Le « Grand paysage comme ressources(s), une recherche POPSU AMP Métropole. L’étang de Berre, un terrain-atelier.

Le paysage comme question métropolitaine a réuni des enseignants-chercheurs des trois établissements de l’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires au sein de la  plateforme de recherche POPSU Aix-Marseille-Provence Métropole[1] (2018-2022) et autour du thème le « Grand » Paysage comme ressource(s). En partenariat avec la DGA au projet métropolitain et avec l’appui de la DGA Agriculture, Forêt, Paysages, Espaces naturels de AMP Métropole, cette recherche a reconsidéré les approches socio-économiques des métropoles au filtre d’un paysage moteur et acteur de la construction métropolitaine (Salles et al., 2022), dans un territoire de près de 2 millions d’habitants, à 75% naturel (56%) et agricole (19%) où géographie, richesse biologique des milieux et diversité des paysages sont étroitement liées. Ici, la focale du paysage met en avant de nouveaux équilibres à trouver entre les dynamiques anthropiques et naturelles de la fabrique des territoires. Si ces nouveaux équilibres sont depuis la crise du Covid en haut de l’agenda des politiques territoriales, il n’y a pas encore de réel recul sur la manière dont les questions d’attractivité, d’égalité des territoires et de développement économique peuvent être abordées à partir de choix de gestion économe et qualitative de l’espace, de prévention des risques et des pollutions, et de restauration de la biodiversité, qui sont interdépendants. Aussi, au moment où AMP Métropole a lancé un plan de paysage métropolitain[2], en parallèle à l’élaboration du SCOT métropolitain et d’un atlas de la biodiversité[3], la recherche POPSU AMP Métropole a questionné les conditions d’une transition (écologique et climatique, sociale, économique et énergétique) dans laquelle le paysage peut être moteur et acteur d’un modèle de développement plus résilient, tirant parti de ses richesses naturelles et culturelles. L’étang de Berre est un terrain-atelier particulièrement fertile pour observer les conditions de cette transition par le paysage (Diaz, 2021 ; Folléa, 2019 ; Lagadec et Kempf, 2019).

 

Le Workshop, comme modalité de questionnement de recherche

C’est dans ce cadre d’observation d’une politique métropolitaine en train de se faire qu’a eu lieu le workshop POPSU « Ressourcer l’étang de Berre. Quels paysages en 2050 ? », du 28 juin au 9 juillet 2021 à l'ENSA de Marseille. La thématique est d’actualité pour cette lagune méditerranéenne aux rives très anthropisées, qui est reconnue aujourd’hui comme un milieu naturel et un territoire à enjeux, au niveau national comme aux niveaux régional et métropolitain. En effet, l’étang de Berre a fait l’objet d’un rapport d’information pour sa réhabilitation, au nom de la commissions du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale le 23 septembre 2020.[4] La perspective d’une inscription de l’étang de Berre au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO y est clairement évoquée, « l’étang de Berre constituerait un bien mixte, culturel et naturel » (p.47), même si depuis, cette candidature n’a pas été retenue. L’étang de Berre et son territoire, habités et exploités depuis l’Antiquité, a connu un double mouvement d’urbanisation et d’industrialisation intensive au cours des XIXème et XXème siècle (Daumalin, 2003), qui a profondément perturbé l’équilibre homme-nature complexe de ce territoire. Depuis, des déséquilibres structurels empêchent l’écosystème de l’étang et sa salinité de se stabiliser. Ils sont en grande partie dus aux déploiements de sites industriels ou logistiques comme la raffinerie de Total à La Mède, l’usine hydroélectrique de Saint-Chamas qui rejette une partie des eaux de la chaîne hydroélectrique Verdon-Durance dans l’étang de Berre depuis 1966, ou encore l’aéroport de Marseille-Provence à Marignane. Ces héritages aménagistes implantés à une trentaine de kilomètre de la ville de Marseille - sur les berges de l’étang et à proximité de milieux humides et d’espaces lacustres de loisir, de pêche, de baignade et de productions maraîchères - sont aussi au cœur des projets d’Aix-Marseille-Provence Métropole. En effet, derrière le renouveau métropolitain de l’étang de Berre, se concentrent des enjeux cruciaux de reconversion économique et industrielle, de qualité écologique et sanitaire, d’attractivité touristique et urbaine, ou encore de valorisation de la culture et des paysages des pourtours de l’étang. Le projet métropolitain Ambition 2040 souligne l’importance « d’assurer la préservation des rivages méditerranéens, la réhabilitation de l’étang de Berre et de tirer parti de leurs atouts » (engagement 11).[5] Ici, la valorisation des paysages et des usages de l’eau renvoie à une attention au bon état écologique du plan d’eau, qui conditionne l’habitabilité de ce territoire métropolitain et son attractivité. À quelles conditions et selon quelles modalités seront-elles possibles ? C’est cette question qui fut posée durant ce workshop, en s’appuyant sur l’hypothèse de la plateforme de recherche POPSU AMP Métropole qui met les ressources des lieux, les qualités des paysages et la richesse des milieux au centre des choix de développement et d’adaptation au changement climatique. La haute valeur culturelle et écologique du territoire de l’étang de Berre en fait un terrain laboratoire unique de cette transition, qui concentre des mutations urbaines, économiques et sociales majeures. Son devenir à l’horizon 2050 questionne la reconversion des héritages de décennies de développements urbains, routiers, portuaires et industriels qui impactent le cadre de vie et la santé des métropolitains, comme ils fragilisent un patrimoine paysager et écologique de zones humides de grande valeur.

Depuis les communes de Berre l’Étang, Rognac, Vitrolles et Marignane au nord-est de l’étang le workshop « Ressourcer l’étang de Berre. Quels paysages en 2050 ? » a proposé de dessiner par le paysage une transition attentive au vivant. Les thèmes guidant les réflexions et les propositions des quatre équipes étaient les suivants :

  1. Paysages ressources de demain : sols, agriculture et industrie.

Les paysages de l’étang de Berre juxtaposent industries lourdes, infrastructures et lotissements résidentiels ou d’activités sur d’anciens sols agricoles ou des zones humides. Le sol y a été une simple surface à occuper, une ressource facile à mobiliser et génératrice de plus-value, y compris pour des relocalisations en agriculture sous serre et hors sol de la plaine de l’Arc. Aujourd’hui, la décarbonation des systèmes de production et des mobilités, la reconversion des industries pétrochimiques et la diversification de l’agriculture en circuit court posent les bases d’un renouvellement territorial inédit. À partir de la commune de Berre l’étang, il s’agira d’amorcer une nouvelle trajectoire où les sols sont une ressource majeure, pour leur valeur nourricière, pour induire de nouvelles proximités entre habitat, production et milieux naturels, comme pour leur capacité à garantir une meilleure habitabilité en contribuant aux dynamiques du vivant (cycle de l’eau, absorption de CO2, trame brume, etc.). Les paysages ressources de demain autour de l’étang de Berre seront des paysages productifs et capables de mettre en œuvre une politique de zéro officialisation nette.

  1. Résilience des milieux anthropiques et naturels : biodiversité et aménités de la ville littorale.

La restauration de l’étang de Berre vise à réduire les apports du bassin versant, à améliorer les entrées d’eau marine et à accompagner la dynamique des habitats naturels. Au-delà, la richesse des milieux naturels, la diversité des habitats de zones humides et des reliefs calcaires, ainsi que la force des paysages constituent des potentiels de résilience. Son sens écologique, de capacité du vivant à s’adapter, s’applique ici à un socio-écosystème complexe et à des usages économiques, résidentiels ou de loisirs. Il s’agira de penser cette ville littorale, comme un espace de cohabitation de tous les vivants, dont les leviers d’adaptation (écologiques, économiques, politiques et sociaux) engagent la complémentarité des logiques naturelles et anthropiques. La littoralisation de Rognac et de Vitrolles se questionne autour d’un sentier littoral et dans la relation aux chemins de l’eau depuis le plateau de l’Arbois, dans un esprit de réversibilité ou de ré-ensauvagement des sols urbanisés. Vivre près de l’étang et profiter de ses espaces de nature sollicitent des qualités d’habiter et de confort, comme des fonctionnalités naturelles, une mobilité durable… Biodiversité et aménités contribuent à dessiner le paysage littoral.

  1. Habiter les paysages du risque : milieux secs et humides face au changement climatique.

Entre Méditerranée et massifs secs de pinèdes et garrigues, l’étang de Berre est une mer intérieure alimentée en eau douce par la Touloubre, la Durançole, l’Arc, la Cadière et la Durance via le canal EDF. C’est aussi un territoire de 235 000 habitants avec de nombreux sites industriels classés Seveso. Le changement climatique, déjà sensible en milieu méditerranéen, y accentue la fréquence et l’intensité des incendies et des inondations, comme l’ampleur des submersions. La focale du risque invite à repenser les équilibres entre littoral et arrière-pays, entre milieux secs et humides, entre paysages naturels et anthropisés. Il s’agira de tirer parti des dynamiques du vivant et des processus en jeu dans la transition climatique pour engager des stratégies d’adaptation ou de gestion où l’agriculture modère les incendies, où la bonne fonctionnalité des milieux humides protège, où les choix de développement régulent les pollutions... Cette adaptation génère de nouvelles relations entre usages des espaces et  entre territoires. Ici, les milieux humides sont indispensables à l'habitabilité du territoire, en complémentarité des massifs secs qui sont aujourd’hui les seuls espaces naturels à être reconnus. Le paysage est un levier de transformation des conditions d’habitabilité en climat méditerranéen.

  1. Attractivité de l’étang de Berre au cœur des espaces naturels et grands paysages métropolitains.

Si l’étang de Berre vu comme un site industriel et pollué a mauvaise réputation, c’est oublier la richesse culturelle de son histoire, la richesse écologique de ses milieux humides et la qualité de cadre de vie que la volonté de classement à l’UNESCO souligne. L’étang de Berre est un territoire habité et défendu par ses habitants pour sa valeur sociale, culturelle et écologique. Il s'inscrit dans une longue trajectoire de développements multiples dont témoignent les paysages de pinèdes, garrigues et rives lagunaires ou plages, de domaines viticoles et cultures sous serres, de villages perchés et villes nouvelles, de zones commerciales et raffineries. Alors qu’une nouvelle trajectoire s’amorce avec la restauration écologique de l’étang et la mutation des industries, il s’agira d’interroger les représentations de l’étang de Berre, sa place en tant qu’espace naturel majeur métropolitain et son attractivité. C’est une question d’image, d’accessibilité et de valorisation de ses imaginaires. Malgré sa dimension exceptionnelle, le paysage de l’étang de Berre n'est pas emblématique, contrairement à la Sainte-Victoire ou aux Calanques dont la surfréquentation a induit une campagne de dé-marketing. Aussi, à un moment où l’accès aux espaces naturels est une question de santé publique, l’attractivité de l’étang de Berre invite à penser un aménagement du territoire équilibré autour des espaces naturels métropolitains.

Figure 1. Affiche du Workshop © ENSP

Entrer dans le territoire et les paysages de l’étang de Berre pour les mettre en projets

Pour démarrer le workshop, le parti pris de compréhension du territoire a été immersif et a cherché à installer une familiarité autour de différents points de vue émanant d’acteurs locaux et nationaux de l’aménagement métropolitain, de connaissances scientifiques du territoire et au contact du terrain avec le bureau des guides du GR2013. Le workshop a aussi été conçu comme un lieu d’intelligence collective, visant à co-construire la recherche de façon ouverte et interactive, en invitant et en mobilisant lors des séminaires et des marches de terrain des élus et des acteurs métropolitains ou de l’étang de Berre, le comité national POPSU et les personnes ressources qui ont accompagné la co-construction des résultats de la recherche et leur validation, mais aussi en allant à la rencontre des riverains.

Le séminaire d’ouverture du 28 juin 2021 a permis aux participants du workshop de situer les questionnements du workshop dans les enjeux d’une recherche portée à la fois par AMP Métropole et le programme national POPSU Métropole. Michel Roux, vice-président au Projet Métropolitain, a rappelé l’importance de valoriser et de préserver le « capital paysage » de la métropole, aujourd’hui doublement fragilisé par des choix de développement et le changement climatique. Puis Hélène Peskine, secrétaire permanente du Plan Urbanisme Construction Architecture, et Vincent Fouchier, DGA au Projet Métropolitain de AMP Métropole, ont pointé en quoi le paysage est un enjeu métropolitain et un levier pour engager un nouveau modèle de développement. Après cette entrée en matière, le terrain de l’étang de Berre a été informé par deux conférenciers qui ont défendu des visions très différentes de l’étang, de son histoire et de son avenir. Xavier Daumalin, professeur d'histoire contemporaine (Aix Marseille Université - UMR TELEMME) a ouvert la séance sur « La mémoire conflictuelle oubliée d'un territoire industriel pluricentenaire : l'étang-de-Berre ». Il est revenu sur les contestations environnementales qui ont accompagnées très tôt les différentes phases de l’industrialisation des rives de l’étang. Puis Matthieu Duperrex, artiste et maître de conférence en sciences humaines et sociales (ENSAM - INAMA) a présenté un « Plaidoyer pour un paysage sentinelle », où les paysages de l’étang de Berre sont des paysages d’alerte révélateurs d’une esthétique, traduisant de nouvelles relations à la nature. Le séminaire s’est conclu sur une double vision politique. Didier Khelfa -maire de Saint-Chamas, conseiller de territoire du Pays Salonais, président du GIPREB et vice-président au Budget et Finances de AMP Métropole- est parti de son attachement à l’étang pour évoquer la manière dont l’action du GIPREB, syndicat mixte pour la réhabilitation de l’étang de Berre, traverse des enjeux à la fois locaux et métropolitains, qui rencontrent aujourd’hui l’attention nationale portée à la réhabilitation de l’étang. Il parle d’un « alignement de planètes » en donnant le mot de conclusion au député des Bouches du Rhône Jean-Marc Zulesi, le rapporteur de la mission d’information parlementaire sur la réhabilitation de l’étang de Berre. Celui-ci a rappelé la convergence des préoccupations nationales, métropolitaines et locales pour engager un nouvel avenir autour de l’étang de Berre. Ils ont ouvert la voie à des réflexions où le bon fonctionnement de l’écosystème de la lagune est une question de bien vivre autour de l’étang, d’usages de loisirs et de bonne gestion de ses ressources.

Les textes présentés dans ce numéro 5 de Sud Volumes Critiques permettent de rentrer dans le concret de la découverte du terrain et des propositions des quatre équipes ayant participé au workshop.

Dans un premier texte intitulé « Terrain et découverte du site. Une plongée en terrain avec le Bureau des Guides », Eugénie Denarnaud nous propose une narration à propos des marches qui permettent une approche des rives de l’étang de Berre, une connaissance du site, du territoire habité. Si l’étang de Berre est vaste et que onze communes prennent place sur ses rives, les deux journées marchées ont suivi des itinéraires circonscrit à la partie Est de l’étang avec la marche du delta de l'Arc et une marche de Rognac à Vitrolles. Ces journées de marches furent des moments de rencontres des acteurs de ce territoire, habitants, hommes et femmes engagés dans des associations, gestionnaires, chercheurs. La pratique du terrain par la marche a pour but de mettre les participants au workshop « dans un état de réception accrue » d’informations, ce qui est primordial dans la démarche du projet de paysage pour lequel l’environnement et le paysage sont des ressources essentielles (Careri, 2013 ; Chardonnet-Darmaillacq, 2016 ; Les Carnets du paysage, 2021). Le bureau des guides du GR2013 avait conçu ces deux journées pour prolonger par la marche le séminaire d’ouverture en y associant un plus large public. Ils nous ont fait partager leur connaissance fine du territoire, celle des conférenciers invités (Michel Peraldi, Aline Wiame, Thomas Bellouin) et celle des acteurs et défenseurs de l’étang et ses rives que le bureau des guides du GR2013 avait rencontrés lors de ses expéditions Pamparigouste, à la recherche de l’étang perdu.

Figure 2. Conférence de Michel Peraldi - 30 juillet 2021© ENSP

 

Figure 3. Marche entre vigne et pétrochimie, Berre l’Étang - 29 juillet 2021© ENSP

Figure 3. Marche entre vigne et pétrochimie, Berre l’Étang - 29 juillet 2021© ENSP

 

Les quatre textes suivants restituent les travaux du Workshop, où chacune des quatre équipes a choisi un des 4 thèmes proposés. Les ateliers ont été encadrés par des enseignants chercheurs en architecture, aménagement et paysage,[6] comme ils ont pu profiter de l’expertise de Marc del Corso et de Florence Hannin, du service paysage de AMP Métropole. Les participants provenaient de disciplines et d’écoles diverses :  paysagiste à la Chaire Terre et paysage de l’ENSP, doctorante en paysage de l'université de Cergy-Pontoise et au Laboratoire de Recherche en Projet de Paysage, étudiant.e.s en Master Paysage à l’ENSP, en Master Design à l’ENS Paris-Saclay, en Master d’urbanisme à Sciences Politiques Bordeaux, en Master d’ingénieur Université de technologie de Compiègne, en Master Architecture à l'École Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Lille, à l’École des Beaux-Arts de Marseille, ainsi que deux habitants du territoire.

Figure 4. L’équipe des participants au workshop lors de la restitution à l’ENSA.M - 9 juillet 2021 © S. Salles Antoine Angot, Falilou Bah, Alexis Campagne, Alice Caron, Lucie Constantin, Adriano Duarte, Antoine Fouquet, Marie-Laure Garnier, Anaïs Malmazet, Agathe Maurel, Emma Morillon, Émile Murat, Robert Rossi, Clara Souleihavoup, Nancy Wilson et Ghita Serrhini

 

 

Figure 5. Le projet en construction et en débat - ENSA.M juillet 2021 © S. Salles

 

Dans le deuxième texte « Habiter en zone hostile : fiction et gestion des risques à l’Est de l’Etang de Berre », Éric Dussol évoque les travaux de l’équipe qui a répondu à la thématique : Habiter les paysages du risque : milieux secs et humides face au changement climatique. L’équipe a utilisé la méthode dite du Design-Fiction. A partir des connaissances accumulées, ils ont élaboré des scénarios nommés des « futurs-fictions » qui prennent en compte les risques auxquels les sites sont soumis : le risque incendie, le risque de montée des eaux et la submersion, et le risque industriel.

La réponse de la seconde équipe, questionnant la Résilience des milieux anthropiques et naturels : biodiversité et aménités de la ville littorale, est décrite par Eugénie Denarnaud. Dans « Résilience des milieux anthropiques : Comment réconcilier nature et industrie ? », on comprend que face à l’aspect hétérogène des différents aménagements, l’équipe a souhaité faire une proposition qui aille dans le sens d’une réversibilité des chocs qu’a subi ce grand territoire depuis sa rapide conversion à l’industrie à la fin du XIXème siècle et courant XXème, et s’attache à la géographie des lieux pour tenter une mise en relation plus nette entre ces territoires. Les outils utilisés sont « innovants » et font appels à des théories des disciplines SHS comme la « théorie des acteurs réseau » de Bruno Latour (Akrich, Callon et Latour, 2006) ou encore la pensée de Philippe Descola (2005).

Le quatrième texte, de Ken Novellas expose la démarche de la 3eme équipe, « La plaine de l’Arc à Berre-l’Etang : un territoire entre deux eaux Rédaction », qui s’attache, en lien au thème Paysages ressources de demain : sols, agriculture et industrie, à appréhender le sol comme un levier de projet, influençant l’occupation humaine future du territoire. La plaine à cultiver étant devenu une surface à occuper, par le développement de l’industrie au début du XXe siècle et par un étalement urbain constitué de pavillons. Les enjeux des changements climatiques amenant à reconsidérer ce rapport au sol, l’objectif de cette équipe est de construire une nouvelle stratégie foncière par le paysage à Berre-l’Etang. Les cartographies et blocs diagrammes exposent les évolutions possibles des usages du sol, et le projet propose de « faire avec » les mouvements de l’eau : montée du niveau de la mer et avec la mobilité de l’Arc, la connaissance des sols est alors essentielle pour tous projets.

Le 5eme et dernier texte concerne « La mise en tourisme des paysages hybrides de l’étang de Berre : le plan d’eau comme espace de mobilité ». Ken Novellas explique que, au sein de la thématique Attractivité de l’étang de Berre au cœur des espaces naturels et grands paysages métropolitain, l’idée qui guide ce projet est de penser l’efficacité de la mobilité autour de l’étang de Berre, en croisant préservation et attractivité des milles paysages des pourtours de l’étang, si singuliers et diversifiés. Les éléments graphiques utilisés par l’équipe démontrent le potentiel du plan d’eau comme espace de mobilités plurielles, pour retisser des continuités entre les paysages et établir une mise en réseau de lieux. L’objectif est de permettre la découverte des paysages selon des modes doux ou plus rapides, mais toujours adaptés aux lieux auxquels ils donnent accès. Ces différentes formes de mobilités permettent aussi la sensibilisation à la nécessité de préserver des milieux humides particulièrement fragiles.

 

Débattre les trajectoires de transition

La restitution de ces travaux, le 9 juillet 2021 à l’ENSA.M, a été l’occasion de débattre des projets et des visions des équipes avec le public participant à la restitution, ainsi qu’avec des experts invités aux tables-rondes développant les thèmes proposés à la réflexion des équipes.

Didier Réault, vice-président à la Mer, Littoral, Cycle de l'eau et Gemapi de AMP métropole, conseiller de territoire Marseille Provence, vice-président du Conseil départemental et président du parc national des Calanques a conclu la journée. Il a parlé de l’importance du rôle joué par la biodiversité, les milieux naturels et les espaces de nature à l’échelle de la métropole Aix-Marseille-Provence. Cette importance est à la mesure de la complexité à mettre en œuvre une politique métropolitaine attentive à des ressources naturelles qui sont précieuses, à l’image de l’étang de Berre et de ses rives, dont font partis les paysages dans toutes leur diversité. En ce sens, la métropole Aix-Marseille-Provence pourrait être une métropole-paysage où le vivant rassemble,[7] comme elle l’affiche, dès lors qu’elle porte une vision dynamique et inclusive du vivant. Cynthia Fleury et Anne-Caroline Prévôt ont souligné la nécessité de lier nos expériences de la nature aux enjeux politiques : « savoir ne suffit visiblement pas. Il faut le vécu. L’expérience » (Fleury et Prévôt, 2017, p.9). Sur le terrain de l’aménagement, cela milite pour que l’attention aux dynamiques du vivant, aux milieux naturels et aux paysages que nous produisons soient au premier plan des politiques d’habitat, de développement ou de mobilité. Cette interdépendance des enjeux de l’aménagement et des enjeux écologiques est essentielle pour engager une trajectoire de transition qui soit à la fois écologique, sociale, économique et climatique.

Les résultats du workshop ont clairement montré que les enjeux des paysages à l’horizon de 2050 sont des enjeux de gestion et d’aménagement du territoire métropolitain : pour requalifier les espaces balnéaires ou habités, en relation avec les mutations de l’agriculture et des industries ; pour accompagner une montée des eaux qui recompose les relations entre littoral et arrière-pays ; pour aménager avec des dispositifs d’adaptation aux risques qui fabriquent des espaces qualitatifs ; pour diffuser l’attractivité dans tous les territoires de la métropole. Dans tous les projets développés, les espaces de nature et les paysages sont bien plus qu’une ressource territoriale non reproductible et non dé-localisable, à exploiter ou à valoriser pour le développement local (Toublanc, 2013). Là, l’expérience du paysage permet une compréhension directe et concrète des dynamiques naturelles, mais aussi de leurs interrelations avec les projets qui fabriquent les paysages dans lesquels nous vivons et nous vivrons. Cette compréhension concrète de nos environnements condamne toute définition strictement socio-économique de la ressource naturelle ou paysagère. Dans cette vision utilitariste et anthropocentrée, la ressource n’existe que parce qu’elle est utilisée ou utilisable, mais elle n’existe pas pour sa valeur d’existence propre.[8] À l’inverse, les projets des quatre équipes illustrent tous la manière dont les défis de la transition impliquent de considérer la valeur d’existence des ressources naturelles. La fertilité des sols, le cycle de l’eau, les dynamiques du vivant sont les conditions premières de l’habitabilité des territoires et non plus de sa seule attractivité. De ce point de vue, la richesse des espaces naturels et la diversité des paysages ne sont pas des aménités en soi, ni des décors à disposition. Ils forment ensembles des paysages-ressources, c’est-à-dire des socio-écosystèmes en interaction dont la pérennité, l’adaptation et la bonne fonctionnalité dépendent d’équilibres hybrides, entre nature et culture, qui sont le cœur de cible de la compétence métropolitaine de valorisation du patrimoine naturel et paysager. Ici, une approche basée sur le paysage -landscape-based- (Fabos, 2019) élargit le spectre des solutions basées sur la nature -nature-based- promues par l’Union International pour la Conservation de la Nature (UICN). Les conclusions du Workshop pointent, au travers du terrain-atelier de l’étang de Berre, que l’enjeux de l’aménagement de l’espace aujourd’hui est d’inscrire les organisations territoriales dans une meilleure prise en compte des systèmes naturels qui les soutiennent.

 

 

Bibliographie

 

[1] La recherche soutenue par le programme POPSU Métropoles (GIP EPAU – Europe des Projets architecturaux et urbains) a été conduite sous la responsabilité scientifique de Vincent Piveteau et Sylvie Salles, professeurs à l’École Nationale Supérieure de Paysage (Larep) et, côté AMP Métropole, sous la direction de Michel Roux et Vincent Fouchier, respectivement Vice-Président et Directeur Général Adjoint au Projet Métropolitain, avec l’appui technique de Marc Del Corso et Florence Hannin (service Paysage). L’équipe de recherche a réuni les laboratoires Larep (ENSP), Lieu et UMR TELEMME (IUAR), Project[s] et INAMA (ENSA.M), ainsi qu’Image de Ville et le Bureau des Guides du GR2013.

[2] Le maître d’œuvre du Plan de paysage de la métropole AMP est l’agence de paysage Folléa-Gautier associée à Puya Paysage, Biotope, Blezat Consulting et au photographe Patrick Delance: Folléa-Gautier et al., La marge au centre, diagnostic du plan paysage métropolitain AMP, MAMP, fév. 2021.

[3] AGAM-AUPA, Atlas de la biodiversité : le vivant nous rassemble, AMP Métropole, juin 2021.

[4] Les députés Pierre Dharreville et Éric Diard ont présidé la mission d’information parlementaire sur la réhabilitation l’étang de Berre dont le député Jean-Marc Zulesi a été rapporteur en septembre 2020.

[5]  AMP Métropole, Ambition 2040 : 12 engagements pour une métropole à vivre, DGA au Projet métropolitain et Conseil de développement, Marseille, juin 2018, p.113.

[6] ENSAM : A. Biehler, E. Dussol, I. Maire, S. Steenhuyse - ENSP : E. Denarnaud, J.B. Lestra, K. Novellas, S. Salles, L. Thierrée, F. Wattellier – IUAR : J. Dubois, J-N. Consalès, B. Romeyer – URCA : F. Mancebo.

[7] L’atlas de la biodiversité de AMP Métropole, cf. note 3, affiche dans son titre : « le vivant nous rassemble ».

[8] La Fédération nationale des agences d’urbanisme a redéfini la ressource territoriale, en lien au bien commun, autour de l’économie du partage, des pratiques collaboratives et de l’innovation, mais sans remette en cause la définition socio-économique de la ressource paysagère : FNAU, À la recherche du bien commun territorial, actes de la 35e rencontre nationale des agences d’urbanisme, Paris, 17-18 nov. 2014.

Une plongée en paysage avec le Bureau des Guides

Dans le cadre du workshop organisé sur le pourtour de l’Étang de Berre, deux journées d’arpentage à pied ont été organisées par l’ENSP, l’ENSA-M et l’IUAR en collaboration avec le Bureau des Guides avec Alexandre Field et son équipe en éclaireurs[1]. Le principe était de conduire le groupe à découvrir la pluralité des espaces qui composent les rives de l’étang et ainsi d’en faire l’expérience, à pieds. Ce corps à corps a été fondateur pour les participants car nombre d’entre eux ne connaissaient pas ce lieu. La baguenaude active qui a été proposée, additionnée de rencontres choisies, a permis une plongée efficace dans un site complexe, difficile à parcourir seul dans un temps court de deux jours.

Fortes de cette plongée en paysages, les équipes de participants ont pu, grâce à une perception accrue, lors de ces deux journées inaugurales, aller voir de près ce qui constituait le paysage emblématique de l’étang. Le Bureau des Guides a agi comme un activateur de rencontres et un facilitateur de compréhension paysagère. Les guides prennent une place indispensable dans ce type de démarches, dans lesquelles l’approche pédestre est un prérequis à toute projection et appréhension d’un espace impossible à se figurer de loin ou de façon approximative. Le corps qui trace sa route dans l’espace permet d’ouvrir une voie dans les « territoires actuels » (Stalker, 2000) et d’observer les envers de la ville construite. Dans cette acception, l’Étang de Berre peut apparaître comme un territoire en négatif dans la métropole Aix-Marseille-Provence.

À première vue, l’étendue est si vaste qu’elle semble être une mer sur sa partie droite bordée par d’importantes infrastructures industrielles dont les cheminées et silos de stockage s’accumulent les uns aux autres, donnant aux lieux une échelle paradoxale. Le contact au terrain, expérimenté dans ces deux journées permettait d’avoir des perceptions concrètes pour appréhender la possibilité d’entrevoir une proposition d’aménagement en conséquence de la part des participants. Faire émerger les enjeux d’un projet sur un territoire si complexe dépend directement de l’approche de terrain qui est cruciale dans la démarche.

Il va s’agir dans cet article, de restituer le parcours effectué dans le territoire de l’étang. De quelle manière, après un voyage en bus depuis Marseille, nous avons été conduits à nous perdre dans le paysage, et à faire un ensemble de rencontres qui se sont avérées structurantes pour l’avenir du projet : rencontres du trait de côte avec les eaux saumâtres qui le constituent et les vigies qui le surveillent, ainsi que rencontre d’une géographie à plus large échelle, entre marais et reliefs de la cuesta. [Figure 0]

Figure 0 – Schéma des itinéraires des deux journées de terrain, 29, 30 juin 2021, ©E.Denarnaud.

Un premier contact de sel et d’eau ; des marais du Pâtis à Berre-l’étang

L’arrivée à Marseille ou son départ via l’autoroute passe toujours devant la vastitude de l’étang. Il reste un horizon, une entité si grande qu’on ne peut l’ignorer mais trop lointaine pour être comprise d’un seul regard. Par son histoire complexe et son développement industriel au cours des XIXème et XXème siècles (Daumalin, 2003), l’étang accueille aujourd’hui un nombre important de sites industriels à proximité de la ville de Marseille, qui côtoyaient auparavant des espaces lacustres de loisir, de pêche, de baignade et des plaines maraîchères.

La plongée sur le terrain conditionne notre perception et nous rends attentifs, si bien que l’on apprend à marcher « à la berroise ». On se fait au site, et réciproquement. Comme l’explique la géographe Rachel Thomas, « marcher engage le corps, mais aussi et plus encore la pensée, les rythmes du piéton et sa perception » (Thomas, 2007). Ainsi au contact des lieux, on apprend, on observe et des intuitions émergent. Marcher met le promeneur dans un état de réception accrue d’informations.

Une fois quittée l’autoroute, le car qui transportait le groupe depuis Marseille a bifurqué vers l’étang. Au bout d’un chemin plat et droit, nous arrivâmes sur un parking face à l’étendue d’eau [Figure 1]. Ce fût le point de départ de journées riches en rencontres de touts types : entre entités paysagères, actants divers et réseau de lanceurs d’alertes puissamment ancrés au terrain.

Figure 1 - Étang de Berre, 2022, ©E.Denarnaud.

 

Des herbiers sous-marins comme paysage pour l’hippocampe[2]

 

Après une distribution de parapluies de couleurs en guise d’ombrelles, nous avons attaqué sous un soleil vif la première promenade. A cet endroit précis, Pascale Bazile a pris la parole pour présenter les actions menées par l’association l’Étang Nouveau pour la réhabilitation de l’étang de Berre et de la Durance, dont il est membre fondateur. Un bref point historique rappela qu’en 2004 la commission européenne avait condamné EDF pour la pollution de l’étang causée par le rejet trop important d’eau douce et d’alluvions du canal de la Durance au niveau de la centrale électrique de Saint Chamas. Étant donnée que les eaux douces avaient traversées des terres agricoles situées en amont de l’étang, elles s’étaient chargées de produits phytosanitaires et de matières azotées utilisées dans les cultures, avant de l’atteindre. Par conséquent, il subissait un phénomène d’eutrophisation rapide condamnant de ce fait les espèces spontanées à disparaître au profit d’ulves (Ulva latuca), les fameuses algues vertes qui prolifèrent dans ce contexte. [Figure 2].

Figure 2 - Ulves latuca, 2021,©E.Denarnaud.

L’association a donc planté des herbiers de zostères, une herbe sous-marine qui se comporte en s’étalant en touffes et qui constitue un habitat et une source de nourriture pour les espèces de ce milieu : ce que l’on appelle un herbier en écologie. Ces plantations servirent pour aider à éviter ces crises distrophiques. Pascal Bazile évoqua l’instabilité de l’étang face aux fortes chaleurs et les malaigues littéralement mauvaises eaux en dialecte local qui s’ensuivaient, qui accéléraient l’eutrophisation par l’apport d’eau douce chargée en matière organique. Ce phénomène qui existait à l’état naturel, était amplifié par les rejets de la centrale hydroélectrique. Étant donnée que la lagune ne dépasse pas neuf mètres de profondeur, son réchauffement rapide accélérait de ce fait le phénomène.

Nous marchâmes ensuite sur une longue plage de coquilles de bivalves, blanchies par l’eau et le soleil. Pascal Bazile cueillit dans une vaguelette des ulves pour les montrer aux promeneurs. Des herbiers de zostères ont été plantés là sous différentes formes par des membres de l’association pour aider à inverser le processus d’eutrophisation sous forme de semis de graines ou bien de boutures. Grâce à la veille menée par L’Étang Nouveau les hippocampes sont revenus y vivre. L’étang était un lieu de prédilection de toujours pour cette espèce fragile qui lui est fidèle.

 

De la ligne d’horizon industrielle à un rivage de sel et de pétrole, le visage multiple de l’étang[3]

 

Un ensemble de bornes blanches maillait le parcours dans le marais du Pâtis, qui débouchait sur les salins de Berre. Le paysage était plat et lagunaire. Ces bornes correspondaient à la présence de canalisations d’hydrocarbures comme nous l’indiqua Philippe Clamaret, et à des emplacements de nappes artificielles de stockage de pétrole en cavités salines. [Figure 3]

Figure 3 - Bornes blanches, 2021,©E.Denarnaud.

Il connaissait bien les infrastructures du pourtour de l’étang car, avec son association, l’Institut éco-citoyen pour la connaissance des pollutions, il menait un important travail de veille locale sur les divers rejets industriels dans l’eau et dans l’air. Le principe était de compiler et d’amasser des observations faites par les praticiens des lieux, qui sont là en permanence, à savoir les habitants. La veille assurée par la communauté permettait de mettre en lumière des états du paysage, révélateurs de graves pollutions, en relevant des manifestations sensibles anormales de façon régulière : panaches de fumées rouges à heures fixes, surface de l’eau passant du rouge au noir en fonction du sens du vent à proximité du site d’Arcelor-Mittal, effet cocktail des mélanges de polluants aux hydrocarbures dans le golfe de Fos-sur-Mer, …

L’association faisait appel à des bio-indicateurs comme les lichens et les algues. Cet investissement au quotidien était crucial pour arriver à donner une mesure à ces phénomènes et les rendre perceptibles. Le propos de l’association était de réhabiliter les lieux par la pratique d’une attitude citoyenne et environnementale qui passait par la connaissance scientifique. Mais comment transformer un observatoire scientifique en décision politique ? Le rapport à la biodiversité, témoignait selon lui d’un réinvestissement physique et politique du territoire responsabilisant tout un chacun. Ce faisant, l’étang resterait un lieu d’accueil de la biodiversité, un couloir migratoire, une lisière entre la terre et la mer, comme de nombreuses autres zones humides sacrifiées au profit de l’industrie.

 

Les eaux du delta de l’Arc, une imbrication complexe d’acteurs pour un territoire agricole en sursis[4]

 

En quittant les marais salants, le chemin filait droit vers des parcelles nues, cultivées et écrasées par le soleil en cette saison estivale [Figure 4].

Figure 4 - Lisière agricole, Plaine de l’Arc, 2021,©E.Denarnaud.

Le domaine du viticulteur que nous devions rencontrer était maillé par d’anciens canaux à sec bordés de cannes de Provence et de martelières témoignant d’un système d’irrigation traditionnel encore fonctionnel bien que moins entretenu du fait de la déprise agricole. Ce fut à l’ombre d’un chêne blanc, à la croisée de deux chemins, que Françoise Colard présenta les axes principaux de travail qu’elle développait au sein du SAGE, le Schéma d’aménagement et de gestion des eaux du bassin de l’Arc.

Cette rivière prenait sa source vers la montagne Sainte Victoire et coulait par Aix-en-Provence avant d’arriver dans son delta sur le site où nous étions. L’eau, au fil de sa course, se chargeait en produits phytosanitaires utilisés dans l’agriculture conventionnelle. Les différents acteurs du SAGE[5] : les services de l’état, les maires des différentes communes riveraines, le Canal de Provence, les industries et les associations (dont UFC Que Choisir ? ou France Nature Environnement) ont élaboré le PAGD Programme d’aménagement et de gestion de l’eau. La vraie lutte à mener se situait selon elle, dans le fait de ne pas « tuber » ou drainer l’eau mais de la laisser s’écouler, évitant ainsi l’imperméabilisation des sols, très nocive pour l’accès à la ressource en eau et qui permettait également d’éviter les engorgements et les inondations. La gestion des eaux de ruissellement constituait un enjeu crucial pour protéger la ressource de la région. Françoise Colard militait pour laisser l’eau s’infiltrer là où elle tombe, même dans les cours d’écoles[6].

Un autre de ces enjeux était celui de laisser le cours de l’Arc et de ses affluents libres et de permettre à la ripisylve de se déployer. Le point de départ pour protéger cette formation écologique serait de pouvoir la faire apparaître dans les documents d’urbanisme. Or elles ne sont jamais classifiées en tant que telles alors qu’elles assurent un rôle majeur pour la circulation et la reproduction des poissons et des anguilles notamment.

Le territoire anciennement très agricole était dans une situation de déprise suite à de nombreuses délocalisations de la production. La « crise de la tomate » a été évoquée comme ayant donné un coup d’arrêt à une production emblématique de la région, laissant au paysage des serres vides, au profit de fruits venant d’Andalousie. Dans les années 2019 et 2020, impactées par la zoonose du Corona virus, un regain de ventes locales à la ferme avait eu lieu questionnant de fait les pratiques agricoles souhaitables et la réinstallation de productions locales à l’échelle de la métropole Aix-Marseille-Provence.

Le groupe s’égrena alors au bord d’un champ, le long d’une haie brise vent de cyprès d’Italie, puis s’enfonça dans un bois de plus en plus épais constituant la ripisylve de la rivière de l’Arc. Le paysage ombragé était calme et frais. L’eau coulait sous le pont de pierre qui menait de Berre-l’Étang à Saint Estève, au milieu de grands peupliers blancs. Nous ressortîmes du bois pour rejoindre le rond-point de la Croix-Rouge. En ligne de fond, surgissaient la silhouette de la raffinerie au dessus des parcelles cultivées. Le bus nous attendait au devant des anciens postes électriques désaffectés. Nous y avons accédé par un trou dans le grillage via lequel les membres du groupe se faufilèrent.

 

Entre le marais de la tête noire et les reliefs de la cuesta

 Après une journée dans le delta de l’Arc et sur les grèves de coquilles de moules blanchies par le soleil, le groupe se rassembla à nouveau pour démarrer une autre journée qui allait nous permettre de joindre le site de l’ancien port de Rognac au niveau de la cuesta, pour finir sur la plage réhabilitée des Marettes à Vitrolles [Figure 5].

Très différent du premier ce deuxième jour a permis de réunir physiquement des espaces paraissant situés à des kilomètres les uns des autres, à cause d’une lisibilité peu propice, due notamment à l’autoroute A7 qui scindait le territoire en deux et à la ville de Vitrolles qui tournait le dos à l’étang.

Des espaces vastes aux voisinages complexes[7]

Sylvain Tesserault, ancien employé de l’usine de pétrochimie Lyondell Basel, nous attendait sur ce qui fût le site de l’ancien port de Rognac qui commerçait déjà à l’époque romaine du vin et de l’huile d’olive. En avançant sur l’ancien quai du port de pêche, il nous fit remarquer les limites de marais salants engloutis, qui marquaient des traces plus sombres sous l’eau. Il vanta la qualité de l’eau la plus prisée de l’étang : les daurades, loups, moules et huîtres avaient fait la renommée de Rognac. Ce littoral était dédié à des cabanons de villégiature de citadins Marseillais aux XIXème et XXème siècle. Ces espaces se sont transformés peu à peu au contact de l’industrie. L’espace s’est morcelé et privatisé depuis, rendant difficiles les accès aux sentiers littoraux et créant de facto d’importants conflits de voisinage.

L’association Nosta Mar, de laquelle il était membre, pour la préservation du patrimoine historique et naturel de la commune, agissait pour fédérer les différents acteurs locaux autour de la question des parcours de promenade en pleine nature. Un parcours gagné sur l’eau, au milieu d’une roselière de cannes de Provence permettait au groupe de se perdre dans les marais de la Tête Noire [Figure 6].

Figure 6 Arundo donax, Rognac, 2021, ©E.Denarnaud.

Les cheminements gagnés sur l’eau sillonnaient aussi des portions de pleine terre dont l’usage servait aussi à des chasseurs et des pêcheurs. Le chemin passait parmi des ronces. Il frôlait le grillage d’un terrain de moto improvisé entre le site géré par le Conservatoire du littoral et l’usine de pétrochimie, le long de la départementale dont la circulation se faisait entendre parmi les tamaris et les inules en fleurs [Figure 7].

Figure 7 - Voisinage, Rognac, 2021, ©E.Denarnaud.

Un peu plus loin dans le marais, des affûts de chasse nocturne permanents étaient installés sur le littoral, là où, au sol, affleuraient des tâches noires d’hydrocarbures dans la vase. Ce paysage complexe et aux acteurs variés ne manquait pas de soulever d’importants conflits de voisinage. Les chasseurs luttaient contre les amateurs de balade en pleine nature car ils perturbaient leur butin potentiel : les animaux sauvages (aigrettes, échasses blanches, poules d’eau et ibis sacrés). Sylvain Tesserault a fait état du parcours botanique installé par Nosta Mar et le Conservatoire du littoral, sous forme de panneaux informatifs, dont huit ont été cassés et ou volés par cette communauté de riverains chasseurs. Il pointait du doigts les ornières générées par le passage de véhicules quatre-quatre au milieu du cordon de végétation littorale protégée [Figure 8].

Figure 8 - Hydrocarbures, Rognac, 2021, ©E.Denarnaud.

Les interstices à braconner et le blanc des cartes[8]

Nous avons traversé la ville de Rognac jusqu’à passer sous les voies ferrées. Un véhicule de police municipale rôdait autour du groupe et me fit signe. Ils n’avaient pas l’habitude de voir un groupe de visiteurs visiblement. Nous sommes montés pour nous installer dans une parcelle boisée au dessus des voies ferrées pour déjeuner. Sur des nattes étalées au sol et la pastèque partagée pour le dessert, les participants écoutèrent l’anthropologue Michel Peraldi qui mentionnait l’étang et ses pourtours comme un lieu de recherche d’interstices, parcouru par des braconniers de l’espace. Selon lui, l’industrie ne grammaticalisait pas l’espace, contrairement au tourisme qui planifiait tout. Elle permettait donc de trouver des accès dans des lieux par définition inaccessibles. Il souligna le contraste entre l’occupation braconnière, industrielle et touristique du lieu et les enjeux que cela soulevait dans le cadre de l’étang de Berre, dans un moment de redéfinition de l’activité industrielle dans le secteur. Quel pouvait-être le devenir des sites industriels devenues obsolètes ?

En remontant vers la cuesta nous avons longé l’A7 par la gauche en direction de Marseille. Le parcours en friche était rythmé par la voie en goudron à moitié éclatée par les inules visqueuses, sur laquelle nous marchions et le bruit des voitures et des semi-remorques qui filaient au même niveau que nous. Nous sommes ensuite montés par un petit chemin près d’un parking qui menait plus haut vers la cuesta, et sommes passés par un portail fermé [Figure 9]. Au milieu de la pinède calcinée par l’incendie de 2017, le groupe s’est assis pour échanger avec Aline Wiame philosophe, à propos du blanc des cartes qui correspond souvent à une terra incognita, à des espaces vagues[9]. Elle parla de ces lieux de friction ou de liberté comme étant des espaces de formulation de la pensée contemporaine.

Figure 9 Autoroute 7, Vitrolles, 2021, ©E.Denarnaud.

Découverte impromptue sur la plage des Marettes à Vitrolles : rencontre avec le « fada sage »

Après avoir longuement parcouru le bord de l’autoroute, le groupe descendit par la commune de Vitrolles au droit de l’antenne et du stand de tir et nous repassâmes sous l’autoroute, en direction du bord de l’étang. Celui-ci semblait alors imperceptible. Un grand rond-point séparait la troupe en petits sous-groupes. Les véhicules ne s’arrêtaient pas pour nous laisser passer. Ce n’était pas un lieu pour les promeneurs. Dans une épaisseur très fine de quelques mètres, une palissade passée, un quartier plus résidentiel semblait se détourner de l’étang. Sans transition, un chemin menait au club de voile des Marettes. Sans l’avoir vu venir, nous sommes arrivés sur une plage de bord d’étang bordée de tamaris à l’ombre desquels séchaient des coques de bateaux retournées.

C’était dans ce camping et centre de voile récemment aménagé et ré-ouvert que la journée se termina face au soleil couchant. Nous avons rencontré le nageur de l’étang Gérald Fuxa. Il se baptisait le « fada sage ». Son combat pour la dépollution et la réhabilitation de l’étang s’opérait par des actions sportives intenses pour attirer la presse sur ses exploits. Il rejoignit Vitrolles à Marseille en passant par la côte bleue pour communiquer sur les fragilités des eaux et sur la responsabilité collective d’en faire un lieu plus préservé. Il assimilait ses exploits à une forme de folie dictée par la sagesse de porter enfin un regard résilient et objectif sur le désastre écologique causé par l’industrie sur l’étang et sur la capacité de chaque industriel riverain de retourner cet état de fait pour redonner à cette mer intérieure sa dignité perdue.

 

En empruntant le moyen d’une immersion sur le terrain, ces deux journées, permirent à chaque membre du groupe d’éprouver le paysage dans lequel se situait le workshop. Cette plongée fut une nécessité pour pouvoir se positionner dans un projet d’aménagement à l’horizon 2050 autour des questions que soulevaient le site. Sans cette approche les données de départ auraient pâti d’un manque d’expérience concrète. Il est fait état ici du paysage comme enveloppe et essence d’une liaison entre un corps et un milieu ambiant, mais aussi comme d’un objet d’usage ayant un but bien déterminé. Il prend à la fois en compte l’existant objectivable autour de soi : l’organisation sociale de l’endroit étudié, son histoire, son passé, ses dynamiques contemporaines, son architecture, son écosystème, sa structure. Mais il fait également état, dans le même degré d’analyse et de prise en compte, des ressentis sensibles éprouvé dans le même paysage : chaleur des journées d’été, sècheresse des chemins, ambiance sonore des bordures de l’A7, incapacités de franchissements… Toutes ces choses apparemment sans relations entre elles, assemblées, composent un extrait de ce qu’est un paysage et permettent d’en cerner le contour, étape qui constitue de point de départ de la démarche projectuelle.

 

Bibliographie :

Stalker Groupe, 2000, À travers les territoires actuels, [Attraverso i territtori attuali, 1995], Jean Michel Place, Paris.

Daumalin Xavier, 2003, Du sel au pétrole – L’industrie chimique de Marseille-Berre au XIXème siècle, Tacussel, Marseille, 160 p.

Thomas Rachel, 2007, « La marche en ville une histoire de sens », L’Espace géographique, Tome 36, Belin, Paris, p. 15-26, p. 6.

Vasset Philippe, 2007, Un livre blanc, Fayard, Paris, 144 p.

[1] Marches exploratoires réalisées les 29 et 30 juin 2021.

[2] Pascal Bazile, association l’Étang Nouveau, [DOI : https://www.letangnouveau.org/], (consulté le 24 octobre 2022).

[3]  Rencontre avec Philippe Clamaret, directeur de l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions, [DOI : http://institut-ecocitoyen.fr/pres.php], (Consulté le 24 octobre 2022).

[4] Rencontre avec Françoise Colard membre du SAGE de l’Arc, devenu maintenant le Menelik, [DOI : https://www.menelik-epage.fr/nous/savoir-gerer/sage-schema-damenagement-et-de-gestion-des-eaux-de-larc/], (Consulté le 24 octobre 2022).

[5] Le SAGE est un outil de planification locale, institué par la loi sur l’eau de 1992. Il vise la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau. Voir : https://www.gesteau.fr/presentation/sage, (Consulté le 24 octobre 2022).

[6] Voir « Objectif zéro artificialisation nette : quels leviers pour protéger les sols », [DOI : https://www.strategie.gouv.fr/publications/objectif-zero-artificialisation-nette-leviers-proteger-sols], (Consulté le 24 octobre 2022).

[7] Rencontre avec Sylvain Tesserault, membre de Nosta Mar, [DOI : http://nostamar.fr/], (Consulté le 24 octobre 2022).

[8]  Rencontre avec Michel Peraldi sociologue et Aline Wiame philosophe.

[9] Vasset Philippe, Un livre blanc, Fayard, Paris, 2007, 144 pages.

La plaine de l’Arc à Berre-l’Etang : un territoire entre deux eaux

Cet article s’intéresse aux intentions de projet développées sur la plaine de l’Arc à Berre-l’Etang par l’une des équipes participant au workshop. Celle-ci est composée de Marie-Laure Garnier (doctorante en paysage à l'université de Cergy-Pontoise et au Laboratoire de Recherche en Projet de Paysage), Agathe Maurel (urbaniste), Falilou Bah (étudiant à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Lille), Antoine Angot (étudiant à l'Ecole Nationale Supérieure de Paysage de Versailles). La démarche s’attache à appréhender le sol comme un levier de projet, influençant l’occupation humaine future de ce territoire particulier, situé entre delta et étang: il est une surface à occuper, une épaisseur de terre perméable à cultiver, une valeur à économiser ou encore un espace vivant à réensauvager.

a/ Sujet thème et parti pris : Le sol, d’une surface occupée à une connaissance orientant l’aménagement du territoire par le paysage

Au XVIIIe siècle, les terres du pourtour de l’étang de Berre sont en majorité agricoles, mais la plaine de l’Arc est connue localement pour son potentiel productif[1]. Au cours de l’histoire, cette plaine à cultiver devient peu à peu une surface à occuper : le développement de l’industrie sur le littoral berrois au début du XXe siècle (usine Shell, port de la pointe, base aéronavale) suivie du développement de la serriculture intensive hors-sol[2], puis l’étalement urbain avec la construction de pavillons provençaux durant la fin du XXe siècle[3], font du sol une ressource facile à mobiliser, susceptible de rapidement générer une plus-value économique.

Aujourd’hui, les enjeux des changements climatiques amènent à reconsidérer ce rapport au sol : le ménagement du littoral face à l’élévation du niveau de la mer, la décarbonation des systèmes de production et des mobilités, la reconversion des industries pétrochimiques et la diversification de l’agriculture en circuit court posent les bases d’un projet territorial inédit. L’objectif est de construire une nouvelle stratégie foncière par le paysage à Berre-l’Etang, commune dans laquelle les sols peuvent être considérés comme une ressource majeure, autant pour leur valeur nourricière, que pour leur capacité à garantir une meilleure habitabilité en contribuant aux dynamiques du vivant.

b/ Les outils mis en œuvre : saisir les dynamiques passées et futur du littoral berrois

Certaines cartes, à l’échelle du delta de l’Arc, caractérisent les spécificités de cette plaine alluviale (géologie, occupation des sols, agriculture). D’autres montrent les espaces touchés par l’élévation du niveau de la mer et les stratégies à engager dans le temps. Les légendes associées à ces cartes font référence aux interactions entre projet de paysage et sol, montrant les différentes strates qui le compose.

Figure 1-1, 1-2. Plans prospectifs du delta de l’Arc et légende associée.

Figure 2. Plans prospectifs du delta de l’Arc et légende associée.

Les blocs diagrammes montrent davantage les transformations, passées et futures, du territoire : de la formation séculaire du delta de l’Arc aux reconfigurations que la progressive montée de la mer engendre. Le bloc diagramme représente les permanences et les mutations des paysages dans l’espace vécu. On comprend ainsi la renaturation nécessaire de terres agricoles potentiellement submergées demain, ou encore la recomposition d’une deuxième façade littorale à l’ouest de Berre, qui compensera la réduction du littoral sud. Enfin, les croquis et photos représentent les différents paysages de Berre-l’Etang, tout en localisant les différents sols à traiter (dépollution).

Figure 2. Blocs diagrammes de la transformation du littoral de Berre- l’Etang

c/ Traduction en projet : faire avec les dynamiques du sol, du delta de l’Arc et de la montée du niveau de l’Étang de Berre

L’une des grandes idées du projet est de « faire avec »[4] les mouvements de l’eau et des sols, en relation avec la mobilité de l’Arc et la montée du niveau de la mer. Ce dernier phénomène, lent et progressif, amène à recomposer un littoral, aujourd’hui occupé par une activité industrielle déclinante, mais aussi des espaces publics. La disparition d’une partie du littoral urbain sud de Berre-l’Etang sera compensée par la création d’une façade littorale et urbaine ouest, elle-même conséquence de la disparition des salins existants. Faire avec ces mouvements, c’est aussi révéler la situation de delta dans laquelle est installée la ville de Berre l’étang.

Le projet se fonde également sur une remise en culture et la revalorisation d’une agriculture méditerranéenne. Les serres inutilisées et les parcelles enfrichées existantes amèneront à une reconversion progressive dans le temps long, à la suite d’acquisitions foncières et de l’installation de nouveaux agriculteurs.

La planification du delta pour 2025 a également pour objectif de révéler, par le biais d’un réseau de cheminements doux, les différentes entités paysagères du delta de l’Arc : des coteaux aux piémonts, en passant par la ripisylve, la plaine et l’estuaire de l’Arc.

En 2050, la frange littorale industrielle de la commune, potentiellement submergée, va conduire à des actions de dépollution préventive et de renaturation, comme préalable à tout développement urbain.

d/ Conclusion : vers une meilleure connaissance des sols pour faire face aux changements climatiques

Les orientations de projet s’appuient sur la prise en compte des sols dans l’aménagement du territoire face aux changements climatiques : "L'action paysagère a besoin d'une véritable science des sols, mais une science qui serait indissociablement naturelle et sociale, voire politique."[5]. La prise en compte des sols conduit ici un projet de recul stratégique et de reconfiguration du littoral face à l’élévation du niveau de l’étang de Berre, relié à la mer par le chenal de Caronte. Ce savoir amène à planifier dans le temps des actions de déconstruction, de désimperméabilisation, de dépollution et de renaturation.

Le projet développe également une valorisation agricole, la mise en accessibilité d’une plaine reconnue comme productive, par la constitution de sentiers. Cette valorisation par la mise en réseau d’un espace productif délimité géographiquement, fait référence à la notion de « parc agricole »[6], déjà développé par des étudiants de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Marseille sur le pourtour l’étang de Berre[7]. Peut-être aurait-il été pertinent de développer les questions de gouvernance, dans la mesure où un tel projet littoral implique nécessairement la mobilisation des acteurs territoriaux. La question d’une agriculture comme espace tampon des inondations liées au delta de l’Arc nécessite également de fédérer les acteurs du territoire, agriculteurs et élus.

Bibliographie

Besse, Jean-Marc. La nécessité du paysage. Marseille, France: Éditions Parenthèses, 2018.

Borruey, René, Pascale Bartoli, et Anne Carpentier. « Les formes urbaines de la ville nouvelle des rives de l’étang de Berre : Histoire du projet ». ENSA Marseille: Laboratoire INAMA, février 2010.

Ferraresi, G., et A. Rossi. Il parco come cura e coltura del territorio. Una ricerca sull’ipotesi del parco agricolo. Brescia, 1993.

Lascaux, Anne. « Carte à la une. La plaine agricole de Berre : essor et déclin d’un espace productif maraîcher français (années 1970-2020) ». Géoconfluences, février 2022. https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/plaine-maraichere-berre.

Villeneuve, Christophe de. Statistique du département des Bouches du Rhône avec atlas - Tome 2. Tome 2. chez Antoine Ricard, 1824.

[1] Christophe de Villeneuve, Statistique du département des Bouches du Rhône avec atlas - Tome 2, Tome 2 (chez Antoine Ricard, 1824).

[2] Anne Lascaux, « Carte à la une. La plaine agricole de Berre : essor et déclin d’un espace productif maraîcher français (années 1970-2020) », Géoconfluences, février 2022, https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/plaine-maraichere-berre.

[3] René Borruey, Pascale Bartoli, et Anne Carpentier, « Les formes urbaines de la ville nouvelle des rives de l’étang de Berre : Histoire du projet » (ENSA Marseille: Laboratoire INAMA, février 2010).

[4] Jean-Marc Besse, La nécessité du paysage (Marseille, France: Éditions Parenthèses, 2018).

[5] Jean-Marc Besse, id.

[6] G. Ferraresi et A. Rossi, Il parco come cura e coltura del territorio. Una ricerca sull’ipotesi del parco agricolo (Brescia, 1993). Le parc agricole est définit comme « structure territoriale qui vise principalement à la production agricole, à sa protection et à sa valorisation, [...] ainsi qu’à la jouissance culturelle, ludique, de loisirs, de l'environnement par les citoyens ».

[7] On peut noter les travaux de Thibault Rivière sur la plaine de Berre, d’Adèle Justin sur la plaine de St-Julien-lès-Martigues et de Tom Thierry à plan de Fossan, tous deux situés à Martigues.

Ressourcer l'étang

1. Habiter en zone hostile : fiction et gestion des risques à l’Est de l’Etang de Berre.

 

    a/Sujet, thème et parti pris : le risque comme atout

 

Le choix du groupe de participants ayant réalisé le projet intitulé « Habiter en zone hostile : fiction et gestion des risques à l’Est de l’Etang de Berre », porte sur une action particulière, celle d’envisager le sujet comme une fiction et d’élaborer différents futurs pour le territoire investi. C’est ainsi qu’à partir des documents officiels et publics auxquels chaque habitant peut accéder, l’équipe constituée d’Anaïs Malmazet, étudiante en Master ENSP Versailles, Clara Souleihavoup, étudiante en Master 1 Recherche Design ENS Paris-Saclay, Nancy Wilson et Alexis Campagne, a élaboré des scénarios (des « futurs-fictions ») qui prennent en compte les risques auxquels les sites sont soumis.

On en dénombre trois : le risque incendie, le risque de montée des eaux et la submersion qui lui est associée, et le risque industriel qui se traduit par des explosions potentielles des installations. On a confronté ces données à celle de la possibilité de continuer à habiter les lieux, soit en préservant ce qui existe, soit en envisageant des positionnements nouveaux. Ainsi, le Bail Réel Immobilier Littoral (BRILI)1, s’il est un outil qui n’a jamais été appliqué mais seulement envisagé, sert de socle aux futures formes d’urbanité des rives de l’Etang. Il permet de valoriser existant et futur à hauteur de leurs fragilités respectives face à l’hostilité.

L’image de ces fragilités peut être illustrée par la commune de Berre-l’Etang, dans laquelle la superposition de plusieurs risques majeurs rend toute planification délicate. Les accidents et phénomènes récents (inondations et mouvements de terrains en 2003, 2008 et 2011 ; accidents industriels en 2015 et 2019 ; incendies de forêt en 2016 et 2020) sont autant d’éléments incontournables pour toute pensée sur le territoire.

Représentation des risques de mouvements de terrain, d’inondation et d’exposition au bruit aérien, carte de synthèse élaborée par les membres de l’équipe.

 

b/ Les outils mis en œuvre

 

Plusieurs outils sont ont été convoqués, qu’ils soient d’analyse ou de prospective : la lecture des documents de l’urbanisme réglementaire renseigne sur un état futur, le dessin en coupe permet a permis de prendre en considération le phénomène de montée des eaux, le diagramme autorise a autorisé la pensée appliquée au risque incendie, le plan à grande échelle illustre (…) l’ampleur du possible accident industriel, enfin, la visite de site informe (…) sur de la qualité de résilience des lieux. En regard de ces éléments factuels, liberté est prise de les confronter à des futurs-fictions présentés sous forme de frises chronologiques. Chacun [des futurs] est envisagé en fonction de l’un des risques choisis, et donne lieu à des modèles applicables en d’autres situations de l’Etang.

Un élément important qu’introduit la réflexion est celui de la saisonnalité. On considère en effet que certaines manifestations des risques seront plus présentes en saison chaude (incendies de forêt), d’autres en basse saison (inondations), alors que le risque industriel supplante toute temporalité.

La méthode employée est celle dite du Design-Fiction2 utilisé comme support à une histoire spéculative et mis en œuvre à travers des scénarios qui intègrent l’incertitude comme une composante. Un futur souhaitable est ainsi créé au travers de l’expérimentation et de la manipulation d’outils créatifs.

Si un tel outil fait sens dans le cadre de cette recherche, c’est parce qu’il prend pour socle les réalités des risques, dont les manifestations sont connues et enregistrées depuis des décennies.

 

c/Traduction en projet ou comment agir avec les risques

Le principe de mise en place de la zone coupe-feu. Dessin Nancy Wilson

 

 

 

 

Le projet présente trois futurs possibles, chacun étant inscrit dans un scénario dont le support est constitué par l’un des risques majeurs auquel est soumis le territoire de l’Etang de Berre.

Pour la submersion marine et la montée des eaux, liées aux changements climatiques, la réponse consistera à réaliser un parc marin qui absorbera les eaux en surplus, tout en développant des pratiques de bord d’étang qui soient respectueuses des espèces présentes. La particularité de ce projet étant qu’il sera réalisé a posteriori, c’est-à-dire après avoir pris la mesure du phénomène.

Pour l’incendie de forêt, on élabore un Plan de Gestion très précis et basé sur la connaissance acquise dans des situations similaires. On sait ainsi appliquer des savoirs, sinon des solutions, qui permettront de préserver nature et constructions. Les dessins, en coupe ou en perspective, donnent à voir les possibles : route coupe-feu, plantations en mosaïque, entretiens, mises en place de secteurs ouverts, sont autant de manières d’être face à l’hostilité. Ce Plan permettra de créer un nouveau secteur réglementaire, la ZHRT ou Zone d’Habitation en Risque Tempéré, dans laquelle il sera possible de vivre en fonction du risque.

 

Enfin, l’accident industriel est vu comme le moteur de la résilience. S’il définit une zone dans laquelle aucune installation n’est possible, cela dessine l’occasion de repenser des sols aujourd’hui pollués et d’en envisager des transformations vertueuses : depuis la zone d’expérimentation pour un Centre de Recherche en Dépollution par le Vivant, jusqu’à la création d’une Zone de Reconversion de l’Agriculture en Hors-Sol en passant par la mise en place d’une digue de rétention des dépôts d’hydrocarbures, ce sont l’ensemble des sites industriels qui s’ouvrent à de nouvelles potentialités.

Ce qu’autorisent ces projets, c’est le développement et le maintien du BRILI à travers les âges. Mais la liberté que donne le design-fiction permet d’inventer un nouvel outil qui intègre la capacité de résilience des lieux comme des personnes. Ainsi nait le BRIRI, ou Bail Réel Immobilier du Risque Industriel, dont on se demande presque comment il n’a pu être envisagé jusque là. Ainsi, habiter en zone hostile prend un sens nouveau : vivre avec les risques et leur transformation, c’est avant tout laisser au vivant la place dominante, et le soin pour les situations vertueuses de reprendre corps et âme dans des territoires où la fiction rattrapera la réalité.

Une représentation graphique du risque industriel. Dessin Anaïs Malmazet

 

 

c/Conclusion : la fiction comme support de solutions

 

On se rend compte que tous ces modèles d’anticipation n’auront été possibles que dans l’apport du design-fiction, entendu comme méthode employée face à l’incertitude. En effet, on ne pense aujourd’hui le devenir des sols qu’au travers de ce qu’un accident y laissera, pas en s’appuyant sur lui ou sur sa potentialité à être. L’occurrence du risque n’est mesurable qu’après qu’il soit survenu, la statistique fait alors projet. Le design-fiction bouscule cette manière de penser les lieux, il n’affirme rien mais cherche à éveiller les consciences au travers de réflexions prospectives, qui envisagent un futur différent.

 

1     Le Bail Réel Immobilier Littoral (BRILI) est l’un des trois     outils présentés dans la proposition de loi portant adaptation des     territoires littoraux au changement climatique. Il est consenti dans     le cadre d’une ZART (Zone d’Activité Résiliente et Temporaire)     pour une durée comprise entre 5 ans et la date de réalisation du     risque de recul du trait de côte.

2     Le    Design Fiction est une approche prospective (visant à faire émerger     des idées en imaginant une situation future) utilisant les     techniques du design, du prototypage, de la narration ou encore de     la vidéo. Bruce Sterling,     Shaping Things,     MIT Press, 2005. 152 p.    

La mise en tourisme des paysages hybrides de l’étang de Berre : le plan d’eau comme espace de mobilité

La recherche d’une meilleure efficacité des transports collectifs à l’échelle métropolitaine est un enjeu majeur du plan de mobilité de la métropole Aix-Marseille-Provence. L’objectif est double puisque cela participe à la fois à l’efficacité des déplacements quotidiens (les trajets domicile-travail), mais aussi saisonniers (les trajets touristiques estivaux notamment). L’idée qui guide ce projet est donc de penser l’efficacité de la mobilité autour de l’étang de Berre, en regard des paysages traversés à contempler : en croisant préservation et attractivité de ces paysages singuliers, un nouvel avenir se dessine ainsi pour ce vaste territoire. Dans le cadre du Workshop, cinq personnes ont donc travaillé sur ce sujet : Lucie Constantin (étudiante à l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille), Adriano Duarte (étudiant à l’Ecole Nationale Supérieure de Paysage de Versailles), Robert Rossi (habitant du territoire), Adrien La Rocca (étudiant à Aix-Marseille Université), Cécile Diacre (habitante du territoire).

Sujet thème et parti pris : L’étang de Berre, entre attractivité et patrimonialisation

Ce territoire apparaît comme le canevas de trajectoires de développements pluriels. Pour le sociologue Michel Péraldi, l’étang de Berre possède « toutes les cartes postales, tous les sites capables d'illustrer les lieux communs de la Provence visitée »[1]. C’est un véritable territoire composite, ce qui n’enlève rien à la qualité de son cadre de vie : le récent projet de son classement à l’UNESCO souligne cet attachement, de la part de la population et des acteurs locaux. A ce projet récent s’ajoutent les ambitions du SCOT métropolitain Aix-Marseille Provence en cours, s’attachant davantage à la notion de « paysage ». Il ressort aussi du SCoT Ouest Étang de Berre une intention de « préservation » et de « requalification » des paysages, questionnant alors « l’articulation effective de ces deux champs d’action qui pourraient pourtant se nourrir mutuellement »[2]. Il en résulte ainsi un questionnement relatif à la sur-fréquentation des paysages emblématiques métropolitains et aux nécessaires mesures que les gestionnaires de grands sites doivent intégrer, à l’image du démarketing territorial du Parc National des Calanques prévues à l’été 2021. Ménager ce territoire est donc tout aussi important. Les crises anoxiques répétées de l’étang depuis l’installation de l’usine EDF de Saint-Chamas ont amené l’Etat à prendre des mesures successives de réduction des rejets d’eau douce depuis la ré-autorisation de la pêche le 10 janvier 1994. Depuis peu, des élus de tous bords politiques se sont également réunis pour porter devant le parlement un projet de réhabilitation de l’étang de Berre : l’intérêt de l’étang est désormais porté au plus haut de l’État, ceci entrainant une suite de mesures et d’études favorables à sa stabilité écologique, mais également à la mise en valeur de ses paysages atypiques.

Les outils mis en œuvre

La production graphique de l’équipe est très diversifiée (plans, croquis, perspectives de projet), mais garde une même logique : mettre en parallèle les contrastes entre les paysages industriels et les paysages à caractère de nature, mais également les contrastes entre la linéarité des trajets et l’étendue des paysages traversés. Dans le plan ci-dessous, sont mis en parallèle les multiples paysages à découvrir autour de l’étang de Berre, mais également les différents temps de trajets entre les communes. Ceci permet notamment de mettre en exergue le potentiel du plan d’eau comme espace de mobilité.

Plan des paysages et des mobilités existantes de l’étang de Berre.

Les photographies et croquis sur site portent un regard renouvelé sur l’étang de Berre : ils font du caractère hybride[3] de ses paysages un élément à contempler. Par l’utilisation de l’aquarelle, le paysage industriel perd son caractère sublime, son effroyable beauté, mais acquiert une valeur aussi pittoresque que « les lieux communs de la Provence visitée » qu’évoque Michel Peraldi[4].

Photographie des paysages hybrides de l’étang de Berre.

Aquarelle des paysages hybrides de l’étang de Berre.

Un dernier plan idéalise une intention de projet : une nouvelle entrée sur l’étang de Berre par la création d’une navette maritime entre plusieurs communes. La perspective de projet tente de spatialiser l’un des arrêts de la navette maritime à Vitrolles, entre paysages d’eau de l’étang et sec de la garrigue environnante.

Plan des trajets des navettes maritimes sur l'étang de Berre.

Perspective de projet : la navette maritime sur l'étang de Berre à Vitrolles.

 Les grandes idées du projet

Les intentions de projet s’appuient sur un diagnostic de l’accessibilité des rives de l’étang. Il en résulte l’observation de discontinuités dans les possibilités de trajets, mais également l’identification de situations de goulets d’étranglement routier (à Vitrolles ou Martigues par exemple), ou encore de la proximité entre modes de déplacements différents.

Valorisant la découverte des différents paysages du pourtour de l’étang, le groupe a précisé que la démarche de valorisation des paysages devait être croisée avec une volonté de préservation de certains milieux sensibles à inventorier et devant faire l’objet d’une campagne de sensibilisation.

L’objectif du projet est également de retisser des continuités, d’établir la mise en réseau de lieux :  un sentier littoral se dessine autour de l’étang de Berre, valorisant une découverte du territoire par la marche et les déplacements doux, à l’image du GR2013[5]. Le plan d’eau devient lui-même un espace de transit par l’installation d’une navette maritime. Un tel déploiement de la navigation renvoie au principe du cabotage développé sur l’étang pour le transport du sel et la fabrication de soude artificielle, au début du XIXe siècle[6].

Il est également proposé la transformation des voies de train régional en tram-train, ainsi que la réouverture de certaines gares existantes. La portée du développement des mobilités touche l’ensemble du territoire, s’inscrivant à la fois à l’échelle de vastes espaces de nature, mais aussi à celle de petites localités ou de centres historiques à visiter. Le projet facilite également les trajets domicile-travail des métropolitains travaillant autour de l’étang de Berre.

Conclusion : vers un « slow-tourisme » autour de l’étang de Berre

L’attractivité des paysages de l’étang de Berre est ici abordée sous l’angle d’un « slow-tourisme »[7] : le nécessaire développement du territoire doit passer par une accessibilité juste et équilibrée aux paysages, notamment à travers l’essor du transport en commun, des déplacements doux et de l’intermodalité.

Les ports communaux de l’étang de Berre, accueillant la navette maritime, sont ici considérés à la fois comme des points de rupture de charge entre plusieurs mobilités, mais aussi comme des entrées sur un territoire à visiter. Le changement de mobilité constitue également un temps pour prendre le temps, une pause pour profiter de la diversité des paysages. L’occasion de se poser à l’ombre d’un pin, de se restaurer ou encore d’observer la faune et la flore locale.

Par la mise en valeur de ces paysages industriels, le projet questionne aussi l’idée que l’étang de Berre est une « zone critique », selon M.Duperrex et C.Gramaglia, « soit un terrain d’étude privilégié pour appréhender la question des milieux au temps de l’anthropocène, fragments habitables de la Terre qui vont du sol à l’atmosphère, menacés par nos activités et pourtant si mal connus »[8]. Un tourisme, aussi « slow » soit-il, peut-il fonctionner avec cette appréciation de « zone critique » : l’esthétique des paysages de l’anthropocène autour de l’étang de Berre peut-elle fabriquer un objet touristique attractif ?

Bibliographie

Daumalin, Xavier. Du sel au pétrole - l’industrie chimique de Marseille-Berre au XIXe siècle. Paul Tacussel Editeur., 2003.

Gramaglia, Christelle, et Matthieu Duperrex. « Genèse et devenir d’une zone critique littorale méditerranéenne ». Rives méditerranéennes, no 61 (30 décembre 2020): 7‑18.

[1] Michel Peraldi, « L’étang de Berre : Interprétation d’un paysage métropolitain », Ethnologie française 19, no 3 (1989): 273‑90.

[2] Emeline Hat et Sophie Bonin, « Paysages métropolitains et fabrique quotidienne des territoires », Cahier POPSU n°2, 2022.

[3] Par hybride, nous entendons ces paysages dépassent la simple dissociation nature-culture, en référence à Bruno Latour, Nous n'avons jamais été modernes. Essai d'anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, « Poche / Sciences humaines et sociales », 2006.

[4] Michel Peraldi, id.

[5] Le GR2013 est un sentier de grande randonnée traversant la métropole Aix-Marseille-Provence. Il a été créé à l’occasion de l’évènement « Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture » par des artistes-marcheurs.

[6] Xavier Daumalin, Du sel au pétrole - l’industrie chimique de Marseille-Berre au XIXe siècle, Paul Tacussel Editeur, 2003.

[7] Le portail de la Direction générale des Entreprises définit le « slow-tourisme » comme le tourisme « du temps choisi, garant d’un ressourcement de l’être, peu émetteur de CO2, respectant l’écosystème du territoire d’accueil et synonyme de patience, de sérénité, d’améliorations des connaissances et des acquis culturels ».

[8] Christelle Gramaglia et Matthieu Duperrex, « Genèse et devenir d’une zone critique littorale méditerranéenne », Rives méditerranéennes, no 61 (30 décembre 2020): 7‑18.

Paysages ressources de demain

Ce Projet de fin d’Étude soutenu à l’école nationale supérieure de paysage (ENSP) est issu des partenariats pédagogiques que l’antenne marseillaise a noué avec la métropole Aix-Marseille-Provence (AMP) dès la Mission interministérielle pour le projet métropolitain Aix-Marseille-Provence[1] et qui se poursuivent avec le service Paysage de la direction Agriculture, Forêt, Paysages, Espaces Naturels de AMP Métropole. C’est pour AMP Métropole un volet concret de la politique du paysage. Dans ce cadre, le Projet de Fin d’Étude « Parc agro-écologique de la plaine de Berre : un nouvel élan pour l’agriculture métropolitaine » de Thibault Rivière, encadré par les paysagistes Antoine Petitjean et Guerric Péré, a été conduit avec les différents services de la Direction Agriculture, Forêt, Paysages, espaces naturels de AMP Métropole. Cette collaboration a nourri la recherche POPSU AMP Métropole le « grand » paysage comme ressources[2] observant une politique métropolitaine en train de se faire dans les espaces urbanisés, au nord-est de l’étang de Berre, où la variété des paysages ne se perçoit pas immédiatement face à l’omniprésence urbaine et industrielle de l’occupation des sols.

Figure 1-0. Les usages des pourtours de l’étang de Berre © Rivière T., PFE ENSP, 2019.

L’étang de Berre, un territoire ressource : usages, sols productifs et milieux.

Thibault Rivière a montré que la vocation agricole de la plaine du delta de l’Arc et la diversité des usages des pourtours de l’étang disparaissaient derrière des dominantes exclusivement naturelles et industrielles. Elles dessinent des polarités qui cachent des emboîtements d’usages complexes et des situations très contrastées au regard des nombreuses activités liées à l’étang : pêche professionnelle et amateur, nautisme, baignade, observation naturaliste, randonnées, camping, etc. Ce mélange d’usages, d’occupations et de milieux fait la singularité du territoire et de ses paysages.

Figure 1-1. Paysages singuliers © Rivière T., PFE ENSP, 2019.

Parmi ces paysages, la plaine du delta de l’Arc, au nord-est de l’étang de Berre, est une plaine alluviale dont les sols sont particulièrement productifs et où les milieux naturels sont précieux et fragiles.

Figure 2. Évolution du delta de l’Arc © Rivière T., PFE ENSP 2019.

La nappe phréatique, de la taille de la plaine, est poreuse et libre. De fait, les contacts de l’eau avec le sol sont assez faciles, mais les impacts humains sur la qualité de l’eau de la nappe aussi. Les inondations de l’Arc ont charrié du bois, des roches et des limons qui ont enrichi le sol au fil du temps. La plaine de Berre est constituée de ces dépôts qui, en fonction des secteurs, ont formé des sols de qualités variées. Les sols des sédiments fins et limoneux, à proximité de l’Arc, sont privilégiés pour les cultures de céréales et la vigne, tandis que les sols du reste de la plaine, constitués de sédiments plus grossiers, de cailloutis et de galets, sont plus ingrats.

 

Figure 3.a Géologie et hydrologie du delta de l'Arc © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Figure 3.b Géologie et hydrologie du delta de l'Arc © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Cette plaine alluviale fertile se partage aussi entre milieux naturels et terres agricoles pour la production de fourrages, de céréales, de vignes, d’arboriculture, de maraîchage, de l’élevage, etc. Cette variété d’agriculture sculpte un paysage productif diversifié en négatif des espaces naturels. Sols agricoles productifs et milieux humides répertoriés, inventoriés et protégés se juxtaposent.

Figure 4.a Géologie et hydrologie du delta de l'Arc © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Figure 4.b Géologie et hydrologie du delta de l'Arc © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Faire paysage par les sols : un processus de fabrication de sols fertiles et productifs.

L’activité de maraîchage hors-sol, sous serres, a eu un impact environnemental important sur la pollution aux nitrates de la nappe de l’Arc. Particulièrement active dans les années 70/80 autour de la production industrielle de tomates, qui est aujourd’hui affaiblie par la concurrence des productions d’Espagne, de Bretagne et d’Hollande. Du fait de ce déclin économique et du départ à la retraite de nombreux agriculteurs, de plus en plus d’exploitations sont en friche. La déprise agricole produit un paysage de parcelles enfrichées, de serres abandonnées, de prairies boisées ou transformées en espaces de stockage, etc. Thibault Rivière y voit l’amorce d’un projet de reconversion agricole de la plaine de Berre qui accompagne la modification de ses paysages.

Figure 5. Une dynamique de déprise © Rivière T., PFE ENSP 2019.

De la même manière, la restructuration de l’industrie pétrochimique produit des friches, à l’image de la zone pétrochimique de LyonDellBasell. L’entreprise a conservé la production de polypropylène et de polyéthylène destinés aux pièces automobiles, mobilier, emballages alimentaires, jouets ou matériaux de construction. Par contre, la fermeture de la raffinerie en 2014 a laissé 280ha de friches aux portes de la ville de Berre l’Étang, là où il avait l’usine de raffinage et les réservoirs de stockage de carburant.

Figure 6-0. Paysages de friches & Potentiels de projet © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Figure 6-1. Paysages de friches & Potentiels de projet © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Pour Thibault Rivière, ces sols en friche constituent une force de renouvellement économique et écologique du territoire qui peut s’inscrire à une échelle métropolitaine.

Une activité économique basée sur le recyclage des déchets, desservie par le train à l’ancienne halte de Berre, est possible du fait de la richesse des sols et de la qualité des milieux naturels. En partant du potentiel des sols, ce projet accompagne la transition d’une industrie polluante vers une activité valorisant les déchets organiques de l’agriculture de la plaine.

Figure 7-0. Processus de fabrication d'un paysage productif : le déchet comme engrais © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Figure 7-1. Processus de fabrication d'un paysage productif : le déchet comme engrais © Rivière T., PFE ENSP 2019.

La reconquête agricole est un processus long qui fabrique des nouveaux paysages, avec une remise en culture rapide de maraîchage et une installation lente de modes productifs adaptés au changement climatique. Dans cette transition agricole, l’agroforesterie a des avantages évidents : maintien de l’eau, limitation de l’ombrage, cohabitation bénéfique pour les cultures, accueil de biodiversité. La plantation d’arbres prend en compte le temps de fabrication de ce nouveau paysage.

Figure 8. Temporalités de fabrication d'un paysage agro-écologique © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Dans ce projet de territoire, un paysage productif remplace l’agriculture intensive sous serres. Le projet de paysage dessine par les techniques agroforestières un système complexe et varié, adapté à la particularité du terrain et à la structure des paysages. Il renforce la productivité, la polyculture et la biodiversité là où les haies brise-vent et les haies têtards des canaux réhabilités deviennent des linéaires productifs, ou en lien aux prairies, vergers, maraichages, etc. ouvrant une nouvelle histoire agricole valorisant une exploitation vertueuse des ressources.

Figure 9. Installation d’un paysage productif complexe et varié © Rivière T., PFE ENSP 2019.

 

*extrait du Projet de Fin d’Étude Le parc agro-écologique de la plaine de Berre : un nouvel élan pour l’agriculture métropolitaine de Thibault Rivière (ENSP 2019)

[1] Laurent Théry a été nommé fin 2012 préfet délégué, en charge de la préfiguration du projet métropolitain jusqu’à la création de AMP Métropole au 1er janvier 2016, qui a fusionné six EPCI (communauté urbaine Marseille Provence Métropole, communauté du Pays d’Aix, syndicat d’agglomération nouvelle Ouest Provence et les communautés d’agglomération de Salon-Étang de Berre-Durance, du Pays d’Aubagne et de l’Étoile, de Martigues).

[2] La recherche POPSU (Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines) est conduite, au sein d’AMP Métropole, sous la direction de Michel Roux, référent politique Vice-Président au Projet Métropolitain et de Vincent Fouchier, référent administration DGA au Projet Métropolitain avec l’appui technique de Marc Del Corso et Florence Hannin (service Paysage), ainsi que sous la responsabilité scientifique de Sylvie Salles (2018-2022), professeur à l’ENSP (Larep) et de Vincent Piveteau (2018-2021). L’équipe de recherche préfigure l’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires, en réunissant l’École Nationale Supérieure de Paysage, l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional, et associe Image de ville et Le bureau des guides du GR 2013.

Regards paysagistes

Jusqu’en 2018, la quatrième année de la formation des paysagistes DPLG[1] comportait la réalisation, pendant 8 mois et par groupe de 2 à 3 étudiants, d’une étude commanditée par un partenaire public dans le cadre d’un atelier pédagogique régional (APR). L’APR intitulé Le pays des étangs, conduit en 2018 par Valentine Gilbert et Florence Marais sous l’encadrement du paysagiste Jérôme Mazas, a été mené en partenariat avec l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse (AEURMC) à l’antenne marseillaise de l’école nationale supérieure de paysage (ENSP). Ce travail est un maillon des collaborations engagées avec l’Agence de l’Eau au sein de la chaire Eau et Paysage, coordonnée par Laure Thierrée de 2016 à 2021. Cette chaire explore à travers les regards et les approches des étudiants.e.s paysagistes les enjeux contemporains du partage de l’eau, afin de faire évoluer les politiques publiques de l’eau et les pratiques de gestion des inondations, en mobilisant les ressources d’enseignement, de recherche et de création de l’ENSP. Cet APR a été une ressource précieuse pour observer une politique métropolitaine en train de se faire dans le cadre de la plateforme de recherche POPSU (Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines) de AMP Métropole : Le « grand » paysage comme ressources.[2]

Valentine Gilbert et Florence Marais ont posé dans leur APR Le pays des étangs des éléments clés de compréhension du territoire et des paysages de l’étang de Berre et de ses rives. Elles décrivent un territoire très varié, avec des occupations parfois contradictoires et en tension, mais qui sont extrêmement riches car toujours en lien avec des socles géologiques contrastés : reliefs calcaires, plaines alluviales, piémonts, plateau, etc. Cette géographie et sa longue occupation humaine se traduisent aujourd’hui dans une succession de paysages de garrigues et de milieux humides, en passant par les milieux productifs des salins ou de l’agriculture. Cette succession constitue aujourd’hui un ensemble de paysages exceptionnels, y compris lorsqu’ils sont industriels. En effet, tout autour de l’étang, les industries marquent de façon spectaculaire la physionomie et la particularité de ce territoire métropolitain.

Figure 1. Paysages juxtaposés : salins ouverts sur le massif de l’Estaque et les cheminées des raffineries © Gilbert V. et Marais F., APR Le pays des étangs, ENSP 2018.

Figure 2. Un paysage pour une multitude de formations © Gilbert V. et Marais F., ENSP 2018.

Figure 3. Salins, garrigues, marais, massifs, agriculture, étangs © Gilbert V. et Marais F., ENSP 2018.

Définir et travailler sur un projet autour de l’étang de Berre n’est donc pas évident. Les travaux de ces étudiantes paysagistes montrent que, pour y parvenir, il est important d’approcher le territoire selon trois échelles de projet de paysage qui renvoient aux différents rôles que peut jouer ce territoire, qui traitent d’enjeux spécifiques et qui font appel à différents niveaux de gouvernance et d’action.

Figure 4. Les 3 échelles de la stratégie de projet © Gilbert V. et Marais F., ENSP 2018.

L’échelle 1 du pays des étangs permet de repositionner l’étang de Berre et ses communes riveraines dans une échelle plus vaste et commune. Cette échelle est porteuse d’une vision d’ensemble qui n’est pas encore aujourd’hui à l’œuvre, même si de nombreux acteurs et élus mettent l’étang au centre en le considérant comme un territoire à enjeux majeurs. Nommer cet ensemble Pays des étangs fédère une vision collective et symbolique forte. Comme un label, cela offre un premier niveau d’existence commune à un paysage reconnu comme le paysage des étangs.

Figure 5. Le pays des étangs : une stratégie spatialisée © Gilbert V. et Marais F., ENSP 2018.

L’échelle 2 des familiarités rassemble des communes dont les problématiques sont semblables parce qu’elles appartiennent à une entité caractérisée par un même paysage dominant : agricole, de colline, de garrigue, industriel, de massif calcaire ou de marais.

L’échelle 3 des singularités permet de définir une stratégie fine d’intervention, en ciblant des priorités pour des secteurs particulièrement impactés par la montée des eaux à accompagner, par des continuités urbaines à éviter, par des évolutions industrielles à organiser et là où les milieux naturels sont à préserver et valoriser. Ces sites prioritaires ont des potentiels de reconquête impliquant les nombreuses parties prenantes du territoire pour envisager, à partir de chaque commune, des coopérations entre Port, industriels et villes, entre les services environnement des collectivités et le conservatoire du littoral, entre usagers et gestionnaires... Le niveau communal articule ces trois échelles dans une reconquête du territoire par ceux qui l’occupent et en font « usage ».

Figure 7. Traversée Vitrolles : stratégie végétale de l’étang au plateau de l’Arbois © Gilbert V. et Marais F., ENSP 2018.

Le projet de paysage s’écrit dans la traversée de ces trois échelles. Le pays des étangs renvoie à des enjeux métropolitains qui trouvent des modalités de contextualisation spécifique au sein des entités paysagères et des milieux dans lesquels le projet se déploie. Cette échelle des familiarités n’est pas pour autant dissociable de l’échelle des singularités où le projet prend corps avec les acteurs du territoire et se modèle au contact des coopérations et des usages.

 

*Extrait de l’Atelier Pédagogique Régional Le Pays des étangs de Valentine Gilbert et Florence Marais (ENSP 2018).

[1] La mise en place de la réforme Licence-Master-Doctorat en 2018 a réduit la formation à 3 ans au lieu de 4, sachant que le cycle de formation des paysagistes a toujours débuté au niveau Licence 3.

[2] La recherche est conduite, au sein d’AMP Métropole, sous la direction de Michel Roux, référent politique Vice-Président au Projet Métropolitain et de Vincent Fouchier, référent administration DGA au Projet Métropolitain avec l’appui technique de Marc Del Corso et Florence Hannin (service Paysage), ainsi que sous la responsabilité scientifique de Sylvie Salles (2018-2022), professeur à l’ENSP (Larep) et de Vincent Piveteau (2018-2021). L’équipe de recherche préfigure l’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires, en réunissant l’École Nationale Supérieure de Paysage, l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional, et associe Image de ville et Le bureau des guides du GR 2013.

Résilience de la ville littorale en projet

L’école nationale supérieure de paysage (ENSP) a depuis la création de son antenne marseillaise des liens privilégiés avec son territoire et ses acteurs. Les collaborations avec la Mission interministérielle pour le projet métropolitain Aix-Marseille-Provence[1] ont accompagné la création de la métropole Aix-Marseille-Provence (AMP). Depuis, le partenariat entre l’ENSP et le service Paysage -de la direction Agriculture, Forêt, Paysages, Espaces Naturels de AMP Métropole- est un volet de la politique métropolitaine du paysage. Au travers de la définition et du suivi des sujets de PFE, les productions des étudiants sont des ressources pour une politique métropolitaine en train de se faire. Aussi, la recherche POPSU AMP Métropole, le « grand » paysage comme ressources,[2] a mobilisé les résultats du Projet de Fin d’Étude de Justine Rejaud, « Le littoral de l’étang de Vaïne : vers une résilience du territoire par le paysage », encadré par les paysagistes Antoine Petitjean et Guerric Péré pour les services Paysage et Aménagement durable de AMP Métropole. L’intérêt de ce travail est de spécifier les impacts du changement climatique sur le territoire de l’étang de Berre en les liant à la géomorphologie et aux occupations. Si l’ensemble du territoire est impacté par l’accentuation des risques, la dégradation écologique et les mutations industrielles, ces enjeux ont des spécificités territoriales et surtout des traductions spatiales toujours particulières au regard des partitions qui l’ont façonnées.

Des partitions est-ouest délimitant un secteur nord-est à enjeux spécifiques

La géomorphologie de l’étang lui-même obéit à une partition est-ouest. La masse d’eau est une lagune méditerranéenne profonde, reliée à la mer par le chenal de Caronte, qui se subdivise en deux parties séparées par un haut-fond : le grand étang, à l’ouest et l’étang de Vaïne, à l’est. À cette partition s’ajoute la séparation par un cordon dunaire entre le grand étang et l’étang de Bolmon à l’embouchure de la Cadière. Autour, une « ceinture » de massifs singuliers -chaîne d’Eguille (Nord), plateau de l’Arbois (Est) et massif de la Nerthe (Sud)- forment un horizon topographique marqué.

Du côté de l’occupation des rives, le paysagiste Bastien Exbrayat notait dans son TPFE Estang de Berro l’existence de deux types d’espaces et d’usages distincts entre la rive Ouest et la rive Est. « Alors que l’on retrouve la structure en chapelet à l’Ouest, la partie Est se distingue par un agglomérat de zones industrielles et de villes, mêlées à l’aéroport. Les sites pétrochimiques sont les éléments qui séparent ces deux parties ».[3] De fait, dans sa partie Est, côté étang de Vaïne, la rive est peu accessible derrière les grandes infrastructures industrielles, aéroportuaires et routières.

Figure 1. Évolution de l’urbanisation sur le pourtour de l’étang © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

L’urbanisation est partie des villages de Berre l’Étang, Rognac et Vitrolles en suivant l’arrivée du chemin de fer, jusqu’à ce que l’aéroport de Marignane amorce un étalement urbain en tache d’huile sur tout le territoire. Aujourd’hui, pour chaque commune, les surfaces dédiées à l’habitat et aux zones d’activités sont quasi équivalente. Cette dualité impacte l’image de ces villes littorales, mais fragilise aussi leur résilience au changement climatique. L’expansion industrielle et urbaine est un facteur d’augmentation des risques, là où se juxtaposent sites balnéaires et sites Seveso, tandis que les incendies et les inondations menacent les coteaux et les littoraux urbanisés.  Si le changement climatique accentue ces menaces, s’y adapter est un levier de transition majeure et une opportunité pour réinstaller des liens à la géographie nécessaires à la résilience de ce territoire.

Une ville littorale à reconnecter à sa géographie

Entre l’étang de Vaïne et les falaises du plateau de l’Arbois, se juxtaposent et se succèdent des milieux humides, des terres agricoles, des infrastructures, des industries et une urbanisation quasi continue :

Figure 2-1. Une urbanisation déconnectée de la géographie naturelle © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

Figure 2-2. Une urbanisation déconnectée de la géographie naturelle © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

La géographie est devenue invisible dans cette ville littorale continue traversée par de nombreuses infrastructures : l’A7, la ligne de TER Marseille-Miramas et les départementales RD113 et RD20. La géographie disparaît derrière les industries et les activités commerciales en perte d’attractivité, qui sont agglomérées le long des départementales.

Figure 3. Une transversalité géographique et hydraulique gommée © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

Ce sont de grandes et petites « merveilles », liées à la géographie, qui ont été rendues inaccessibles ou invisibles par l’urbanisation : milieux écologiques effacés par l’imperméabilisation des sols, non prise en compte du cheminement de l’eau douce s’écoulant des cuestas vers le littoral ou de l’eau salée de l’étang. Dans cette ville linéaire, tous les liens nécessaires au développement de la biodiversité ont été coupés, alors même que ce sont des lieux potentiels de connexions piétonnes et de fraicheur pour la ville.

Les vallats : un chemin de l’eau à ouvrir et à découvrir

Les vallats ou ruisseaux intermittents qui traversent le territoire composent un paysage singulier qui est devenu progressivement peu qualitatif lorsque les vallats ont été busés ou endigués au gré de l’installation des activités de la zone Industrielle Nord ou de l’étalement urbain de Rognac et Vitrolles, pour réapparaître sous la forme d’exutoires vers le littoral. C’est pourtant une pièce maîtresse du système hydraulique et écologique de l’étang, formant un système continu entre reliefs secs, milieux humides et milieux salés, du plateau de l’Arbois jusqu’à l’étang. Justine Réjaud met en avant leur rôle majeur pour la résilience du territoire, car leur effacement accroit les risques d’inondation et d’incendie là où les dynamiques naturelles des vallats maintenaient un gradient progressif entre milieux secs et humides. Aussi, pour elle, les vallats sont des lieux de requalification urbaine, car la gestion qualitative restaurant leurs fonctions écologiques et hydrauliques compose des espaces vivants et des lieux d’usage.

Figure 4. Le système des vallats fragilisé © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

La résilience de la ville littorale par le paysage : un projet de sols vivants.

Figure 4. Le système des vallats fragilisé © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

Figure 6. Mutation des paysages routiers et d’activités © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

À partir des vallats, Justine Rejaud propose un projet de paysage composant avec leur fonctionnalité écologique et avec les usages urbains et balnéaires de la ville littorale. Il s’agit de retrouver des liens multiples entre le littoral, les vallats et le plateau de l’Arbois qui passent par la mutation de l’occupation des sols. Résilience rime ici avec une réversibilité du sol stérile, qui devient une surface utile au redéploiement des milieux vivants. Pour y parvenir, la mutation des activités permet de réorganiser le territoire à partir d’une action liée à ses composantes paysagères : ré-ensauvager le littoral, ouvrir les vallats, mettre en valeur des patrimoines ferroviaires et industriels.

À partir de ces principes réorganisateurs, elle propose deux parcs interconnectés, entre littoral et plateau de l’Arbois, pour rendre la ville vivable et rendre possibles les déplacements à pied.

Figure 7. Se promener au bord des vallats © Rejaud J., PFE ENSP 2020
« La restauration des vallats passe par un reprofilage du lit afin de répondre au risque inondation existant. Le lit élargi est accompagné par la plantation d’une végétation de type ripisylve composée de plusieurs strates augmentant le potentiel en biodiversité du milieu. Il est nécessaire de porter une attention particulière à la canne de Provence qui a tendance à être envahissante, en effectuant une gestion régulière et attentive ».

Figure 8. Une diversité de milieux et d’usages © Rejaud J., PFE ENSP 2020.
« Les réhabilitations des sols et du bâti transforment radicalement l’espace et l’accès aux rives dans un esprit de sobriété de matériaux et d’énergie : simple décompactage du parking et plantations d’arbustes et d’arbres halophytes ; subdivision de la chaussée en piste cyclable et voie réduite. L’enrobé est supprimé pour créer des séparations végétales et ombragées entre les différents modes de déplacement. La discothèque peut être rénovée pour accueillir une activité plus en lien avec le nouveau littoral. »

Figure 9. Regarder au large : depuis la colline des Cadestaux vers l’étang de Vaïne © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

 

*extrait du Projet de Fin d’Étude Le littoral de l’étang de Vaïne : vers une résilience du territoire par le paysage de Justine Rejaud, (ENSP 2020)

[1] Laurent Théry a été nommé fin 2012 préfet délégué, en charge de la préfiguration du projet métropolitain jusqu’à la création de AMP Métropole au 1er janvier 2016, qui a fusionné six EPCI (communauté urbaine Marseille Provence Métropole, communauté du Pays d’Aix, syndicat d’agglomération nouvelle Ouest Provence et les communautés d’agglomération de Salon-Étang de Berre-Durance, du Pays d’Aubagne et de l’Étoile, de Martigues).

[2] La recherche POPSU (Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines) est conduite, au sein d’AMP Métropole, sous la direction de Michel Roux, référent politique Vice-Président au Projet Métropolitain et de Vincent Fouchier, référent administration DGA au Projet Métropolitain avec l’appui technique de Marc Del Corso et Florence Hannin (service Paysage), ainsi que sous la responsabilité scientifique de Sylvie Salles (2018-2022), professeur à l’ENSP (Larep) et de Vincent Piveteau (2018-2021). L’équipe de recherche préfigure l’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires, en réunissant l’École Nationale Supérieure de Paysage, l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional, et associe Image de ville et Le bureau des guides du GR 2013.

[3] Exbrayat Bastien, Estang de Berro, Projet de fin d'études, ENSP, 2007, p.103.

"Milieu et architecture", Recension

L’ouvrage :
Yann NUSSAUME, Milieu et architecture. Entretiens avec Augustin Berque, Philippe Madec et Antoine Picon, Collection « Architectures contemporaines » (Richard Klein), éditions Hermann, Paris, 2021.

L’auteur :
Yann NUSSAUME est architecte, professeur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-La-Villette. Il est co-directeur de l’unité de recherche « Architecture, milieu, paysage », et a écrit et co-dirigé la publication de nombreux ouvrages sur les questions architecturales et paysagères.

Compte-rendu :

Cet ouvrage, composé de trois entretiens avec des personnalités marquantes des domaines architectural et paysager actuels, a pour premier objectif « d’aider les personnes intéressées par les rapports entre les milieux et l’architecture à se construire un cadre théorique et des outils de réflexion »[1]. Effectivement, Augustin Berque, Antoine Picon et Philippe Madec nous présentent plusieurs situations qui permettent de mobiliser les notions d’écoumène, de mésologie, de vernaculaire, de nature, de durabilité et de frugalité, rendant ainsi compte de l’existence de liens concrets entre l’architecture et son contexte. Depuis leurs cadres disciplinaires respectifs - la géographie, la civilisation orientale et le paysage pour Augustin Berque ; l’histoire de l’aménagement et de l’architecture pour Antoine Picon ; et l’architecture contemporaine et ses enjeux éthiques et écologiques pour Philippe Madec -, ils explicitent les multiples relations qui se nouent entre l’acte d’aménager et le milieu dans lequel il se réalise. Voici quelques arguments à travers lesquels chacun de ces penseurs va nous conduire à une perception enrichie de notre environnement, première amorce d’un changement de perspective possible.

Augustin Berque : l’expérience des lieux pour dépasser le dualisme moderne

Augustin Berque développe depuis toujours la quête d’un dépassement possible du dualisme moderne à travers la proposition d’une approche « mésologique » (la science des milieux) de l’écoumène[2]. Encore présente dans certaines civilisations orientales, mais également au cœur de l’approche paysagère, le couplage des choses à leur représentation constitue ici une véritable opportunité de percevoir ce dépassement, dans la mesure où la représentation permet de conserver une continuité entre la chose perçue concrètement et la chose conçue par le biais de la pensée. Le concept de « Fudosei » rend alors précisément compte de ce « moment structurel de l’existence humaine »[3] qui se réalise dans le temps particulier de l’expérience des lieux. A cette occasion, nous développons tous une sensibilité individuelle à notre environnement, mais la question se compléxifie énormément quand il s’agit de passer à la dimension collective. Comment nos logiques d’articulation éco-techno-symboliques pourraient-elles aujourd'hui se structurer différemment pour organiser une meilleure appréhension collective des milieux contemporains, demande alors Augustin Berque ?

Les rapports des humains à l’étendue terrestre ne pourront jamais être réduits à des dimensions mesurables puisqu’ils sont avant tout sensibles. La perception d’un lieu découle essentiellement des pratiques que l’on y développe, rappelle encore Augustin Berque, et les milieux s’éprouvent suivant le principe d’une « trajection », c’est-à-dire suivant une interprétation sensible du lieu qui se réalise dans le cadre même de l’interaction concrète avec lui. La relation établie avec un environnement s’exprime alors ensuite suivant différentes métaphores qui dépendent de tendances développées à chaque époque. Depuis « l’éther antique », qui désignait la matière intermédiaire agissant entre deux corps, en passant par les déterminations environnementalistes des géographes du XIXème, puis aux explications plus sociétales des géographes culturalistes (Paul Vidal de la Blache), ou encore par la phénoménologie (Edmund Husserl) et la remobilisation du corps sensible, et enfin, par la quête du vivant (Georges Canguilhem), les motivations restent donc extrêmement mutliples.

Et si la modernité a effectivement inventé un sujet individuel tout puissant, nous dit encore Augustin Berque, la condition « transmoderne »[4] cherche aujourd'hui de son coté d’autres termes pour redéfinir le sujet, en faisant notamment appel à la dimension d’une « cosmicité » élémentaire, en relation avec un usage du sol plus acceptable et mieux socialement partagé. Cette posture n’implique d’ailleurs pas de renier les avancées techniques et sociales réalisées par la modernité, mais il s’agit d’y réintroduire certaines mesures qui en ont été éliminées alors qu’elles sont aujourd'hui indispensables pour établir une relation concrète et réciproque avec notre environnement.

Antoine Picon : une histoire de l’architecture qui intègre les exigences de son milieu

Antoine Picon a de son côté cherché à détecter la prise en compte du milieu dans les écrits historiques d’architecture. Il conclut alors que cette attention se manifeste principalement dans les textes suivant trois aspects : à travers la pensée d’un auteur, soit qui est conscient d’appartenir à un milieu, ou bien qui réalise la recension des influences concrètes d’un milieu sur les modes de vie, ou bien encore, qui développe une approche théorique du milieu.

Il faut rappeler qu’en architecture, après l’expérience des Grands ensembles, la notion de « contexte » a été largement remise en avant, jusqu’à parfois en faire un instrument de pure provocation, comme chez Rem Koolhaas et son « Fuck the context »[5]. Effectivement, la vocation de l’architecte n’est-elle pas contradictoire par nature ? Car il lui faut à la fois prendre en compte les contraintes imposées par un milieu (sol, climat, eau, etc.), tout en cherchant à produire un établissement humain qui s’affranchisse de ces conditions initiales pour se constituer pleinement en un espace humain. Toute l’architecture a bien été fondée sur le principe de la satisfaction première des exigences humaines. Les formes produites pouvaient par ailleurs parfois s’inspirer des formes offertes par la nature, dans la mesure où ce goût correspondait aux attentes esthétiques du moment dans la civilisation considérée.

A travers l’identification de quatre périodes, Antoine Picon rend donc compte des enjeux architecturaux dominants successifs. La période antique est notamment caractérisée par une grande diversité expressive qui correspond à la variété des attentes culturelles. Puis, à la Renaissance, l’architecture devient une activité plus intellectuelle, qui s’énonce à travers des traités, et qui élabore un ensemble de règles et de codes. Au XVIIIème siècle, alors que l’Occident découvre le reste du monde, il renonce dans le même temps à un certain nombre de principes universels tout en incluant des penchants exotiques. Puis, à partir du XIXème siècle, la notion d’utilité va commencer à dominer dans un contexte de rationalisation de la production, et la nature va également faire son apparition dans le domaine de la conception urbaine à travers les préoccupations des hygiénistes. La période d’après-guerre va ensuite marquer une nouvelle rupture en introduisant une architecture industrielle et systématique qui déclenchera par la suite une vive réaction d’opposition. L’architecture moderne sera également largement critiquée, notamment par le « régionalisme critique » proposé par Kenneth Frampton (1983), qui remet en valeur l’architecture traditionnelle et locale, toujours réalisée en forte relation avec son milieu.

Relativement à ces héritages, les attitudes des architectes contemporains restent finalement aujourd'hui très disparates, remarque Antoine Picon. La montée des enjeux environnementaux à partir des années 1990, a effectivement introduit de nouvelles exigences dans la réalisation architecturale, qui passe notamment par les notions de porosité et de perméabilité. La ville est également désormais considérée comme un « paysage urbain », et l’architecture est envisagée comme le résultat d’un processus dont il s’agit de mieux comprendre (et de maîtriser) les différentes phases et facteurs de réussite. Antoine Picon rappelle à ce propos que, dans cette nouvelle perspective, l’emboitement des échelles et la conception participative sont appelées à jouer des rôles centraux.

Philippe Madec : la frugalité comme éthique architecturale

Dès sa sortie de l’école d’architecture, en 1970, Philippe Madec s’est demandé comment faire le lien entre ce qu’il avait appris de l’architecture moderniste et son héritage vernaculaire breton. Il a alors eu besoin de distinguer la modernité envisagée comme une « expérience ardente et permanente du monde », du modernisme, qu’il a résumé à « une conception machiniste de l’établissement humain »[6] simplificatrice et uniformisante. Dans cette perspective, le régionalisme pouvait rester une solution envisageable et pertinente. Et sans écarter les avancées modernes, il redevenait possible d’affirmer des formes d’intérêts pour la topographie, le climat, la lumière, etc. Enfin, si l’on accepte de croire que le « développement durable est le nouveau grand récit mondial »[7], il s’agit également de se donner les moyens d’intégrer ses principes à l’architecture, et cela, sans pour autant oublier de valoriser le rôle de l’architecture comme un geste humain qui questionne la relation au cosmos. En évitant de s’en tenir à un strict biomorphisme, quels pourraient alors être les mécanismes de la nature dont il serait effectivement possible de s’inspirer, se questionne encore Philippe Madec.

Il fait alors allusion au concours du Global Award for Sustanable Architecture[8], qui récompense depuis 2006 des projets vertueux ancrés dans leurs territoires, en travaillant également à partir d’un modèle coopératif. Les architecturales frugales qui y sont développées permettent d’amorcer des démarches durables sur les plans économiques, écologiques et sociétaux. Car si la première mission de l’architecture reste bien celle d’apporter des qualités à la « spatialisation des conditions de vie », comme le dit Renzo Piano, cette spatialisation doit alors intégrer à la fois une conception écoresponsable du bâti et de l’usage des matériaux, mais également une attention spécifique à ce qui est déjà là. Dans cette perspective, la prise en compte de la frugalité dans le projet architectural interroge forcément l’enseignement tel qu’il est dispensé aujourd'hui et elle introduit également la nécessité de penser à de nouvelles matières d’enseignement, telle que l’écologie, la podologie, l’hydrologie, etc., ajoute alors Philippe Madec.

En croisant la pensée d’un géographe-philosophe en quête de dépassement de la modernité à travers l’expérience concrète des lieux, d’un historien qui dresse l’inventaire des différentes manières de prendre en compte l’environnement dans le projet architectural, et d’un architecte qui expose de nouvelles manières de pratiquer le projet architectural en incluant les préoccupations environnementales, apparaissent de multiples manières de repenser l’acte de bâtir. Repartant du point de vue humain, comment est-il aujourd'hui possible de construire en intégrant une plus grande attention aux enjeux environnementaux ?

Premiers héritiers de la modernité, les architectes sont aujourd'hui placés face à des dilemmes profonds et permanents, oscillant entre la réparation d’un monde hérité du modernisme[9], tout en ayant la responsabilité d’inventer les termes d’une nouvelle architecture plus frugale, qui « ménage » son environnement. A travers cet ouvrage, Yann Nussaume nous présente alors de manière très conviviale et accessible un chemin habilement conduit pour explorer un certain nombre des réflexions actuelles nécessaires pour formuler de nouvelles propositions.

 

 

[1] Nussaume, 2021, p7.

[2] L’écoumène est défini par Augustin Berque comme l’ensemble des relations de l’humanité à l’étendue terrestre.

[3] Nussaume, 2021, p18.

[4] Rosa Maria Rodriguez Magda, La condition transmoderne, L’harmattan, 2014.

[5]  Extrait de Delirious New York, Parenthèses, en 1978.

[6] Nussaume, 2021, p220-221.

[7] Nussaume, 2021, p236.

[8] Le Global Award for Sustainable Architecture ™, créé en 2006 par l'architecte et chercheur Jana Revedin, en partenariat avec la Cité de l'Architecture & du Patrimoine et les institutions membres de son comité scientifique, distingue chaque année cinq architectes qui partagent les principes du développement durable et d’une approche participative de l’architecture aux besoins des sociétés, au Nord comme au Sud de la planète. https://www.citedelarchitecture.fr/fr/article/global-award-sustainable-architecture

[9] Nussaume, 2021, p308.

Rives Méditerranéennes, n°61, 2ème Recension

Dans le cadre de la rédaction du numéro 61 de la revue Rives Méditerranéennes, Christelle Gramaglia et Matthieu Duperrex ont réuni dix articles relatifs aux enjeux posées par les questions environnementales dans le contexte du golfe de Fos-sur-Mer (13). On se rappelle effectivement le gigantisme de l’opération qui a concerné la construction de la ZIP[1] dans les années soixante, à l’occasion de laquelle deux fois 7.500 hectares ont été soustraits à des zones marécageuses vierges. Sur ce territoire, l’industrie a non seulement transformé les paysages, mais également le fonctionnement intime des lieux jusqu’à les rendre infréquentables par leurs habitants[2].

couverture de la revue rives méditerranéennes numéro 61

Il s’agissait donc dans ce numéro consacré à ce territoire très spécifique de renseigner l’histoire de la construction de la mobilisation environnementale depuis 200 ans. Effectivement, les implantations industrielles sur ce territoire des confins ne datent pas de l’après-guerre mais remontent aux premières industries liées à l’exploitation du sel. Leur présence a dès le départ engendré un rapport de forces permanent, inégal et violent, imposant les impacts des activités aux populations concernées, qui ont développé en retour des modes de mobilisation collectifs, expliquent Xavier Daumalin et Christelle Gramaglia.

Mais si le développement de l’activité pétrolière sur la côte provençale résulte de la conjonction de plusieurs facteurs liés à l’origine de la ressource moyen-orientale du pétrole à partir du début du XXème siècle, puis à l’installation de trois raffineries dès 1928 sur les rives de l’étang-de-Berre, l’attention à la pollution maritime ne date, elle, que d’après-guerre. Elle s’est ensuite formalisée à l’occasion de la convention internationale MARPOL 73/78 du 2 octobre 1983 [3] qui a obligé à déclarer tout rejet en mer provenant d’un navire. Fabien Bartolotti dresse alors une histoire de la politique environnementale conduite par le port de Marseille depuis 1968, à partir du moment où les importations de pétrole ont atteint 85 % du contenu du volume des échanges.

La construction du complexe industrialo-portuaire de Fos a donc effectivement démarré dans les années 1965, et dès 1971, un Secrétariat Permanent pour les Problèmes de Pollutions Industrielles (S3PI) a été créé afin d’assurer un suivi et une police de la pollution locale. Dans le contexte de la loi contre la pollution atmosphérique et les odeurs du 2 août 1961, puis de celle sur la pollution de l’eau du 16 décembre 1964, et enfin de la rédaction des « Cent mesures pour l’environnement », en juin 1970, Xavier Daumalin s’est intéressé aux moyens, aux enjeux et aux pouvoirs de cet organisme circonstancié, inédit et exemplaire, qui s’inscrivait dans une région considérée, « de Marseille jusqu’à la Camargue, comme le test de la politique française de l’environnement »[4].

De son coté, Aurélien Allouche s’est penché sur les mobilisations citoyennes relatives à la réhabilitation écologique de l’étang de Berre entre 1988 et 1992. Elles avaient pour ambition d’arracher l’étang à sa vocation industrielle suivant trois stratégies. La première passait par une reterritorialisation de l’étang afin de renverser la logique de la planification fonctionnaliste portée par l’aménagement étatique. La seconde envisageait un renversement du paradigme économique industriel en le délocalisant au bénéfice du développement d’une économie de proximité. Enfin, dans un troisième temps, le militantisme syndical allait être mis au service des nouvelles perspectives écologiques.

Mais quand un territoire réunit quarante et un sites industriels classés Seveso[5] tout en accueillant plusieurs de dizaines de milliers d’habitants, les lieux de conflits sont multiples. Claire Osadtchy s’est intéressée aux formes et aux termes de ces conflits, ainsi qu’à l’apparition de la notion de « concernement » environnemental. Comment se sont notamment exprimées les implications environnementales dans le contexte de la contestation des deux projets assez récents, d’implantation d’un nouveau méthanier sur la dernière plage publique de Fos (mis en service en avril 2010), ou bien du nouvel incinérateur de l’agglomération de Marseille (mis en service en janvier 2010) ?

Ce sont également les attachements territoriaux persistants qui ont mobilisé Christelle Gramaglia et Emilie Duchêne. Comment l’habitabilité des lieux s’est-elle malgré tout maintenue dans ce contexte d’industrialisation généralisée et de pollution avérée ? Comment les pratiques domestiques ont-elles alors évolué dans leurs relations au danger et au risque ? Et comment les habitants s’accommodent-ils de la pollution en continuant à habiter ces lieux ? On note dans ces contextes très particuliers l’apparition de nouvelles formes de connaissances et de tactiques de vie qui permettent d’organiser un quotidien acceptable.

Par ailleurs, il existe désormais sur ce secteur un « cadastre des maladies environnementales », dont rend compte Marc Andéol, et qui pointe sur Google Maps les micro-milieux ayant été la cause directe d’au moins un cas avéré de maladie grave. Ce cadastre, constitué par onze médecins volontaires, réunit les informations collectées jour après jour, selon une procédure rigoureuse, et informe sur les effets des conditions d’exposition aux substances toxiques connues. Réalisé entre 1994 et 2016, il a permis de construire un répertoire de connaissances relatifs à la nocivité de chaque substance dans des contextes particuliers, mais également de distinguer les maladies professionnelles des maladies générées par le milieu de vie.

Il existe également des zones humides directement connectées à l’étang de Berre qui constituent des zones naturelles endommagées. Située à l’aval d’un bassin versant anthropisé, une contamination diffuse et  récurente de sédiments a été identifiée dans la zone humide de la Palun. Quelles perspectives de résilience du marais sont alors envisageables dans le contexte d’une pollution chronique constatée ? La réalisation d’une zone humide artificielle en amont du marais est un projet qui permettrait sans doute de contribuer à l’épuration des eaux, mais sa mise en œuvre reste complexe dans le contexte de l’intégration des usages et des attentes multiples, et souvent divergents, entre les différents acteurs du territoire. Par ailleurs, quel va être l’état de référence recherché, et pour quelle durabilité ? Carole Barthélémy et ses collègues nous informent ici sur la réparation possible des atteintes environnementales dans le contexte socio-économique contraint de l’étang de Berre.

Enfin, Philippe Chamaret suit, depuis sa création en 2010, l’activité de l’Institut Ecocitoyen (IECP)[6], qui étudie les effets des pollutions sur l’environnement et la santé suivant un principe participatif. Créé à l’occasion de la mobilisation des habitants de Fos-sur-Mer contre le projet d’incinérateur, les quarante structures associatives initialement mobilisées voulaient avoir des informations sur les impacts cumulés des différentes pollutions sur les habitants. Il s’agit bien ici de montrer à quel point ces territoires industrialisés sont vulnérables, mais également de former la population à l’évaluation de la pollution.

Au final, ces dix contributions d’origines disciplinaires diverses construisent un paysage riche et très dynamique de cette portion du territoire terriblement affectée par les impacts environnementaux de l’industrie lourde. L’approche historique nous permet de nous rendre compte des héritages et de la constitution d’une culture liée à ce fonctionnement industriel. Il nous rappelle également les nuisances subies depuis toujours par la population, et les formes renouvelées de lutte contre ses impacts, tout en continuant à vouloir profiter d’un cadre de vie à caractère naturel et satisfaisant. On assiste au récit d’une lutte constante entre des acteurs qui n’ont effectivement pas le même poids et le même droit de parole, et les enquêtes de terrain donnent l’occasion de rendre compte de cette situation déséquilibrée tout en la rendant plus visible et compréhensible aux regards extérieurs. Ainsi apparaît un territoire méconnu, difficile mais inscrit dans un local très puissant et mobilisateur.

[1] ZIP : Zone d’Industrialo-Portuaire, ou encore un espace qui associe des activités portuaires et industrielles au sein d’un système économique et spatial complexe, localisée soit un littoral maritime ou bien sur une voie d'eau intérieure (grands fleuves ou canal à grand gabarit).

[2] A cause de la pollution ou d’interdictions d’accès.

[3]  Son amendement date du 5 décembre 1985.

[4] Disait Jacques Monod en 1971.

[5] Les sites Seveso produisent ou stockent des substances pouvant être dangereuses pour l’homme et l’environnement. Ils sont soumis à une réglementation très encadrée qui vise à identifier et à prévenir les risques d’accident pour en limiter l’impact. Un établissement est classé Seveso en fonction de la quantité maximale de substances dangereuses susceptibles d’être présentes. Ces substances dangereuses sont listées dans la directive Seveso et ont été reprises au niveau national dans la nomenclature des installations classées pour la préservation de l’environnement (ICPE).

[6] http://institut-ecocitoyen.fr/pres.php