite permet de constater que la documentation accumulée est assez déconnectée de la réalité et que le projet se résume à promouvoir une technique de construction pour de l’habitat d’urgence.

Sausalito Houseboats Community, située à 15 km de San Francisco, cultive plusieurs points communs avec Drop City, mais un destin moins tragique. Fondée dès les années 1950, par un groupe d’artistes, la communauté émerge et s’installe progressivement sur ce site où le recyclage permet la construction d’habitations mobiles (non taxées) à moindre frais (récupération des matériaux mis au rebut par le petit chantier naval voisin). Un mode de vie « bohème », rattrapé par le mouvement hippie émerge et finit par former une communauté de fait d’après la documentation trouvée à ce jour. Le site comprend à présent plus de 400 maisons bâties sur des supports flottants (béton ou fibre de verre) amarrées le long de plusieurs quais. Les quais sont devenus des promenades fleuries qui permettent de constater la gentrification du site. Si Drop City a disparu, Sausalito est devenue une marina luxueuse. Certains quais ont déjà basculé du côté de la gatted community, fermés par un portail, ils ne sont plus accessibles à la visite.

3 – le bilan des visites des communautés historiques

L’échantillon retenu se situe dans des états américains où le mouvement communautaire a toujours été très fort. Les sites repérés devaient répondre à la conjonction de deux critères : un projet social axé sur la recherche d’une vie différente et/ou harmonieuse et une architecture spécifique au service de cet objectif. Au final, cinq sites ont été visités à travers trois états qui ont des spécificités historiques, culturelles et climatiques différentes, impactant sur les modes de vie et les styles de construction.

Les différentes situations rencontrées enseignent que le croisement projet social-projet architectural relève d’une question de dosage, chaque entrée étant plus ou moins prononcée, ou n’étant pas priorisée avec la même urgence. Cependant, ce croisement n’est jamais formulé de façon consciente ou spontanée. Par exemple, à Earthship et Arcosanti, le projet architectural est l’entrée principale. Ce qui « fait communauté » aujourd’hui à Arcosanti, et qui le fera peut-être dans quelques années avec la multiplication des Earthships dans un même périmètre, c’est bien le projet architectural (qui comprend une technique de construction, une forme, une vision).

A Lama Foundation, le rapport des résidents actuels à leur héritage architectural semble assez distancié, leur motivation première reste le projet communautaire. Que celui-ci soit facilité par une architecture propice à la méditation ou qui leur permette de reconnecter plus facilement avec l’environnement naturel semble évident lorsqu’on l’évoque avec eux, mais il n’est pas mis en avant dans le discours.

Ce bricolage tout à fait perceptible dans chacune des initiatives n’exclut cependant pas la sincérité du projet et l’attachement à des valeurs fortes, déjà émergeantes dans les années 1970 et particulièrement présentes aujourd’hui, notamment celles liées aux enjeux écologiques.

Plusieurs constats et questionnements émergent de ces visites de terrain.

Drop City, malgré sa disparition, reste une référence historique : beaucoup analysée, beaucoup relatée jusqu’à nos jours. N’est-il pas plus pertinent de l’aborder en rapprochant son échec du succès des Houseboats de Sausalito, communauté elle aussi fondée par une poignée d’artistes dès les années 1950, qui a connu des moments difficiles dans les années 1960 et 1970, avant de devenir une banlieue bourgeoise de San Francisco ?

Lama Foundation, héritière de Drop City par certains aspects, existe toujours. Elle a opté pour une économie pauvre, mais elle semble chercher des ouvertures notamment par une volonté de réparer les bâtiments anciens et de mettre en œuvre de nouvelles constructions en lien avec une école d’architecture. Ces deux axes de développement pourront-il aider le projet communautaire à assumer plus consciemment son héritage architectural et à travailler dans le sens d’un équilibre ?

Arcosanti semble avoir développé de façon conjointe son équation architecture/vie communautaire à travers près de 50 années d’existence. Elle est visiblement confrontée à de nombreuses tensions de part et d’autre : une architecture de béton qui va devoir être restaurée sous peine de dégradations importantes, des blocages financiers et légaux à poursuivre la construction, auxquels s’ajoutent la disparition de Paolo Soleri, ce qui implique d’après les témoignages des réorientations nécessaires du projet communautaire.

Comment un laboratoire d’urbanisme peut-il intégrer la gestion d’une production architecturale qui revêt aujourd’hui une dimension patrimoniale ? La finalisation du projet dessiné par Soleri est-elle nécessaire ­ ou bien son projet doit-il être réinterprété et trouver des adaptations ?

Earthship, en tant que projet global et méthode de construction de maison autonome, s’est révélé beaucoup plus intéressant et crédible que Cal-Earth Institute qui diffuse une technique de construction limitée à de l’habitat d’urgence. Cal-Earth ne propose pas de projet communautaire. Earthship non plus à proprement parler, mais semble cependant fonctionner comme une famille élargie qui partage les mêmes convictions et le même mode de vie. Habiter sur le site de la Greater World Earthship Community induit-il pas une adhésion à des valeurs incarnées par un habitat alternatif à même de répondre aux enjeux écologiques ? Ces valeurs pourraient-elles être l’embryon d’un projet communautaire plus vaste qui, à moyen terme, pourrait prendre en compte la création d’espaces collectifs et d’aménagement de son territoire ?

Ces nouveaux questionnements résultant des visites de terrain nécessitent un retour vers la problématique et les hypothèses énoncées en amont.

 

II. REDÉFINITION DU SUJET DE THÈSE

Cette deuxième partie tente de tirer parti autant des enseignements des visites de terrains et des nouvelles pistes de recherche qu’ils ont apportées.

A. Évolution du cadre de connaissances constitué

1- un contexte historique différent avec des constantes fortes

Sur la totalité de la période étudiée (1965-2015), les expériences communautaires n’ont cessé de perdurer ou d’émerger[10]. Leurs motivations sont formulées différemment et les comportements semblent s’être assagis (en contraste avec certains excès du mouvement hippie), mais des solutions toujours nouvelles sont proposées, sans doute plus pragmatiques dans leur volonté de mettre en place des systèmes viables, tant la prise de conscience d’une urgence à agir semble avoir mûri.

Une aggravation des symptômes qui motive la création de ces communautés est évidente : le rejet de la société de consommation, des médias et du spectacle ; le mode de vie associé à la ville contemporaine et ses impacts (pollution, qualité de vie) ; les crises énergétiques successives (limite des énergies fossiles) ; les crises économiques en série (dépressions, crises financières) ; la crise climatique encore controversée malgré toutes les démonstrations scientifiques.

Ces diverses crises successives depuis les années 1970 semblent profiter à un système économique qui mute sans jamais se renouveler en profondeur. De même, les artisans des technologies simples, appropriables sans être archaïques, restent isolés et font figure de « héro rêveur » (tels Steve Baer à Drop City, Michael Reynolds avec ses Earthships).

Les expériences communautaires restent cependant la preuve sans cesse renouvelée qu’un désir d’acter pour des changements sociaux s’exprime au niveau international. Elles sont à présent majoritairement centrées sur les enjeux écologiques, ce qui les conduits à interroger différemment les enjeux architecturaux.

Les mouvements de pensée historiques ­ bioregionalism et deep ecology ­ trouvent quant à eux une audience plus large et au-delà du territoire américain, mais ne sont pas forcément reliés à des expériences de terrain.

Cette situation, déjà mondiale en 1965, peut être qualifiée de globale à présent. Elle interroge de fait autant le périmètre géographique de cette étude, que les dates de création des terrains sélectionnés. De nouveaux terrains d’étude, apparus dans les années 2000 (Etats-Unis, Canada, France) sont repérés.

2- Des questionnements liés à un contexte historique mondialisé

Au stade actuel des réflexions et des connaissances constituées, des interrogations émergent. Ainsi, pourquoi ce mouvement mondial de contestation que représentent les communautés intentionnelles de par le monde, et dont on connaît l’existence depuis le XIXe siècle, ne trouve pas d’issues plus convaincantes ?

Pourquoi également le virage écologique à une échelle sociétale ne se produit-il ni dans les modes de vie, ni dans les modes de construction proposés, qui restent marginaux, bien que beaucoup de propositions tout à fait innovantes, faciles à mettre en œuvre et souvent moins coûteuses que les techniques courantes existent et se développent tous les jours un peu plus ?[11] Enfin, on essaie de comprendre si les enjeux financiers liés à la transition énergétique sont une raison suffisante pour bloquer une situation mondiale.

Les expériences communautaires des cinquante dernières années montrent clairement qu’elles sont des lieux d’innovation où les ferments d’un « construire autrement » semblent à l’œuvre. Basées sur la volonté des individus de prendre en charge la responsabilité d’une rupture et d’un changement profond de leurs habitudes de vie, les expériences communautaires semblent aujourd’hui les seuls refuges d’une transition incontournable, voire les avant-postes.

Ces interrogations semblent constituer un point d’articulation du sujet à différents niveaux (historique, technologique, écologique social, idéologique) qui fait apparaître aussi bien des avancées que des blocages. Peut-être vivons-nous des années charnières et l’ensemble des processus en cours serait le symptôme d’un changement de paradigme à l’œuvre ­ soit le passage de l’âge mécanique à l’ère de la physique quantique, comme l’avance John Baird Calicott[12].

L’ouvrage de Serge Audier[13] ­ La Société écologique et ses ennemis, paru récemment ­ retrace l’histoire d’une prise de conscience, à travers des mouvements de pensée dissidents et émancipateurs, qui devrait nous aider à mesurer la pertinence d’une telle approche.

Les communautés historiques visitées, et celles contemporaines à venir, pourraient être considérées comme un échantillonnage grandeur nature ­ certes non exhaustif, mais tel n’est pas l’objectif ­ d’une situation mondiale en mouvement.

Les enjeux identifiés étant partagés au niveau planétaire, l’élargissement de l’échantillon à d’autres territoires permettra de sonder la pertinence d’une mise en relation projet social/projet architectural.

 

B. Reformulation des problématiques et les hypothèses initiales

Le cadre du sujet ayant évolué, le phénomène communautaire est mis en perspective depuis le XXIème siècle, sur une séquence de temps définie de 1965-2015, soit 50 ans. Au sein de cette période, on distingue deux temporalités. Une période dite historique regroupant les communautés émergeant de 1965 aux années 90 ; une période dite contemporaine regroupant les communautés émergeant à partir des années 2000.

Si les expériences perdurent, on l’a déjà évoqué, les contenus et les formes évoluent. Ainsi, on propose d’étudier la mutation des contenus des projets sociaux et des formes dans lesquels ils s’expriment.

Les problématiques et les hypothèses initiales évoquées dans le premier point de cette note connaissent également des ajustements.

Quel rôle joue l’architecture dans un projet social communautaire en réaction aux modèles conventionnels ? Mais aussi, comment les contenus des projets communautaires alternatifs ont évolué en un demi-siècle, en fonction du contexte ? Quelles conséquences sur la manière d’appréhender les formes d’organisation de l’espace ?

Deux hypothèses principales sont à présent posées : l’architecture (à toutes les échelles) et les expériences qu’elle suscite permettent d’apporter une réponse aux contradictions inhérentes à ce type d’expérience de vie. Mais aussi, depuis les années 1990/2000, les enjeux écologiques sont passés au premier plan du projet social des alternatives communautaires. Les dispositifs d’aménagement évoquent des formes d’habitat rural traditionnel et sont davantage préoccupés d’intégration au paysage que de créer un repère identifiable sur un territoire. Le signal identitaire exprime ici une volonté d’empathie avec l’environnement naturel. Le périmètre géographique se caractérise par des frontières plus floues pour permettre une plus grande porosité avec l’extérieur.

Elles continuent à être déclinées en trois parties intitulées respectivement :

Ces trois parties intègrent désormais une approche davantage liée à l’intégration au paysage et une relation au territoire.

 

C. Méthodologie

La comparaison entre des expériences communautaires tentées avec un demi-siècle d’écart, dans des contextes historiques radicalement différents, devrait nous permettre de mesurer les différences de fond entre deux imaginaires contre-culturels de l’habitat (ce dernier est ici posé comme une articulation d’échelles: édifices-groupement-territoire).

Pour cela, une étude comparative (expériences historiques, expériences actuelles) permettra d’une part de définir l’origine des communautés, de qualifier leur typologie d’expérience (alternatives sociales, expériences spirituelles ou libertaires), d’autre part d’analyser leur position critique, leurs propositions, leurs choix architecturaux.

L’étude d’expériences actuelles devrait concerner trois nouveaux terrains contemporains, dont deux sont repérés en France et au Canada-Etats-Unis. Il s’agit du Hameau des Buis (initiative de Sophie Rabhi) et de La Cité écologique d’Ham-Nord et La Cité écologique of New Hampshire.

 

Références

[1] Ronald Creagh (1929- ), est sociologue, professeur de civilisation américaine à l’Université de Montpellier et historien du mouvement libertaire. CREAGH Ronald, Utopies américaines: expériences libertaires du XIXe siècle à nos jours, Mémoires sociales‪, Agone, Marseille, 2009, p.12.

[2] PLASSART Marie, La contre-culture américaine, années 60, révoltes et utopies, Atlande, Paris-Neuilly, 2011, 254p.

[3] FRIEDMAN Yona, Utopies réalisables, 1976. Nouvelle édition : Editions de l’éclat, Paris-Tel Aviv, 2000-2008.

[4] FOUCAULT Michel, Dits et écrits 1984, Des espaces autres (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49.

[5] LAGAYETTE Pierre, Terre d’Utopie: l’Ouest américain et les constructions extravagantes du bonheur. ‪Pierre Lagayette, Terre d'Utopie

[consulté le 2 avril 2016]

[7] GROSSMAN Joan, Drop City, Pinball Films, 82’, New York, 2012.

[8] Steve Baer, ingénieur américain, est l’inventeur d’une nouvelle forme de dôme, des coupoles composées de facettes géométriques planes nommées zonagones. Il leur a donc donné ce nom, “zome”, avec le “zo” de zonagones (ou zonaèdres) et le “me” de dôme. Il en a construit ou conseillé quelques-uns dans les années 1970, en particulier à Drop City et à la Lama Foundation, puis a orienté son entreprise Zomeworks vers la fabrication de systèmes solaires.

[9] HODGE Oliver, Garbage Warrior, documentaire 86’, 2007

[10] Op. cit., CREAGH 2009.

[11] BORASI Giovanna, ZARDINI Mirko, Désolé plus d’essence – L’innovation architecturale en réponse à la crise pétrolière de 1973, Centre Canadien d’Architecture-Corraini Edizioni, Montréal, 2007. Catalogue de l’exposition du même nom qui s’est tenue au CCA de novembre2007 à avril 2008.

[12] CALLICOTT J. Baird, Ethique de la Terre, Wildproject, Marseille, 2010

[13] AUDIER Serge, La Société écologique et ses ennemis – pour une histoire alternative de l’émancipation, La Découverte, Paris, mars 2017.

Photos :

The Greater Earthship Community, Taos (Nouveau Mexique), avril 2017

Le "winter workshop"

L’histoire de ce workshop est née d’une réflexion partagée par divers acteurs dans les vallées de moyenne montagne des Alpes de Haute-Provence. D’une part, un groupe d’habitants dynamiques est engagé dans les activités sociales et culturelles du territoire ; d’autre part, un enseignant-chercheur (Stéphane Hanrot) questionne entre autres le rôle, les responsabilités de l’architecte et le devenir des territoires péri-urbains et ruraux. Tous partagent des questions sur le devenir des territoires ruraux en général, de celui de cette vallée en particulier et le désir d’en construire de nouvelles représentations, des pistes pour l’avenir. L’idée d’un atelier intensif expérimental et hors cadre a alors émergé comme une forme intéressante pour questionner et mettre en relief les potentiels et le devenir des deux communes concernées, celles de Saint-Geniez et Authon :

 

« Prenez une poignée de participants, jeunes diplômés ou en fin de cursus, mélangez les profils entre urbanistes, paysagistes, architectes et encadrez les de façons souples par un enseignant-chercheur et une doctorante consciencieuse. Maintenant, sortez ce groupe des murs de l’école, de la ville même, et plongez-le en immersion pendant une semaine dans deux villages reculés, dans leurs histoires, leurs cultures, à la rencontre de leurs habitants chaleureux et leurs paysages grandioses. » (S. Hanrot, 2016)

 

En échange de ce travail que les communes ne pourraient pas se financer par la voie professionnelle, les douze étudiants en architecture, en paysagisme ou en urbanisme, encadrés par l’ENSA•M, ont été accueillis et se sont confrontés à des situations réelles territoriales ainsi qu’à des acteurs politiques et citoyens, ce qui est rare dans le cursus d’une pédagogie classique. Ils leur offriront par là une occasion unique d’appréhender et de comprendre les conditions de développement villageois, paysager et architectural de communes rurales. On pourra parler ici de workshop avec mise en situation d’acteurs, soit de workshop immersif. Cette singularité pédagogique aura nécessité un travail approfondi en amont entre les acteurs pédagogiques et de terrain (élus, citoyens), notamment dans l’écriture d’une convention entre les communes et l’ENSA•Marseille précisant un certain nombre de détails et d’attendus.

Les étudiants au travail avec leur encadrante dans la bibliothèque municipale de Saint-Geniez.
Les étudiants au travail avec leur encadrante dans la bibliothèque municipale de Saint-Geniez.

Tout d’abord, ce travail articule plusieurs échelles. On parlera premièrement de la situation dans le grand territoire : le “très rural” et ses enjeux, comme l’isolement relatif mis en vis-à-vis du principe de péréquation[1]. On s’intéressera ensuite à l’échelle intercommunale, dans l’hypothèse d’un développement concerté et d’une mutualisation de certains équipements – et plus spécifiquement communale – intégrant les spécificités du patrimoine villageois, architectural et paysager et de leur potentiel social, urbanistique, foncier et économique. Enfin, on pourra se rapprocher davantage encore des objets d’études par un regard approfondi sur les établissements humains constituant les communes : villages, hameaux et ensembles isolés (fermes, centre équestre, parc animalier, gîtes ruraux et habitations), puis enfin de l’architecture des habitations, des bâtiments d’activité, des équipements, des espaces et parc- jardins publics.

 

Ce workshop avait ainsi un triple objectif clairement annoncé. En premier lieu, produire un diagnostic sur toutes ces échelles ainsi que des stratégies de devenir aux échelles intercommunales et communales. Mais, plus précisément, il s’agissait également d’élaborer des plans guides d’aménagement des établissements humains retenus comme démonstrateurs de ces stratégies, puis enfin des projets d’architecture, à proprement parler, considérés comme déterminants dans ces plans guides. Au-delà de ces aspects pédagogiques plus administratifs, ce workshop singulier et hors-cadre a fait la preuve d’une coopération générale, que l’on peut développer sur au moins quatre aspects: interdisciplinaire, pédagogique, intergénérationnelle/interculturelle et enfin citoyenne.

 

La première coopération n’est pas anodine : des étudiants de différentes écoles (architecture, paysage et urbanisme) ont pu croiser leurs méthodes, leurs référentiels et leurs expériences propres. Elle a montré dans le même temps les différences, importantes, entre les disciplines et la nécessité de multiplier les temps de croisement. On insistera d’autant plus que les acteurs de l’aménagement de nos cadres de vie sont de plus en plus amenés à travailler en collaboration dans le monde professionnel.

Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l'optique de produire les cartes "J'aime/J'aime pas".
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l’optique de produire les cartes “J’aime/J’aime pas”.
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l'optique de produire les cartes "J'aime/J'aime pas".
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l’optique de produire les cartes “J’aime/J’aime pas”.

La deuxième coopération porte sur le suivi pédagogique en amont et en aval du temps court de ce workshop immersif. Plusieurs mémoires de semestre 9 ont ainsi permis de “préparer le terrain”, d’apporter des éléments de réflexions, ils ont été les prétextes de visites sur site et des premières rencontres d’acteurs locaux, ainsi que l’occasion de documents préparatoires. Mais ce workshop a aussi permis de déclencher plusieurs Projet de Fin d’Études (PFE), par des étudiants y ayant participé ou non. Les diagnostics et les pistes de projets d’architecture ont trouvé des échos permettant d’approfondir des aspects vus de manière succincte.

Tablée d'un repas de midi, toujours généreux et délicieux, chez Maggy, à Saint-Geniez.
Tablée d’un repas de midi, toujours généreux et délicieux, chez Maggy, à Saint-Geniez.

Enfin, les deux dernières coopérations, interculturelles et citoyennes, découlent naturellement de l’aspect immersif de ce workshop. Il n’est pas anodin de faire se rencontrer des populations parfois rurales et âgées avec des jeunes urbains issus d’un cursus d’études supérieures. Invités à dîner chaque soir chez des habitants différents, ces derniers ont pu être en contact jusque dans la vie privée de personnes souvent éloignées de leurs milieux sociaux. Enfin, et pour conclure, l’aspect citoyen de la démarche a été un vecteur principal de tout ce travail : apporter de la réflexion libre et hors-cadre dans des espaces ruraux éloignés, par une expérience pédagogique coopérative singulière.

Rencontre avec les "experts" pour les étudiants et les habitants, dans la bibliothèque municipale de Saint-Geniez.
Rencontre avec les “experts” pour les étudiants et les habitants, dans la bibliothèque municipale de Saint-Geniez.
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l'optique de produire les cartes "J'aime/J'aime pas".
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l’optique de produire les cartes “J’aime/J’aime pas”.
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l'optique de produire les cartes "J'aime/J'aime pas".
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l’optique de produire les cartes “J’aime/J’aime pas”.

[1] Le principe de péréquation favorise l’égalité entre les territoires, notamment dans la prise en compte de ceux isolés. Il est intégré dans la Constitution.

Propositions pour la préfiguration de l’IMVT

“Pour que le caractère d’un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l’idée qui la dirige est d’une générosité sans exemple, s’il est absolument certain qu’elle n’a cherché de récompense nulle part et qu’au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d’erreurs, devant un caractère inoubliable.”

JEAN GIONO, L’HOMME QUI PLANTAIT DES ARBRES, ÉDITIONS GALLIMARD, 1983

Dans ce texte universel, remplacer les mots “être humain” par “architecte”, ça fonctionne. Remplacer “être humain” par “projet”, ça fonctionne encore…

En 2022, le nouvel Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires accueillera sur le site de la Porte d’Aix les actuelles École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille (ENSA•M),
Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional d’Aix-en-Provence (IUAR) et antenne marseillaise de l’École Nationale Supérieure du Paysage (ENSP).
Euromed et l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille ont conjointement décidé, dans la suite des actions de l’association Synapse, de préfigurer la présence de ces écoles dans le
quartier, sous forme d’un pavillon d’une centaine de mètres carrés.

A la demande de Jean-Marc Zuretti, nous avons accepté d’en faire le projet du premier semestre de Master du LAB43 : “Pas d’Architecture Sans Structure”, sous forme d’un atelier intensif
de 3 mois, ponctué de 3 Workshops avec restitution publique, sur les thèmes : Site & Usages, Processus & Matérialités et Détails.

En Septembre nous avons donc accueilli un groupe de 27 étudiants, riche de diversité, inscrits et motivés par l’objectif et la démarche de notre atelier, dont les trois clés d’entrée étaient
les suivantes :

Cette année, les étudiants étaient saisis d’un programme atypique, situé dans le quartier de la Porte d’Aix à Marseille. Il s’agissait d’une part de concevoir un pavillon préfiguratif clos et couvert du futur Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires (IMVT) qui sera livré in situ en 2022 et qui réunira en son sein l’antenne marseillaise de l’École Nationale Supérieure du Paysage (ENSP), l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional d’Aix- en-Provence (IUAR) et l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille (ENSA- M). La Maitrise d’Ouvrage du pavillon est assurée par cette dernière et sa mise en œuvre est programmée au premier semestre 2018.

Les étudiants devaient réfléchir d’autre part à la programmation et aux principes architecturaux d’un bâtiment situé sur l’îlot Pelletan et dont la Maitrise d’Ouvrage est assurée par l’Établissement Public Euroméditerranée. Ce dernier a élargi sa demande de réflexion sur la réactivation des nombreux rez-de-chaussée neufs et existants vacants dans le quartier.

 

1er temps
Site & usages

Unité d’action, unité de temps, unité de lieu

De nombreuses rencontres ont ponctuées le  premier temps  consacré à la  compréhension  du quartier de la Porte d’Aix, à son histoire et aux enjeux de la création de l’IMVT.
Il y a eu celles organisées dans le cadre de l’exercice, et en  premier lieu  une rencontre  inter- écoles pour que les étudiants en paysage, en urbanisme et en architecture fassent connaissance et puissent travailler ensemble sur le  pavillon préfiguratif, à  l’image de  ce  que pourra être un exercice pédagogique partagé au sein de l’IMVT.
Il y a eu aussi celles plus spontanées, improvisées sur  place lors des visites collégiales de  site ou par les étudiants eux- mêmes qui sont allés par petits groupes à la rencontre des acteurs du quartier : les habitants, les commerçants, les institutionnels  et  le  tissu  associatif.

Ces rencontres et ces enquêtes de terrain ont fait comprendre aux étudiants qu’un pavillon préfiguratif décontextualisé et peu ouvert sur le quartier serait sans doute perçu par les habitants de la Porte d’Aix comme une « terra incognita » à usage quasi exclusif des  étudiants, alors que l’enjeu réel du projet était de créer du lien entre les différents acteurs déjà en place – particuliers et institutionnels – mais aussi avec ceux à venir – le milliers d’étudiants qui allaient investir les lieux à l’horizon 2022 – dans une relation fondée sur la compréhension et l’estime de l’autre.

Il était donc fondamental que le pavillon soit une  terre d’accueil pour tous les  publics et  qu’il soit avant tout un outil pédagogique, d’une part pour mieux faire comprendre aux habitants leur quartier et ses mutations successives et d’autre part pour leur expliquer la vocation de l’IMVT et des métiers qu’il enseignera.

Tout au long du semestre, le besoin d’ancrage social du  pavillon  dans  le  quartier  a amplifié la question de son rapport au sol, déjà présente avec l’interdiction de fonder mécaniquement un projet éphémère sur l’espace public.
Les étudiants ont sentis que les  outils programmatiques dont ils  disposaient ne permettraient pas une action suffisamment large pour assurer du lien avec les habitants et l’ancrage progressif de l’IMVT dans le quartier tant ces outils étaient par nature étanches entre eux et diffus sur le territoire.
La réflexion sur l’îlot Pelletan commandée par Euroméditerranée permettait certes de proposer des programmes accueillant des activités utiles au quartier et à ses futurs
étudiants mais elle était trop précisément située le long du futur parc, fermé la nuit, pour permettre une suture sociale efficace entre les habitants de l’Ouest, le long de l’avenue Pelletan et ceux de l’Est, dans la résidence Le Turenne leur faisant face, trop longtemps séparés entre eux par l’autoroute A7 et sa cicatrice actuelle.
La réflexion sur la vacance des rez-de-chaussée, également commandée  par Euroméditerranée, était pertinente mais les rez-de-chaussée concernés étaient trop diffus  et leurs statuts juridiques trop variés pour pouvoir proposer un ensemble de programmes réalistes et cohérents entre eux, capables de les occuper pleinement.
Quant au pavillon, sa petite dimension contrastait avec l’échelle de l’espace public déjà construit ce qui rendait son attache au site difficile et son isolement certain. Sa  relative  faible amplitude horaire d’ouverture associée à la demande d’un pavillon clos et couvert risquait également de le rendre trop étanche à l’espace public, lui faisant perdre par la- même sa vocation première d’accueil…

La proposition des étudiants jardiniers urbains

Au début de semestre, Aline BURLE, architecte et membre de l’association  SYNAPSE  Marseille qui avait été à l’initiative de propositions pour  investir le  quartier  de  la  porte d’Aix avant l’arrivée de l’IMVT, est venue présenter son Projet de Fin  d’Étude (PFE) portant sur cette thématique.
Celui- ci a sans doute été inspirant pour les  étudiants car c’est alors que, à  l’image de  l’action menée par le berger Elzéard Bouffier dans l’homme qui plantait des arbres dans le roman éponyme de  Jean GIONO[2], ils  ont proposé une action dans la  durée en  ponctuant  les 5 ans d’attente de la migration des 3 écoles constituants l’IMVT d’une succession d’interventions, incluant les demandes du programme initial mais en les   reformulant quelque peu et en les adossant à des programmes complémentaires de type événementiel inspirés par un travail préliminaire  de référencement d’interventions  d’artistes et d’architectes sur l’espace public.
Multi- scalaires et de temporalités variées, ces interventions sont comme autant d’arbres plantés qui permettront d’investir en douceur et progressivement le quartier en cultivant le terreau fertile des liens sociaux à fortifier.

C’est précisément à ce moment- là que le projet a pris son envol.
Au lieu d’être une succession de beaux objets finis, étanches entre eux et avec l’espace public, telle que la production de la ville le  fabrique  souvent  aujourd’hui, le  projet  est avant tout un processus d’accompagnement de la mutation du  quartier  qui  intègre  la  valeur du temps – même s’il n’est question ici que  de  quelques années –  nécessaire au  germe de la planification urbaine mise en place par  Euroméditerranée et  la  Ville.  Après tout, la ville méditerranéenne n’est- elle pas constituée d’une stratification de mouvements migratoires que le temps aide à fixer ?

L’ENSA•M ayant débloqué un budget en fond propre pour la construction du pavillon préfiguratif, il était entendu que les étudiants devraient trouver des partenariats extérieurs pour mettre en œuvre leurs propositions complémentaires au programme  initial  de l’exercice.

Un évènement inaugural
Le bankimank

Pour illustrer leur démarche, les étudiants ont proposé rapidement un évènement inaugural consistant à mettre en œuvre au  premier semestre 2018  un escalier provisoire enlaçant  l’Arc de triomphe qui ponctue l’axe urbain historique Nord/ Sud de Marseille.
Réalisé en structure d’échafaudage, il permet d’accéder à une plateforme haute depuis laquelle les habitants et les futurs étudiants pourront regarder ensemble le quartier d’un point de vue inédit et découvrir sa mutation grâce à une table d’orientation expliquant les interventions et les projets à venir  d’Euroméditerranée et des  étudiants, jusqu’à l’arrivée  de l’IMVT.

Face au constat d’absence de banc sur l’espace public fraîchement requalifié, les étudiants ont appelé l’escalier provisoire le Bankimank, autrement dit le « banc  qui  manque »  puisqu’il pourrait aussi servir d’assises aux habitants.

D’un point de vue opérationnel, le projet pourrait être porté par l’association Synapse Marseille dans laquelle les étudiants ont l’intention de s’investir pour  s’assurer de  la  réussite de leurs propositions. Il pourrait être financé par des entreprises spécialisées en montage de structures événementielles.

 

2ème temps
Manipulations structurelles

En octobre, le deuxième temps a été consacré aux manipulations structurelles avec une approche de la structure par la maquette.
Les étudiants devaient proposer un ou plusieurs éléments de structure combinés entre eux, capable de répondre au programme du  pavillon  préfiguratif.  Ces  propositions  devaient être portées par une réflexion sur  le  processus de  mise en  œuvre incluant la  question de  la matière première et de son ré- emploi en fin de vie du pavillon.
Les éléments constituants la structure et l’enveloppe assurant le clos et le couvert devaient pouvoir se transporter, s’assembler et se monter facilement sans avoir  recours à  des moyens de levage complexe et onéreux.

C’est alors que les ingénieurs encadrants ont fait leur entrée dans le semestre, et  notamment Marine Bagneris, membre du laboratoire de recherche MAP GAMSAU-CNRS, tournée plus précisément sur la question de la pierre, puisqu’un des enjeux  du semestre était de créer un lien entre enseignement du projet et recherche.
Romain Ricciotti a apporté aux étudiants son expertise du béton et Nobouko Nansenet, architecte, celle de la pierre et du bois, forte de ses 7 années passées auprès de Gilles Perraudin en tant que chef de projet.

Deux sorties pédagogiques ont nourri la réflexion sur la  matière structurelle :  la  première sur   le thème de la pierre a fait découvrir aux étudiants le monde des carriers et le chais de  Vauvert dont son architecte, Gilles Perraudin leur en  a  expliqué la  genèse, et  la  seconde sur le thème du béton avec la visite d’une usine de préfabrication et des chantiers de bâtiments et d’infrastructures intégrant des ouvrages en béton ultra haute performance.

Au départ, les manipulations structurelles ne se sont pas embarrassées de question de site, ni de forme ni d’enveloppe pour que puissent en naître les structures les plus singulières possible. La seule contrainte était de former un espace suffisamment grand pour accueillir tout ou partie des usages du programme.

Assez rapidement, les étudiants se sont heurtés au  choix d’une architecture standard ou  non- standard, et par corollaire, à la question de l’enveloppe et de  son  rapport  à  la  structure puisque le  pavillon devait être clos et couvert, c’est à  dire être étanche à  l’eau et  à l’air sans qu’il soit toutefois question d’aller jusqu’à en obtenir une valeur réglementaire.

C’est face à ces complexités, qui se seraient retrouvée dans la mise en œuvre du pavillon  retenu, ainsi que face à celle de la  mise en  œuvre des commodités nécessaires à  l’accueil  du public que les étudiants ont proposé de fractionner en deux le programme initial du pavillon. La première partie serait une base vie située dans un des rez-de-chaussée vacant  et qui accueillerait ces commodités et du stockage de matériel facile à  sécuriser.  La  seconde partie serait une structure située sur l’espace public, libérée partiellement de ses contraintes thermiques, et pour y accueillir des manifestations aussi variées qu’un cours public d’architecture, d’urbanisme ou de paysage, une conférence,  des  projections  de  films, des concerts, des expositions, etc. Hors manifestations, cette structure offrirait au public un abri, de l’ombre et parfois un banc.

Fin octobre, les étudiants ont soumis au comité de suivi pas moins de 9 propositions différentes de pavillons accompagnées d’une réflexion sur la programmation de  l’ilôt Pelletan et sur l’occupation des rez-de-chaussée vacants dont la base vie faisait maintenant partie, parmi des programmes à usages partagés inédits tels qu’un washbar, des ateliers publics de réparation, une bibliothèque partagée, etc., autant d’usages concrets et utiles à  la vie du quartier et de ses futurs étudiants.

Pour accompagner l’implantation de l’IMVT et à la suite du Bankimank, les étudiants ont également proposés une série d’actions sur l’espace public, cette fois- ci menées par des artistes issus du street- art ou de l’univers du cirque, et dont la vocation était de révéler le lieu en utilisant des outils communs avec ceux des architectes. Une de ces interventions consiste à faire interagir l’artiste Yohan Le Guillerm avec l’espace public de la porte d’Aix grâce à un de ses spectacles de rue intitulé la Transumante, consistant à manipuler une structure tridimensionnelle dans le but de la faire se déplacer comme un organisme vivant, grâce à la permutation successive de ses petits éléments de bois la constituant.

L’expertise du comité de suivi et des encadrants a conclu à  ce  stade que les 9  propositions de pavillons n’étaient pas  toutes viables, soit parce qu’elles présentaient des  structures  dont la conception ou la mise en œuvre seraient trop complexes, soit parce qu’elles ne garantissaient pas la pérennité nécessaire à  un  petit édifice confronté à  l’espace public,  soit parce qu’il serait difficile de les faire rentrer dans le budget prévu à cet effet.

Il a été alors proposé et décidé collégialement de répartir les 9 propositions de pavillons dans 2 catégories distinctes :

Fin octobre, les étudiants se sont retrouvés à devoir traiter 5 types de projets au cours des deux derniers mois du semestre :

Les groupes ont été alors reconstitués pour les équilibrer en tenant compte de la nouvelle configuration des projets.

 

3ème temps
Détails constructifs

Le rapport au sol et le plancher haut – le toit – ont été tout au long du semestre les deux  écueils constructifs sur lesquels les étudiants ont longtemps butés, tout comme la prise en compte des contraintes de mise en œuvre de certaines matières comme les assemblages d’éléments en bois ou le harpage des  murs  en  pierre leur assurant la  stabilité au  séisme. Ce 3ème temps était donc consacré à la mise au point technique des pavillons, toujours suivie de près par les ingénieurs. Les étudiants sont allés aussi à la rencontre d’un charpentier pour avoir un retour opérationnel concret sur leurs projets.

Très vite, de grandes familles d’éléments de structure ont vu le jour, nourries par les séminaires des 3 dernières années mis à disposition des étudiants.
Il y a eu d’un côté les structures légères, faites d’assemblage d’éléments en bois, principalement des portiques et des béquilles, qu’il fallait lester faute de fondation. La technique du plancher caisson a été  une opportunité de ce  point de  vue car elle permettait à la fois de remplir ses  alvéoles de  sacs de  sable, tout en  proposant des usages en  creux  du fait de leur épaisseur d’une quarantaine de centimètres (bancs, fosse de  concert, fosses de plantation, etc.)
De l’autre côté, les structures lourdes, faites d’assemblage de  pierres  étaient lestées  de fait. L’enjeu de ces structures était plutôt d’ordre économique puisque cette matière reste onéreuse notamment à la taille. L’utilisation de pierres brutes d’extraction mais surtout, le partenariat développé avec la société Carrières de Provence visitée en octobre a rendu possible ces projets en travaillant sur la notion de prêt de matière, inédit jusque-là pour ce matériau. En fin de vie du pavillon, les pierres seraient rendues à la carrière pour une  seconde vie, seul le transport, le levage et la mise en œuvre restant à la charge de l’école.

Côté toiture, les questionnements furent multiples…
D’un point de vue structurel, les étudiants ont convoqué la – relative – grande portée et le porte- à- faux dans leurs projets, ce qui était pertinent d’un point de vue de  l’usage aussi bien pour obtenir une liberté d’usage à l’intérieur des  pavillons  que  pour  ombrager  l’espace public. L’efficacité des toitures caissons bois s’est avérée redoutable  pour  la plupart d’entre eux et cette technique s’est retrouvée employée tout autant dans les structures légères que dans les structures lourdes. Outre son avantage de minimiser les points porteurs, elle génère des creux en sous- face exploitable pour traiter l’acoustique ou l’éclairage.
Un groupe a travaillé sur le franchissement en  s’adossant  à  l’expérience  de  Marine Bagnéris sur les poutres en pierres précontraintes développée dans le cadre de son laboratoire de recherche avec les carriers et les compagnons du devoir. L’abandon d’une enveloppe thermique au profit d’une simple enveloppe « protectrice » a permit également de minimiser la multiplication des couches de matière puisque l’isolation thermique pouvait être compensée en grande partie par la  ventilation naturelle, à  l’image  de l’architecture tropicale.
Restait la question de l’étanchéité, ou là encore, grâce à  l’utilisation  d’une  base- vie mettant à l’abri le matériel sensible, des solutions simples et efficaces  ont  pu  être employées sans avoir recours à la mise en œuvre de couches multiples et onéreuses : couverture sèche simple peau, étanchéité bitumineuse passée  au  rouleau,  membrane- vélum étanche permettant de filtrer par la même occasion la lumière à l’intérieur, etc.

Le travail sur le contreventement des pavillons a quant à lui  nourrit la  réflexion sur  la  forme et l’usage puisque c’était soit la forme du pavillon qui en assurait la charge, soit la disposition de palées de stabilité, au droit de  l’enveloppe  ou  en  partitionnement   d’espaces intérieurs.

En fin de semestre, les étudiants sont parvenus à dessiner les pavillons au 1/ 20ème en s’assurant de leur réalisme constructif, de la pertinence de leur processus  de  mise  en œuvre, de leur pérennité dans l’espace public et de leur ré- emploi. Sur ce dernier point, certains étudiants ont proposés de réutiliser tout ou partie de leur proposition, que  ce  soit en restituant les pierres aux carriers pour un autre projet, en démontant et remontant les gloriettes du parc ailleurs ou en utilisant les toitures caissons pour couvrir les nouveaux espaces sportifs extérieurs du centre social Velten limitrophe.

 

Et après ?

Le jury de fin de semestre a réuni les principaux acteurs du projet, l’Établissement public Euroméditerranée, l’école du paysage et l’IUAR, et bien sur la direction et un représentant  du conseil d’administration de l’école d’architecture de Marseille.

Tous ont salués l’engagement des étudiants face à une situation concrète de projet et tous ont salués l’engagement du projet face à une situation urbaine en attente  de  la  formalisation de son devenir.

 

L’histoire est écrite, il reste à la mettre en œuvre, tout d’abord en choisissant un pavillon préfiguratif parmi les 4 proposés, puis en activant les autres propositions par le biais des différents intervenants et outils mis en place au cours du semestre. C’est le travail  à accomplir au premier trimestre 2018. L’engagement total des étudiants dans l’association Synapse fin 2017 ne peut que nous convaincre de sa réussite.

 

Casting du semestre

Les étudiants

Les encadrants

Les intervenants extérieurs dans l’ordre de leur apparition dans le semestre

Les enseignants du LAB43

Et les enseignants de l’école d’architecture de Marseille qui sont  passés voir les  travaux  des étudiants et ont assisté aux restitutions mensuelles.

 

Le projet des étudiants

  1. Les évènements

    • Le Bankimank
      Waël ABUISSA, Cynthia BONNE ÎLE, Maxime ELICKI, Claire GARDAN, Arthur SANCHEZ
    • La Transumante
      Johann LE GUILLERM, artiste circassien http:// www. johannleguillerm. com/
  2. Programmation et intentions architecturales pour l’ilot Pelletan

    Fernanda BLANC, Clément LABAT, Chloé OTTO- BRUC

  3. Les rez-de-chaussée

    Camille BOBEAU, Clémence BROC, Chloé COTTREAU, Monika MOLIK

  4. Les pavillons

    • Corps lumineux
      Waël ABUISSA, Cynthia BONNEFILE , Maxime ELICKI, Claire GARDAN, Arthur SANCHEZ
    • L’agora
      Löic BELLET, Alexandre GUILLALMON
    • La cour
      Alexis BARRET, Hugo GILBERT, Lucas LAFOUX
    • Un toit pour toi
      Fadhel CHÉRIF, Caroline ORDENER
  5. Les structures expériementales

    • Balises urbaines
      Estelle ALBRAND, Sarah PATTERI
    • Les gloriettes de Saint Charles
      Adel BENNOUI, Ryan BENTABAK, Kévin PONCE, Roxane TROIA
    • L’ornithogale
      Antoine BAGATTINI, Erwan LE PANCE
    • Les voutes « 2 secondes »
      Hugo GILBERT, Alexis BARRET

https://lab43s7.tumblr.com/

 

[1]L’intitulé « Pas d’architecture sans structure ! » emprunté à Mario Salvadori dans son ouvrage « Comment ça tient ? » aux éditions Parenthèses
[2] L’homme qui plantait des arbres, Jean GIONO, Éditions Gallimard, 1983. Dans cette fiction universelle, le berger Elzéard Bouffier passa sa vie à planter des arbres dans un coin aride des Alpes de Haute Provence pour en faire la terre d’accueil de nouvelles familles dans l’espoir de réactiver cette campagne sinon promise à la désertification.

La trame verte et bleue marseillaise

Introduction :

En janvier 2010, le Programme Interdisciplinaire de Recherche Ville et Environnement (PIRVE), conscient de la généralisation mondiale du phénomène urbain et soucieux de l’importance croissante des questions écologiques (raréfaction de certaines ressources, changement climatique, biodiversité déclinante…) lançait un appel d’offre de recherche à vocation interdisciplinaire. Il y identifiait la ville comme « lieu d’enjeux collectifs majeurs touchant à la qualité de la vie des citadins (résidents, actifs, visiteurs), à la vulnérabilité des populations, des sociétés et des espaces urbains », aux échelles locales et planétaire. Afin de générer « une meilleure connaissance des dynamiques de co-évolution des sociétés urbaines et de leur environnement naturel et construit », il souhaitait encourager une recherche qui se focaliserait sur « les processus qui mettent en jeu des interactions complexes, aux différentes échelles spatiales (locale, régionale, planétaire) et temporelles (court, moyen, long terme), entre les diverses dimensions (humaine, sociale, politique, culturelle, économique, juridique, matérielle, écologique…) du fonctionnement et de l’évolution des systèmes urbains »[2].

Le PIRVE développait alors trois ambitions : contribuer à la constitution d’un milieu scientifique interdisciplinaire pérenne sur la question des rapports ville-nature, favoriser la circulation et la combinaison des savoirs scientifiques experts et ordinaires dans une perspective de diffusion auprès des acteurs, et enfin, alimenter la réflexion collective sur la production, la conduite et l’évaluation des politiques publiques dans ce domaine. Entre 2008 et 2009, 24 projets avaient déjà été financés, et il s’agissait dans ce nouveau programme de « mettre l’accent sur les processus, les dynamiques; sur les villes existantes, leur adaptabilité et leur résilience, en particulier dans le contexte du changement climatique; sur les changements observés, souhaités ou souhaitables; sur les freins de tout type qu’ils rencontrent dans un contexte d’incertitude quant aux changements engagés ou à engager; sur les interactions entre cycles environnementaux et leur anticipation; enfin sur les incidences environnementales, sociales, économiques des stratégies ou des politiques des acteurs »[3].

Dans ce contexte, l’équipe du LPED[4] faisait une proposition afin de rendre compte d’un certain état de la nature sur la ville de Marseille. Elle fournissait ainsi un état des lieux faisant date[5] qui donnait à voir un corpus de thématiques essentielles relatives aux questions de « natures urbaines », ici préférées à la notion de « nature en ville »[6]. Il s’agissait donc pour commencer d’identifier différents types de natures présentes sur le périmètre de l’emprise urbaine marseillaise et de se donner les moyens de qualifier leurs états écologiques respectifs.

La Trame verte et bleue marseillaise

Les différentes réflexions relatives au Grenelle de l’Environnement (2007-2009) ont permis à partir de 2012 la création des « Trames vertes et bleues »[7]. Carole Barthélémy, sociologue, chercheuse et directrice du LPED, s’appuyait sur la terminologie définissant cette trame pour élaborer sa proposition de recherche : « un réseau formé de continuité écologiques terrestres et aquatiques [qui] constitue un outil d’aménagement durable du territoire et contribue à un état de conservation favorable des habitats naturels des espèces et au bon état écologique des masses d’eau ». Cette définition se calquait en grande partie sur la modélisation utilisée par les écologues pour identifier le fonctionnement écologique des milieux à partir des notions de « réservoirs» de biodiversité, ou de « noyau primaire d’habitat », et de « corridors » permettant la circulation des espèces entre ces noyaux (illus1)[8].

Illustration 1 : Schéma de la modélisation écologique des fonctionnements écosystémiques

Partant de cette définition, les chercheurs se penchaient sur le cas de la ville de Marseille, dans le contexte de la révision de son PLU[9]. Effectivement, dans la perspective de la mise en cohérence des différents documents de planification, le PLU avait vocation à intégrer les éléments formulés dans le diagnostic du SCoT[10] (2012) concernant les tracés de la Trame verte et bleue urbaine (illus 2). Les chercheurs se posaient alors la question de « l’état de naturalité » de la ville de Marseille et des possibilités de sa représentation, de manière à pouvoir l’intégrer dans un document réglementaire. En réponse à l’appel, ils mettaient en place une équipe interdisciplinaire de recherche réunissant des géographes, des écologues, des urbanistes et des sociologues afin de réaliser une « analyse spatiale de la nature dans la ville » de Marseille, en s’appuyant sur un SIG comme support d’articulation des connaissances produites par les différentes disciplines.

Illustration 2 : extrait du diagnostic du ScoT, 2012

Fonctionnant autour du principe d’une cartographie collective, ils réalisaient ensuite l’inventaire des différents éléments de nature présents dans la ville de Marseille. Ils s’appuyaient en premier lieu sur des méthodes d’analyse spatiale réalisées à partir de fonds cartographiques de l’IGN (BD Carto 2003) afin de repérer les « espaces à caractère naturel en ville » (illus 3), c’est-à-dire les parcs publics, les jardins privatifs, les alignements d’arbres, les Espaces Boisés Classés[11] (EBC), les friches et autres délaissés. Par ailleurs, des inventaires entomologistes, ornithologiques et floristiques étaient réalisés dans les parcs publics et les jardins privatifs afin d’enrichir les données écologiques et connaître l’état de ces milieux.

Illustration 3 : Les Espaces Boisés Classés (EBC) sur Marseille, extrait de l’étude réalisée par le LPED.

Les résultats de leurs investigations étaient synthétisés dans la carte intitulée « Marseille en négatif » (illus 4). Cette carte choisissait de ne plus se focaliser sur les espaces bâtis pour représenter l’espace urbain, mais de s’intéresser aux « vides » restants, qu’il fallait alors qualifier en tant qu’espace de végétation urbaine.

Deux résultats notoires découlaient de cette approche. D’une part, la carte de la ville « en négatif » – à travers le filtre de ses espaces végétalisés -, marquait irrémédiablement les esprits, en assumant une profonde inversion du regard sur l’urbain. D’autre part, comme cela a souvent été évoqué, Marseille apparaissait bien comme une ville verte, peu dense, végétalisée dans le cœur même de son tissu urbain, et inscrite dans la continuité de ses espaces de nature périphérique. Et si cette nature se manifestait parfois à travers des aspects encore « sauvages » (Lanaspèze, 2012), il existait également de nombreux espaces complètement intégrés ou largement réglementés, tel que le Parc National des Calanques (créé en 2012)[12], mais également l’ensemble des parcs publics urbains[13], ou encore les Espaces Boisés Classés. Enfin une nouvelle structure de lisibilité de la ville à travers le végétal se faisait jour (illus 5).

Illustration 4 : « Marseille en négatif » ; Source : CONSALES Jean Noël, GOIFFON Marie et BARTHELEMY Carole, « Entre aménagement du paysage et ménagement de la nature à Marseille: la trame verte à l’épreuve du local », 2016.

Illustration 5 : Structuration du végétal urbain marseillais, source LPED

Trois types de compositions végétalo-urbaines étaient finalement identifiées par les chercheurs pour restituer les différentes situations rencontrées le long d’une traversée de la ville partant du centre dense pour aller jusqu’aux collines périphériques. Les espaces centraux et péricentraux apparaissaient marqués par la densité du bâti et les jardins en arrières cours, clos et peu visibles. Ils accueillaient également des espaces d’habitat pavillonnaire.

Des espaces périphériques étaient ensuite identifiés sur les piémonts collinaires, incluant de l’habitat individuel parsemé et des zones d’habitat collectif datées des Trente Glorieuses. On y trouvait des typologies végétales diverses, d’alignements d’arbres, de parcs publics, mais également de domaines privés et d’exploitations agricoles.

Enfin, les massifs collinaires constituaient la 3ème couronne naturelle marquée par une végétation méditerranéenne et la présence de pin d’Alep. Au-delà de cette classification tripartite globale, ne devenait-il pas alors pertinent de réaliser une lecture plus fine des interactions manifestes entre les espaces urbanisés et la nature sur ces différents secteurs ?

 

Développer l’analyse écosystémique des espaces de nature à Marseille

L’hypothèse faite ici est alors que la ville se structure suivant des typologies urbaines caractérisées qui s’associent à une certaine présence et à une attente spécifique de nature directement liée à la densité du tissu (Barles, Blanc, 2016). La demande de nature sera notamment formulée de manière plus urgente en centre urbain dense que dans la périphérie plus lâche. Elle y prendra également des formes différentes en fonction des opportunités foncières existantes, et des délaissés disponibles et non imperméabilisés, plus rares en centre urbain dense qu’en zone pavillonnaire. On peut alors préciser le découpage urbain initial lié à la présence de nature réalisé par les chercheurs du Lped pour chercher à l’articuler plus précisément à la densité et à la typologie du bâti. Cette approche gagnera également à être complétée par l’identification des opportunités de valorisation de la nature existante ou à créer.

Dans cette perspective, on identifie assez immédiatement une première couronne urbaine très dense, issue du développement urbain du XIXème siècle, suivant une logique hausmanienne (Roncayolo, 1996). Elle est délimitée par l’avenue du Prado au sud, la rocade du Jarret à l’est, (incluant les boulevard du Maréchal Juin, Fançoise Duparc, Sakakini et Jean Moulin). Dans cette première couronne se développent des usages très caractérisés encadrés et réglementés de la nature, et la demande d’espaces publics à caractère naturel est très forte[14].

Illustration 6 : Structure urbaine centrale marseillaise, source Google Maps, 2019.

Au-delà de cette première couronne dans laquelle on identifie la présence de plusieurs parcs publics urbains aménagés (Longchamps, 26ème Centenaire,…), le tissu marseillais devient très rapidement très disparate des points de vue de la densité bâtie, de l’occupation du sol et des typologies d’habitats. Le secteur situé entre la rocade du Jarret et la A507 reste en définitive encore très dense tout en incluant de grandes poches de « vides », tel que le cimetière St-Pierre, par exemple, à l’est, ou bien de nombreuses friches industrielles, au nord, ainsi que des espaces d’activité, des logements récents (docks), ou de l’habitat vernaculaire au sud. Difficile dans cette mesure de généraliser une qualification de ce tissu urbain en mutation permanente et d’y projeter des classifications d’états écologiques permettant de classer les différents milieux rencontrés. Quant à y envisager la perspective d’une « ville verte », ou juste plus écologique, il faudrait qu’elle rencontre les priorités urbaines portées par les acteurs…

On ne s’intéressera donc pas cette fois à la complexité du « chaos urbain marseillais », qui recouvre pourtant la majorité de la surface bâtie (illus 7), mais on se focalisera plutôt sur la 3ème couronne identifiée par les chercheurs du PIRVE, celle des périphéries faisant transition avec les massifs naturels en grande partie protégés[15].

La méthode, qui doit néanmoins pouvoir être généralisée par la suite, consister à mettre en œuvre une première lecture globale des différents tissus au 1/25 000ème (illus 8) afin de percevoir la structuration du tissu, et d’évaluer l’occupation et l’imperméabilisation des sols. On identifie au final trois types de densité bâtie : très dense en centre urbain, agrémentée de quelques cours intérieures végétalisées, très hétérogène en première périphérie, tout en incluant des délaissés publics et de nombreux jardins clos, et enfin beaucoup plus lâche en deuxième périphérie, où les terrains attachés aux habitations s’agrandissent et ne sont plus soumis aux mêmes entretiens ni usages, et forment une continuité avec les espaces de natures à proximités.

Illustration 7 : L’empreinte urbaine marseillaise, source Géoportail, IGN, 2019.

Illustration 8a : Centre urbain dense, source Géoportail, 1/25 000ème, IGN, 2019.

Illustration 8b: Centre urbain intermédiaire, source Géoportail, 1/25.000ème, IGN, 2019.

Illustration 8c : Franges urbaines, source Géoportail, IGN, 1/25 000ème, 2019.

 

La cartographie aérienne constitue ici un bon outil de repérage et d’interprétation de la répartition foncière des différents types d’occupation du sol. Elle est complétée par une lecture de la photographie aérienne au 1/2 000ème, qui permet d’identifier la nature des typologies bâties et des espaces verts repérés, afin d’évaluer leur taux d’imperméabilisation, de faire le compte des cours arborées, ainsi que des arbres d’alignement (illus 9). L’analyse de la photographie aérienne au 1/2 000ème fournit une approche efficace des typologies végétales existantes accompagnant le bâti, et permet notamment d’apprécier les caractères spécifiques des espaces naturels. Néanmoins, elle s’avère insuffisante pour comprendre le fonctionnement réel des espaces verts urbains et notamment percevoir leurs composantes paysagères. Un complément peut être fourni par Google Street View, mais la perception y reste encore tronquée et limitée à l’horizon des proximités immédiates.

Illustration 9 : Relations entre le végétal et le bâti, centre urbain dense, source Géoportail, IGN, 1/2 000ème, 2019.

Il apparaît à ce stade nécessaire de développer une approche complémentaire de terrain afin de se donner les moyens d’étudier les différentes formes de natures urbaines existantes, de préciser leurs caractères et leurs qualités afin de les rendre plus identifiables pour une intégration dans les documents d’urbanisme. Ce travail est alors entrepris à travers la mise en œuvre d’un « Observatoire photographique des franges urbaines suivant le tracé du canal de Marseille », justement situé au cœur de cet espace urbain de transition.

 

L’étude fine des natures urbaines marseillaise : pour quels bénéfices ?

Les chercheurs mobilisés dans le cadre du PIRVE ont fait le constat de la nécessité de passer d’une échelle à une autre de l’analyse urbaine pour produire une bonne compréhension des espaces de natures urbaines. Ils ont mobilisé l’échelle de la commune pour définir les axes verts, puis celle des ECN pour qualifier chacun des lieux. Leur analyse renvoie finalement à l’étude des cartes au 1/25 000ème et au 1/2 000ème, complétées par la compréhension des structures géographiques au 1/200 000ème (illus 7). Les trois approches sont ici complémentaires et indispensables les unes des autres dans la mesure où elles fournissent des informations qui rendent compte de présence d’espaces de nature aux différentes échelles du fonctionnement écosystémique et urbain.

Dans un deuxième temps, ils ont défini un « indice de naturalité » permettant de renseigner sur le nombre d’espèces présentes ainsi que sur la flore cultivée ou spontanée. Il a été complété par un « indice de méditerranéité » qui lui, rend compte de la spécificité locale de la flore. De plus, la lecture naturelle de la ville se réalise via deux grilles de lecture de la nature urbaine : la grille relative aux axes de nature dans la ville (illus 5), et la grille des Espaces ponctuels à Caractère Naturel (illus 3). Les deux axes identifiés constituent alors les structures d’une mise en œuvre possible de la Trame verte et bleue urbaine sur la ville de Marseille, le long des tracés des rivières, aujourd’hui partiellement enterrées : le ruisseau du Jarret et des Aygalades au nord, et de l’Huveaune vers l’est.

Cette approche fait également apparaître la nécessité de mettre en jeu la notion de « sous-trame » comme espace de connectivité complémentaire alimentant la Trame verte et bleue principale. Ces sous-trames peuvent alors être composées d’espaces très disparates : jardins entretenus, friches, délaissés. Elles prennent sens et fonction dans leur contexte urbain.

Enfin, il apparaît clairement que la mise en œuvre des Trames vertes et bleues urbaines dépend des perspectives de développement urbain, et notamment des manières dont les élus décident d’absorber l’essor démographique de la ville[16]. Un des principaux problèmes ressort ici du fait que la mise en œuvre de la Trame verte et bleue locale est réalisée via le PLU, et qu’elle est dans ce cadre souvent confiée à des bureaux d’étude qui se focalisent essentiellement sur les outils réglementaires existants pour générer des espaces verts[17] sans forcément prendre en compte les dynamiques de valorisation locales fédérées par les habitants à travers la végétalisation des rues, ou les pratiques de marches urbaines[18]. Il s’agirait pourtant d’imaginer des moyens plus subtils pour étudier finement les manifestations et les formes d’usage liées à l’existence de ces différentes natures urbaines.

Ces dernières se manifestent au final à travers la variété des formes d’interactions existant entre les formes urbaines et bâties, et la biodiversité aux différentes échelles de l’urbain. Ne serait-il alors pas pertinent à ce stade d’envisager la ville comme un « phénomène écosystémique », caractérisé par différentes dimensions du vivant ? L’enjeu se déplace alors vers une attention à des « écosystèmes urbains » aux différentes échelles de l’urbain, et à leur caractérisation via la recension des manifestations hétérogènes du vivant. Le jardin privé apparaît dans cette perspective comme « un révélateur inattendu » et privilégié de ce que la Trame verte urbaine pourrait effectivement désigner : « une nature ordinaire, dynamique et fortement contrainte ».

La poursuite de cette réflexion est également mise en œuvre à travers un relevé des différentes types d’interactions rencontrées entre la nature et le tissu bâti, sur la zone de transition de la ville et de la nature (3ème couronne). Elle est réalisée dans le cadre d’une action de recherche intitulée « Observatoire photographique des abords du canal de Marseille », au sein du laboratoire project[s], de l’ENSA•M aux abords du canal[19], qui a lui-même été identifié dans le ScoT comme le vecteur d’une trame bleue potentielle. L’enquête photographique de grande envergure aboutit à ce jour à la première sélection de 2.085 images, qui deviennent ainsi les supports de description de ces nouveaux écosystèmes urbains.

 

Bibliographie :

BARLES Sabine, BLANC Nathalie, Écologies urbaines sur le terrain, Economina, 2016.

BLANC Nathalie, Les formes de l’environnement, MetisPresses, 2016.

CLERGEAU Philippe, Une écologie du paysage urbain, Apogée, 2007.

CONSALES Jean Noël, GOIFFON Marie et BARTHELEMY Carole, « Entre aménagement du paysage et ménagement de la nature à Marseille: la trame verte à l’épreuve du local. », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 3, n° 2 | Juillet 2012, mis en ligne le 06 juillet 2012, consulté le 25 janvier 2016. URL : http:// developpementdurable.revues.org/9268 ; DOI : 10.4000/developpementdurable.9268

LANASPEZE Baptiste, MATHIEU Geoffroy, Marseille, ville sauvage, Actes Sud, 2012.

RONCAYOLO Marcel, Les grammaires d’une ville, Essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille, Ed de l’ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales,1996.

http://www.trameverteetbleue.fr/presentation-tvb/foire-aux-questions/qu-est-ce-qu-corridor-ecologique

Appels à projet: https://www.eaurmc.fr/jcms/pro_92201/fr/appel-a-projets-eau-et-biodiversite-2019

 

Références :

[1] BARTHELEMY Carole, BERTAUDIERE-MONTES Valérie, CONSALES Jean-Noël, DESCHAMPS-COTTIN Magali, GOIFFON Marie, LIZEE Marie-Hélène, MARCO Audrey, « Natures urbaines à Marseille : entre démarche interdisciplinaire et projet environnement », In BARLES Sabine, BLANC Nathalie, Ecologies urbaines sur le terrain, Economina/Anthropos, 2016, pp 45-60.

[2] http://www.cnrs.fr/prg/PIR//programmes-termines/ville-environnement-mousson/PIRVE-APR2010.pdf

[3] http://www.cnrs.fr/infoslabos/conferences-colloques/Docs-PDF/ColloquePIRVE2008.pdf

[4] Laboratoire Population Environnement Développement, de l’Université Aix-Marseille.

[5] L’illustration n°4 produite dans le cadre de cette recherche a depuis été reprise dans plusieurs travaux universitaires.

[6] Qui désignerait plutôt une palette d’actions de végétalisation plutôt qu’un « état de naturalité » de l’urbain en lui-même.

[7] Décret n°2012-1492 du 27 décembre 2012.

[8] http://www.trameverteetbleue.fr/presentation-tvb/foire-aux-questions/qu-est-ce-qu-corridor-ecologique

[9] Devenu entre temps PLUi, et dont l’enquête publique est actuellement en cours: http://www.marseille-provence.fr/index.php/un-clic/plan-local-d-urbanisme-intercommunal

[10] SCoT : Schéma de Cohérence Territoriale. « Le Schéma de cohérence territoriale est un document d’urbanisme français qui détermine, à l’échelle de plusieurs communes ou groupements de communes, un projet de territoire visant à mettre en cohérence l’ensemble des politiques sectorielles notamment en matière d’habitat, de mobilité, d’aménagement commercial, d’environnement et de paysage ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Sch%C3%A9ma_de_coh%C3%A9rence_territoriale

[11] Les EBC sont définis dans l’article L130-1 du code de l’urbanisme : « Les plans locaux d’urbanisme peuvent classer comme espaces boisés, les bois, forêts, parcs à conserver, à protéger ou à créer, qu’ils relèvent ou non du régime forestier, enclos ou non, attenant ou non à des habitations. Ce classement peut s’appliquer également à des arbres isolés, des haies ou réseaux de haies, des plantations d’alignements. Le classement interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements. Nonobstant toutes dispositions contraires, il entraîne le rejet de plein droit de la demande d’autorisation de défrichement prévue aux chapitres Ier et II du titre Ier livre III du code forestier. », https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idSectionTA=LEGISCTA000006143279&cidTexte=LEGITEXT000006074075&dateTexte=20111222

[12] http://www.calanques-parcnational.fr/fr

[13] Thèse de Brice DACHEUX (direction : Y. Petit-Berghem) : Biodiversité et conception paysagère. Prise en compte de la diversité arborée par les paysagistes contemporains dans la conception et la gestion des parcs urbains marseillais, 16 novembre 2018, Marseille.

[14] Mémoire de M2, séminaire recherche d’A.Biehler (dir S.Steenhuyse) de Corentin LAURENT, Le rôle de la nature dans l’espace public, le cas du parc urbain du 26ème centenaire, 2018-2019.

[15] La majorité de ces espaces de nature périphérique sont d’ailleurs aujourd’hui protégés et donc inconstructibles.

[16] Estimée par les chercheurs à 6.000 habitants/an sur Marseille.

[17] Notamment les Espaces Boisés Classés du PLU.

[18] Notamment le GR 13, à Marseille, in Barthélémy C., 2013. « Les balades urbaines, ou la culture en marche : des projets artistiques valorisant la nature à Marseille », Revue Faire Savoirs, 10, « Les nouveaux horizons de la culture », pp. 69-78.

[19] Action de recherche en cours, conduite par Séverine Steenhuyse, au sein du laboratoire project[s] de l’ENSA•M.

Razionalismo manierista Milano 1940‑1960

Razionalismo manierista Milano 1940‑1960

Au premier coup d’œil, les immeubles d’habitation réalisés à Milan entre 1940 et 1960 par les architectes Mario Asnago (1896-1981) & Claudio Vender (1904‑1986), Luigi Walter Moretti (1907-1973), Ignazio Mario Gardella (1905-1999), le groupe BBPR 1 (1932-années 60), Luigi Caccia Dominioni (1913-2016), Angelo Mangiarotti (1921-2012) & Bruno Morassutti (1920-2008), ou Carlo Perogalli (1921-2005) & Attilio Mariani (1921-) et sûrement d’autres, ont quelque chose en commun – ils ont tous des bizarreries. Ces excentricités peuvent être produites par le caractère franchement insolite de la silhouette de l’édifice ou par la matérialité troublante de l’enveloppe. Elles peuvent être aussi provoquées par les licences prises par rapport aux conventions de la composition ou par l’incorporation ponctuelle d’éléments singuliers du vocabulaire vernaculaire. Ces bâtiments peuvent autant provoquer une stupéfaction immédiate que se nimber d’une étrangeté légère mais inquiétante lorsqu’on s’attarde à les scruter en détail. Il s’agit à proprement parler d’une démarche d’auteur où les propositions subjectives semblent ostensiblement assumées.
Ces architectes ont peu ou pas théorisé leur travail, en dehors d’Ernesto Nathan Rogers (1909-1969) mais ils ont assurément construit une architecture « qui donne à penser ». La grande diversité des productions ne permet pas de les classer dans un unique mouvement artistique même s’ils partagent certaines attitudes critiques. Les dates de construction elles-mêmes peuvent surprendre : ces bâtiments nous semblent tous beaucoup plus récents qu’ils ne le sont. Ces édifices partagent en effet avec l’architecture contemporaine des caractères communs comme l’aspect monolithique des enveloppes, la composition des façades à percements aléatoires, la flexibilité paradoxale du plan à pièces ou le caractère ludique et sophistiqué des détails d’assemblage et de mise en œuvre. Pourtant, ces édifices ont été construits dans un contexte culturel, politique et économique très particulier et très éloigné du nôtre – ils ont été construits pour une clientèle bourgeoise éclairée et manifestement un peu excentrique et gourmande de formes.

Pour caractériser ces architectures, une hypothèse naît, sous la forme d’un oxymore : que ces architectes engagent un processus particulier d’évolution du mouvement moderne, une forme de « modernisme maniériste ». Rassembler en une expression deux mouvements artistiques aussi éloignés historiquement qu’opposés théoriquement n’a pas pour objectif premier de proposer un nouveau mode de classement, anachronique et paradoxal, de l’histoire de l’architecture. Nous sommes plutôt guidés par l’intérêt porté à une certaine manière de concevoir et de réaliser l’architecture – à une forme d’arte di maniera. Dans son article « Pour une brève histoire du maniérisme », Daniel Arasse (1944-2003) cite les recherches de Robert Klein (1918-1967) 2 « (…) dans le maniérisme l’attention glisse du quoi, ce qui est représenté, au comment, le représenter. Il demande donc un regard d’appréciation artistique ou esthétique devant l’objet représenté, sur la manière dont on représente cet objet » 3.

Rapprocher du maniérisme la modernité hétérodoxe des édifices que nous étudions, c’est tenter de chercher des origines à ces bizarreries pour qu’elles ne restent pas de pures subjectivités. C’est imaginer que ces architectes, comme les artistes du XVIème siècle, ont en commun une pensée en mouvement, instable, fragile, complexe, une critique parfois désinvolte ou désabusée. Les licences prises au XVIème siècle par rapport aux théories de la Renaissance ont fait évoluer la notion de beauté : d’un art de nature à un art d’artifice. Le maniérisme est indissociable de la Renaissance classique, il s’est constitué à partir d’expérimentations toujours situées dans des relations dialectiques, c’est pour cela qu’on peut qualifier cette période de Renaissance maniériste. Daniel Arasse nous conseille d’éviter le terme de pré‑baroque, qui attribue à ce mouvement chaotique une direction qu’il n’avait pas 4.

fig.1 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Edificio per abitazioni (1948) Milano, Via Plutarco 13 Source Lombardia Beni Culturali Da bibliografia (Zucchi, Cadeo, Lattuada, 1998) Unità: AV108

 

En proposant le terme de Razionalismo manierista milanese, notre article sous‑entend qu’il s’agit d’une posture maniériste au sein du rationalisme italien. Le rationalisme italien est un mouvement éphémère pris dans le chaos de l’histoire – le Gruppo 7 5 n’a existé que l’année 1926 et le M.I.A.R. (Movimento Italiano per l’Architettura Razionale) a été fondé en 1930 pour se dissoudre en 1932. Giuseppe Terragni (1904‑1943) réalisera à Côme la Casa del Fascio (1932‑1936), une architecture d’une très grande précision et d’une grande pureté géométrique – une sorte de Rubik’s cube réglé par des proportions albertiennes. Kenneth Frampton (1930‑) analyse la cohérence et la rigueur de cet édifice : « Le bâtiment est traité comme s’il y avait une matrice spatiale continue, sans aucune indication concernant le haut, le bas, la gauche, la droite, etc. » 6. À Milan, en association avec Pietro Lingeri (1894‑1968), il réalise la Casa Rustici (1933‑1935) où la recherche de la transparence entre l’intérieur et l’extérieur de l’îlot, les amènent à proposer une façade constituée d’une grille légère de balcons, une solution réemployée à l’échelle urbaine pour l’aménagement du front du parc à Paris‑Bercy coordonné par Jean‑Pierre Buffi (1937‑). Ils réalisent aussi à Milan des immeubles d’habitation plus courants et plus classiques, la Casa Ghiringhelli (1933) et la Casa Lavezzari (1934). Deux édifices où on trouve une organisation parfaite de la symétrie avec une grille régulière des percements, une partition interne équilibrée et une décomposition des séquences parfaitement articulée. Un texte, intitulé « Note », que le Gruppo 7 publie dans la revue Rassegna Italiana en 1929, montre toutes les ambiguïtés de ce mouvement : « Notre passé et notre présent ne sont pas incompatibles. Nous ne souhaitons pas ignorer notre héritage traditionnel. C’est la tradition qui se transforme toute seule et prend de nouveaux aspects que seuls quelques‑uns peuvent reconnaître » 7. C’est une période où les notions restent floues entre tradition, classique et moderne. Cette origine présumée du rationalisme maniériste permet de donner une source plus ou moins canonique à ce mouvement architectural hétérogène et quelque peu hérétique. Bien sûr, ce mouvement a été aussi très fortement influencé par le Novecento milanese. Gio Ponti (1891‑1979) et Piero Portaluppi (1888‑1967) ont été des architectes importants dans les années 1920 à 1940 mais aussi des enseignants influents à l’école polytechnique de Milan. Enfin, l’étonnant travail de Giovanni Muzio (1893‑1982) pour laCa’Brutta (1919‑1923) ou pour Angelicum, (1939‑1942) a dû ouvrir pour cette nouvelle génération, un chemin vers des plaisirs cultivés et licencieux.

fig.2 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Edificio per abitazioni Santa Rita (1937) Milano, Via Euripide 1. Source Lombardia Beni Culturali Archivio Asnago Vender Photographe Olivo Barbieri Unità: AV081

 

Dès les années 1950, Colin Rowe (1920‑1999) devinait déjà ce penchant pour le maniérisme dans le mouvement moderne des années 1920. Dans les articles « Mathématique de la villa idéale » (1947) et « Maniérisme et architecture moderne » (1950) 8, Colin Rowe propose des analogies entre les tenants de cette modernité héroïque et les artistes du XVIème siècle. Il cherche à mettre en évidence les processus de conception par l’analyse visuelle des édifices et par la comparaison formelle des plans et des élévations. On pourrait d’ailleurs prolonger les analyses de Colin Rowe, en comparant les modes de composition d’Andrea Palladio (1508‑1580) à ceux d’Ignazio Mario Gardella. Sa Casa al Parco, Piazza Castello 29 (1947‑1954) offre des jeux paradoxaux entre les façades à ossature et remplissage et les façades à murs percés qui s’apparentent au Palazzo Chiericati (1550‑1680) ou au Palazzo Thiene Bonin Longare (1572‑1610) à Vicence.

Restons fidèle à cette méthode : en s’appuyant sur le vocabulaire riche et imagé de l’esthétique maniériste et son incarnation dans des chefs‑ d’œuvre, nous allons proposer une lecture critique de cette architecture moderne milanaise, qui met au jour leur rôle de pivot entre le XVIème siècle et certaines esthétiques contemporaines. Au cours de notre analyse, nous pourrons interroger à la fois l’attrait contemporain pour l’architecture fantaisiste, tout en trouvant du plaisir dans des architectures plus inquiétantes, plus paradoxales et peut‑être plus savantes

Nous nous attacherons plus spécifiquement à analyser les potentiels dynamiques que peuvent produire sur le spectateur les anomalies et entre autres dans les trames des façades. Mais aussi comment ces jeux de percements s’accompagnent d’une simplification volumétrique et une radicalité dans les enveloppes. C’est un dispositif formel très innovant à l’extérieur qui est paradoxalement contredit par des dispositions classiques dans les intérieurs, convoquant la figure des appartements à pièces bourgeois. Il s’agit d’une architecture d’un très grand raffinement nécessitant une sophistication extrême des détails, une architecture de designer. Une architecture moderne, radicale, sophistiquée et toujours très urbaine, ne remettant jamais en cause la continuité de la ville, bien que Milan, au lendemain de la guerre, soit devenue une quasi page blanche.

Une fenêtre par ci …

Commençons par l’architecture de Mario Asnago & Claudio Vender : l’une de ses caractéristiques est la façon assez inattendue de placer des fenêtres d’un format particulier ou de décaler quelques baies dans une trame régulière de percements. C’est le cas du petit immeuble d’habitation Via Plutarco 13 (1948) où on trouve au troisième étage, à peu près dans le milieu du bâtiment, une fenêtre un tiers plus large que les autres [fig.01]. Cet immeuble de logement à quatre travées, est construit entre deux mitoyens. La façade se décompose en deux registres horizontaux, un socle trop haut sur deux niveaux et un plan de façade un peu trop bas sur trois. Les surfaces de ces deux plans sont très contrastées ; le socle en pierre calcaire est très lisse alors que l’élévation en brique rustique est très rugueuse.

fig.3 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Edificio perabitazioni e uffici (1935) Milano, Viale Tunisia 50 Source Lombardia Beni Culturali Photographe Olivo Barbieri Unità: AV062

 

La délimitation entre les deux matières se fait juste au‑dessus du cadre des fenêtres du deuxième étage mais il est tellement près du haut des baies que l’on perçoit clairement que ce changement de matière ne correspond pas à une disposition constructive. Il s’agit plutôt d’une ligne abstraite de partition de la façade. C’est un dispositif de composition qu’on retrouve dans le bâtiment de logements et de bureaux Piazza Velasca 4 (1950‑1952). Les deux architectes ont l’habitude de composer de manière étonnante les plans de façades, Via Euripide 1 (1937‑1938) les balcons sont situés sur les trois étages inférieurs laissant les deux niveaux supérieurs nus. Une façade d’autant plus lisse que les volets se rangent à galandage dans l’épaisseur de la façade [fig.02]. Inversement, Via Tunisia 50 (1935), les balcons très élancés sont regroupés sur les étages supérieurs ce qui contraste fortement avec les étages inférieurs et donne le sentiment qu’il s’agit de deux bâtiments superposés [fig.03].
Est‑ce une manière de se jouer des conventions, comme une bouffonnerie d’Auguste – une fenêtre bizarre comme un nez rouge et des proportions grotesques comme un maquillage de clown ? Cette hypothèse, Daniel Arasse l’a déjà évoquée à propos du maniérisme : « Ce qu’on doit bien comprendre avec le maniérisme c’est qu’il a une dimension ludique, le paradoxe maniériste étant très souvent un jeu. En fait, dans une large mesure, le maniérisme met en scène le trouble, l’incertitude, pour en jouer et peut‑être aussi pour en exorciser le caractère inquiétant » 9.

Ce traitement particulier des percements est peut‑être aussi une manière de dérider la régularité, de composer de façon souple, de retrouver une fraîcheur enfantine [fig.04]. Il est tentant de le rapprocher du remplacement, dans la peinture et la sculpture du XVIème siècle, du noble déhanchement du contrapposto par la figure serpentinata, sinueuse comme un serpent en reptation. Patricia Falguières considère cette pose comme un élément significatif du maniérisme : « C’est ici qu’apparaît le mieux l’une des caractéristiques les plus marquées de l’avant‑garde maniériste. Elle aura privilégié l’idéal d’un mouvement fluide, aisé, affranchi de la pesanteur et des contraintes du réel » 10. Sur la façade à trois étages du modeste bâtiment d’angle de la Via Balbo 1 (1947), la fenêtre du deuxième étage se décale légèrement de l’alignement vers l’angle et sur l’autre façade la fenêtre du premier étage manque [fig.05]. Au Corso di Porta Nuova 52 (1963), c’est au deuxième et au huitième et dernier étage que deux baies se reculent de l’alignement à l’angle [fig.06]. Chaque fois, ces petits mouvements dans les alignements des baies font légèrement « onduler » la façade. Mais là où l’effet serpentinata est le plus sophistiqué, c’est à l’angle de Via Alberico Albricci et de la Piazza Velasca (1953‑1959) [fig.07]. Dans un premier temps, on perçoit deux fenêtres particulières, au premier et au deuxième étage qui se rapprochent anormalement de l’angle, faisant plonger le regard vers le sol. Inversement, au dernier niveau la trame est évidée et fait échapper le regard vers le ciel. On imagine que ces effets permettent d’attirer le regard vers la Torre Velasca (1951‑1958) des architectes BBPR en fond de perspective de la Via Larga. Mais très vite, le bâtiment échappe à l’entendement : le rez‑de‑chaussée offre une légère brisure, afin de ménager un retrait de l’alignement et de créer une petite ombre qui fait flotter l’impressionnant plan de façade. Et ce n’est que bien plus tard qu’on découvre qu’à partir du quatrième étage, les linteaux entre les baies se réduisent progressivement vers le haut de l’édifice, et font de ce fait à la fois « gonfler » et « onduler » la façade.

fig.4 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Ristrutturazione e ampliamento di una villa in palazzina per abitazioni (1948‑1955) Torino, Piazza Bernini 2 Source Lombardia Beni Culturali Da bibliografia (Zucchi, Cadeo, Lattuada, 1998) Unità: AV110

 

Bien entendu les bâtiments d’angle se prêtent plus facilement à des jeux de décalage des baies. Les contraintes d’éclairement de la pièce d’angle sont moins fortes et on peut choisir de les ouvrir d’un côté ou de l’autre, plus ou moins à sa guise. Le rendu du volume à l’angle est un sujet important de la composition architecturale et les projets contemporains jouent de ces opportunités pour créer des effets de rotation du volume sur l’angle par des percements en quinconce. C’est peut‑être pour cette raison que le bâtiment de Carlo Perogalli & Attilio Mariani, Via Beatrice d’Este 24 (1956‑1957), avec ses jeux de parement en damier de brique orange et rouge et ses fenêtres en quinconce, nous semble si contemporain. Pour autant, l’accumulation des irrégularités et des trames décalées finissent par être paradoxalement répétitives dans les nouveaux quartiers des ZAC parisiennes. On peut y lire le signe d’une inversion des valeurs entre régulier et irrégulier, entre sens du collectif et individualisme. En fait, cette nouvelle esthétique du quinconce qui gère, subit ou sublime, les normes en matière de propagation du feu – le fameux algorithme du « C+D » 11. À Boulogne‑Billancourt dans le nouveau quartier du Trapèze, il n’y a guère que l’agence de Roger Diener (1950‑) pour composer une façade régulière avec des balcons pour contourner la terrible norme. C’est pourtant la même agence qui a réalisé à Bâle (1993‑1995) un petit bâtiment d’angle, dénommé maison Kolhenberg par Martin Steinmann (1955‑) où les trumeaux et les châssis des fenêtres se disposent de part et d’autre de l’angle organisant à chaque étage des figures différentes. Le bâtiment se présente comme une œuvre d’Art concret qui donne des clefs de compréhension du processus de conception au spectateur – en lui laissant prolonger la composition en devenir. Pour Martin Steinmann, dans son article « Le regard du producteur », ce bâtiment agit comme un nouveau paradigme, un modèle pour une déclinaison. « Le thème en est déjà donné : la maison Kolhenberg fait naître un regard de producteur, un regard qui nous fait nous‑mêmes créer l’œuvre. Nous pouvons la répéter comme une partie d’échecs. L’œuvre ne nous apparaît pas comme achevée, elle se développe sous notre regard ou plus précisément nous la développons. Nous la réalisons selon les deux acceptions de ce terme : nous la comprenons et nous la rendons réelle en la comprenant » 12.

La Dernière Cène Via Faruffini

Le potentiel dynamique que crée le conflit entre régularité et irrégularité a été de longue date exploité en peinture. Lorsque Leonardo da Vinci (1452‑1519) réalise la peinture murale à tempera de « La Dernière Cène », entre 1495 et 1498 pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan, il utilise pour la dernière fois la perspective construite telle que Leon Battista Alberti (1404‑1472) l’a théorisée dans son ouvrage De pictura (1435).

Fig. 5 & 6

La perspective est parfaite, l’espace fictif de la storia est en continuité de l’espace réel de la pièce, on nomme vulgairement cette peinture « la pièce du haut ». Il s’agit d’une démonstration didactique de ce qu’est la perspective, construite mathématiquement. Depuis le point de vue du spectateur, c’est‑à‑dire une nonne assise en train de manger, le dessin du quadrillage du plafond à caissons et les lignes verticales des tentures, des portes et des baies permettent de rendre compte de la profondeur fictive. C’est presque un schéma de la grille de construction. L’architecture n’est qu’un décor pour le premier plan, la table derrière laquelle sont assis les apôtres, qui eux sont en avant, comme projetés hors de l’image. Leonardo da Vinci prend une licence par rapport aux règles en déplaçant le cadre de représentation, en cadrant trop serré, pour faire flotter la scène entre l’espace fictionnel et l’espace réel. Daniel Arasse nous montre que déjà lorsqu’il a réalisé sa première peinture en perspective, « L’Annonciation » (1475‑1476), la construction géométrique est invraisemblable ; « une apparence de réalité, de construction exacte » 13. Est‑ce une manière de cacher le mystère de l’Annonciation ou adopte‑t‑il déjà une distance critique, est‑il déjà désabusé par la trivialité de la construction géométrique ? Dans « La Dernière Cène », les personnages sont rangés très régulièrement par groupes de trois, de part et d’autre du Christ, qui est, lui, situé dans l’axe, sur le point de fuite central. C’est la première fois que Judas se retrouve avec les autres du même côté de la table – une question sûrement épineuse du point de vue de l’iconographie chrétienne ! Sans doute en accord avec le programme iconographique des Dominicains, ce positionnement de Judas a aussi permis à l’artiste de régler un problème de représentation. S’il avait dû placer autrement Judas, le personnage se serait trouvé du côté des nonnes, dans le vide. Cette disposition permet de donner une grande régularité à la composition et de fait, concentre l’attention du spectateur sur les attitudes des personnages. Daniel Arasse décrit parfaitement l’agitation qui règne dans ce premier plan, entre les postures des personnages et la trame perspective « Ce qui intéresse Léonard dans « La Dernière Cène », c’est justement le cadre géométrique donné par la perspective « régulière » comme instrument à dénier par les figures qui se déplacent sans arrêt dans la grille. C’est ça le mouvement du monde. » 14.

Lorsque l’on emprunte la Via Faruffini, on est dans un continuum urbain ordonné par l’alignement, la mitoyenneté, le gabarit et matérialisé par une architecture urbaine courante des années 1950 et 1960. On peut passer devant le numéro 6, construit en 1954 par les architectes Mario Asnago & Claudio Vender, sans y prêter plus attention que ça, si ce n’est qu’il est très blanc et très lisse [fig.08].
Lorsqu’on traverse l’avenue pour prendre du recul, le bâtiment apparaît plutôt régulier et plutôt austère. Mais très vite quand on s’attarde à observer la façade, le regard se met à se déplacer frénétiquement sur la surface murale : on se trouve dans une relation spectateur‑œuvre analogue à celle que provoque « La Dernière Cène ». La façade apparaît comme une surface abstraite, comme un dessin sur un papier millimétré. Le parement en mosaïque blanche produit un discret quadrillage, une analogie avec le papier millimétré. Ce plan de façade est décollé visuellement du sol par un très léger recul et par un singulier garde‑corps au rez‑de‑chaussée.

Fig. 7 & 7bis

Elle est aussi détachée du volume construit par une loggia d’angle située directement derrière le voile de façade. Au premier coup d’œil, la façade semble percée régulièrement mais très vite une baie particulière sur la droite attire notre attention et à partir de ce moment‑là, le regard se promène de droite à gauche, de haut en bas à la surface de la paroi pour chercher d’autres irrégularités. Paradoxalement, la trame qui semblait très régulière ne l’est en fait aucunement, tous les étages sont différents. Comme dans « La Dernière Cène », l’altérité n‘existe que sur un fond de régularité. À suivre Daniel Arasse, le regard s’amuse d’abord à repérer les différentes positions des groupes d’apôtres par leur position par rapport au décor, ce qui créé un premier niveau d’agitation dans l’image. Très vite, l’attention est captée par les mouvements des visages et les positions des mains, qui redirigent incessamment le regard, et on finit par être pris dans un tumulte général. Face au bâtiment de Mario Asnago & Claudio Vender, on se tient devant un jeu des 7 erreurs, le regard balaie la façade à la recherche de l’anomalie. La façade nous propose d’ailleurs une dernière énigme : le cadre métallique. C’est une structure légère, métallique, située un peu en haut à droite, écartée d’un bon mètre du mur, là où le regard s’était porté au premier coup d’œil. Est‑ce un cube virtuel qui transperce la façade ? Est‑ce une citation du monument aux victimes des camps d’extermination nazis, des architectes BBPR (1946) ? Est‑ce que les ombres portées de cette structure composent des figures géométriques changeantes suivant la course du soleil ? Ce n’est manifestement pas un étendoir à linge, il n’a semble‑t‑il pas d’usage particulier. Sans sources des auteurs cela reste une curiosa.

La répartition des percements sur la façade n’a pas non plus de raison d’être particulière par rapport à la partition interne des pièces. Il ne s’agit pas de répondre à des besoins fonctionnels, bien au contraire, dans certains logements les cloisons se « contorsionnent » pour s’adapter à la composition de la façade. « La Dernière Cène », aussi, pose une dernière petite énigme au flot de touristes qui s’agglutinent devant elle – mais où est passé Judas ? Revenu de l’autre côté de la table, dissimulé dans un groupe de trois apôtres ! – Comme dans la bande dessinée de Martin Handford, on cherche « Où est Charlie » !

Des monolithes paradoxaux

Pour mettre en mouvement les regards et les pensées, la peinture a inventé une autre technique : le chatoiement des étoffes et des drapés qui donne à la simplicité du volume un rendu très texturé. Entre 1955 et 1961, Luigi Caccia Dominioni réalise une série d’immeubles de logements à partir d’un même dispositif formel dont l’objectif avoué est de faire perdre l’échelle de l’édifice. Les volumétries sont simples, massives et les enveloppes de façade sont unitaires et traitées en allover. Les deux bâtiments de la Via Ippolito Nievo (1955‑1957) sont des barres qui s’inscrivent dans un plan urbain d’ensemble. Le bâtiment Corso Italia 22 (1957‑1961) est une petite tour à facettes implantée en cœur d’îlot. Le bâtiment Piazza Carbonari (1956‑1957) est un plot avec une singulière silhouette de toiture découpée à l’emporte‑pièce [fig.09].

Fig. 8 & 9

L’aspect unitaire des façades est rendu par la surface murale constituée de briquettes de parement posées verticalement, qui soulignent le caractère ornemental du dispositif. Elles sont vernissées. Leurs couleurs – bleu nuit, orange terre, vert pétrole – changent selon la lumière du jour et semblent couvertes d’or, de cuivre ou d’asphalte. Cet effet moiré ou mordoré, très apprécié dans les tissus vénitiens, est devenu une technique picturale de la Renaissance maniériste. Le cangiante est très utilisé par Paolo Caliari, dit Véronèse (1528‑1588) ainsi que par Michelangelo (1475‑1564) dans la Chapelle Sixtine (1508‑1512). Pour réussir la transposition à l’architecture de cet effet, les fenêtres sont insc

rites dans une figure particulière de composition. Elles sont disposées en semis, en constellation ou en guirlande enveloppant le volume [fig.10]. Elles ne laissent plus deviner la partition interne des logements et on finit par perdre même la notion d’étage. Les éléments particuliers de la façade comme les de l’agence BBPR, Via Cavalieri del Santo Sepolcro 10‑12 (1961‑1968) ou d’Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, Via Quadronno 24 (1959‑1960) ont une dimension monolithique rendue par le pliage de l’enveloppe et le dispositif répétitif d’un motif des travées de façade.

Jacques Lucan (1947‑), dans les deux livres qu’il consacre aux nouveaux processus de conception architecturale 15, analyse l’intérêt contemporain pour ce mode de composition en all‑over. C’est un dispositif de composition qui se prête plus facilement à des programmes d’équipement moins contraints par les nécessités des usages intérieurs. Pour autant, dans les immeubles d’habitation de Luigi Caccia Dominioni ou dans certains projets contemporains, on trouve des dispositifs analogues. L’agence milanaise baukuh (2004‑) a réalisé à Tirana (2015) un immeuble d’habitation avec une silhouette extrêmement massive, un traitement unitaire de l’enveloppe en carrelage et un mode de percement semi‑aléatoire. On retrouve aussi dans l’immeuble d’habitation des architectes Aldric Beckmann (1970‑) et Françoise N’thépé (1973‑) dans la ZAC Masséna (2007) le même aspect monolithique, donné par une enveloppe unitaire en béton teinté marron, juste contrariée par les ajouts dorés, associés à une multitude de formes de châssis pour faire perdre la compréhension de la superposition. Les architectes Jacques Herzog (1950‑) & Pierre De Meuron (1950‑), pour le bâtiment Südpark (2011) à Bâle, poussent le dispositif de la surface murale en all‑over en répartissant en semis les baies sur la totalité de la façade.

Fig. 10 & 11

La tour Agbar (2005) de Jean Nouvel (1945‑) à Barcelone, avant qu’elle ne soit capotée, révélait un ordonnancement impressionnant : la disposition des châssis semblait pixelliser la coque tandis que certains cadres pouvaient devenir structurels dans les enchaînements de percements. Plus récemment, l’agence suisse Philippe Bonhôte & Julia Zapata (2003‑) à La chapelle des Sciers (2009) à Lancy, utilise aussi un mode de percement en ruban pour faire « flotter » les couches les unes sur les autres. Ce dispositif fait aussi référence depuis l’intérieur à une fenêtre bandeau cadrant chaotiquement le paysage.

Le principal paradoxe des immeubles d’habitation de Luigi Caccia Dominioni est que la composition des façades très contemporaine en all‑over, est en contradiction avec le dispositif classique de distribution par pièces des appartements. On aurait pu s’attendre avec ce type de façade à des plans fluides, très ouverts alors qu’on trouve des plans à pièces, très composés. Ils ont toutes les caractéristiques des appartements bourgeois des XVIIIe et XIXe siècle avec hall, vestibule, galerie, antichambre, double distribution, cabinet, bibliothèque, dressing, office, etc. [fig.11].

Il ne s’agit pas d’un simple agrandissement des pièces comme on le voit souvent dans les nouveaux appartements bourgeois, les lofts mais bien d’un autre type de plan où chaque pièce a sa géométrie, sa matérialité, son ambiance. La structure poteau‑poutre est ici au service d’une composition de plan très dessinée, permettant à chaque étage de modifier la partition interne. Dans certains projets comme l’immeuble de la Via Massena (1959‑1963), Luigi Caccia Dominioni place un vestibule dans le prolongement du palier d’entrée afin de permettre d’assembler différemment les appartements. À certains étages, ce vestibule est partagé par deux logements, à d’autres il permet d’agrandir un appartement en prenant, par rachat, une partie du logement voisin ou encore permettre depuis le palier de distribuer un appartement indépendant. Dans le Cahier de théorie douze de l’EPFL, Bruno Marchand et Alexandre Aviolat 16 signalent une tendance contemporaine du retour du plan à pièces dans les concours récents de logements en Suisse. Ainsi l’agence Edelmann Krell (2005‑) pour le projet Seebahnstrasse à Zürich (2014), propose un dispositif de distribution par vestibule qui permet de compacter la desserte des chambres et des sanitaires. Dans le projet de l’agence Mathis Kamplade, Mehrgenerationenhaus à Zürich (2015‑2017) on retrouve un dispositif traditionnel de pièce centrale de distribution, la diele. Enfin, les architectes Sergison & Bates pour le projet Elderly Housing à London (2015) proposent un étonnant plan par agrégation de pièces. Dans ce projet comme dans les autres cités précédemment, la géométrie des pièces est très affirmée. On est clairement dans la filiation du travail des frères Perret et dans la continuité des dispositifs de composition du bâtiment de la rue Franklin à Paris (1903).

Attention aux détails

Le mouvement du regard du spectateur ne se déduit pas de l’approximation du geste du peintre ni d’une désinvolture vis‑à‑vis des détails, bien au contraire. Il semble même indispensable de s’attarder brièvement sur une des caractéristiques qui façonne l’identité de ces architectures, le soin et la singularité des détails de mise en œuvre. Un des plus cocasses est la façon, très énigmatique, qu’a Luigi Caccia Dominioni de cacher le parlophone de l’entrée de la Casa Pirelli, Via Cavalieri del Santo Sepolcro 6, (1962‑1964). Les sonnettes sont dissimulées derrière une pierre du parement de la façade qui pivote, une véritable cachette secrète [fig.12] comme dans la Camera degli Sposi (1465‑1474) du Palazzo Ducale à Mantoue d’Andrea Mantegna (1431‑1506).

fig.12 Architecte Luigi Caccia Dominioni Casa Pirelli (1962‑1964)Milano, Via Cavalieri del Santo Sepolcro 6 Photographie de l’auteur

Ce bâtiment, qui semble banal à première vue, recèle une multitude de détails qui signent la personnalité de l’auteur. Certains sont récurrents dans son travail à cette période comme le soin porté aux gouttières et aux descentes qui viennent marquer l’artificialité de l’angle du bâtiment. D’autres sont des emprunts de mise en œuvre au baroque milanais comme les biseaux dans l’épaisseur de la façade pour protéger la tranche des volets ou la décomposition en deux parties du volet pour en faciliter la manipulation au droit du garde‑corps. Quand on s’attarde sur cette façade, on découvre presque fortuitement que les vitres, un peu trop grandes, ne s’ouvrent pas classiquement en pivotant sur une charnière mais coulissent sur une crémaillère. Les intérieurs sont aussi investis : les voitures roulent sur des sols en mosaïque ou en marbre pour rejoindre un parking organisé comme une arène qui met en scène les calandres des bolides. C’est à qui fera le plus beau hall d’entrée, le hall le plus spectaculaire. Les toutes petites pièces de distribution intérieure, comme les vestibules deviennent de véritables boîtes à bijoux où les sens sont contrariés par le trouble provoqué par quelques artifices de mise en scène, une attitude typiquement maniériste. Ces architectes sont tous des designers. Peut‑être est‑ce la raison de ce soin porté aux détails. Cette excellence dans les mises en œuvre est aussi la signature d’un tissu industriel et artisanal qualifié.

Avant et après Aldo Rossi

En guise de conclusion provisoire à cet article, on peut se demander comment Aldo Rossi (1931‑1997) a perçu cette architecture, contemporaine de ses années de formation et du début de sa carrière de théoricien et de praticien. On ne peut pas ne pas imaginer que ses prises de position contre la destruction de la ville classique par le mouvement moderne, n’aient pu avoir comme origine ces réalisations, toutes très urbaines. Même le projet le plus radical de Luigi Walter Moretti, Corso Italia, ne déstructure pas la figure de l’îlot. Pourtant après les bombardements de 1943, qui entraînèrent la destruction presque totale des quartiers les plus anciens, le centre‑ville de Milan a été totalement reconstruit. Mais reconstruit par une architecture urbaine soucieuse du parcellaire, de l’îlot, des types tout en assumant une écriture architecturale moderne, cultivée et un peu bizarre. C’est une des multiples formes de la modernité, une forme un peu à la marge de son courant héroïque. Alors qu’Aldo Rossi n’a pas pu ignorer cette architecture depuis son studi di architettura Via Maddalena en plein cœur de la transformation du quartier du Duomo, ce sont ses anciens collaborateurs suisses comme Bruno Reichlin (1941‑) et Fabio Reinhart (1942‑) puis les tenants du mouvement de l’architecture analogue comme Miroslav Šik (1953‑), Hans Kollhoff (1946‑) et plus récemment Adam Caruso (1962‑), qui ont cherché dans ces architectures une voie pour penser le contemporain. C’est cette génération qui revient sur ces références d’un modernisme « maniériste » pour reconstruire une architecture contemporaine savante.

Bibliographie

1‑ Le groupe BBPR était composé de Gianluigi Banfi (1910‑1945), Lodovico Barbiano di Belgiojoso (1909‑2004), Enrico Peressutti (1908‑1976) et Ernesto Nathan Rogers (1909‑1969).

2‑ Robert Klein, L’esthétique de la techné, Institut national d’histoire de l’art, Saint‑Juste‑La‑ Pendue, 2017.

3‑ Daniel Arasse, Histoires de peintures, essais folio, Saint Amand, 2006, p.195.

4‑ Ibidem.

5‑ Le Gruppo 7 était composé d’Ubaldo Castagnoli, Luigi Figini, Guido Frette, Sebastiano Larco, Gino Pollini, Carlo Enrico Rava et Giuseppe Terragni. 6‑ Kenneth Frampton, L’architecture moderne, une histoire critique, Philippe Sers, Paris, 1985 (1ère édition 1980) p.179.

7‑ Kenneth Frampton, ibid, p.177.

8‑ Colin ROWE, Mathématiques de la villa idéale et autres textes, Édition Parenthèses, Marseille, 2014

9‑ Daniel Arasse, Histoires de peintures, essais folio, Saint Amand, 2006, p.199.

10‑ Patricia Falguières, Le maniérisme. Une avant‑garde au XVI e siècle, Découvertes Gallimard, Paris, 2004, p.74.

11‑ La règle du C+D appartient à la Réglementation Sécurité Incendie. Elle concerne la propagation verticale du feu sur des façades comportant des baies. Il s’agit de tenir une distance minimum entre deux baies superposées. Une règle qui amène souvent à décaler les percements pour l’obtenir la distance voulue.

12‑ Martin Steinmann, Forme forte, Birkhäuser, Bâle Boston Berlin, 2003, p.247.

13‑ Daniel Arasse, Histoires de peintures, essais folio, Saint Amand, 2006, p.140

14‑ Daniel Arasse,ibid, p. 145.

15‑ Jacques Lucan, Composition, non‑composition Architecture et théories XIX e – XX e siècle, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009. Jacques Lucan, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015.

16‑ Bruno Marchand et Alexandre Aviolat, Logements en devenir concours en Suisse 2005‑2015, Cahier de théorie douze, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015.

L’architecture dans le vestibule

Une école maniériste dans le Milan des années 60

Les travaux de ce séminaire de Master qui se sont tenus de septembre à décembre 2017 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille (ENSA•M) ont pris pour objet un moment particulier de l’histoire du Mouvement Moderne, un rationalisme maniériste milanais. Ce moment d’une modernité hétérodoxe s’est tenu à Milan entre les années 1940 et 1960. Cette appellation de rationalisme maniériste nous est personnelle, elle n’apparaît pas dans les livres d’histoire d’architecture traitant du Mouvement Moderne. Le terme veut rappeler que le Mouvement Moderne a été traversé de nombreuses tendances, débats quelquefois contradictoires et qu’on ne peut pas le réduire aux slogans de ses hérauts, critiques, historiens ou architectes propagandistes de l’avant et après seconde guerre mondiale. Le rationalisme maniériste suit l’apparition sur la scène architecturale italienne du rationalisme, épisode important du Mouvement Moderne mais s’il s’en réclame, il en porte dans le même temps la critique. Si le rationalisme italien a cherché une forme d’universalité, à l’exemple du classicisme Renaissant, le rationalisme maniériste met en crise le modèle dont il est issu. A l’image du Maniérisme du XVIe siècle qui met en crise la diffusion des modèles classiques établis en Italie dès le XVe siècle.

Ce séminaire s’est intéressé à des édifices réalisés par les architectes Caccia Dominioni, Mario Asnago et Claudio Vender, Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, Ignazio Gardella, Gian Luigi Banfi, Lodovico Barbiano di Belgiojoso, Enrico Peressutti et Ernesto Nathan Rogers (BBPR).
Le travail mené a été d’analyse, analyse détaillée des édifices, productions de ces architectes milanais, cette analyse permettant de rassembler un certain nombre de caractères communs à cette production nous autorisant a posteriori de la rassembler sous l’étiquette d’un mouvement critique, le rationalisme maniériste ou razionalismo manierista milanese.
Il est entendu qu’aucun des architectes cités dans ces travaux n’a explicitement fait référence à cette étiquette ou à une quelconque position critique commune. Et s’il existe une iconographie relativement accessible sur la production de ces architectes, peu ou pas de textes critiques ou historiques ne les fédèrent, soulignant « l’assourdissant silence » de ces praticiens sur leur travail, pensons à l’aristocratique mutisme d’Asnago et Vender. Seul Ernesto Nathan Rogers (BBPR) aura une activité critique et d’éditeur importante jusqu’à s’imposer comme figure centrale dans les débats sur l’architecture moderne de l’après‑guerre.
Ce séminaire entend compléter une historiographie qui a été peu ou pas faite sur cette production italienne de l’entre et après seconde guerre mondiale, pour le moins une part d’elle (nous pensons aux travaux d’Asnago & Vender ou Caccia Dominioni).

Il nous est apparu que l’intérêt de ce travail ne relevait pas de la seule curiosité d’historien, objet de fortune critique « […] attentive à récupérer la dimension de l’objet et son caractère d’unique en le soustrayant à ses dimensions économiques et fonctionnelles, en le fixant en tant que moment exceptionnel » 1.

« L’histoire n’est point un discours achevé. Même si les événements d’une période sont codifiés minutieusement, même si les sources semblent fouillées de façon exhaustive, les questions qu’on adresse à ces matériaux changent selon les nouvelles perspectives qui s’ouvrent à chaque nouveau point de vue atteint par le présent. »

Francis Strauven introduction à « L’architecture dans le boudoir –
Le langage de la critique et la critique du langage » de Manfredo Tafuri, Oppositions, n°3, 1974. Princeton Architectural Press, NYC, p.291-317.

 

Il nous est apparu que le travail de ces architectes notamment sur le plan, des plans figurant des pièces fortement caractérisées, autorisait une étonnante flexibilité des partitions et évolutivité des agencements. Cette qualité des plans nous est apparue une réponse appropriée et opérante aux nouvelles exigences de flexibilité du logement liées aux profondes transformations des modes d’habiter et d’occupation, observées par les sociologues depuis plus d’une vingtaine d’années. Hormis le travail sur les plans, les pièces, la commune préoccupation de ces architectes pour le dessin de façades épaisses ou encore les mises en œuvre sophistiquées des accès des immeubles à rez‑de‑chaussée, ont été largement empruntées et reprises dans des productions contemporaines sans qu’en soient citées les sources. 2
Ainsi donc, nous avons parallèlement au séminaire d’analyse, associé un atelier de projet lequel empruntant explicitement les dispositifs mis à jour par le travail d’investigation, s’est attaché à vérifier leur opérante adéquation aux modes de production courante du logement contemporain. Cet atelier de projet constituait le test des hypothèses avancées par les travaux du séminaire, outils de « redimensionnement » et d’expérimentation des énoncés.

Si « Traditionnellement, l’histoire de l’architecture a fonctionné comme répertoire et en même temps comme justification de la pratique projectuelle. »3, nous entendons dans ce petit développement mettre en écho deux périodes décisives pour la nature du métier d’architecte, l’organisation de son exercice et les discours qui le légitiment, périodes lesquelles dans « les significations politiques de l’architecture » semblent à partir des mêmes causes, produire les mêmes effets.
Deux périodes ; celle de l’ordre classique et sa mise en crise par le maniérisme et celle qui voit la naissance du mouvement moderne et sa contestation dès les années d’après la seconde guerre mondiale, par un retour de la culture architecturale à l’histoire.

Le grand ordre classique – la maniera

Au XVIe siècle, des condottieri qui par la guerre prennent des terres auxquelles ils imposent leur autorité tyrannique, commandent la scénographie des nouveaux ordres qu’ils inaugurent. La nouvelle représentation du monde dans une figuration outillée qui l’impose, devient l’ordre du monde, le pouvoir des images sert l’image du pouvoir. En bousculant les vieux ordres des corporations de l’Europe gothique, l’architecture classique se fera l’expression des pouvoirs des cours. Les causes ; les nouveaux rapports de production et d’échanges qui s’instaurent au XVe siècle, imposent un nouvel ordre dont la combinatoire et disponibilité des éléments font système « […] système linguistique que soutient une idéologie universaliste » 4. Mais l’expérimentation des éléments du système, les variations dans leur organisation et agencements, au risque de la fragmentation de la cohérence des ordres, opérés par la critique maniériste, en seront les effets.

Le grand style classique à travers sa redécouverte de l’antique va fixer les règles de représentation des nouveaux territoires conquis par des condottieri, nouveaux Princes qui imposent un nouvel ordre tyrannique.
A Urbino, Ferrare et Mantoue, s’épanouit l’art de la première Renaissance. Alberti fixe l’outillage nécessaire à l’établissement des nouvelles règles de représentation du monde que Brunelleschi avant lui avait établies, un monde ordonné et mesurable. Il est par son De Pictura, traité de la peinture à l’origine du développement de la géométrie descriptive.
« Avec le géométral, la ville est donnée dans sa totalité, d’un seul coup, dans l’ordre des coexistences et des coprésences que marquent la différence de l’espace libre et de l’espace bâti, le système des rues, des places, des jardins et son exact complémentaire celui des édifices, des maisons, des palais et des églises » 5.
On aura mis à plat la globalité du monde dans la carte, cette mise à plat autorise le tracé des lignes de division et des limites qui vont ordonner les autorités. Lignes amies, lignes ennemies, lignes déplacées dès lors organisent les alliances et les conflits. 6
Le droit moderne s’institue par l’imposition de lignes de partage, dans leur agencement l’organisation du nouveau monde et la délégation et régulation de son autorité par les chrétiens d’Europe. « […] ne pas perdre de vue le rapport entre ordre et localisation ainsi que les attaches spatiales de tout droit » 7.
À la fin du XVIe siècle, « En Italie comme dans le reste de l’Europe, des états puissants et centralisés, fondés sur une acceptation absolutiste du pouvoir et dotés d’administrations efficaces, se mettent en place » 8.

Un des outils de cette administration efficace au service d’états puissants est la mesure par le géométral des propriétés qu’on charge des architectes d’édifier et auxquels on confie le rôle d’instaurer les règles de représentation de la totalité du monde connu. A la fin du XVIe siècle le monde est ordonné aux pouvoirs d’états souverains, les règles et canons « tenus dans les signes du langage et dans les figures du regard » 9 formulent les exigences d’une vérité universelle. L’âge classique dans sa relecture de l’architecture du monde antique imposera les ordres soit des règles de proportions, des rapports réglés selon une arithmétique simple, règles entendues comme miroir d’un monde naturel harmonieusement composé.

Léon Battista Alberti par sa relecture des ordres de Vitruve règle l’expression d’une grammaire à partir de laquelle pourra se fonder une discipline, l’architecture. La colonne, variée en cinq ordres est l’élément premier, substantif de cette grammaire dont les propositions ; superposition des ordres, tripartition dans l’étagement, « […] colonnes et leurs différents engagements, pilastres, conjonction des colonnes et des arcs […] » 10 s’inscriront dans des inventaires aux infinies variations, des figures 11, à partir desquelles les architectes composeront jusqu’au XVIIIe s., les édifices qu’ils projettent. Que de ce langage, ils en distordent les énoncés « […] distorsions que Michel Ange imprime au latin de l’architecture »12 ou en varient les harmonies.
La fixation des règles universelles de représentation, l’imposition des modèles classiques « des formes et solutions plastiques » autorise leur duplication, reproduction et diffusion sur tout le continent européen. Cette diffusion des modèles est concomitante des développements des formes de reproduction mécanique, l’imprimerie et la gravure. 13


C’est moins de cinquante ans après l’établissement des règles qui fixent les canons d’un ordonnancement classique du monde, leur diffusion massive qu’en sera éprouvée la solidité. C’est pour les loisirs d’une nouvelle aristocratie, les condottieri, mercenaires mués en seigneurs fonciers que travaillent les artistes de la maniera. Ils dressent les tableaux, ornements et décors qui glorifient par leur expression « la puissance des princes et des grands » 14.
Cette expression qui légitime la puissance des nouveaux princes emprunte au charisme, la « […] reconnaissance […] par les dominés […] sur laquelle repose le pouvoir du maître charismatique (qui) trouve sa source dans l’abandon plein de foi […] à l’extraordinaire et à l’inouï, à ce qui est étranger à toute règle et à toute tradition et regardé par suite comme divin » 15.
« Partout le roi est d’abord un prince guerrier. La royauté dérive de l’héroïsme charismatique » 16. La maniera glorifie l’aura du roi en recourant aux mondes enchantés des romans de chevalerie, à l’héroïsme des figures mythiques tel l’Arioste, et rejoue l’exercice aristocratique du tournoi « […] tournoi chorégraphié où s’affrontent Guerre et Amour, Vertu et Luxure, où l’on délivre des demoiselles séquestrées […] où l’on affronte des magiciens juchés au sommet des montagnes » 17.

Cette scénographie des pouvoirs à laquelle s’emploient les peintres et architectes de la maniera, recoure aux machines à effets, au spectaculaire des invraisemblances et « fictions improbables », aux métamorphoses des genres, au merveilleux que la philosophie 18 cautionne, sublimant « l’absolument singulier, à ce qui est divin parce que singulier » 19. A cette exaltation de la force, proprement surhumaine, s’identifie la puissance du prince.

Mais la bizarrerie, l’extravagant, le monstrueux et l’exotique bousculent l’ordre harmonieux et réglé du monde naturel. L’exaltation déiste du prince affranchit ses portraitistes – auteurs de sa représentation – des « […] régulations techniques, esthétiques et sociales », des ordres classiques qui normaient l’exercice de l’art et de l’architecture. Les lois de l’anatomie s’en trouvent déformées, la vraisemblance des mouvements défiées dans les chutes spectaculaires de corps désarticulés, « […]

ill-1 et ill-2

 

les postures exagérées, acrobatiques, impossibles des voltigeurs de Tibaldi ou Coltzius » 20, les corps saisis dans de douloureuses langueurs.
Les architectes maniéristes brisent les frontons, assemblent bizarrement pièces et morceaux des figures des ordres classiques, font tomber les triglyphes des frises, font courir les chars dans les nuées offrant au spectacle les virilités dévoilées des appareils, conducteurs et chevaux… (Jules Romain au palais du Té de Mantoue) [ill.01]
Le maniérisme s’entend à vérifier que les merveilles, prodiges de l’extraordinaire ressortissent bien de l’ordre du droit naturel. Que l’investigation des limites du monde connu en élargit l’horizon sans en contester l’équilibre et l’ordre général. S’il en distord l’image, il ne remet pas en cause les codes de sa représentation. Si le maniérisme ébranle les fixités des règles classiques de représentation du monde, il en conforte, de manière apparemment paradoxale, la force et opérativité de ses agencements, aptes à dire le connu et l’encore inconnu.
L’extraordinaire du nouveau monde tout juste découvert « colibris […] flore du Mexique […] » ou l’extraordinaire du monde connu « la fonte d’un dindon de bronze grandeur nature, d’un hibou, d’un paon, d’un singe par Gianbologna, sculpteur du Grand‑duc de Toscane » 21 sont les objets d’une figuration scrupuleuse voire analytique. « Jacopo Ligozzi réalise […] des dizaines de peintures à la détrempe d’un raffinement inouï qui livrent le portrait d’oiseaux mouches, de scarabées, de crabes, de bulbes et de fleurs exotiques ou familières, sur fond neutre, dégagés de tout prétexte narratif » 21 [ill.02]

L’architecture se rallie à cet « […] engouement généralisé pour la puissance germinative de la nature ». Bossages, corruption des substances naturelles, « géants barbus comme emprisonnés dans leur gangue de pierre », colonnes grossières de l’entrée du Palais

du Té, encore serties dans les concrétions naturelles de la carrière d’où elles sont extraites, figurent une ontologie à l’ordre classique, agencements d’architectures extraits d’un ordre naturel de la matière. [ill.03]

La ville des Modernes, nouvel ordre du monde – L’Italie de l’après seconde guerre mondiale

Les maîtres

des avants gardes du mouvement moderne des années vingt, déclaraient se placer « en dehors de l’histoire », les

postulats techniques et fonctionnalistes du nouveau monde machinique devenaient les modèles pour l’intégration de l’architecture à l’édification d’un monde nouveau. En prétendant construire une histoire nouvelle, les modernes retrouvaient l’idéal classique universaliste d’institution d’un ordre nouveau « […] les choses industrielles remplacent la nature du classicisme […] » 22. La tabula rasa des modernes, ce mot d’ordre lancé par Dada à l’ancien monde en même temps qu’il en fait le lucide constat de son désordre, autorise sa reconstruction. L’art et l’architecture, débarrassés de l’Œuvre, doivent se dissoudre dans la ville. Les causes sont entendues d’une production continue dont le but précis est d’être consommé rapidement, faite et défaite constamment au rythme d’un présent indéfiniment actualisé qui va reconfigurer la totalité de notre environnement bâti. La culture italienne des années 50, chambre d’écho d’une critique dont l’onde recouvrira la culture architecturale de l’Europe jusqu’aux années 70, opère un retour au fétichisme des objets contre l’annihilation du passé. La ville ancienne, mythifiée devient un « objet » à défendre. Les maîtres milanais de l’après seconde guerre mondiale, héritiers de la tradition moderne, s’en remettent à un nouvel éclectisme puisant dans l’histoire comme dans un « […] magasin de mémoires à revitaliser » 23. Le retour du regard des architectes vers le passé est l’effet, apparemment paradoxal, de la tradition moderne qui succède à ses avant‑gardes.

Ill.03 Giulio Romano– Colonnes d’entrée au
Palais du Té, Mantoue. Photographie Gilles
Sensini

La phase de croissance du capitalisme qui s’accélère au XIXe siècle, va transformer en moins d’un siècle, notre environnement et ses territoires plus radicalement que toutes les époques précédentes ne l’avaient fait. L’homme fait l’expérience du tragique et ce tragique c’est l’expérience de la métropole – le choc de la Grosstadt, die Grosse Stadt.

L’angoisse de la grande ville et le traumatisme de la 1ère guerre mondiale – l’aperçu du chaos – vont permettre la convergence quant aux mobiles et motivations, des courants de pensée d’un capitalisme démocratique qui se fait jour [avec les figures d’un Walter Rathenau en Allemagne ou d’un Ford aux États‑Unis] et des mouvements du socialisme planificateur qui triomphera en Russie.
Cette convergence de vues c’est cette volonté de prévenir les risques d’un futur désastreux, faire du futur un futur dont le risque est éliminé et où le présent tout entier se projette. Pour ce faire on s’attachera à rationaliser « l’ordre du monde » et cet idéal progressiste va s’investir tout entier dans la production ;
« L’usine n’est plus le scénario d’un drame mais le lieu où opère une communauté liée par le même but productif, le centre ou le pivot d’une structure

urbaine considérée comme l’expression directe d’une structure sociale vivante » 24. Planification et organisation sont les mots d’ordre d’un capitalisme démocratique qui veut harmoniser travail et capital contre la spéculation et la rente, planification et organisation sont les mêmes mots d’ordre du socialisme planificateur dans son appel à la prolétarisation universelle qui cherche à dépasser ainsi par l’utopie le désarroi d’une classe de travailleurs.

Les intellectuels sont invités à penser un plan d’ensemble contre la révolte individualiste de « l’artiste fécond » et mettre l’art au service du travail. Un plan qui vise à une organisation collective et planifiée du monde contre l’individuel et hasardeux futur.
Le rôle qu’assignent les avants gardes du mouvement moderne à l’architecte est un rôle politique. L’architecte, quittant son manteau d’artiste créateur, endosse la responsabilité du travailleur intellectuel à l’avant‑garde du cycle de production auquel est dévolu la programmation et la réorganisation planifiée de la ville.
La ville des Modernes est une ville nouvelle, un événement hors de l’histoire qui investit les étendues neutres d’un monde nouveau qu’il reste à édifier, une ville réduite à quelques fonctionnalités sommaires essentiellement identifiées dans la gestion des flux et la prédominance du plan. C’est cette logique productiviste et sectorielle de l’espace qui conduira l’ensemble des aménagements urbains de l’après‑guerre en Europe, le nouvel ordre du monde est tout entier moderne même si des spécificités nationales en distinguent les politiques et résultats.

On a parlé de « miracle » à propos de l’Italie de l’après seconde guerre mondiale, l’essor de son économie après 1945 est spectaculaire ; son PIB progresse de 6,1% en moyenne dans les années cinquante et encore de 5,8% dans les années 60. Ces résultats sont obtenus par la forte croissance de la production industrielle et ses secteurs fortement capitalistiques comme la métallurgie, la mécanique ou la chimie. Ce bond de l’économie italienne d’après‑guerre est soutenu par une politique libérale relayée cependant par une forte intervention de l’état et les effets du plan Marshall. L’Italie de l’après‑guerre cumule les atouts des pays développés, institutions et infrastructures organisées et les avantages d’un pays en développement avec une importante réserve de main d’œuvre bon marché puisée dans l’émigration massive d’un Sud agricole régit par des structures latifundiaires archaïques. Le patronat italien qui concentre ses activités et l’accumulation du capital au nord du pays essentiellement dans le triangle septentrional, Milan, Gênes, Turin, peut maintenir les hausses de salaires à un niveau largement inférieur aux hausses de productivité. 25
Les immenses profits produits de cette différence sont réinvestis dans la rente immobilière. « A la fin des années cinquante, la valeur de la propriété immobilière dans la seule ville de Milan, était très supérieure à la valeur totale de la Bourse » 26. Les nouveaux condottieri du capitalisme transalpin, souverains stratèges d’une Italie sur la voie du progrès, chercheront à figurer l’exception de leur puissance. « Les formes modernes de création de souverains y compris les formes démocratiques, ne sont pas étrangères au charisme » 27.
Si l’architecte est chargé de porter les signes du pouvoir qui le commande, cette légitimité du rôle ne change pas combien même les pouvoirs se suivent. La flèche du progrès ayant remplacée la figure du roi 28, l’architecte est tout entier moderne dans sa prescription d’un nouveau monde dont on le charge de faire le plan.

Cependant, dans l’Italie de l’après‑guerre, les annonces d’affiliation aux thèses du mouvement moderne si elles restent protéiformes, revendiquent toutes « […] l’assonance spirituelle avec les valeurs du passé ». L’affirmation de programmes par les architectes et les critiques, se caractérise par le « culte de l’histoire ». « Même un mouvement en apparence de rupture à l’égard de la tradition comme le mouvement rationaliste, a pris racine et jeté ses bases en se fondant sur des justifications typiquement traditionnelles […] C’était un moyen de disputer à la culture aulique des épigones néo‑classiques et académistes, l’espace politique dont il avait besoin pour se développer » 29.
Pour autant Manfredo Tafuri reconnaît des spécificités entre écoles régionalement identifiées « […] tradition d’engagements et de luttes parfois ambiguës qui séparent l’école de Rome de celles de Milan, de Venise et de Florence » 30. En retrait des débats – pensons à l’assourdissant silence d’Asnago et Vender ou d’un Caccia Dominioni – affichant l’indifférence aux « […] nouveaux problèmes qui engagent politiquement la transformation de l’économie de la construction », les maîtres milanais, héritiers d’une riche culture lombarde, iront interpréter la ville comme « […] une sorte de musée à aménager […] et l’architecture comme un ensemble d’objets d’autant plus qualifiés qu’ils sont plus fondus dans l’ensemble » 31. Attachés à l’exactitude du détail technique, au fragment, leur repli sur une pratique savante de l’exercice du métier, leur façonnage d’objets irréels à destination d’une élite éclairée, ne peut compter que sur un « […] cycle organiquement achevé qui irait du projet à la construction en garantissant la préservation de leurs qualités d’origine », leurs réalisations s’appuyant sur les compétences d’un réseau d’artisans qualifiés. Ces « barons perchés » de l’architecture européenne « […] sont suspendus au‑dessus de l’enfer des contradictions quotidiennes. Comme pour le personnage du conte de Calvino, l’isolement aristocratique demeurait le statut inconsciemment accepté par les agents d’une culture architecturale au seuil de transformations radicales dont seuls les échos parvenaient jusqu’aux branchages de leur nid douillet » 32.
Le scepticisme de ces « barons perchés » à l’égard des nombreux et nourris débats sur l’architecture qui agitent l’Italie des années 50/60, dans « l’orgueil de la modestie » du métier sont pourtant les héritiers du mouvement moderne dont ils reprennent et cautionnent les modes de production alors généralisés de la construction ; préfabrication, structures béton, mise en œuvre de produits semi‑manufacturés produits en série ; structure poteaux/poutres et dalles épaisses, panneaux modulaires en ciment pour le complexe résidentiel de la Via Cavalieri del Santo Sepolcro des BBPR, panneaux modulaires en bois et métal pour la façade de l’immeuble de la Via Quadronno des architectes Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, structures poteaux/dalles des immeubles de la Via Faruffini et Via Vigoni respectivement d’Asnago, Vender et Luigi Caccia Dominioni…

Mais si ces architectes reconduisent les mises en œuvre notamment des structures, issues de la production courante du logement moderne, ils en portent dans le même temps, par leur méthode, la critique.
Cette méthode, commune à un Caccia Dominioni, Gardella, aux Asnago et Vender, c’est la mesure et le contrôle technique de l’ensemble des éléments du projet et leurs articulations. Indifférents aux questions larges d’aménagement du territoire et des politiques qui le conduisent, ils restent attentifs au syncrétisme de l’œuvre achevée à même de justifier toutes les valeurs d’échelle d’intervention de l’architecte. Par le métier, la précision artisanale des assemblages et la citation, ils veulent sceller les retrouvailles de la ville sans grâce du modernisme triomphant d’avec les « préexistences historiques » théorisées par les BBPR.

ill-4

 

Il est symptomatique qu’aucun des architectes que nous convenons de rassembler sous l’étiquette de razionalismo manierista milanese, ne participent au plan Fanfani pour le développement de l’habitat, plan instruit dans le cadre de la gestion de la construction économique Ina Casa 33 quand des figures du rationalisme à l’exemple de Figini et Polini y testeront les outils d’intervention à grande échelle 34 [ill.04]. Politique de construction régie par une administration publique, l’expérience Ina Casa s’appuie sur la « […] rapidité, efficience et précision de la production » et une urbanisation par grands ensembles « contre le romantisme exaspéré de trop nombreuses réalisations architecturales […] » 35.
Dans la gratuité des mises en œuvre en contradiction des usages, on pense aux balcons non accessibles de la Via Massena de Caccia Dominioni, des signes muets s’adressant qu’à ses seuls locuteurs, l’incongrue curiosa de l’immeuble de la Via Faruffini des architectes Asnago et Vender [ill.05], la « coprésence d’objets agrégés de manière constructiviste qui tendent obstinément à communiquer des messages impossibles […] racontent de façon exemplaire le drame de l’architecture moderne. L’architecture encore une fois s’est faite discours sur elle‑même » 36.

Nous avons parlé de maniera à propos de ces architectes milanais, maniera en tant qu’elle veut que les fixités et réductions des modes de construction modernes puissent être testées à l’aune des sophistications techniques maîtrisées d’un auteur. Cette maniera des maîtres milanais, dans cet improbable inconnu aux règles courantes des modes industrialisés de la production du logement qu’elle explore, s’en tient, dans ses vestibules, aux fêtes désenchantées d’un art, caché derrière les volets.
Ce sont dans les intérieurs d’édifices singuliers que les élégances s’offrent aux éloges telle celle de Gio Ponti pour la Casa Tognella d’Ignazio Gardella « Cette maison de Gardella répond à plusieurs exigences qui nous intéresse : c’est un bâtiment isolé et donc une « architecture » dans le sens d’une construction autonome et complexe […]. En se déplaçant à l’intérieur de la résidence […] nous mettons en avant le mobilier. Pourquoi ? Parce que pour moi, le mobilier moderne est le décor du vrai seigneur d’aujourd’hui (pas de l’homme riche mais de l’homme éduqué) » 37.
Les intérieurs sont les lieux d’un théâtre des apparences dont les scénographies offrent l’expérience de la mesure et des virtualités d’une maîtrise que la réalité de la ville ne manifeste plus, pas plus à ses architectes qu’à ses promeneurs.

L’épaisseur des façades qu’elle soit mise en œuvre dans la superposition des volets persiennés coulissants, disposés derrière l’étroit balcon filant des étages de l’immeuble de la Via Massena de Caccia Dominioni ou mise en œuvre dans le pliage des murs épais en retrait des nez de planchers devant lesquels des loggias sont disposées, de la casa Tognella de Gardella, sont autant de rideaux couleurs Odéon d’une scène soustraite au spectacle de la ville.

Ill.05 Immeuble de la via Faruffini des architectes Asnago et Vender. Photographie Gilles Sensini

La multiplication des pièces ; halls, vestibules, offices, antichambres, dans les plans des appartements de Dominioni, du plan de Gardella pour la casa Tognella ou dans la résidence de la Via Quadronno de Mangiarotti et Morassutti, sont autant de dispositifs proprement scéniques, autorisant la permutation et reconfiguration des lieux en fonction des vices et vertus privées.
La récurrence dans les plans de Dominioni des vestibules, une pièce disparue des programmes du logement moderne, fonctionne comme machinerie qui autorise les changements de rideaux. Le vestibule, plateforme distributive, permet la partition d’un même grand logement en deux logements de surfaces équivalentes, en trois ou quatre plus petits appartements. Une surprenante flexibilité du plan.

Ce sont l’expérimentation des dispositifs et figures spatiales empruntés à la tradition classique des XVIIIe et XIXe siècle autant qu’au vernaculaire lombard qui réactualisent, paradoxalement, ces maîtres milanais. Gilles Sensini 38 souligne la « tendance contemporaine du retour du « plan à pièces » dans les concours récents de logements en Suisse » ou encore la troublante actualité de la composition en « all‑over » des façades d’un Caccia Dominioni. Les trompeuses banalités des enveloppes des édifices des milanais dissimulent les aménagements précieux et savants des intérieurs, à l’image de l’ascenseur de l’immeuble de la Via Morrozzo della Rocca de Piero Portaluppi 39, conçu comme un carrosse, fût‑il tenu dans les guides d’une cage.
Nous avons dit que la maniera du XVIe siècle entendait éprouver par l’expérimentation d’agencements périlleux, la solidité de l’ordre classique. L’expérimentation c’est‑à‑dire le démontage et la manipulation, au risque de la perte de toute cohérence des ensembles à partir desquels se légitimaient l’idéal classique, est un travail critique.
Que des modernes, à Milan, au sortir de la seconde guerre, dans les traces d’un Pagano 40, figure morale de l’architecture italienne d’après le fascisme, puisent dans les magasins de l’histoire, des figures et dispositifs pour les glisser, précieusement dans les interstices du plan libre, au risque de le nier, ils opèrent là, eux aussi, un travail critique.
C’est en se fondant sur cet argument que nous 41 avons osé l’oxymore de rationalisme maniériste pour rapprocher deux discours de légitimation à l’exercice du métier d’architecte, antithétiques qu’en apparence ; toute tentative d’embrasser la totalité du monde dans une représentation qui lui suffirait emporte avec elle sa propre contestation.

Jérôme Guéneau – décembre 2017

Bibliographie

1‑ Manfredo Tafuri, « L’architecture dans le boudoir – Le langage de la critique et la critique du langage » p.20. Oppositions, n°3, 1974. Princeton Architectural Press, NYC, p.291‑317

2‑ Voir Gilles Sensini « Razionalismo manierista – Milan 1940‑1960 » ci‑après.

3‑ Francis Stauven « Introduction à L’architecture dans le boudoir – Le langage de la critique et la critique du langage » de Manfredo Tafuri, Oppositions, n°3, 1974. Princeton Architectural Press, NYC, p.291‑317.

4‑ Manfredo Tafuri « Théorie et histoire de l’architecture » SADG et Geneviève MESURET, Paris, 1976 p.63.

5‑ Louis Marin « Utopiques : jeux d’espaces » Coll. Critique, Éditions de Minuit, 1973, p.266.

6‑ « Les lignes amies apparaissent pour la première fois avec une clause secrète (…) du traité hispano‑français du Cateau Cambrésis (1599) » Carl Schmitt « Le nomos de la Terre » Coll. Quadrige, P.U.F 2001, p.93.

7‑ ibid, p.99.

8‑ Patricia Falguières « Le maniérisme. Une avant‑garde au XVIe siècle » Découvertes Gallimard, 2004, p.14. 9‑ Louis Marin, ibid p.264.

10‑ John Summerson, « Le langage classique de l’architecture » Thames & Hudson, 1991, p.40.

11‑ On caractérisera ici la figure comme certains agencements dont la récurrence dans l’histoire de l’architecture permet de les rassembler et les ordonner sous des caractéristiques communes et en décrire à partir de cette typification, les variations.

12‑ John Summerson, ibid, p. 63.

13‑ « Dès les années 1540, l’estampe diffuse les innovations de Rosso et du Primatice […] Elles sont reprises à Rome, à Venise, à Bologne […] On copie, on cite, on imite, l’émulation entre les ateliers est sans trêves. De même que les demandes des cours : il faut sans cesse « inventer » des décors de fêtes, des ornements de table, des costumes de scène […] ». Les outils de duplication mécaniques « alimentent un incessant travail de reproduction à n’importe quelle échelle et dans tous les types de matériaux » Patricia Falguières, ibid, p.17 et 18.

14‑ Patricia Falguières, ibid, p.23. 15‑ Max Weber « La domination » Coll. Politique & sociétés, La Découverte, 2013, p. 275.

16‑ Max Weber, ibid, p.276.

17‑ Patricia Falguières, ibid, p.27. 18‑ « Merveille, Stupeur, c’est le sourcil soulevé par l’étonnement que l’apprenti philosophe s’engage dans la voie de la connaissance. Ainsi Platon et Aristote ont‑ils dépeints dans le Théétète et la Métaphysique les commencements de la sagesse ». Patricia Falguières, ibid, p.28.

19‑ Max Weber, ibid, p.28.

20‑ Patricia Falguières, ibid, p.34

21 Patricia Falguières, ibid, p.99.

22‑ Manfredo Tafuri « Théorie et histoire de l’architecture » SADG et Geneviève MESURET, Paris, 1976 p.53.

23‑ ibid, p.89.

24‑ Giulio Carlo Argan « Projet et destin – Art, architecture, urbanisme » Les Éditions de la Passion, 1993, p.144.

25‑ Source Gerard Vindt « Italie, le « miracle » de l’après‑guerre » Alternatives Economiques, n°171, 1999.

26‑ Nanni Balestrini, Primo Moroni « La horde d’or – La grande vague révolutionnaire et créative, politique et existentielle – Italie 1968‑1977 » L’Éclat, 2017, p. 55.

27‑ Max Weber ibid, p.293. 28‑ Si on admet la position hégélienne d’une eschatologie chrétienne qui œuvre dans l’idée moderne de progrès. « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’état sont des concepts théologiques sécularisés » Carl Schmitt « Théologie politique » Gallimard 1988 ch.3.

29‑ Marco Dezzi Bardeschi « Le culte de l’histoire et de la personnalité dans l’architecture italienne » in AA n°113/114, Avril‑mai 1964.

30‑ Manfredo Tafuri « Les muses inquiétantes ou le destin d’une génération de ‘maîtres’ » in AA n°181, Sept‑oct.1975, p.14.

31‑ Manfredo Tafuri, ibid, p.28.

32‑ Manfredo Tafuri, ibid, p.14.

33‑ L’initiative de gestion InaCasa (Institut National de l’Assurance pour la Maison) est une expérience essentielle de l’effort pour la reconstruction de logements dans l’Italie de l’après‑guerre. La variété des architectes participant à l’expérience notamment par l’appel à projets via des concours, les questions de l’urgence et pénurie des matériaux, les spécificités locales et traditions des lieux d’intervention (l’action de l’InaCasa est généralisée à l’ensemble du territoire italien) constitueront pour des personnalités comme Savio Muratori ou Mario Ridolfi une expérience test pour la remise en cause des modes de productions industrialisés et les préceptes modernes qui les justifient.

34‑ Nous pensons notamment au quartier résidentiel entre les rues Novarra et Harrar à Milan, (Figini et Pollini arch.).

35‑ Citation de Saverio Muratori « La gestion Ina Casa » in AA n°41, juin 1952.

36- Manfredo Tafuri « L’architecture dans le boudoir – Le langage de la critique et la critique du langage » p.14.

37‑ Gio Ponti in DOMUS n°263, Janv.1951.

38‑ Voir Gilles Sensini « Razionalismo manierista – Milan 1940‑1960 » ci‑après.

39‑ Piero Porta Luppi (1888‑1967) architecte milanais associé au Novecento italien, mouvement artistique qui prône un retour aux vertus de l’esprit latin. Il occupera pendant la période du fascisme mussolinien de hautes fonctions officielles. Au sortir de la guerre, réhabilité, il sera président de l’ordre des architectes italiens de 1952 à 1963. Il réalisera avec Gio Ponti le projet d’un nouvel édifice pour le gouvernement de la justice (1956‑62). Professeur au Politecnico de Milan il aura influencé profondément les orientations professionnelles d’un Caccia Dominioni ou d’Asnago et Vender.

40‑ Giuseppe Pagano (1896‑1945), architecte, photographe est actif pendant les années du fascisme italien, il adhère aux thèses du mouvement rationaliste. Directeur de Casabella avec Edoardo Persico en 1933. Il entre dans la résistance au fascisme en 1943 et meurt en déportation à Mauthausen en 1945. Il aura entrepris un inventaire photographique des formes vernaculaires de la campagne lombarde qu’il expose à la triennale de Milan en 1936.

41‑ Le « nous », ce sont les étudiants et enseignants de ce semestre 2017 de master à l’ENSA•M.

7 architectures

1- Ignazio Gardella Casa Tognella, Piazza Castello 29, Milano

Par Paul Estublier, Marine Fabre et Pierre Hacquard

Ignazio Gardella Casa Tognella

Ignazio Gardella Casa Tognella, façade et coupe

Ignazio Gardella Casa Tognella. Photo de maquette 1/100e

Ignazio Gardella Casa Tognella. Photo de maquette 1/20e

2- BBPR Complesso residenziale, via Cavalieri del santo sepolcro, via Chiostri, via Solferino, Milano

Par Mathilde Dimper, Mathieu Rabian et Cédric Watrin

BBPR Complesso residenziale

BBPR Complesso residenziale. Axonométrie éclatée

BBPR Complesso residenziale. Axonométrie

BBPR Complesso residenziale, maquette au 1/100e

BBPR Complesso residenziale. Photo de maquette au 1/20e

3- Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti Edificio per abitazioni, via Quadronno 24, Milano

Par Yohan Depussay et Ismail Hafid

Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti Edificio per abitazioni

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. Représentation axonométriques des 3 modules constitutifs du principe de façade

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. détail du complexe de façades, décrit et annoté. Coupe façade détaillée, développé de façade et extrait module

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. Prise de vue d’une maquette au 1/100e

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. Prise de vue d’une maquette au 1/50e

4- Mario asnago et claudio vender edificio per abitazioni, via faruffini 6, Milano

Par Sara Maad, Margaux Nourrit et Ferzilet Leti Numani

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni.

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni. Façade via Faruffini

Mario asnago et claudio vender edificio per abitazioni. Coupe détail légendée

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni. Maquette au 1/100e

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni. Photo de maquette au 1/20e

5- Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena 18, Milano 88‑99

Par Léa Coulomb, Daniel Masia et Jean Pernal

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena 18

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Coupe légendées

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Élévation pignon sud et coupe détail et élévation correspondante (côté rue)

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Maquette au 1/100e

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Maquette d’intérieur au 1/20e

6- Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari 2, Milano

Par Redha Lazar et Khalida Omrani

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari 2, Milano.


Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari. maquette au 1/100e

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari. photo de l’intérieur maquette au 1/20e

7- Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni 13, Milano

Par Marjolène Cerles, Céline Labbé et Audrey Tam‑Tsi

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni
Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Coupe détail et façade.

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Coupe détail et façade.

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Photo d’une maquette au 1/100e

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Photo d’intérieur, maquette au 1/20e

Les scènes d’entrées de Caccia Dominioni

Dans les édifices d’habitations réalisés par Luigi Caccia Dominioni, les entrées sont de véritables petites scènes de théâtre. Qu’elles soient spacieuses ou compactes, elles sont d’une extrême sophistication volumétrique et matérielle. L’analyse propose de détailler les enchainements qui permettent de passer de la sphère publique aux espaces domestiques.

Plans d’entrée des édifices d’habitations

Plans du hall d’entrées des édifices d’habitation des vie Vigoni, Nievo et Massena, de la piazza Carbonari et des corsi Italia et Europa

Hall d’entrée et axonométrie du 13 via Vigoni, 1959

Hall d’entrée et axonométrie du 18 via Massena, 1963

Hall d’entrée et axonométrie du 22-24 corso Italia, 1961

Composition des entrées et jeux de perception

La composition des entrées et les jeux de perception. Vie Vigoni et Massena et Corso Italia

Géométrie des circulations verticales

La géométrie des circulations verticales. Vie Vigoni et Massena et Corso Italia

Les motifs du sol : La collaboration entre un artiste et un architecte

Conceptions et réalisations de la mosaïque des sols par F. Somaini des corsi Italia et Europa

Les protections solaires chez Caccia Dominioni

Comme pour les baies, Luigi Caccia Dominioni propose une multitude de traitement des protections solaires, avec des volets en bois mis en œuvre de la façon la plus traditionnelle à la plus sophistiquée jusqu’au store se dépliant avec ingéniosité. L’analyse dresse un inventaire détaillé de la variété des dispositifs.

Les volets

Les volets

L’architecture

L’architecture

Les stores

Les stores

les traitements verrier

Les traitements verrier

Convento E Istituto Della Beata Vergine Addolorata

Milano 1946-1954, Via Calatafimi 10, Via Santa Croce 15

Convento E Istituto Della Beata Vergine Addolorata

Casa Caccia Dominioni

Milano 1947-1949, Piazza Sant’ambrogio 16

Casa Caccia Dominioni

Complessi Per Abitazioni, Uffici E Negozi

Milano 1953-1985, Corso Europa 2, 10-12, 11-13, 18-20, Largo Corsia Dei Servi 4, Galleria Strasburgo 1-2

Complessi Per Abitazioni, Uffici E Negozi

Edificio Per Abitazioni

Milano 1954-57,  Via Nievo 28/1

Edificio Per Abitazioni

Edificio Per Abitazioni

Milano 1955-1959, Via Vigoni 13

Edificio Per Abitazioni

Complesso Per Abitazioni, Uffici E Negozi

Milano 1957-1961, Corso Italia 22-24

Complesso Per Abitazioni, Uffici E Negozi

Edificio Per Abitazioni, Uffici E Negozi

Milano 1958-1960, Vicolo Santa Maria Alla Porta 1

Complesso Per Abitazioni, Uffici E Negozi

Edificio Per Abitazioni

Milano 1958-1963, Via Massena 18

Edificio Per Abitazioni

Casa Geronazzo

Milano 1958-1964, Via Tamburini 1/A

Casa Geronazzo

Convento Di Sant’antonio Dei Frati Francescani

Milano 1959-1963, Via Farini 10, Via Maroncelli 25

Convento Di Sant’antonio Dei Frati Francescani

Edificio Per Abitazioni E Negozi

Milano 1959-1964, Via Santa Croce 3

Edificio Per Abitazioni E Negozi

Edificio Per Abitazioni

Milano 1960-1961, Piazza Carbonari 2

Edificio Per Abitazioni

Casa Pirelli

Milano 1962-65, Via Cavalieri Del Santo Sepolcro 6

Casa Pirelli

Edificio Per Abitazioni, Uffici E Negozi

Milano 1963-66, Corso Monforte

Edificio Per Abitazioni, Uffici E Negozi

Complesso Residenziale

Milano 1963-1968, Via Tiziano 9-11

Complesso Residenziale

Edificio Per Uffici Ex-Cartiere Binda E Vip’s Residence

Milano 1963-1970, Piazza Velasca 7-9, Via Pantano 8, Corso Di Porta Romana 13

Edificio Per Uffici Ex-Cartiere Binda E Vip’s Residence

Quartiere La Viridiana

Milano 1967-1969, Via Delle Forze Armate 260

Quartiere La Viridiana

Edificio Per Opere Parrocchiali

Milano 1968-1970, Via Catena 2

Edificio Per Opere Parrocchiali

Edificio Per Abitazionie E Negozi

Milano 1969-1971, Via Della Spiga 32, Via Senato 29

Edificio Per Abitazionie E Negozi

Edificio Per Abitazioni

Milano 1994-1996, Via Pisacane 25

Edificio Per Abitazioni

Edificio Ventidue E Venticinque Presso Il Campus Golgi, Politecnico Di Milano

Milano 1996-1997, Via Golgo 42

Edificio Ventidue E Venticinque Presso Il Campus Golgi, Politecnico Di Milano

 

Les ouvertures chez Caccia Dominioni

Les ouvertures chez Caccia Dominioni

L’espace de la baie, chez Luigi Caccia Dominioni, est un espace de projet sans limite. De la réinterprétation de la fenêtre traditionnelle baroque milanaise avec des embrasures biaises pour protéger la tranche des volets aux fenêtres en bandeau formant des guirlandes autour du volume, l’analyse dresse un inventaire des figures les plus caractéristiques.

Immeuble d’habitation via Vigoni 13, Milano. 1957

Une composition de façade animée

Immeuble d’habitation via Vigoni 13, Milano. 1957
Immeuble d’habitation via Vigoni 13, Milano. 1957

Façade principale sur via Vigoni • les bow-windows et plan du salon principal du 5ème étage avec son bow window

Axonométrie d’un des bow window de l’immeuble d’habitation. Via Vigoni
Axonométrie d’un des bow window de l’immeuble d’habitation. Via Vigoni

Façade principale sur Via Vigoni • Les embrasures en biais et plan du petit salon du 5ème étage

Axonométrie de l’ouverture avec embrasure en biais. Immeuble d’habitation Via Vigoni
Axonométrie de l’ouverture avec embrasure en biais. Immeuble d’habitation Via Vigoni

Coupes détail sur les fenêtres coulissantes du bow window et celles avec embrasure. Ech.: 1/20ème
Coupes détail sur les fenêtres coulissantes du bow window et celles avec embrasure. Ech.: 1/20ème

Immeuble d’habitation piazza Carbonari, Milano. 1959

Le monolithe percé

Immeuble d’habitation piazza Carbonari, Milano. 1959
Immeuble d’habitation piazza Carbonari, Milano. 1959

Façade sud Piazza Carbonari. Le bow window géant

Plan du salon et de la cuisine avec le bow window
Plan du salon et de la cuisine avec le bow window

Axonométrie du bow window géant de l’immeuble d’habitation. Piazza Carbonari
Axonométrie du bow window géant de l’immeuble d’habitation. Piazza Carbonari

Façade sud de Piazza Carbonari. Le bandeau vitré

Plan de la cuisine avec le faux bandeau vitré
Plan de la cuisine avec le faux bandeau vitré

Axonométrie du faux bandeau vitré Piazza Carbonari
Axonométrie du faux bandeau vitré Piazza Carbonari

Coupes détail du bow window au sixième étage et du faux bandeau vitré. Ech.: 1/20ème
Coupes détail du bow window au sixième étage et du faux bandeau vitré. Ech.: 1/20ème

Immeuble d’habitation via Santa-Maria alla Porta, Milano. 1960

Un alignement curieux d’ouvertures

Immeuble d’habitation via Santa-Maria alla Porta, Milano. 1960
Immeuble d’habitation via Santa-Maria alla Porta, Milano. 1960
Immeuble d’habitation via Santa-Maria alla Porta, Milano. 1960
Immeuble d’habitation via Santa-Maria alla Porta, Milano. 1960

Façade sur Via Santa Maria alla Porta. Le grand bandeau opaque

Façade du grand bandeau opaque
Façade du grand bandeau opaque

Axonométrie du grand bandeau opaque Santa Maria
Axonométrie du grand bandeau opaque. Santa Maria

Façade sur Via Santa Maria alla Porta. Les embrasures

Plan de la chambre avec l’ouverture en embrasure en biais
Plan de la chambre avec l’ouverture en embrasure en biais

Axonométrie de l’ouverture en embrasure en biais. Santa Maria
Axonométrie de l’ouverture en embrasure en biais. Santa Maria

Coupes détail sur le grand bandeau vitré et sur l’ouverture à embrasure en biais. Ech.: 1/20ème
Coupes détail sur le grand bandeau vitré et sur l’ouverture à embrasure en biais. Ech.: 1/20ème