Le territoire urbain en Méditerranée

Le séminaire “constitution, recomposition et densification du territoire urbain en Méditerranée” s’est déroulé de 2012 à 2016 en master 2 dans le département Architecture, Villes et Territoires

Ce séminaire entendait explorer les dynamiques urbaines contemporaines en Méditerranée selon deux axes particuliers :

Les deux axes invitaient à saisir le territoire à travers la diversité de ses échelles, du territoire métropolitain aux pratiques du quotidien. Car pour aborder ces questions complexes, il convient de former des architectes capables, par l’analyse et le projet, d’articuler les échelles du territoire, de l’urbain, du paysage et de l’édifié.

Cet article met en lumière les contributions des étudiants de la promotion 2014.

Un double parti pris sous-tend ce séminaire :

Sont présentés ici les textes ayant obtenu plus de 15/20 dans leur intégralité, ainsi que les résumés des autres mémoires produits lors du séminaire. L’équipe enseignante est particulièrement satisfaite du travail de la promotion 2013-2014 et du choix des sujets traités par les étudiants, tous dignes d’intérêt. L’encadrement du séminaire a été assuré par Alexandra Biehler, Stéphane Hanrot, Nadja Monnet, Clément Péqueux;


Modes de constitutions de l’espace public urbain : les pratiques et les formes ( Axe 1).

Alexandra Biehler + Nadja Monnet

Le travail de recherche proposé aux étudiants durant le séminaire répond à un souhait de mieux comprendre la genèse de l’espace public urbain.

Il s’agissait pour les étudiants de mettre à jour d’éventuels processus de constitution d’espace public, en étudiant des espaces urbains, des projets existants, ou en cours de constitution.

Il est en fait question d’appréhender la réalité des modes de vivre en ville selon les concepts de différentes disciplines, notamment la géographie et l’anthropologie, tout en utilisant leur regard et leur expérience d’étudiant en architecture.

Les étudiants (de l’axe 1) ont essentiellement travaillé sur la manière dont l’espace est constitué, composé, établie, perçu, au travers de l’observation et de l’étude des formes et des pratiques pour questionner et débattre de la notion d’espace public.

Caroline Zaruba, dans son mémoire « Ambiance et perception sensible : expérimentation en milieu urbain », a développé ce qu’elle considère comme étant le substrat essentiel de l’espace public urbain : l’ambiance de la rue et les perceptions que peuvent en avoir les citadins. À travers un travail de terrain qui prend en compte autant la morphologie, l’histoire et les témoignages des acteurs des espaces du quartier du Camas, Caroline Zaruba montre que si la singularité de chacune des rues qui composent le quartier est évidente, c’est leur complémentarité qui permet de rendre le quartier identifiable et identifié

Florence Martin, quand à elle, à travers l’étude de l’histoire de trois place du centre ville de Marseille, mais aussi de leur organisation et des usages qu’elles portent, a souhaiter témoigner de la dialectique qui existe entre formes et usages. Elle montre ainsi combien les espaces publics de nos villes sont sensibles aux changements de notre société et en sont en même temps le reflet ; et aussi comment des espaces centraux à priori équivalent quant à leur statut peuvent être différent aux regards des pratiques citadines qui leur sont attachés et des enjeux qui leurs sont liés.

Se posant simultanément la question du statut des galeries marchandes des centres commerciaux, et des caractéristiques d’un espace public “qui fonctionne” – selon ces termes, c’est-à-dire d’un espace vivant, fréquenté, Maxime Molinari pose la question du statut des espaces publics urbains au XXIe siècle. Par le biais d’une approche théorique et d’une analyse de galeries marchande du centre commercial de la Valentine, Maxime Molinari questionne ainsi les critères qui définissent l’espace public et le devenir des centres villes et de leurs espaces publics traditionnels.

C’est également dans un espace public particulier de notre époque et qui s’est fortement développé depuis l’instauration des congés payés sur lequel Karen Le Corroller a décidé de travailler. Inspirées des méthodes développées par Jean – François Augoyard, Jean-Yves Petiteau et Elisabeth Pasquier ainsi que Jean- Paul Thibaud, elle s’est laissé emmener par les pas de cinq Marseillais pour revisiter les plages du Prado. Dans leurs cheminements, elle s’est intéressée à ce qui faisait limites pour ses interlocuteurs, ce qui les contraignaient ou au contraire les encourageaient à déambuler dans cette nouvelle centralité urbaine. Son étude met clairement en évidence que si l’espace public est apparemment ouvert à tous, tout le monde n’y est pas accueilli de la même manière et tous ne se permettent pas de s’y rendre à tout moment, selon leur origines socio-culturelles, leur, âge, sexe ou encore en fonction du jour ou de la nuit.

Quant à Romain Jacquinet, c’est le thème de la sécurisation de l’espace public qui l’a interpellé. Au travers de l’analyse du processus de réhabilitation de la place de la République à Paris, il a cherché à comprendre de quelle manière les dispositifs mis en place pour prévenir des usages non conformes aux attentes influence la sociabilité et les dynamiques de l’espace public. Ses réflexions ne sont pas sans nous rappeler l’étroit lien qu’il y a entre le contrôle des corps et le début de l’illumination des rues qui actuellement est couplée à un balayage constant de caméras de surveillance vidéo.

C’est sur la Rue de la République à Marseille qu’a choisi de travailler Mélanie Fretti pour réfléchir à l’impact de la rénovation urbaine. Revisitant l’histoire de cette artère importante et structurante de la ville, elle s’est attelée ensuite à comprendre le dialogue qui s’établit entre les rez-de-chaussée d’immeubles et la voie publique quand celle-ci est traversée par une voie de tramway.

Fortement marquée par son séjour ERASMUS en Italie, Marine Garand a voulu comprendre le rapport à Marseille des jeunes étudiants, récemment installés dans la ville phocéenne. A la lumière des travaux de Kevin Lynch, elle leur a demandé de lui fournir des cartes mentales des espaces qu’ils fréquentaient assidument. Elle s’est aussi intéressée à l’image qu’ils avaient de la ville avant leur arrivée et à leurs premières impressions en s’installant. En les suivant dans leurs processus d’adaptation à leur nouvel environnement quotidien, elle met en évidence des mécanismes d’apprentissages spécifiques à chacun d’eux mais qu’elle postule de nature bien différente à ceux mis en place par les personnes qui arrivent dans un contexte migratoire moins favorable.

Asya Dimitrova et Aurelio Anthony ont tout deux pris comme cas d’étude, l’ancien quai des Belges du Vieux port de Marseille et son récent réaménagement conçu par Norman Foster et Michel Desvignes. En se penchant très concrètement sur l’ombrière, Asya Dimitrova s’est demandé si cet objet architecturé pouvait se hisser au rang d’œuvre d’art, ce qui l’a incitée à réfléchir au statut de l’art dans l’espace public et l’a amené à comparer l’ombrière de Marseille au Miroir d’eau à Bordeaux. Quant à Aurelio Anthony, son but a été de recenser les usages en vigueur sur ce quai avant et après les travaux et de voir en quoi ils avaient variés ou s’étaient maintenus. En suivant un protocole précis, inspiré de la démarche de Jacques Cosnier, patiemment, heure par heure, jour par jour, il a réalisé une éthologie minutieuse de ce site, accompagnée de recherche documentaires pour saisir les pratiques actuelles et passée de ce qui s’est transformé en une nouvelle place publique (agora ?) de la ville dont le nom (la place de la Fraternité) suggère que les pouvoirs publics marseillais souhaitent (re – ?) créer du lien entre les citadins[1].

Finalement, Julie Freychet s’est penchée sur la question de la représentation cartographique de l’espace public. Utilisant comme point de départ le travail de Giambattista Nolli qui, en 1748, représente la ville de Rome en plan « poché » et fait de la sorte apparaître les porosité de l’espace public, elle initie une réflexion sur la manière de cartographier l’espace public de notre XXIème siècle. Ses interrogations sont alimentées non seulement par des lectures théoriques mais également par une démarche empirique au travers de laquelle, elle met, peu à peu en place un système de représentation graphique qui alimente le débat sur la notion d’espace public et qui permet de mettre en relation des forme, des sens et des dimensions possibles de l’espace. Un travail qui allie donc théorie et pratique et où celles-ci se complémentent et se rétroalimentent sur une tranche de ville concrète : la rue du marché des Capucins, le Cours Julien et la place de Notre Dame du Mont à Marseille.


[1] Et c’est à escient que nous ne parlons pas de citoyens mais de citadins car comme il est désormais trop bien connus, tous les citadins, à savoir un quelconque habitant de la ville, ne jouissent pas forcément des droits (même si souvent ils répondent des mêmes devoirs) que les citoyens.



Éthique et Responsabilité de l’Architecte : Le périurbain, densité/mobilité et relations ville/nature (Axe 2).

Stéphane Hanrot + Clément Pecqueux

Ce séminaire aborde les questions de densification et mobilité et les relations entre ville nature, dans le périurbain, en ce qu’elles interrogent l’éthique et la responsabilité de l’architecte.

Le périurbain – tel qu’il est constitué aujourd’hui de pavillonnaire, de grands ensembles et de pôles commerciaux et industriels – questionne l’architecte dès lors qu’il se préoccupe d’une limitation de l’étalement des villes. Il se questionne sur les relations complexes que la ville entretient avec la nature et l’agriculture. Sur le périurbain qui réduit, parcellise et détruit l’une et l’autre, comme il s’installe tout en les idéalisant et en recherchant leur proximité ; qui privatise les accès informels, les chemins agricoles et forestiers de territoires libres de campagne et de nature. Questions encore sur cet art de vivre “entre soi“, dans sa maison, utilisant quotidiennement sa voiture et profitant exclusivement de son jardin. Un art de vivre qui n’est pas si facile à maintenir aux différents âges de la vie : quand les enfants s’en vont ; quand l’isolement se fait sentir parce que le travail – à cause du chômage ou d’une retraite – n’assure plus le lien social que l’on trouvait au-delà de son voisinage immédiat ; quand l’accès aux services, commerces et activités prend du temps car ceux-ci sont lointains et demande une voiture qui coûte cher. Questions toujours sur les césures entre les lotissements, les résidences et les grands ensembles qui ont tendance à se refermer sur eux-mêmes, rompant les chemins de traverse qui rendaient encore possible la marche à pied et l’usage du vélo.

C’est sur ces différentes préoccupations et à bien d’autres que les étudiants de l’axe 2 ont développé leurs mémoires de séminaire.

Leur posture de recherche mettait en jeu leur éthique et leur responsabilité d’architecte pouvant potentiellement intervenir comme acteur dans le périurbain. Il leur fallait comprendre grâce aux outils de l’architecte sur l’histoire et la morphologie, ses types et ses modèles. Mais dans un territoire constitué et habité, ils se devaient de croiser leurs approches architectoniques avec le point de vue habitant, saisi sur le terrain. Dans un souci de capitalisation des travaux et d’information des décideurs institutionnels, les travaux devaient porter sur le territoire Marseillais. Enfin, les étudiants ont en général repris les thèmes abordés dans ces mémoires à l’occasion de leurs projets de fin d’étude (PFE).

Sont présentés, in-extenso quatre des travaux correctement aboutis. D’autres, encore davantage perfectibles sont présentés par leurs résumés. Ils abordent néanmoins des thèmes essentiels. Citons en particulier le travail de Jehanne Delbé sur l’étanchéité que créent les jardins pavillonnaires envers les flux animaux et humains et les dispositifs architecturaux et paysagers qui pourraient y pallier. Egalement sur les habitats pavillonnaires, le travail de Sophie Fougerat a interrogé les relations socio-spatiales dans les zones d’habitat privé de la Valbarelle à Marseille. Elle s’est attachée à montrer le lien complexe qui s’opère entre les espaces privés de l’entre soi, de la propriété privée et l’espace public de la ville, dont elle a par la même relevé les différents rôles, degrés d’appropriation et valeurs symboliques, au regard des représentations habitantes et de leurs pratiques. Le tout remettant en perspective les ambitions de développement urbain dans ce secteur nécessitant une connexion massive aux infrastructures publiques de la métropole. Citons aussi l’étude que Kewin Tognetti a mené sur les causes du mauvais entretien des espaces publics à Marseille au travers duquel il a confronté le responsable des services concernés de Marseille Provence Métropole (MPM) à un relevé précis des désordres gênants et, de là, construit une comparaison avec le protocole lyonnais de maintenance de ces mêmes espaces. Citons encore le regard que porte Sabrine El Aoufi sur les relations ville/nature au travers d’une comparaison de deux parcs périurbains – la campagne Pastré à Marseille et Perdicari à Tanger, qui met en évidence l’origine des blocages institutionnels qui conduisent à la dégradation de ce dernier. Pour terminer, nous tenons à évoquer le travail de Martin Rabine, qui fort d’un positionnement original, a remis en question les dynamiques de développement des mobilités métropolitaines prochainement à l’œuvre dans la Vallée de l’Huveaune à Marseille, en particulier dans le quartier historique de Saint-Marcel. Posant la question des vertus de l’immobilité, Martin a constitué une analyse des modes de développement de cet ancien village de la campagne marseillaise, tant en termes d’économie que d’organisation sociale et les a remis en perspective face aux besoins actuels de retour à la ville des proximités.

Anansa Gauberti a abordé le thème de l’agriculture urbaine pour investir en profondeur les jardins familiaux, leurs caractéristiques morphologiques, productives et sociales. Elle a essayé de comprendre les raisons de leur distribution dans la périphérie Marseillaise. La combinaison d’un foncier agricole disponible, de l’adduction d’eau par le canal qui irriguait anciennement les bastides et l’implantation des grands ensembles a été déterminante. Elle a, de là, proposé un inventaire des situations opportunes qui pourraient être actualisées.

Camille Desoroux a très précisément investi la question de la résidentialisation des grands ensembles en travaillant sur des projets réalisés et en cours dans les quartiers Nord. Son travail sur le terrain lui a permis de mesurer une certaine efficience de cette doctrine, mais aussi les distorsions entre ce qu’elle positive dans ses annonces et ce qui est ressenti par les habitants dans les faits.

Eloïse Chevrolat et Aymann Musbally ont travaillé de façon complémentaire à la compréhension du fonctionnement sur deux quartiers pavillonnaires de la vallée de l’Huveaune. Aymann s’est attaché à montrer les paradoxes de la mobilité dans le tissu pavillonnaire qui privilégie l’automobile y compris pour les courtes distances, à cause d’un espace piéton dégradé. Quant à Eloïse, sa lecture de ces mêmes quartiers, à l’aune des cités jardins, montre comment les équipements et les espaces publics font défaut dans ces quartiers et quels dispositifs pourraient être mis en œuvre pour y pallier.

En s’appuyant sur ces études, on pourrait ainsi considérer que la discontinuité des traverses – comme les berges du canal de Marseille qui ne sont praticables par les piétons que par endroits alors qu’elles traversent tous les quartiers de la vallée de l’Huveaune – tout comme la fermeture des lotissements et des résidences, rallongent les distances à parcourir pour rejoindre les écoles, les services et les quelques commerces qui persistent. Ce qui pousse les habitants à utiliser leur voiture. L’étroitesse des voies qui résulte de cet urbanisme et la mauvaise qualité des espaces publics réservés aux piétons accentuent ce phénomène. Une fois dans leur voiture, les habitants préfèrent aller faire leurs courses au supermarché ou aller dans un club de sport près du centre commercial plutôt que d’utiliser les ressources de proximité. Condamnant celles-ci à disparaître faute de clientèle. La qualité des espaces publics et des cheminements piétons et cycles, et leurs continuités, seraient bien, comme le relève Jean Häetjens, une des clés de l’abandon de la voiture sur les courtes distances. Mais ce serait aussi la condition pour que la vie sociale se redéveloppe dans ces quartiers autour de services publics et privés vivants. Les conditions d’une “ville passante“, comme la dénomme David Mangin.

En fin de compte, nous tenons à remercier tous ces étudiants pour la qualité de leurs travaux et pour le plaisir qu’ils nous ont donné à les lire.


 

Pratique matricielle du projet

Résumé :

Depuis quelques années, les « collectifs d’architectes » occupent une part non négligeable de l’espace médiatique. Qui sont-ils et que font-ils ? Nous avons ici tenté de répondre. Une recherche se fondant sur des opportunités, pour moi, ce fut d’être co-fondateur en 2009 de l’un de ces groupes, le Collectif Etc. J’en suis depuis l’un de ses principaux animateurs, et toute cette recherche a alors pris appui sur ce groupe.

Dans une première partie de cette thèse, et à partir de ce groupe, nous avons mis en avant l’existence d’un réseau de praticiens, les « collectifs d’architectes », dont l’étude d’un corpus restreint nous a permis d’en donner trois caractéristiques : ce sont des groupes, comprenant majoritairement des architectes, dont l’objectif est de favoriser l’implication citoyenne dans les processus de transformation de la ville. Pour ce faire, ils pratiquent la résidence, l’auto-construction et fabriquent des architectures éphémères.

Notre objet d’étude défini, nous avons formé l’hypothèse que ces groupes développeraient un modèle original de pratique du projet, enrichissant la taxonomie de Jean-Pierre Boutinet, et reposant sur la construction de matrices. Pour cela, nous sommes partis de plusieurs actions menées par le Collectif Etc, pour définir trois matrices successives et que nous avons appelées mythogénique, constructive, et politique. Pour chacune d’elles, une recherche historico-théorique nous a permis d’en former des définitions plus complètes, caractérisant une pratique matricielle du projet. La confrontation de cet idéal-type à l’ensemble des projets du Collectif Etc, puis à des actions menées par les membres de notre corpus restreint de « collectifs d’architectes » nous a permis de confirmer la pertinence de ce modèle, même si la concomitance de ces trois matrices ne se trouve qu’être exceptionnelle, soulevant ainsi les limites des projets réalisés par ces groupes. Toutefois, si ce modèle a été construit sur la base de la pratique de ces groupes particuliers, nous pensons qu’il pourrait se révéler pertinent à l’ensemble des praticiens souhaitant impliquer divers acteurs dans les processus de fabrique de la ville.

 

« Des matrices comme méthode de projet »

 

Depuis quelques années, les « collectifs d’architectes » occupent une part non négligeable de l’espace médiatique. Mais le manque de travaux réflexifs ou théoriques, fondés sur une investigation scientifique, pourrait nous laisser croire que nous assistons là à une nouvelle lubie de jeunes architectes en quête de reconnaissance. Savons-nous même qui sont-ils et ce qu’ils font ? Telles sont les deux principales questions auxquelles nous avons ici tenté de répondre. Une recherche se fondant sur des opportunités, pour moi, ce fut d’être co-fondateur en 2009 de l’un de ces groupes, le Collectif Etc. J’en suis depuis l’un de ses principaux animateurs, et toute cette recherche a alors pris appui sur ce groupe.

Dans une première partie de cette thèse, et à partir de ce groupe, nous avons mis en avant l’existence d’un réseau de praticiens, se connaissant et se reconnaissant sous le vocable de « collectifs d’architectes ». Puis, par l’étude d’un corpus restreint, nous avons identifié trois caractéristiques de la pratique de ces groupes, nous amenant à construire une définition de ce que l’on peut qualifier aujourd’hui de « collectifs d’architectes » : des groupes, comprenant majoritairement des diplômés en architecture, dont l’objectif est de favoriser l’implication citoyenne dans les processus de transformation de la ville, dans le but de créer des situations autogérées. Leurs modalités d’intervention correspondent à la réunion de la pratique de la résidence, de l’usage de l’auto-construction et de la production d’architectures éphémères.

Notre objet d’étude défini, nous avons formé l’hypothèse que ces groupes développeraient un modèle original de pratique du projet, reposant sur la construction de matrices favorisant l’implication de multiples acteurs tout au long du processus du projet. Pour cela, nous sommes partis de l’analyse de plusieurs actions réalisées ces dernières années par le Collectif Etc, nous permettant de définir trois matrices successives et que nous avons appelées mythogénique, constructive, et politique. Pour chacune d’elles, une recherche historico-théorique nous a permis d’en former des définitions plus complètes, caractérisant une pratique matricielle du projet, favorisant l’implication citoyenne. La confrontation de cet idéal-type à l’ensemble des projets du Collectif Etc, puis à des actions menées par les membres de notre corpus restreint de « collectifs d’architectes » nous a permis de confirmer la pertinence de ce modèle, même si la concomitance de ces trois matrices ne se trouve qu’être exceptionnelle, soulevant ainsi les limites des projets réalisés par ces groupes. Toutefois, si ce modèle a été construit sur la base de la pratique de ces groupes particuliers, nous pensons qu’il pourrait se révéler pertinent à l’ensemble des praticiens souhaitant impliquer divers acteurs dans les processus de fabrique de la ville.

 

Cette thèse a été portée par une double ambition : la première a été de donner les caractéristiques d’une pratique émergente du métier d’architecte, en donnant les contours d’une famille de praticiens reconnus sous le vocable de « collectifs d’architectes » ; la seconde a été de proposer un modèle original de pratique du projet, venant étoffer les théories du projet de Jean-Pierre Boutinet et s’appuyant sur la conception de matrices, permettant à tout concepteur d’impliquer de multiples acteurs tout au long du processus de conception.

Cette recherche est partie de deux constats liés, l’un sociétal, l’autre sectoriel. Tout d’abord, la situation de crise généralisée, qu’elle soit politique, écologique, économique ou sociale, laisse apparaître, dans de multiples champs de la vie quotidienne, de nouveaux modes de faire, basés sur un rapport nouveau entre producteurs et consommateurs ou usagers. Le développement de monnaies locales et de la finance solidaire, l’explosion des AMAP pour une agriculture locale, l’invention du community land trust pour la maîtrise foncière, la création de coopératives productrices d’énergie renouvelable pour une alternative au tout-nucléaire, sont autant d’exemples qui laissent à penser qu’une nouvelle époque est en train de s’ouvrir. Partout des alternatives au monde libéral se développent, et tissent des formes nouvelles de coopérations entre les gens, et particulièrement entre les experts et les « habitants ». Dans cette même dynamique, les métiers de la conception spatiale et territoriale tendent aussi à se réinventer : nous serions à nouveau dans un moment participationniste élevé, où des groupes d’architectes, de paysagistes, d’urbanistes, de sociologues ou de designers s’organisent pour expérimenter l’ouverture des processus de conception, et tentent de penser la fabrique de la ville en mobilisant fortement l’idée de maitrise d’usage.

Si cette recherche a tenté de contribuer à cette dynamique collective, elle prend aussi racine dans une opportunité : celle d’être membre fondateur de l’un de ces groupes, le Collectif Etc. C’est en effet en 2009, avec une dizaine de camarades de promotion et alors que nous étions encore étudiants architectes à l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Strasbourg, que nous avons mené nos premières actions collectives. J’en suis depuis l’un de ses animateurs permanents. C’est donc à partir et à travers ce groupe que j’ai mené mon travail de recherche au sein du laboratoire Project[s] de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille (ENSAM). D’abord dans le cadre d’un Master Recherche, soutenu en 2012 sous la direction de Stéphane Hanrot[1], puis par le biais de cette recherche doctorale, à laquelle René Borruey[2] s’est associé en tant que co-directeur.

La posture méthodologique adoptée a alors nécessité d’être clairement définie. Son originalité tient de ma double posture, cette de praticien et celle de chercheur. Et comment étudier la pratique en construction d’un groupe auquel on appartient, au sein d’un mouvement lui aussi en construction ? Mon travail de recherche ayant débuté quasiment en même temps que ma pratique professionnelle, il s’est agi d’une part d’une méthode de recherche empirique, menée au cours de projets réalisés par le Collectif Etc et auxquels j’ai pris part en tant qu’acteur du groupe. La tenue d’un journal de bord personnel commentant les actions en cours, ainsi que les multiples entretiens formels et échanges informels avec les membres du Collectif Etc et mon entourage professionnel, sont autant d’éléments venant compléter mon travail de synthétisation académique mené en parallèle de mon activité d’acteur. D’autre part, il s’est agi d’une méthode de recherche hypothético-déductive, menée en tant qu’apprenti-chercheur, principalement par l’analyse a posteriori d’un certain nombre de projets du Collectif Etc, mais aussi par rapport à des projets réalisés par les membres de notre corpus de « collectifs d’architectes ». Mais alors que la première forme de méthode repose sur des projets à la réalisation desquels j’ai directement participé, celle-ci s’appuie sur un corpus plus large de projets réalisés par le Collectif Etc et par des groupes de notre corpus, et auxquels je n’ai pas forcément pris part.

Ces deux méthodes ont été menées « de front », suivant une alternance de ménagement de temps variable. Mais nous situons surtout notre travail à l’intersection de trois grands types de recherche, nous positionnant en fonction d’où nous regardons : la recherche-action quant au travail mené au sein du Collectif Etc (le moi au sein du groupe), l’observation participante dans mon positionnement vis-à-vis du groupe (le moi par rapport au groupe), et une pratique réflexive quant à ma posture personnelle (le moi par rapport à la pratique). Chacune de ces postures correspond à des « moments » particuliers, passant de l’une à l’autre au cours du temps, s’entremêlant dans une certaine forme de complexité et convoquant des auteurs variés et propres à chacune d’elles.

 

Pour mener ce travail de recherche, nous avons posé successivement deux hypothèses : la première a été qu’il y aurait des caractéristiques de pratiques communes chez ces groupes de praticiens que l’on nomme les « collectifs d’architectes ». Cela confirmerait l’émergence d’un mouvement, non pas issu d’une génération spontanée de groupes isolés mais bien constitutifs d’un réseau actif de praticiens se connaissant et se reconnaissant. La seconde hypothèse a été que ces « collectifs d’architectes », en reposant les conditions d’exercice de leur métier, développeraient une pratique originale du projet, s’appuyant sur l’implication des citoyens tout au long du processus de transformation de la ville. Cette thèse est donc organisée en deux parties, prenant comme point de départ le Collectif Etc, et s’élargissant au fur et à mesure du travail.

 

Dans une première partie, nous avons pris comme point de départ l’expérience du Détour de France du Collectif Etc, voyage initiatique d’une année à travers la France, à douze et à vélo, pour aller à la rencontre de praticiens ayant fait un pas de côté par rapport à une pratique « conventionnelle » du métier de concepteur. Une série d’entretiens semi-directifs nous a permis de mettre en évidence l’existence d’un réseau de praticiens se reconnaissant comme appartenant à un même mouvement, celui des « collectifs » intervenant dans et sur la ville. Ayant émergé il y a une vingtaine d’années pour les plus anciens d’entre eux, trois vagues se sont succédées jusqu’à une explosion du nombre de personnes se déclarant aujourd’hui comme étant un « collectif ». Parmi ceux-là, les « collectifs d’architectes » ont particulièrement su attirer l’attention des institutions, de la presse spécialisée et des milieux académiques, tandis que les contours de leur pratique sont restés flous et rarement approfondis.

 

Afin d’en saisir ses caractéristiques, nous sommes à nouveau partis du Collectif Etc et nous avons construit, par l’étude de différents canaux, un corpus d’acteurs à plusieurs niveaux : tout d’abord les structures ayant le plus d’affinité avec Collectif Etc, d’après les acteurs eux-mêmes mais aussi d’après les regards extérieurs portés ; un deuxième niveau avec les structures ayant des liens plus occasionnels avec le groupe ; un troisième cercle de groupes proches, contenant des architectes, mais non français mais donc plus à valeur indicative car relevant de contextes culturels et politiques différents.
L’étude approfondie des membres du premier cercle de ce corpus nous a permis de mettre en avant qu’ils ont pour objectif partagé de favoriser l’implication citoyenne tout au long du processus de projet dans le but de fabriquer des situations d’autogestion. En outre, nous avons relevé l’existence de trois caractéristiques propres aux « collectifs d’architectes » :

 

Nous avons alors pu donner la définition suivante, fondant notre corpus de référence : un « collectif d’architectes » est un groupe d’individus composé d’au minimum un architecte, dont l’objectif est de favoriser l’implication citoyenne dans les processus de transformation du cadre de vie dans le but de créer des situations autogérées. Ses modalités d’intervention correspondent à la réunion de trois caractéristiques : la pratique de la résidence, l’usage de l’auto-construction et la production d’architectures éphémères.

 

Dans une seconde partie, nous avons commencé par explorer la notion de « projet », dont les sources et définitions sont nombreuses. Mais c’est principalement sur les travaux de Jean-Pierre Boutinet que nous nous sommes concentrés. En confrontant ses théories à la pratique des membres de notre corpus de « collectifs d’architectes » observée en première partie, nous avons mis en évidence l’existence de trois types de projets, menés simultanément par ces groupes, et identifiés d’après la taxonomie que cet auteur développe : le projet d’événement, le projet architectural et le projet de société. Notre hypothèse étant que ces « collectifs d’architectes » pensent le projet d’une manière originale, nous avons proposé le terme de « pratique matricielle » pour rendre compte de l’objectif recherché : ensemble de règles permettant dans un espace et un moment donné, de mettre en mouvement différents acteurs du projet, dans le but de faire émerger ou d’engendrer un objet commun. Cette idée de matrice ayant dû être définie précisément, nous en avons donné trois caractéristiques génériques mais propres aux « collectifs d’architectes » :

Puis un rapprochement avec les trois types de projets nous a permis d’étoffer notre hypothèse de pratique en nous faisant dire que ces « collectifs d’architectes » travailleraient précisément à la réalisation de trois matrices complémentaires : une matrice mythogénique, une matrice constructive, et une matrice politique.

Pour chacune de ces trois matrices, nous avons procédé de la même manière : tout abord, nous avons exploré quelques-uns des projets du Collectif Etc réalisés au cours de ces dernières années et pour lesquels j’ai été l’un des principaux contributeurs. Ces rétro-analyses nous ont permis de poser une première définition de ce à quoi pourrait renvoyer chacune de ces trois matrices. Puis, pour étoffer ces définitions, nous avons mené des recherches bibliographiques et historiques explorant des champs d’études variés. Chacune de ces trois matrices renvoie alors à des champs disciplinaires multiples, nous permettant d’aboutir à ces définitions précises :

 

 

 

Ces trois matrices correspondraient alors à un idéal-type de pratique du projet. Or il a été construit à partir d’un corpus restreint de projets du Collectif Etc. Il nous alors fallu procéder à rebours, et confronter d’abord ce modèle théorique à l’ensemble des projets du Collectifs Etc, puis à un ensemble de projets de notre corpus de références. Nous avons alors extrait des critères constitutifs de ces matrices qui nous ont permis d’évaluer de manière qualitative cet ensemble de projets, en graduant le niveau de présence de chacune de ses composantes principales suivant leur ordre d’importance. Ce faisant, nous avons pu valider notre hypothèse initiale que ce mouvement de praticiens propose effectivement une pratique originale du projet, que nous appelons matricielle, elle-même basée sur la construction de trois matrices distinctes, dites mythogénique, constructive et politique, et dont la finalité est d’ouvrir les processus de production de la ville à l’ensemble des citoyens.

 

Ce travail de recherche nous a donc permis de construire un modèle de pratique du projet se voulant être le reflet d’une manière de faire d’une nouvelle génération d’architectes appelée les « collectifs d’architectes ». Nous avons là un idéal-type théorique. Si ce modèle peut se révéler être représentatif de la façon dont ces groupes pensent et mènent leur métier d’architecte, nous n’en trouvons que partiellement son application à travers leurs projets pris séparément. C’est toutefois normal, ce modèle ayant été construit a posteriori des projets réalisés, et n’a donc pu leur servir de cadre référentiel de leur pratique du projet. Malgré cela, nous avons pu voir que la concomitance de l’application de ces trois matrices, même inconsciente, permet le développement des projets les plus intéressants, au vu de l’autonomisation des habitants dans la prise en main de leur cadre de vie.

L’objectif de ce modèle n’est pas d’enfermer les pratiques diverses et variées de ces groupes dans une forme de standardisation de leurs modes de faire. Sans vouloir enlever la part de spontanéité nécessaire à toute dynamique de groupe, il peut toutefois fournir un canevas conceptuel à des pratiques intuitives. S’il se veut d’abord être un modèle opératoire, il se propose surtout d’être un modèle critique et réflexif à destination des praticiens, et nous espérons qu’il puisse servir de base de réflexion à la pratique plus générale de la conception architecturale, urbaine et paysagère.

[1] Stéphane Hanrot, Architecte DPLG, Dr, HDR, Professeur TPCAU, ENSA•Marseille.

[2] René Borruey Architecte DPLG, Dr, HDR, Professeur TPCAU, ENSA•Marseille.

Archipel

Mise en abyme [Je]

J’habite l’appartement du septième étage. La baie vitrée qui s’étend sur la longueur de mon salon propose un cadre singulier sur la ville. Au pied de ce tableau vivant, l’eau de la Meuse se répand de manière uniforme entre de larges murs de soutènement. La surface de l’eau renvoie l’image du ciel, à l’exception ponctuelle du franchissement du pont Kennedy et de la passerelle Saucy. Dans le plan immédiatement supérieur, le quai Paul Van Hoeagaerden reprend les contours du fleuve pour assurer le passage d’un autre fluide, celui du trafic routier. Les bus, les voitures, les camions, se suivent en un flot continu, sans se toucher. Au centre de la composition, un objet circulaire. Les véhicules le contournent en une danse aux courbes gracieuses qui pointent dans des directions multiples. A la convergence de ces lignes, un vinyle poussiéreux, une île déserte à la végétation hésitante, une pizza à la garniture parsemée : un terre-plein central. Ainsi, la fluidité du trafic automobile serait assurée par cet obstacle. Inaccessible. Infranchissable. Décontextualisé de tout continuum spatial. Une tache aux abords impossibles à connecter à tout espoir de ville. Un rond-point.
Le front collé contre la vitre froide je me questionne sur le statut de cet espace. Nous avons donc accordé tant d’importance aux voitures dans nos villes que nous acceptons de tourner sans fin autour de ces no man’s land? Il est évident que ces infrastructures sont une réponse fonctionnelle à la volonté de réguler le trafic, en plaçant l’automobile au centre des choix d’aménagements urbains. J’entrevois un sujet complexe, qui ne peut se limiter à un constat réducteur.

 

L’espace de représentation symbolique [Je]

Je repense à mes escapades routières sur un territoire que je connais bien, autour de ma ville natale qu’est Saint-Étienne. Quelques pièces ont particulièrement retenu mon attention. Je pense au rond-point sur la D10 à l’entrée Est de Roche-la-Molière et à sa réplique démesurée de lampe à huile au centre de toutes les attentions. Je pense au carrefour giratoire sur la rue Jean Rostand à la rencontre des communes de La Talaudière, Sorbiers et Saint-Jean Bonnefonds, qui met en scène des rails et des wagonnets qui s’engouffrent vers une peinture en trompe-l’œil à l’entrée d’une galerie. Je pense enfin à Unieux à hauteur du pont du Pertuiset où les routes convergent autour d’une roue en métal portée par deux appuis maçonnés. Ceux-ci sont ornementés d’une illustration qui met en scène la roue dans un bâtiment industriel. Ces différents exemples ont pour point commun d’évoquer l’imaginaire collectif du passé industriel et houiller du territoire stéphanois, en usant de signes et de symboles.
Ainsi, les îlots centraux des carrefours giratoires peuvent constituer des espaces de représentation symbolique du pittoresque ou de spécificités locales, visibles gratuitement depuis l’espace public, ponctuant le parcours des automobilistes. Il s’agit de vitrines hors de tout contexte spatial mais qui renvoient à une imagerie du territoire que l’on parcourt. Nous pourrions ainsi soumettre des lectures d’une région à partir de ces thématiques. Il émerge de ces installations un registre que nous pourrions nommer l’art giratoire qui vacille entre la sculpture et le land art dans une poétique qui lui est propre. Celui-ci n’est pas systématiquement lié à son territoire puisqu’il peut se contenter de mettre en scène un geste sculptural complètement gratuit.
La posture de cette forme d’art demeure toutefois discutable; et ne s’applique pas non plus à l’ensemble des giratoires, certains se contentant de mettre en scène de simples rondelles de croûte terrestre. Il est alors nécessaire d’élargir le propos.

 

L’espace des possibles? [Nous]

La France en 2016 est parsemée d’un archipel de plus de trente-mille carrefours giratoires, situés en majeure partie dans les zones péri-urbaines. Environ cinq-cent nouvelles îles émergent chaque année1. Nous pouvons d’une part nous questionner sur le coût lié à l’aménagement et à l’entretien des rond-points.
D’autre part, cette infrastructure routière à l’emprise large et génératrice d’espaces enclavés mobilise une réflexion sur la maîtrise de l’étalement urbain.
Ainsi, nous pouvons réfléchir sur la pertinence d’envisager cet espace comme un foncier disponible, une typologie cadastrale singulière à laquelle il conviendrait de proposer des réponses architecturales. Pouvons nous imaginer des fonctions susceptibles de s’intégrer sur ces parcelles circulaires enclavées, polluées par un flux continu ?
Avant d’entamer toute réflexion, il convient d’appuyer que les carrefours giratoires sont de natures très variées, qu’il s’agisse du diamètre, du contexte immédiat, qu’ils soient simples ou doubles, les propositions potentielles devant intégrer ces différents paramètres.
Intéressons nous au Grand Prix d’architecture de l’Académie des beaux-arts qui distingue des étudiants et des jeunes architectes de moins de trente-cinq ans. Il portait en 2011 sur le logement étudiant et a lors distingué un projet qui fait écho à notre sujet.
Intégrant l’augmentation globale du nombre d’étudiants en France, le prix de l’immobilier à Paris et anticipant l’extension du campus de Saclay, Simon Moisière alors étudiant à l’ENSA de Versailles propose l’implantation d’une résidence étudiante sur un giratoire de quatre-vingt mètres de diamètre. Le plan est circulaire, les façades sont à distance de la route et les logements s’ouvrent sur un patio au centre de la composition pour se mettre à distance de la voirie.2
Le projet est séduisant mais nous devons rester critiques. D’une part, il s’agit d’une esquisse et il est difficile d’anticiper à l’usage la viabilité d’une telle configuration. D’autre part, cette situation est particulièrement rendue possible par ses caractéristiques propres (rond point très large, coûts de l’immobilier à Paris) et ne semble pas applicable de manière élargie.
La mise en place de formes architecturales adaptées aux rond-points peut se fonder sur une ambition profonde de réinvestir ces non-lieux tout en maîtrisant l’étalement urbain. Néanmoins, cette éventualité ne parvient pas à estomper des doutes quant à son potentiel d’urbanité.

 

Postures [Nous]

Tandis que la morphologie du rond-point trouve une origine dans la géométrie des jardins à la française du XVIIe siècle sous l’égide d’architectes tels que André Le Nôtre, sa perversion actuelle en infrastructure routière nous met face à des problématiques symptomatiques de notre époque. Devons-nous continuer à développer des équipements routiers à l’heure où nous nous questionnons sur nos moyens de mobilité? Réfléchir à les reconvertir en anticipant une diminution de l’usage de la voiture? Se réjouir de l’esthétique des mises en scènes pittoresques et chercher de nouvelles thématiques? Travailler à leur investissement en tant qu’espaces pavillonnaires d’exposition d’art en plein air? Estimer ces résidus parcellaires comme un potentiel foncier et imaginer les formes urbaines qui permettront de limiter l’étalement urbain?
Le rond point est un espace sans fin. Il se prend pour le nombril du monde, ramenant tout à lui, bien qu’il renvoie à tout ce qui l’entoure.

1 La France, terre de ronds-points, Sylvie BOMMEL, 12 Août 2013, leparisien.fr
2 Chambres étudiantes avec vue sur un rond-point, Anne-Marie FÈVRE, 14 décembre 2011, libération.fr

Les territoires et l'autoroute

Résumé

Lorsqu’on emprunte l’autoroute au quotidien, les milieux urbains ou périurbains traversés par l’infrastructure sont en pleine mutation. Depuis la réalisation des autoroutes dans les années 1950-1960 le territoire tout autour a beaucoup évolué mais l’infrastructure, au contraire, est restée quasiment la même dans les formes et les conditions d’usage définies par son statut technique.
Cette contradiction nous mène à nous questionner sur la nature des relations qui définissent les frottements entre autoroutes et aires métropolitaines traversées. Quelles figures morphologiques, modes de gouvernance et pratiques caractérisent aujourd’hui les « territoires de l’autoroute » ? Quelles sont les critères qui pourraient orienter les processus de transformations de l’infrastructure et des milieux traversés ? Ces questions s’avèrent aujourd’hui cruciales dans le contexte du nouveau cadre de gouvernance métropolitaine défini par la loi NOTRe (2015). D’autant plus que la loi ALUR (2014) préconise la densification de la ville sur la ville notamment autour des infrastructures existantes.

 

We need not accept, but we must understand the powerful patterns that shape the city today
Moshe Safdie

L’autoroute est définie par la loi française comme une infrastructure technique, dédiée à la circulation des véhicules motorisés[1]. Pourtant, elle peut prendre différentes formes : les freeways, par exemple, sont des autoroutes surélevées, libérant le sol et se détachant des tissus urbains [BANHAM, 1971]. Les parkway, comme celles réalisées par Frederick Law Olmstead à New York, associent la circulation au projet de paysage et valorisent la perception des séquences paysagères par l’automobiliste [GEIDION, 1954]. De même, des voies rapides telles que les Rondas de Barcelone, sont un exemple de l’intégration possible de l’espace public dans le projet de l’infrastructure [MIALET-FOUQUE, 2001]. Cependant, ces différentes figures morphologiques font l’objet d’un seul statut normatif d’autoroute, figé par l’urbanisme réglementaire. Ce statut diffère de celui de la voirie publique sur trois points. Premièrement, l’accès est exclusivement réservé aux véhicules motorisés. Par ailleurs, l’autoroute ne croise pas les autres réseaux de circulation, les entrées correspondant aux échangeurs dénivelés sont aménagées à ce titre. Enfin, les parcelles limitrophes n’y ont pas accès. L’autoroute est ainsi uniquement destinée à la fonction de transit. De par ses caractéristiques, séparer les flux motorisés des autres et, par conséquent, la priver des fonctions d’accueil et de desserte, elle représente une figure de route publique tout à fait autonome. A ce propos, le géographe Henri Cavaillès remarque notamment son « indifférence à la répartition des lieux habités et aux intérêts des régions situées entre son point de départ et son point d’arrivée »[2]. De plus, la gestion du réseau dépend de l’autorité de l’Etat et des sociétés concessionnaires, qui n’ont pas les compétences pour en maîtriser les impacts sur les tissus locaux[3].

En France, les autoroutes urbaines ou périurbaines réalisées entre les années 1955 et 1985 (années dites « glorieuses ») ont été planifiées à proximité des centres habités majeurs. Parfois l’autoroute pénétrait jusque dans les centres villes, illustrant le slogan du président Pompidou « adapter la ville à l’automobile ». De manière générale, ces infrastructures n’ont pas changé dans leurs formes ni dans leurs conditions d’usages et de gouvernance jusqu’à présent. En revanche, les territoires limitrophes ont évolué vers un agrégat hétérogène de banlieues résidentielles, tissus pavillonnaires, entrées de ville commerciales ou productives. Par conséquent, les dégâts causés par l’implantation des autoroutes en milieu urbain et périurbain interrogent les professionnels de l’urbain. En effet, l’usage et l’exploitation des voies rapides favorisent l’éclatement des périphéries [WIEL, 2005] et la diffusion de l’urbanisme commercial [GARCEZ, MANGIN, 2014]. De même, les autoroutes constituent des éléments peu flexibles en milieu urbain, qui contribuent au morcèlement des périphéries et à l’organisation de la ville en secteurs fermés [HERAN, 2011].

 

Les autoroutes métropolitaines existantes, quel devenir ?

Les rapports que l’infrastructure entretient avec le territoire montrent que la doctrine portée par l’Etat considère les autoroutes comme des éléments devant principalement répondre à des exigences fonctionnelles de performance pour les déplacements. Les contraintes techniques telles que la vitesse, les rayons de courbure, les bandes de bruit et les échangeurs, ne permettent pas d’entrevoir d’autres fonctions que celle de la mobilité rapide. Ainsi, l’application de la norme se décline, indifférente aux milieux traversés, qu’ils soient ruraux ou urbanisés, et aux spécificités locales des territoires. En regard de ces éléments, nous pouvons constater une fracture, un décalage entre l’infrastructure et les territoires traversés. D’un côté, l’aménagement des quartiers habités semble se faire selon une attitude défensive, visant à se protéger de la pollution, des nuisances sonores, visuelles et paysagères. Les murs antibruit ou les aménagements des voies en souterrain, par exemple, témoignent de cette approche. Ces agencements renforcent d’autant plus l’image d’une infrastructure qui gêne les riverains et qui nuit aux usages de proximité. D’un autre côté, les tissus tertiaires, notamment les bureaux ou les commerces, montrent à l’automobiliste leurs décors publicitaires, négligeant les rapports aux qualités spatiales, écologiques et paysagères du contexte. Les abords de la voirie, dont l’aménagement est laissé à l’initiative libre, parlent à l’automobiliste selon une stratégie commerciale de visibilité. Comment l’autoroute, à l’origine élément urbain considéré comme « négatif », pourrait-elle prendre place dans les réflexions sur le renouvellement urbain ? Quelles perspectives y aurait-il alors pour les autoroutes existantes ?

Ces questions se posent aujourd’hui de façon cruciale sur les territoires métropolitains par la mise en place de la loi NOTRe[4]. D’autant que la loi ALUR (2014) envisage la densification de la ville sur la ville et autour des infrastructures existantes[5]. Elle devrait ainsi conduire à l’évolution rapide des territoires environnant les autoroutes interurbaines. Dans ce cadre, la métropole Aix Marseille Provence est très probablement exemplaire de cette situation. Cette «Métropole Autoroutière»[6] est effectivement traversée par environ 350 kilomètres d’autoroutes. Majoritairement géré par les pouvoirs publics, le réseau est confronté à des situations urbaines et périurbaines problématiques, notamment au niveau des entrées de ville, de son rapport au grand paysage et à l’urbanisme commercial et productif. La réorganisation de la mobilité constitue d’ailleurs l’une des réflexions majeures portées par le projet métropolitain, la considérant même comme un levier d’action[7]. En effet, la Mission Interministérielle pour le projet métropolitain préconise, dans le livre blanc des transports, l’intégration des raccords autoroutiers dans un système multimodal de la mobilité (TER, parc relais, transports en communs)[8].

 

L’autoroute est-elle partout la même ?

Dans le cadre général de densification qui se profile dans le territoire périurbain sous l’impulsion de la loi ALUR, nous considérerons ici l’hypothèse que, pour envisager la mutation positive de l’autoroute, il faudrait avant tout comprendre les relations qu’elle entretient avec les territoires limitrophes, ainsi que les contraintes techniques et sécuritaires qui leur sont liées.

Nous porterons ici l’idée que, en dépit d’un seul statut technique-règlementaire, l’autoroute serait à l’origine de situations différentes en fonction du contexte, déterminant à la fois l’organisation de l’espace et les usages des territoires traversés. Il conviendrait ainsi de confronter les différentes figures morphologiques et les usages relevés aux évolutions probables de l’infrastructure et des territoires traversés, dans les nouvelles conditions de la gouvernance métropolitaine. Dans ce cadre, les interfaces avec la voirie locale, la participation au réseau multimodal des transports, le potentiel d’intensification urbaine des abords, l’intégration des transports en commun sur l’autoroute[9] et les gares autoroutières assurant la fonction de parc relais[10] constitueraient autant de facteurs de mutation positive des autoroutes. Dès lors, les autoroutes, en intégrant des systèmes multimodaux de mobilité et en constituant un support de production d’énergies renouvelables et de diffusion de diversité écologique, pourraient paradoxalement contribuer à la réussite des enjeux environnementaux de la « ville durable ».

 

Méthode et premiers résultats :

Pour tester nos hypothèses, nous avons expérimenté plusieurs outils de lecture du territoire de la Métropole Aix-Marseille-Provence. Nous avons notamment analysé les représentations des autoroutes A7 et A51 qu’ont les usagers, les riverains et les acteurs engagés dans la transformation de ces territoires. Nous avons organisé cette analyse en deux moments, selon deux itinéraires. Dans un premier temps, il s’agissait d’appréhender les territoires par l’infrastructure. Pour cela, nous avons emprunté l’autoroute en voiture ou en bus, étudiant le paysage que l’on apercevait en vitesse. Dans un deuxième temps, nous avons inversé la démarche : appréhender l’infrastructure par les territoires. Nous avons alors longé les abords de l’autoroute, explorant ces territoires par la marche. Ces deux analyses se basent sur une approche phénoménologique, visant à comprendre l’histoire, les formes et les usages des territoires de l’autoroute.

 

L’appréhension des territoires par l’infrastructure

Nous avons tout d’abord expérimenté une méthode d’appréhension des territoires par l’infrastructure, basée sur l’analyse du paysage perçu en mouvement. Pour construire cette méthode, nous avons recueilli et examiné les représentations de l’autoroute A7 entre Marseille et Aix-en-Provence données par les usagers qui l’empruntent au quotidien. Nous avons ainsi révélé la perception d’une polyphonie d’acteurs : les automobilistes habituels ou occasionnels, les usagers des cars et les professionnels de l’aménagement de l’espace – architectes, paysagistes, urbanistes, ingénieurs. Ainsi, nous avons demandé aux acteurs interviewés d’exprimer un jugement qualitatif portant sur des catégories simples : il s’agissait de classer les éléments considérés « de bonne qualité » et « de mauvaise qualité». Sur cette base, nous avons construit une grille de critères qualitatifs répertoriant les éléments du territoire perçus comme « valorisants » ou « perturbateurs ». Les critères pressentis relèvent par exemple de la dégradation des éléments du paysage de proximité, de la qualité architecturale d’un ouvrage d’art, de la possibilité d’une vue sur le paysage lointain ou de la surabondance du langage publicitaire.

Pour saisir ces représentations qualitatives de l’autoroute, nous nous sommes appuyés sur trois outils de recherche que nous avons testés dans l’ordre ici présenté. Le premier a été le parcours commenté[12]. En accompagnant les usagers le long de leurs itinéraires en automobile ou en bus, nous avons enregistré et retranscrit leurs commentaires sur le paysage perçu. L’intérêt du parcours commenté était ainsi de donner l’occasion à l’acteur de s’exprimer sur le territoire tel qu’il l’interprète. Le deuxième outil que nous avons testé, a été la simulation de l’itinéraire autoroutier grâce à un support photographique. L’acteur est ainsi projeté dans un parcours virtuel simulé par une succession de photos et il est sollicité pour exprimer un jugement qualitatif sur l’image. Les photographies, ne prétendant pas se substituer à l’expérience de l’immersion dans le paysage, ont plutôt eu l’intérêt de guider les commentaires sur des détails précis. Les images ont effectivement permis l’observation de certains objets qui échappaient à la perception en vitesse. Enfin, nous avons conduit des entretiens directifs avec des usagers de l’autoroute le long de l’itinéraire. Ces questionnaires ont été également centrés sur la qualité du paysage autoroutier, portant sur des thématiques que les parcours commentés avaient déjà fait ressortir (transitions paysagères, ouvrages d’art, bords d’autoroute, éléments remarquables, valeur symbolique de l’infrastructure, etc.).

Cette analyse nous a ainsi permis de constater que, contrairement aux idées reçues, l’autoroute n’est pas « toujours la même ». Les éléments du grand paysage métropolitain sont souvent mis en scène par l’infrastructure et constituent des marqueurs identitaires pour les usagers. Les cars offrent d’ailleurs un point de vue privilégié, révélant à la fois un paysage spectaculaire au voyageur qui découvre le territoire et montrant aux habitués un paysage riche de détails, qui se transforme au fil des saisons. Cependant, la persistance de ces séquences paysagères semble aujourd’hui menacée par la consommation du sol et par l’expansion des zones tertiaires, pavillonnaires et commerciales le long de l’autoroute. De même, la multiplication des dispositifs techniques de sécurité et de protection des nuisances banalisent et ferment la perception en mouvement. Comme en témoignent les entretiens menés avec les acteurs chargés de la gestion de l’infrastructure, de l’aménagement du territoire et de l’organisation de la mobilité, ceux-ci ne semblent pas inclure la qualité paysagère et architecturale de l’autoroute parmi leurs objectifs.

 

L’ appréhension de l’infrastructure par les territoires

Dans un deuxième temps, nous nous sommes interrogés sur la manière dont le territoire est marqué par le voisinage de l’infrastructure. L’objectif était de comprendre les effets de l’autoroute sur l’espace et sur les usages des milieux limitrophes. Pour cela, nous avons parcouru à pied les contextes traversés par les autoroutes A7 et A51 entre Marseille et Aix-en- Provence faisant le relevé des différentes figures morphologiques et des usages du territoire. Tout d’abord, nous avons construit un inventaire des formes urbaines rencontrées et nous les avons représentées par des dessins en plan, en perspective et en coupe, ainsi que par une série de photographies. Ce travail nous a notamment permis de repérer les principales typologies d’espaces, bâtis et publics, les dispositifs de séparation de l’infrastructure et les connexions aux réseaux secondaires. Sur la base des photos et des cartes historiques nous avons aussi retracé l’évolution des territoires après la réalisation des autoroutes. Enfin, nous avons recueilli les représentations des milieux habités le long de l’autoroute des habitants et des usagers de ces territoires, demandant aux acteurs interrogés d’exprimer un jugement qualitatif sur les rapports des espaces à l’infrastructure. Pour cela, nous nous sommes servis des entretiens directifs et semi-directifs, complétant l’analyse par des observations in situ.

Ce travail nous a permis de constater une série des contradictions qui animent ces territoires. L’autoroute est désormais perçue par les riverains comme par les acteurs chargés de l’aménagement du territoire comme « négative », du fait des nuisances esthétiques et environnementales qu’elle génère dans les contextes traversés. Pourtant, elle constitue encore un atout pour l’économie et pour le cadre de vie de ces milieux, au regard des facilités d’approvisionnement des biens, de la visibilité et de l’accessibilité à la vente, ainsi que pour la mobilité de ses habitants, notamment en raison de la faiblesse des transports publics en dehors du centre-ville. La ville « adaptée » à l’automobile est donc loin d’appartenir au passé, comme en témoignent les orientations politiques continuant à encourager la réalisation des infrastructures routières aux marges de la ville. L’imminente ouverture du contournement autoroutier de Marseille (L2) en est un exemple. Cependant, il y a une prise de conscience. Les récentes démolitions en centre-ville et la multiplication des dispositifs de protection montrent que l’autoroute, d’un point de vue culturel, n’appartient plus à la contemporanéité. Elle est en décalage avec les objectifs politiques et esthétiques de notre société urbaine, ce qui remet en question son statut et sa fonction.

 

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LOI n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire

Circulaire n°96-21 du 11/03/1996, relative à la prise en compte de l’environnement et du paysage dans les projets routiers.

LOI no 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, couramment appelée loi SRU ou loi Gayssot

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LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ou loi Grenelle II portant engagement national pour l’environnement.

Rapport Mobilité 21, “pour un schéma national de mobilité durable“, remis le 27 Juin 2013 par le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, http://www.developpement-durable.gouv.fr/.

LOI n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles dit loi MAPAM

LOI n° 2014-366 du 24 mars 2014 dit loi ALUR pour l’accès au logement et un urbanisme rénové

 

Références

[1] LOI n° 55-435 du 18 avril 1955 portant sur le statut des autoroutes.

[2] CAVAILLES H., 1935, Histoire de la route française,. Etude de géographie humaine, Paris, Armand Colin.

[3] L’étude du statut des autoroutes et de son évolution possible dans les processus de métropolisation a fait l’objet de notre TPE-R (Travail Personnel Etudiant mention recherche).

[4] Projet de loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République http://www.legifrance.gouv.fr/

[5] LOI n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, http://www.legifrance.gouv.fr/

[6] Vers une croissance plus inclusive de la Métropole Aix-Marseille, Rapport de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), 2012

[7] DELPIROU, A., « Les transports, ressort et levier de la construction métropolitaine ? Une approche comparée Paris – Lyon – Marseille », dans Métropolitiques, 24 septembre 2014. URL : http://www.metropolitiques.eu/Les-transports-ressort-et-levier.html.

[8] Mobilité(s), Le livre blanc des transports métropolitains Aix-Marseille-Provence, Décembre 2014, ouvrage édité par la Mission interministérielle pour le projet métropolitain Aix-Marseille-Provence.

[9] C’est le cas des Cartreize mis en place par le Conseil Général des Bouches du Rhône et des lignes de bus sur l’A48 à Grenoble.

[10] La gare autoroutière de Briis-sous-Forges au Sud-ouest de Paris, constitue le premier exemple en France.

[11] BRES A., 2015, Figures discrètes de l’urbain, Genève, MetisPresses, p.16.

[12] La méthode des parcours commentés, parfois également dénommée méthode des trajets-voyageurs commentés [Levy, 2001] ou encore méthode des itinéraires [Petiteau, Pasquier, 2001] se donne pour ambition d’analyser l’acte de traverser l’espace urbain tel qu’il est « en train de se faire » afin de recueillir « le point de vue de voyageur en marche ». GROSJEAN M., THIBAUD J.P., (dir.), 2001, L’espace urbain en méthodes, éd. Parenthèses, Marseille

[13] Marie Baduel et Vincent Fouchier (Mission Interministérielle Métropole A-M-P), Frédéric Roustan et Vincent Tinet (Agence d’urbanisme de l’Agglomération Marseillaise -AgAM), Frédérique Reffet et Gregoire de Saint-Romain (DREAL-PACA)

Dessiner les limites de la grande ville

Au début du XXe siècle, Paris demeure assurément la grande référence en matière d’Art urbain, tant pour la qualité de son réseau d’espaces publics que pour l’excellence du savoir-faire que prodigue la section architecture de son École des Beaux-Arts (Lortie, 1995). Pour autant, la suite se joue déjà ailleurs. En effet, alors que la capitale française peine à s’affranchir de sa dernière enceinte, la plupart des grandes villes du monde industrialisé s’inquiètent d’intégrer des périphéries dont la croissance interroge leur propre centralité. Le plus souvent dans le cadre de consultations internationales, elles envisagent leur avenir sur des territoires de plus en plus vastes, dans le cadre de programmes de plus en plus complexes. Et si la culture classique française continue à s’exporter, son interprétation, sur d’autres terrains, à d’autres échelles, s’accompagne de la reconnaissance d’autres approches, comme celle de la cité-jardin, d’autres références, comme celle du park system, et d’autres savoir-faire, comme celui développé de longue date par les concepteurs et les techniciens allemands. En prélude et en écho à ces moments de synthèse que constituent les manifestations organisées à Berlin et à Londres, toute une génération de concours, d’expositions et de congrès, relayée par des publications, témoigne, au-delà d’un panorama de situations singulières, de la genèse d’une pensée « urbaniste », qui se spécialise et s’internationalise, interrogeant l’identité générique de la grande ville moderne, ses modes de production et de gouvernance, mais aussi le devenir de ses limites dans un cadre territorial. Pour explorer les apports en la matière d’un mouvement foisonnant, nous partirons de trois thèmes majeurs associés à leurs terrains de référence, la grande composition, qui défend le principe d’une vision unitaire de la ville notamment dans le cadre des concours, le concept de cité-jardin, qui se veut une alternative radicale à l’expansion continue de la métropole londonienne, et l’idée même de la grande ville, qui devient une ambition allemande et berlinoise.

 

De Barcelone à Canberra via Chicago : la grande composition à l’épreuve du territoire

 

Telle une marque de fabrique, la grande composition semble intimement liée à la formation délivrée par l’École des Beaux-Arts de Paris et plus particulièrement au concours du Grand Prix de Rome dont les lauréats sont rompus à cette approche du projet, unitaire et hiérarchisée, alimentée par un grand répertoire[1]. Cette méthode parait infaillible pour aborder les terrains et les programmes les plus complexes, parmi lesquels s’impose alors la figure de la grande ville. Que ce soit sous la forme de concours ou de commandes directes, les premières années du XXe siècle voit se multiplier des programmes visant aussi bien la définition même de cette grande ville, la fondation de villes nouvelles que la recomposition de capitales existantes. Parmi les situations investies par les tenants de la grande composition, trois les ont plus particulièrement obligés à se poser la question des limites. Signe des temps, après s’être imposée « naturellement » à Barcelone et à Chicago, l’école parisienne s‘incline en terra incognita, à Canberra.

 

Barcelone : composer avec la trame de Cerda et le grand paysage

En 1903, Barcelone lance un concours international pour la conception d’un plan d’aménagement visant à articuler les communes limitrophes à sa propre extension, l’ensanche conçue 50 ans plus tôt par lldefonso Cerda. À l’origine de cette consultation, l’annexion en 1897 de six de ces communes alors en pleine croissance démographique et économique. Forte désormais de près de 8 000 hectares et de plus de 500 000 habitants, la plus grande ville industrielle d’Espagne rejoint Paris, en terme de surface, et Madrid, en terme de population Ce réajustement territorial s’accompagne de l’arrivée au pouvoir d’une élite réformiste et régionaliste dans les rangs de laquelle l’architecte Puig y Gadafalch, farouche détracteur de l’ensanche, milite pour une recomposition de la capitale catalane dans l’esprit du Paris haussmannien (Gondouin, 2004). Le seul envoi qui réponde pleinement à ces attentes révèle en 1905 un jeune architecte français d’origine toulousaine, récent Grand Prix de Rome et pensionnaire de la villa Médicis, Léon Jaussely[2]. La mise au point particulièrement fouillée que ce dernier finalise en 1907 après un court séjour sur place est également l’occasion d’un ambitieux mémoire (Jaussely, 1907). Si le nouveau maître des lieux y reconnaît la force et l’efficacité de la grille de Cerda, il en critique l’uniformité qu’il propose de réformer en s’appuyant tout à la fois sur le milieu et de multiples références où se mêle aussi bien l’expérience allemande, à laquelle il emprunte le principe du zoning, que sa propre culture, parisienne, illustrée par le recours à des logiques radioconcentriques, ou catalane. De manière significative, le texte, rédigé en espagnol, utilise la terminologie locale ; ici pas de boulevards ou de radiales donc, mais des paseos et des diagonales que l’on retrouve au sein d’une armature viaire, le squelette, dont la complexité requiert un regard informé[3].

Dans l’écheveau viaire que met en scène le rendu du concours, un premier regard identifie d’emblée l’épicentre monumental de la composition, à savoir la place des gloires Catalanes dont l’étoile systématise la croisée des deux diagonales originelles[4]. S’impose également la volonté d’encadrer et de hiérarchiser la grille de l’ensanche, à partir de la gestion des flux, par une trame première plus large. En revanche, la compréhension des tracés qui articulent ces deux systèmes élémentaires suppose d’entrer plus avant dans le projet dont deux schémas livrent les clefs[5]. L’un concerne un modèle théorique global, et l’autre, les seules grandes voies de circulation. Le premier illustre une ville moderne étagée dans la pente, entre mer et montagne, avec en première ligne la ville de l’industrie et celle du commerce, et en second rang celle des habitations, le tout inscrit dans une grille recoupée, en son centre, par deux diagonales majeures, et sur les côtés, par des diagonales mineures qualifiées de circonvallation[6]. Le second met en scène les deux diagonales majeures et l’ensemble des voies susceptibles de participer à un contournement, en soulignant le parcours dans ce réseau primaire d’une circonvallacio industriale qui dessert les zones industrielles dont le port. Dans l’un comme dans l’autre, il n’y a donc pas de voie ayant pour seule fonction d’assurer le contournement de la ville. De ce point de vue, le paseo del ronda, qui relie les communes annexées au pied des reliefs du massif de la Collserola peut être considéré aussi bien comme une traverse intermédiaire, parallèle à la Gran via, que comme le fragment d’un boulevard de ceinture. Par ailleurs, dans sa mise au point du rendu du concours[7], Jaussely développe en profondeur le principe de ces voies parallèles, en investissant graduellement le massif avec un paseo rural surmonté d’un paseo mediano et d’un paseo alto qui desservent successivement une zona rural et les premières pentes boisées. Ainsi, la proposition de Jaussely peut-elle se lire comme une réinterprétation globale de l’ensanche qui vise à déconstruire l’hétérotopie de la grille originelle pour créer un nouveau maillage mieux articulé avec le cadre naturel de la nouvelle agglomération.

Chicago : transcender une trame territoriale

De l’autre côté de l’Atlantique, tout commence avec la rencontre de Daniel Burnham et de Frederick Law Olmsted autour de la préparation de l’exposition colombienne de 1893 (Roche, 2009). Ces deux grands interprètes de l’héritage haussmannien inventent de concert une ville analogue, la ville blanche, dont le paysage et les tracés font rêver l’élite réformiste américaine. De Washington à Cleveland, une série de projets d’embellissement dessine un City beautiful movement qui permet à Burnham de faire ses classes en tant que city maker. Dans le même temps, à Chicago, il défend le principe d’un parc linéaire longeant les rives du Lac Michigan auprès d’une association d’entrepreneurs et d’hommes d’affaires, laquelle le relance bientôt pour élargir cette vision à l’ensemble d’une ville au bord du chaos. Capitale économique des Etats-Unis, Chicago est alors en passe d’atteindre les 2 millions d’habitants dans le cadre d’une croissance qui lui en promet plus de dix, dans les décennies à venir. Six terminaux de chemin de fer, un port et une multitude d’usines et d’entrepôts y génèrent des problèmes de flux, de pollution et de cohabitation sociale qui, devenus incontrôlables, menacent la prospérité de la ville. Si l’hyper densité du centre y appelle le déploiement d’une ville verticale, l’ampleur du développement attendu conduit à la prise en compte d’un territoire le plus large possible. Par ailleurs, l’origine privée du projet lui impose une forme d’efficacité démonstrative immédiate (Castex, 2010). Pour répondre à ces multiples enjeux, le plan de Chicago élaboré sous la direction de Burnham entre 1906 et 1909, met en avant un schéma radioconcentrique élémentaire dont la déclinaison spatiale s’appuie en premier lieu sur le modèle parisien, une valeur sûre en termes de références et de savoir-faire que réactualise à point nommé les Études sur les transformations de Paris d’Eugène Hénard (Draper, 1987)[8].

Si les célèbres aquarelles de Jules Guérin désignent incontestablement l’aménagement des rives du Lac Michigan comme la pièce maîtresse du projet, la place du nouveau capitole y apparaît tout aussi clairement comme le point focal d’une composition centralisatrice d’échelle métropolitaine. Ce parti fondateur se développe en étoile dans un rayon d’environ 100 kilomètres, maillé par deux séries de voies concentriques recomposées, quatre grandes routes de ceinture à l’échelle territoriale, et quatre contournements à l’échelle urbaine. Entre ces deux séries s’impose une figure singulière, dite du grand circuit[9] ; partiellement circulaire, d’environ 5 kilomètres de rayon et d’une quarantaine pour son périmètre, elle délimite la partie la plus urbanisée de l’agglomération et joue le double rôle de contournement et de ceinture verte. Son tracé englobant permet d’articuler l’ensemble des voies radiales partant du centre, tandis que sa largeur, d’environ 120 mètres, permet d’y développer des espaces de « respiration » qui font le lien entre trois nouveaux parcs. Mais, ce grand parkway périphérique entend également incarner l’esprit de ces boulevards de ceinture propres aux villes européennes, que l’absence de fortifications semblait interdire à Chicago. Cette dimension symbolique est d’autant plus forte qu’à l’intérieur de cette figure, le dessin des autres contournements projetés repose sur l’ouverture d’une trentaine de diagonales à négocier avec une trame orthogonale fortement urbanisée. Au de là de cette nouvelle limite, le rapport insiste sur l’accompagnement végétal des grandes routes qui participent à l’accessibilité de forêts à protéger et à la structuration de campagnes à équiper. Étonnamment absent de la série des aquarelles de Guérin, le grand circuit est revanche au centre de la tout aussi remarquable série de cartes gigognes qui pose la question du cadre métropolitain. À la croisée du schéma et de la trame, de la ville dense et de la ville territoire, de la ville fluide et de la ville sociale rêvée par Burnham[10], le grand circuit apparaît ainsi comme une grande figure identitaire du plan de Chicago.

Canberra, du territoire au paysage

Aux antipodes de Barcelone et de Chicago, la future capitale de l’Australie semble également relever d’une tout autre ambition. La rivalité qui oppose Sydney à Melbourne au moment de l’indépendance en 1900 a en effet décidé d’emblée de la création d’une ville nouvelle dans le cadre d’une enclave territoriale inspirée par celle de Washington (Vernon, 2012). Situé au sud est de l’Australie à l’écart de l’océan, l’emplacement choisi en 1908 dans la vallée du Molonglo, symbolise l’identité pastorale revendiquée par le nouvel état, sous la forme d’un système collinaire mis en scène par une série de points hauts. Ce paysage devient l’argument premier d’un programme de concours qui engage les concurrents à en préserver le pittoresque, voire à l’accentuer par la mise en œuvre d’un plan d’eau[11]. La tenue de la Town planning conference (TPC) de Londres va permettre à l’architecte John Sulman, futur membre du jury, de défendre cette ambition paysagère et sa propre vision de la future capitale (Sulman, 1911). Entre autres recommandations, il écarte notamment la forme du boulevard qu’il juge inadaptée au mode de vie australien, mais aussi et surtout le principe des trames orthogonales auquel il oppose les mérites des tracés radioconcentriques, plus favorables à la circulation, jusqu’à proposer le dessin d’un noyau urbain rayonnant fondé sur une base octogonale. Publié dans les actes de la TPC, ce dessin va inspirer plus d’un des concurrents de cette compétition essentiellement anglo-saxonne, à commencer par les surprenants lauréats, Walter et Marion Griffin (Van Zanten, 1987). Leur réussite nous ramène de manière inattendue à la scène américaine et à Chicago même, mais cette fois du côté d’une autre vision du territoire, à l’opposé du monde parisien, celle de la Prairie School et de Frank Lloyd Wright dont ils furent les collaborateurs.

Le succès des Griffin repose en effet avant tout sur une prise de site remarquable qui superpose trois partis différents : une croisée majeure, entre la rivière et un axe monumental perpendiculaire dédié aux principaux équipements, une ossature d’axes, composée de deux faisceaux convergents vers les points hauts surplombant le site, et un réseau de huit noyaux urbains, basés sur une libre interprétation du modèle proposé par Sulman, traité ici comme un module de base. La synthèse donne l’image d’une ville polynucléaire, triangulée à la manière d’une structure cristalline, inscrite dans le grand paysage de la vallée, ancrée dans le site par une série de plans d’eau, et lovée entre ses multiples microreliefs par le jeu de nombreuses variations de trame. La cohérence formelle vient d’un effet de système et non d’une forme englobante : point de boulevard circulaire ou d’infrastructure périphérique, mais un traitement des limites qui opère une transition très graphique entre les tracés géométriques de la trame multidirectionnelle des différents noyaux, et ceux plus organiques reliant la frange de leurs tissus à la nature environnante. Pour autant, le projet ne renonce pas à la régularité d’une trame orthogonale qui reste dominante, jusqu’à éviter tout îlot triangulaire[12], pas plus qu’à la hiérarchisation des fonctions urbaines entre centre et périphérie, comme en témoigne, dans une première évolution du projet, la distinction opérée entre un triptyque central associant équipements et commerces, d’une série de noyaux satellites dédiés à l’habitat, à l’industrie ou plus étonnamment à l’agriculture. Quels qu’en soient les revers, ce parti novateur déqualifie alors la quasi-totalité des réponses des autres concurrents empêtrés dans une hiérarchisation classique, comme si le savoir-faire parisien, qui était parvenu à s’exprimer avec succès à Barcelone et à Chicago, avait trouvé, dans ce cadre et ce programme d’un tout autre monde, ses propres limites.

 

Autour de Londres : entre ville et campagne, la cité-jardin en catalyseur

 

En 1909, à l’heure de l’adoption du Town Planning Act (TPA) qui vise à donner aux villes anglaises les moyens de maîtriser leur extension à l’image des villes allemandes, le développement de Londres n’a toujours pas fait l’objet d’une véritable réflexion d’ensemble comme Barcelone, Chicago Vienne ou Berlin. Relancée un siècle plus tôt par la première vague d’urbanisation engendrée par une Révolution industrielle précoce, la croissance de la plus grande ville du monde semble alors devenue un processus incontrôlable. Ce sentiment d’impuissance n’est pas étranger à l’émergence du concept de cité jardin : cette vision refondatrice de la ville n’incarne t-elle pas le principe même d’une croissance urbaine maîtrisée ? Imaginée de manière radicale par Ebenezer Howard dès 1898, sur la base d’un projet social coopératif, ce nouvel idéal urbain acquiert rapidement une dimension universelle (Girard, 1996). Cependant l’interprétation qu’en propose Raymond Unwin à partir de 1904, dans le cadre d’une scène anglaise tiraillée entre ville et campagne, n’échappe pas longtemps à la question plus générale de l’extension des villes existantes et du traitement de leurs limites avec l’émergence du TPA. En témoigne, aussi bien Town planning in practice… [13], publié la même année, que les actes de la TPC (TPC, 1911), organisée par le RIBA, dans lesquels deux interventions esquissent les contours d’un Greater London en termes de boulevard périphérique et de villes nouvelles.

 

Howard, et le système de la cité-jardin

Garden cities of tomorow, la deuxième édition du texte de Howard, comporte 5 diagrammes ou figures schématiques dont trois formalisent le projet de la cité-jardin à différentes échelles[14]. En dépit de la célèbre formule qui les accompagne, A diagram only. Plan must depend upon site selected, ces figures font davantage qu’illustrer la pensée de Howard, elles révèlent, au delà des dispositifs spatiaux d’une cité-jardin type, toute la dimension territoriale de son projet. Cette échelle apparaît vers la fin de l’ouvrage, après que l’auteur ait précisé qu’une fois atteint le seuil des 32 000 habitants, il conviendrait d’établir à faible distance « une autre ville » sur les mêmes bases, jusqu’à constituer un groupe de villes hiérarchisé. En complément de ces propos, le cinquième diagramme esquisse un ensemble de six cités-jardins gravitant autour d’une cité centrale de 58 000 habitants selon un schéma rayonnant maillé par des grandes routes et des voies ferrées. Au travers de cet ultime diagramme Howard ouvre la porte à une véritable recolonisation de la campagne anglaise par un réseau de villes nouvelles à croissance limitée[15]. Mais il ne s’agit pas là d’une simple mise en perspective comme en témoigne le troisième diagramme qui dès le premier chapitre installe la cité-jardin de base au centre d’un territoire de forme annulaire qui correspond au schéma rayonnant décrit par le cinquième diagramme. Cette mise en système par duplication doit être considérée comme un principe de base qui participe du contrôle de la croissance et de la densité d’une cité-jardin type, au même titre que son organisation telle que la décrivent plus précisément le troisième et le quatrième diagramme.

À l’échelle d’une unité de base du système, le troisième diagramme met en scène la cité-jardin comme une ville circulaire composée de plusieurs anneaux, entourée d’une couronne rurale à dominante agricole, et desservie tout à la fois par une étoile routière à six branches qui définit son centre, et une boucle ferrée qui la ceinture au plus près. Ce premier schéma est précisé par le quatrième diagramme qui détaille un des six secteurs découpés par l’étoile routière. L’élément majeur prend la forme d’une voie circulaire de près de 100 mètres de large qui peut se lire comme un parkway desservant une ville linéaire annulaire, avec au centre de cet anneau une galerie commerciale encerclant un parc regroupant les principaux équipements institutionnels, et à sa périphérie, une couronne d’établissements industriels ainsi qu’une ceinture maraîchère desservies par une double boucle de voies ferrées. Howard prend ainsi le contrepied de la composition de la plupart des villes européennes contemporaines en instaurant au centre de son prototype un vide paysagé en guise de lieu dédié aux échanges, et à sa périphérie une zone productive qui joue le rôle d’une véritable enceinte. L’inversion se lit également dans la dénomination des voies puisque les voies circulaires prennent le nom d’avenue et les voies radiales, celui de boulevard. Si l’argument majeur de Howard demeure le principe d’une maîtrise foncière collective, sa conception spatiale de la cité-jardin entend manifestement renforcer ce principe par l’aménagement d’une coupure radicale entre ville et campagne qui appelle de nouvelles références.

 

Unwin, garden city et Town planning in practice….

Le modèle de ville nouvelle promu par Howard ne pouvait manquer d’interpeler les tenants du mouvement Arts and Crafts, et tout particulièrement des maîtres d’œuvres comme Barry Parker et Raymond Unwin qui travaillent alors ensemble depuis plusieurs années au développement d’un l’habitat individuel accessible à la classe ouvrière anglaise[16]. À Letchworth, l’emprise urbanisable est déployée entre deux routes existantes reliant les bourgs voisins pour former un parallélépipède d’environ 500 hectares qui offre la particularité d’être coupé en deux par la voie ferrée Londres Cambridge. La gare s’impose ainsi d’emblée comme le point central d’une composition d’ensemble qui s’appuie sur deux axes parallèles dont l’un relie les deux rives de la voie ferrée et découpe la future ville en secteurs, tandis que l’autre commande son centre installé dans le secteur sud sur la base d’un tracé rayonnant, étonnamment inspiré du plan de Christopher Wren pour la reconstruction de Londres. La plupart des ingrédients de la cité jardin sont là, mais décalés, redistribués ou reformatés à l’aune du site. Le premier plan daté de 1904 suggère même l’idée d’une voie périphérique qui unifierait et délimiterait le tout face à la ceinture agricole. Elle disparaît cependant des premiers états des lieux réalisés à partir de 1906, qui voient le centre monumental délaissé au profit des alignements de l’axe de liaison, puis de toute une série de variations sur le thème du close. À l’heure des premières visites, Letchworth devient ainsi le laboratoire d’un urbanisme dédié à la maison individuelle dans la continuité des expérimentations menées en premier lieu à New Earswirck et à Hampstead, délivrant au passage une nouvelle vision de la limite.

Au delà de l’actualité du TPA, Town planning in practice… rend compte d’une expérience qui s’est ouverte par nécessité aux transformations des villes en général. Refusant tout dogmatisme, Unwin y défend le double préalable de l’enquête et de l’analyse in situ pour justifier une approche thématique de la problématique du plan qu’il ouvre justement par la question des limites[17]. S’interrogeant sur la possibilité même de limiter l’extension d’une ville, il souligne néanmoins l’intérêt qu’il y aurait d’aménager de larges bandes séparatives de parcs, de terrains de jeux, ou même de terrains de culture, en un mot, des ceintures d’espaces libres, entre les différentes composantes d’une ville, jusqu’à créer […] une ligne jusqu’à laquelle la ville et la campagne pourraient chacune de son côté s’étendre et s’arrêter nettement. Si de manière prémonitoire, il voit dans ces espaces libres une réserve pour la faune et la flore, il estime cependant que, dans les villes modernes, les routes sont moins importantes comme moyens d’accès que les voies ferrées, voyant encore dans les gares, les nouvelles portes de la cité. S’il fait une brève allusion aux larges boulevards, avenues et ceintures de promenades, nés du déclassement d’enceintes intérieures, le mot boulevard et ses synonymes européens sont totalement absents du reste de l’ouvrage. Par ailleurs, force est de constater qu’Unwin passe rapidement sur la question des flux routiers, rapidement réduite à une affaire de radiales et de carrefours inspirée par les travaux de Hénard.

 

Retour sur Londres, à la TPC

Chez Howard comme chez Unwin, la situation londonienne n’est jamais très loin, mais sans jamais être abordée de front. S’il revient dessus dans l’ultime chapitre d son ouvrage, Howard peine à dessiner un avenir à sa ville natale dont il espère la décroissance. Loin d’extrapoler son cinquième diagramme à l’échelle d’un Greater London, il se borne à signaler qu’il faudra tout reprendre, tout reconstruire[18]. De son côté, Town Planning in practice… prend rarement Londres en exemple, et Unwin ne semble pas encore envisager la création de villes nouvelles comme une solution pour maîtriser la croissance londonienne. C’est d’ailleurs Hampstead qu’il présente et qu’il fait visiter à l’occasion de la TPC, constatant au passage que Letchworth se trouve à ses yeux dans une périphérie trop lointaine, sans en dire davantage[19]. S’il est alors question de l’avenir de Londres, ce n’est donc pas le fait des principaux tenants de la cité jardin, mais d’acteurs moins connus, directement impliqués dans la gestion de la capitale anglaise, à l’image d’Arthur Crow[20], District Surveyor de Whitechapel, voire d’inconnus comme George Pepler[21].

Les interventions de Crow et Pepler partagent une même dénonciation des conditions de circulation dans l’agglomération londonienne et la même conviction que ce problème doit être résolu dans le cadre d’un territoire élargi en l’occurrence à un rayon de plus de 20 kilomètres du centre de Londres. Pour sa part, Crow envisage une double action d’aménagement et d’extension avec le percement d’une dizaine de radiales de plus de 30 mètres de large, et la création, à une vingtaine de kilomètres du centre, d’une couronne d’une dizaine de villes nouvelles qualifiées de city of health. Le schéma n’est pas sans rappeler le cinquième diagramme de Howard, à ceci près que ces villes, reliées au centre par des trains rapides accueilleraient jusqu’à 500 000 habitants sur 10 000 hectares, contre 32 000 sur 400 pour le modèle howardien. Pepler quant à lui dénonce la quasi-inexistence de ring roads, et reprend à son compte un projet de grand boulevard de ceinture proposé quelques mois plus tôt dans Architectural Review[22]. Située, elle aussi, à une vingtaine de kilomètres du centre de Londres, au sein d’une couronne agricole épargnée par l’urbanisation, cette infrastructure d’une centaine de mètres de large, longée par des parcs et des zones de nature, juxtapose plusieurs modes de transports. Aux yeux de Pepler, elle permettait de détourner du centre de Londres un trafic de transit en pleine croissance, tout en desservant aussi bien des usines et des faubourgs-jardins que des lieux de commerce. Une perspective que salue sur le champ un représentant de l’association des cités-jardins qui voit là l’occasion d’accélérer le déménagement des lieux de production du centre de Londres vers sa périphérie[23]. Ainsi, l’idée de cité-jardin participe t-elle dès ce moment à l’élaboration d’une nouvelle vision des franges londoniennes dans le cadre d’une vision d’un Greater London directement alimenté par l’expérience du Groß Berlin citée à plusieurs reprises.

 

 

De Vienne à Berlin : à la recherche de la Großstadt

 

Alors que Howard avait puisé une part de ses idées dans le creuset américain des années 1870, vingt ans plus tard, Unwin et les promoteurs du TPA se sont tournés spontanément vers l’Allemagne qui s’impose alors comme la référence en matière d’extension urbaine. Il est vrai qu’aux textes de loi et aux manuels, aux essais et aux débats de la première heure, sont venus s’ajouter des concours et une exposition, une revue dédiée et un enseignement spécialisé, mais aussi, et surtout, des dizaines de réalisations (Dethier, 1994). Fort de cet incontestable savoir-faire, ses principaux protagonistes ambitionnent désormais d’investir Berlin et de faire de la capitale allemande le modèle de la grande ville moderne. Un concours international est envisagé dès 1905, puis une exposition dont la conception est confiée à un jeune économiste féru d’architecture, Werner Hegemann. Ses séjours aux États-Unis vont confirmer l’émergence de nouveaux liens entre les expériences européennes et la vision américaine. Cependant, si la deuxième édition de l’exposition à Düsseldorf fin 1911 s’ouvre sur le plan de Chicago, un an plus tôt, à Berlin même, c’était une grande maquette de Vienne[24] qui servait d’introduction aux résultats du concours, comme un hommage à la capitale voisine qui dès 1893 avait la première posée la question de la Großstadt et de ses limites au travers d’un concours remporté conjointement par Joseph Stübben et Otto Wagner.

L’antécédent de Vienne

En 1892, Vienne entreprend d’annexer une vaste banlieue industrielle très dispersée qu’elle a contribué à créer par le rejet de plus en plus lointain de ses activités les plus polluantes. L’opération triple sa surface qui avoisine désormais les 180 kilomètres-carrés, mais n’augmente que de moitié sa population qui atteint désormais 1,3 millions d’habitants. Un concours est lancé dès l’année suivante pour l’établissement d’un plan régulateur dont les objectifs sont des plus ambitieux puisqu’il s’agit pour les concurrents aussi bien d’articuler les différentes composantes de la nouvelle agglomération, d’intégrer le projet d’un réseau ferroviaire de transport urbain, d’établir une réglementation pour les constructions nouvelles, que d’envisager la préservation de la forêt voisine. En un mot, il s’agit de dégager une vision d’ensemble de ce vaste territoire. La consultation, qui reste une affaire germanique, consacre parmi une quinzaine de réponses, deux interprétations différentes d’un même parti radioconcentrique[25].

Tandis que Stübben répond sans surprise aux recommandations paysagères de l’argumentaire du concours, directement inspirées par Camillo Sitte, Wagner s’en démarque volontairement pour affirmer un point de vue opposé, réinterprétant le carroyage des lotissements caractérisant la périphérie viennoise, en se référant explicitement à la géométrie des paysages urbains parisiens[26]. À ses yeux, le grand avantage que possède Vienne sur d’autres capitales européennes est d’avoir transformé à temps sa deuxième couronne fortifiée en une voie de ceinture. Il propose pour sa part de constituer, au delà de cette limite héritée, deux nouvelles voies du même type qu’il calibre à 80 mètres de large. Il ajoute même dans son mémoire même que la ville devrait mettre à l’étude une nouvelle couronne de ce genre tous les 50 ans[27].

Wagner reviendra sur cette expérience à l’occasion d’une conférence donnée à New York en 1910[28] dont le texte et les illustrations témoignent de la radicalisation de sa vision de la Großstadt[29]. Fidèle au schéma radioconcentrique, il imagine dans un rayon de 14 kilomètres un large maillage de voies radiales et circulaires, dites cette fois voies zonales, qui distribue, à la manière de grandes plaques urbaines, des arrondissements de 100 000 à 150 000 habitants basés sur un damier d’îlots ponctué de placettes et d’axes monumentaux commandant de grands équipements. Imaginant cette grande ville illimitée, par essence, il se déclare hostile à la constitution de toute barrière, de tout « boulevard périphérique », de toute ceinture, agricole ou forestière. Il s’oppose ainsi clairement au projet de ceinture verte proposée par l’un de ses concurrents malheureux lors du concours, l’architecte viennois Eugen Fassbender[30], sous la forme d’une couronne de 750 mètres de large située en lisière de la forêt viennoise. Cependant l’idée a ses partisans de longue date, et en 1905, Vienne se signale à nouveau en adoptant la première en Europe, la mise en place d’une ceinture verte encore qui associe la protection de la forêt située au Nord-Ouest de Vienne et d’une zone agricole limitrophe de 6 000 ha (Lohrberg, 2001).

Berlin, l’émergence du concours et de l’exposition

Tout comme Vienne, Berlin se trouve confrontée à une périphérie industrielle en plein développement. Mais avec bientôt 2 millions d’habitants au début des années 1900 elle devient alors la ville la plus densément peuplée d’Europe sans pour autant afficher le visage d’une grande capitale, alors même que le savoir-faire allemand en matière d’extension urbaine s’affirme sur la scène internationale. Pour résoudre cette anomalie, les deux principales associations allemandes rassemblant architectes et ingénieurs unissent leurs efforts pour convaincre les autorités berlinoises de lancer un concours en vue de jeter les bases d’un Grand Berlin et donc de réfléchir à la forme et aux limites de la capitale (Bodenschatz, 2010, Jacquand 2013). Initiée en 1905, leur action se concrétise dès 1907 par la publication d’un manifeste qui aborde le programme de la Großstadt en termes de démographie et d’économie, de réseaux de transport, mais aussi de formes urbaines. Dans un passage consacré aux trames vertes, Theodor Goecke, le rédacteur en chef de la revue Der Städtebau, cite en exemple la toute récente ceinture verte de Vienne[31] ainsi que les systèmes de parcs américains, et notamment celui de Boston dont la découverte va enthousiasmer Hegemann l’année suivante[32]. Sur le terrain, le lancement en 1908 d’un concours pour une cité-jardin à Frohnau[33], à une quinzaine de kilomètres au Nord du centre de Berlin, témoigne à son tour tout à la fois de l’ampleur du territoire concerné et de l’élargissement des références qui accompagne les préparatifs de la consultation engagée.

De fait, à l’image du plan de Chicago, l’ambition s’avère immense puisque le périmètre envisagé se déploie entre 25 et 30 kilomètres autour de la ville centre sur près de 2 000 kilomètres-carrés. Une nouvelle cartographie détaillée se révèle nécessaire, et ce d’autant plus que le programme du concours sollicite des concurrents une réflexion à de multiples échelles, de celle du territoire pour l’amélioration des réseaux de transports, à celle du quartier pour la conception de projets urbains, au centre comme en périphérie, et plus particulièrement d’opérations d’habitat déclinant de nouvelles typologies. L’élaboration de ce fond de plan calé au 1/10 000e retarde d’un an le lancement du concours qui est rendu en décembre 1909. D’une trentaine de réponses, essentiellement d’origine germanique, le jury va retenir quatre projets, à commencer par les deux premiers classés ex æquo, celui de Hermann Jansen qui a contribué à établir le fond de plan du concours, et celui de Joseph Brix et Félix Genzmer[34] associés à une compagnie de chemin de fer, suivis par celui de l’équipe composé par l’économiste Rudolf Eberstadt, l’architecte Bruno Mörhing et l’ingénieur Richard Petersen, et par celui de l’architecte Bruno Schmitz associé au bureau d’études Havestag et Contag[35]. Derrière la question première des réseaux, alimentée par cette présence nouvelle des ingénieurs au sein même des équipes, c’est le rapport à la nature de cette ville territoriale qui s’impose dans les débats.

Les résultats du concours

À l’exposition, de spectaculaires vues à vol d’oiseau signés par l’architecte Bruno Schmitz captent dans un premier temps l’attention des visiteurs en leur offrant au travers d’une série d’espaces publics centraux une vision monumentale de la grande ville que certains commentateurs jugent d’emblée démesurée[36]. Mais au bout du compte, ce sont deux modestes schémas, produits par l’équipe Eberstatd, Mörhing, Petersen, qui condensent le mieux tous les apports de cette consultation. Sur la base d’une figure annulaire, ce trio oppose à une vision traditionnelle de la croissance des villes, par limites et couronnes successives, la vision d’une croissance urbaine radioconcentrique portée par des radiales. Articulées à des voies de transports rapides, ces radiales prennent la forme de coulées vertes qui pénètrent jusqu’au cœur de la ville et fragmentent l’extension urbaine en secteurs. L’argumentaire déployé dans le mémoire (Eberstadt, 2010) s’appuie tout à la fois sur l’observation d’évolutions générales comme le développement des banlieues autour des lignes de chemin de fer, mais aussi sur l’analyse d’exemples singuliers comme la ville balnéaire de Wiesbaden. Cependant, c’est Jansen, l’un des deux lauréats, qui livre sans doute l’interprétation la plus explicite et la plus complète de cette mise en tension entre ces relations centre-périphérie, et les logiques de croissance et de contournement (Borsi, 2015)[37].

Dans un contexte qui donne encore la priorité au réseau ferré, Jansen se borne à doubler l’étoile routière existante par des lignes de tramways, en revanche, il se distingue en proposant la création à une douzaine de kilomètres du centre d’un second chemin de fer de ceinture pour articuler entre elles les lignes radiales, mais aussi les banlieues les plus éloignées et donc les plus dispersées. Cette ultime ceinture se situe au delà de la principale originalité du projet que constitue la formation de deux ceintures vertes, forestières et agricoles, d’une largeur variant de moins de 100 mètres à près de 2 kilomètres, situées à respectivement à 6/7 et à 10/12 kilomètres du centre. Cependant, Jansen ne se limite pas à ce dispositif annulaire. Il le relie au cœur de la ville par de multiples ramifications interstitielles qu’il détaille au 1/10 000e sur les entrées Sud et Nord, et plus encore dans les deux projets de quartiers d’habitation qu’il donne pour le secteur de Tempelhof et la commune périphérique de Radow. La trame ainsi déclinée sert de fil conducteur et de lien entre deux échantillons d’un gradient de situation et de densité du centre vers la périphérie. À un ensemble collectif dense situé en frange du centre, Jansen oppose ainsi un ensemble mixte de moyenne densité, situé en troisième couronne à proximité de la ceinture verte extérieure, qui peut se lire comme une cité-jardin satellitaire d’une Großstadt aux contours fragmentés.

 

À l’issue de ce panorama sélectif qui balaye une décennie de réflexions théoriques et de projets, mais aussi de réalisations, se dégage d’abord une impression de diversité qu’incarne bien l’opposition radicale entre un Howard qui vise à déconstruire la métropole londonienne par le biais d’entités urbaines isolées strictement délimitées et un Wagner qui prône une croissance illimitée de la métropole viennoise par le biais d’anneaux successifs composés d’unités urbaines juxtaposées. Entre ces deux visions extrêmes, se dessine au fil du temps une évolution des modèles de pensée sur la forme générale de la ville qui part d’un modèle compact post-haussmannien au tissu continu, illustré par le premier projet de Jaussely pour Barcelone ou celui de Burnham pour Chicago, et qui tend vers un modèle fragmenté au tissu discontinu – que l’on pourrait qualifier de post-howardien, en ce qu’il découle des premières interprétations du concept de cité-jardin -, illustré par la plupart des projets en lice à Berlin, mais aussi dans un tout autre registre par celui des Griffin pour Canberra. Dans le cas de Barcelone et de Berlin, l’extension du périmètre de réflexion, qui se traduit par l’inclusion de territoires essentiellement ruraux, impose de penser le rapport entre le front urbain et les domaines agricole, forestier ou naturel. De ce point de vue, le second projet de Jaussely et celui de Jansen sont particulièrement représentatifs de la mise en place d’une logique de gradient de densité du centre vers la périphérie. Du côté des figures, force est de constater que le recours à des voies annulaires n’est pas systématique, de même que l’emploi du terme de boulevard. À la grand avenue imaginée par Howard, répond le grand circuit promu par Burnham ainsi que l’étonnante infrastructure multimodale annulaire proposée – ring road – par Pepler pour Londres qui n’a pas d’équivalent par ailleurs. En revanche tous les protagonistes mettent en avant l’importance des radiales en s’appuyant de manière plus ou moins explicite sur les travaux de Hénard. Détournée d’emblée par Unwin lui-même, la cité-jardin, quant à elle, ne s’impose dans l’immédiat qu’à Londres et à Berlin, soit sous la forme de quartiers résidentiels de maisons comme dans les projets berlinois, soit sous la forme de villes nouvelles périphériques, les city health de Crow. Enfin pour ce qui des rapports avec les zones de nature et de culture, le principe des systèmes de parcs trouve des échos à Vienne et sur la scène berlinoise sous la forme de ceintures vertes et/ou de coulées vertes par Jansen et par l’équipe Eberstadt, Möhring, Petersen qui esquisse l’idée de trame verte également suggérée par Unwin et conforte la représentation d’une ville fragmentée. Une vision que synthétise la perspective à vol d’oiseau donnée par un des concurrents du concours de Berlin, l’architecte Albert Gessner[38].

Références

[1] Voir Lucan, 2009, chapitre 11, « La fin du système de l’École des beaux-arts » pp. 191-207.

[2] Jaussely rejoint la villa Médicis en janvier 1904. S’il n’y rencontre pas Tony Garnier qui est déjà reparti, mais Henri Prost, les échos du séjour de Garnier ont pu jouer un rôle dans le choix de participer à ce concours.

[3] Dans Nice, capitale d’hiver, Robert De Souza expose de manière synthétique la méthode que s’est forgée Jaussely pour élaborer le plan de Barcelone à partir du mémoire de 1907.

[4] Le rendu du concours est consultable sur Wikipedia dans le cadre d’une notice en espagnol intitulée « Plan Jaussely ».

[5] Voir De Souza, 1913, p 411, et Gondouin, 2004, vol. 2, p. 64.

[6] Ce schéma qui s’appuie sur un étagement très méditerranéen n’est sans évoquer la Cité industrielle de Garnier.

[7] De Souza, 1913, pp. 416-417.

[8] Si Burnham n’est alors pas encore allé en Europe, la plupart de ses collaborateurs, et son associé Edward H. Bennett, ont été formés à Paris. Leur culture, et notamment les souvenirs de l’exposition de 1900, vont fortement influencer la mise au point du projet.

[9] Voir Burhnam, 1909, le chapitre VI consacré à la voirie, et plus particulièrement les pages 92-96.

[10] Schaffer, « The Plan of Chicago : published, unplublished, and the treachery of images », in Bodenschatz, 2010, pp 96-99

[11] National Archives of Australia, NAA: A1818,12

[12] Peut-être faut-il voir là un effet des débats suscités par la multiplication des îlots triangulaires que supposait les radiales projetées par Burnham.

[13] Voir Unwin, 1909, 1981 [1922].

[14] p. 22 et 128, dans l’édition de 1902, et p. 42, 44 et 178, dans l’édition française de 1998.

[15] Chambers, « The garden and the city. Dispositifs architecturaux et progrès social dans le modèle urbain d’Ebenezer Howard », in Baty-Tornikian, 2001, pp 13-25.

[16] Miller, « De Letchworth aux cités-jardins anglaises, 1904-1946 », et Jackson, « Sir Raymond Unwin et le mouvement des cités-jardins, 1902-1940 », in Baty-Tornikian, 2001, pp. 35-48 et 49-57.

[17] Unwin, 1981, chapitre V « Du moyen d’entourer les villes modernes et les entrées des villes » pp. 137-151.

[18] Howard, 1998, p. 197.

[19] Unwin Raymond, »The City development plan », in TPC, 1911, pp. 250.

[20] Arthur Crow (1860-1937), membre fondateur du Royal Town Planning Institute. Crow, « Town planning in relation to old and congested areas, with special reference to London », », in TPC, 1911, pp. 407-426.

[21] George Pepler (1882-1959) deviendra membre de la Garden Cities Association, puis président du Royal Town Planning Institute en 1919, et responsable du Town and Country Planning. Pepler, « Greater London », in TPC, 1911, pp. 611-620.

[22] TPC, 1911, p. 627.

[23] TPC, 1911, p. 623.

[24] Hegemann, 1913, pp. 248-249, et Bodenschatz, 2010, p. 20.

[25] Hagen, 2015, p. 51.

[26] Graf 1994, p. 94.

[27] Ibid., p. 96.

[28] Conférence donnée à New York, le 18 mars 1910, à l’occasion de l’International Congress of Municipal Arts.

[29] Graf, 1994, pp. 640-646, et Wagner, 1980, pp 83-95.

[30] Eugen Fassbender (1854-1923).

[31] Jaquand, 2013, p 113. Voir également Goecke, « Der Wald- und Wiesengürtel von Wien und Seine bedeutung für den Städtebau », in Der Städtebau, 1906, vol. 3.

[32] Jaquand, 2009, p. 286.

[33] Bodenschatz, « Gartenstadt Frohnau », in Bodenschatz, 2010, pp 180-181

[34] Bodenschatz, « Joseph Brix und Felix Genzmer, Grunflachenplan, Beitrag zum Wettbewerb Groß-Berlin 1908/1910 », in Bodenschatz, 2010, pp 198-199. Voir également, pp. 138-139, et 182-183.

[35] Nägelke, « Havestadt & Contag, Schmitz und Blum, Monumentalisierung des Stadtzentrums Beitrag zum Wettbewerb Groß-Berlin 1908/1910, in Bodenschatz, 2010, pp. 134-135.

[36] « Architektonisches von der allgemeinen städtebau-ausstellung zu Berlin », in Berliner Architekturwelt, juillet 1910, pp. 123-162.

[37] Nägelke, « Hermann Jansen, Bebauung des Tempelhofer Feldes, Beitrag zum Wettbewerb Groß-Berlin 1908/1910 », in Bodenschatz, 2010, pp. 164-165. Voir également, pp. 110-111, et 186-187.

[38] Bodenschatz, « Albert Gessner, vision einer urbanen Stadtregion : Von der Südbanhofstrasse zum Mügelsee Beitrag für den Wettbewerb Groß-Berlin 1908-1910 », in Bodenschatz, 2010, pp. 114-115.

Propositions pour la préfiguration de l’IMVT

“Pour que le caractère d’un être humain dévoile des qualités vraiment exceptionnelles, il faut avoir la bonne fortune de pouvoir observer son action pendant de longues années. Si cette action est dépouillée de tout égoïsme, si l’idée qui la dirige est d’une générosité sans exemple, s’il est absolument certain qu’elle n’a cherché de récompense nulle part et qu’au surplus elle ait laissé sur le monde des marques visibles, on est alors, sans risque d’erreurs, devant un caractère inoubliable.”

JEAN GIONO, L’HOMME QUI PLANTAIT DES ARBRES, ÉDITIONS GALLIMARD, 1983

Dans ce texte universel, remplacer les mots “être humain” par “architecte”, ça fonctionne. Remplacer “être humain” par “projet”, ça fonctionne encore…

En 2022, le nouvel Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires accueillera sur le site de la Porte d’Aix les actuelles École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille (ENSA•M),
Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional d’Aix-en-Provence (IUAR) et antenne marseillaise de l’École Nationale Supérieure du Paysage (ENSP).
Euromed et l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille ont conjointement décidé, dans la suite des actions de l’association Synapse, de préfigurer la présence de ces écoles dans le
quartier, sous forme d’un pavillon d’une centaine de mètres carrés.

A la demande de Jean-Marc Zuretti, nous avons accepté d’en faire le projet du premier semestre de Master du LAB43 : “Pas d’Architecture Sans Structure”, sous forme d’un atelier intensif
de 3 mois, ponctué de 3 Workshops avec restitution publique, sur les thèmes : Site & Usages, Processus & Matérialités et Détails.

En Septembre nous avons donc accueilli un groupe de 27 étudiants, riche de diversité, inscrits et motivés par l’objectif et la démarche de notre atelier, dont les trois clés d’entrée étaient
les suivantes :

Cette année, les étudiants étaient saisis d’un programme atypique, situé dans le quartier de la Porte d’Aix à Marseille. Il s’agissait d’une part de concevoir un pavillon préfiguratif clos et couvert du futur Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires (IMVT) qui sera livré in situ en 2022 et qui réunira en son sein l’antenne marseillaise de l’École Nationale Supérieure du Paysage (ENSP), l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional d’Aix- en-Provence (IUAR) et l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille (ENSA- M). La Maitrise d’Ouvrage du pavillon est assurée par cette dernière et sa mise en œuvre est programmée au premier semestre 2018.

Les étudiants devaient réfléchir d’autre part à la programmation et aux principes architecturaux d’un bâtiment situé sur l’îlot Pelletan et dont la Maitrise d’Ouvrage est assurée par l’Établissement Public Euroméditerranée. Ce dernier a élargi sa demande de réflexion sur la réactivation des nombreux rez-de-chaussée neufs et existants vacants dans le quartier.

 

1er temps
Site & usages

Unité d’action, unité de temps, unité de lieu

De nombreuses rencontres ont ponctuées le  premier temps  consacré à la  compréhension  du quartier de la Porte d’Aix, à son histoire et aux enjeux de la création de l’IMVT.
Il y a eu celles organisées dans le cadre de l’exercice, et en  premier lieu  une rencontre  inter- écoles pour que les étudiants en paysage, en urbanisme et en architecture fassent connaissance et puissent travailler ensemble sur le  pavillon préfiguratif, à  l’image de  ce  que pourra être un exercice pédagogique partagé au sein de l’IMVT.
Il y a eu aussi celles plus spontanées, improvisées sur  place lors des visites collégiales de  site ou par les étudiants eux- mêmes qui sont allés par petits groupes à la rencontre des acteurs du quartier : les habitants, les commerçants, les institutionnels  et  le  tissu  associatif.

Ces rencontres et ces enquêtes de terrain ont fait comprendre aux étudiants qu’un pavillon préfiguratif décontextualisé et peu ouvert sur le quartier serait sans doute perçu par les habitants de la Porte d’Aix comme une « terra incognita » à usage quasi exclusif des  étudiants, alors que l’enjeu réel du projet était de créer du lien entre les différents acteurs déjà en place – particuliers et institutionnels – mais aussi avec ceux à venir – le milliers d’étudiants qui allaient investir les lieux à l’horizon 2022 – dans une relation fondée sur la compréhension et l’estime de l’autre.

Il était donc fondamental que le pavillon soit une  terre d’accueil pour tous les  publics et  qu’il soit avant tout un outil pédagogique, d’une part pour mieux faire comprendre aux habitants leur quartier et ses mutations successives et d’autre part pour leur expliquer la vocation de l’IMVT et des métiers qu’il enseignera.

Tout au long du semestre, le besoin d’ancrage social du  pavillon  dans  le  quartier  a amplifié la question de son rapport au sol, déjà présente avec l’interdiction de fonder mécaniquement un projet éphémère sur l’espace public.
Les étudiants ont sentis que les  outils programmatiques dont ils  disposaient ne permettraient pas une action suffisamment large pour assurer du lien avec les habitants et l’ancrage progressif de l’IMVT dans le quartier tant ces outils étaient par nature étanches entre eux et diffus sur le territoire.
La réflexion sur l’îlot Pelletan commandée par Euroméditerranée permettait certes de proposer des programmes accueillant des activités utiles au quartier et à ses futurs
étudiants mais elle était trop précisément située le long du futur parc, fermé la nuit, pour permettre une suture sociale efficace entre les habitants de l’Ouest, le long de l’avenue Pelletan et ceux de l’Est, dans la résidence Le Turenne leur faisant face, trop longtemps séparés entre eux par l’autoroute A7 et sa cicatrice actuelle.
La réflexion sur la vacance des rez-de-chaussée, également commandée  par Euroméditerranée, était pertinente mais les rez-de-chaussée concernés étaient trop diffus  et leurs statuts juridiques trop variés pour pouvoir proposer un ensemble de programmes réalistes et cohérents entre eux, capables de les occuper pleinement.
Quant au pavillon, sa petite dimension contrastait avec l’échelle de l’espace public déjà construit ce qui rendait son attache au site difficile et son isolement certain. Sa  relative  faible amplitude horaire d’ouverture associée à la demande d’un pavillon clos et couvert risquait également de le rendre trop étanche à l’espace public, lui faisant perdre par la- même sa vocation première d’accueil…

La proposition des étudiants jardiniers urbains

Au début de semestre, Aline BURLE, architecte et membre de l’association  SYNAPSE  Marseille qui avait été à l’initiative de propositions pour  investir le  quartier  de  la  porte d’Aix avant l’arrivée de l’IMVT, est venue présenter son Projet de Fin  d’Étude (PFE) portant sur cette thématique.
Celui- ci a sans doute été inspirant pour les  étudiants car c’est alors que, à  l’image de  l’action menée par le berger Elzéard Bouffier dans l’homme qui plantait des arbres dans le roman éponyme de  Jean GIONO[2], ils  ont proposé une action dans la  durée en  ponctuant  les 5 ans d’attente de la migration des 3 écoles constituants l’IMVT d’une succession d’interventions, incluant les demandes du programme initial mais en les   reformulant quelque peu et en les adossant à des programmes complémentaires de type événementiel inspirés par un travail préliminaire  de référencement d’interventions  d’artistes et d’architectes sur l’espace public.
Multi- scalaires et de temporalités variées, ces interventions sont comme autant d’arbres plantés qui permettront d’investir en douceur et progressivement le quartier en cultivant le terreau fertile des liens sociaux à fortifier.

C’est précisément à ce moment- là que le projet a pris son envol.
Au lieu d’être une succession de beaux objets finis, étanches entre eux et avec l’espace public, telle que la production de la ville le  fabrique  souvent  aujourd’hui, le  projet  est avant tout un processus d’accompagnement de la mutation du  quartier  qui  intègre  la  valeur du temps – même s’il n’est question ici que  de  quelques années –  nécessaire au  germe de la planification urbaine mise en place par  Euroméditerranée et  la  Ville.  Après tout, la ville méditerranéenne n’est- elle pas constituée d’une stratification de mouvements migratoires que le temps aide à fixer ?

L’ENSA•M ayant débloqué un budget en fond propre pour la construction du pavillon préfiguratif, il était entendu que les étudiants devraient trouver des partenariats extérieurs pour mettre en œuvre leurs propositions complémentaires au programme  initial  de l’exercice.

Un évènement inaugural
Le bankimank

Pour illustrer leur démarche, les étudiants ont proposé rapidement un évènement inaugural consistant à mettre en œuvre au  premier semestre 2018  un escalier provisoire enlaçant  l’Arc de triomphe qui ponctue l’axe urbain historique Nord/ Sud de Marseille.
Réalisé en structure d’échafaudage, il permet d’accéder à une plateforme haute depuis laquelle les habitants et les futurs étudiants pourront regarder ensemble le quartier d’un point de vue inédit et découvrir sa mutation grâce à une table d’orientation expliquant les interventions et les projets à venir  d’Euroméditerranée et des  étudiants, jusqu’à l’arrivée  de l’IMVT.

Face au constat d’absence de banc sur l’espace public fraîchement requalifié, les étudiants ont appelé l’escalier provisoire le Bankimank, autrement dit le « banc  qui  manque »  puisqu’il pourrait aussi servir d’assises aux habitants.

D’un point de vue opérationnel, le projet pourrait être porté par l’association Synapse Marseille dans laquelle les étudiants ont l’intention de s’investir pour  s’assurer de  la  réussite de leurs propositions. Il pourrait être financé par des entreprises spécialisées en montage de structures événementielles.

 

2ème temps
Manipulations structurelles

En octobre, le deuxième temps a été consacré aux manipulations structurelles avec une approche de la structure par la maquette.
Les étudiants devaient proposer un ou plusieurs éléments de structure combinés entre eux, capable de répondre au programme du  pavillon  préfiguratif.  Ces  propositions  devaient être portées par une réflexion sur  le  processus de  mise en  œuvre incluant la  question de  la matière première et de son ré- emploi en fin de vie du pavillon.
Les éléments constituants la structure et l’enveloppe assurant le clos et le couvert devaient pouvoir se transporter, s’assembler et se monter facilement sans avoir  recours à  des moyens de levage complexe et onéreux.

C’est alors que les ingénieurs encadrants ont fait leur entrée dans le semestre, et  notamment Marine Bagneris, membre du laboratoire de recherche MAP GAMSAU-CNRS, tournée plus précisément sur la question de la pierre, puisqu’un des enjeux  du semestre était de créer un lien entre enseignement du projet et recherche.
Romain Ricciotti a apporté aux étudiants son expertise du béton et Nobouko Nansenet, architecte, celle de la pierre et du bois, forte de ses 7 années passées auprès de Gilles Perraudin en tant que chef de projet.

Deux sorties pédagogiques ont nourri la réflexion sur la  matière structurelle :  la  première sur   le thème de la pierre a fait découvrir aux étudiants le monde des carriers et le chais de  Vauvert dont son architecte, Gilles Perraudin leur en  a  expliqué la  genèse, et  la  seconde sur le thème du béton avec la visite d’une usine de préfabrication et des chantiers de bâtiments et d’infrastructures intégrant des ouvrages en béton ultra haute performance.

Au départ, les manipulations structurelles ne se sont pas embarrassées de question de site, ni de forme ni d’enveloppe pour que puissent en naître les structures les plus singulières possible. La seule contrainte était de former un espace suffisamment grand pour accueillir tout ou partie des usages du programme.

Assez rapidement, les étudiants se sont heurtés au  choix d’une architecture standard ou  non- standard, et par corollaire, à la question de l’enveloppe et de  son  rapport  à  la  structure puisque le  pavillon devait être clos et couvert, c’est à  dire être étanche à  l’eau et  à l’air sans qu’il soit toutefois question d’aller jusqu’à en obtenir une valeur réglementaire.

C’est face à ces complexités, qui se seraient retrouvée dans la mise en œuvre du pavillon  retenu, ainsi que face à celle de la  mise en  œuvre des commodités nécessaires à  l’accueil  du public que les étudiants ont proposé de fractionner en deux le programme initial du pavillon. La première partie serait une base vie située dans un des rez-de-chaussée vacant  et qui accueillerait ces commodités et du stockage de matériel facile à  sécuriser.  La  seconde partie serait une structure située sur l’espace public, libérée partiellement de ses contraintes thermiques, et pour y accueillir des manifestations aussi variées qu’un cours public d’architecture, d’urbanisme ou de paysage, une conférence,  des  projections  de  films, des concerts, des expositions, etc. Hors manifestations, cette structure offrirait au public un abri, de l’ombre et parfois un banc.

Fin octobre, les étudiants ont soumis au comité de suivi pas moins de 9 propositions différentes de pavillons accompagnées d’une réflexion sur la programmation de  l’ilôt Pelletan et sur l’occupation des rez-de-chaussée vacants dont la base vie faisait maintenant partie, parmi des programmes à usages partagés inédits tels qu’un washbar, des ateliers publics de réparation, une bibliothèque partagée, etc., autant d’usages concrets et utiles à  la vie du quartier et de ses futurs étudiants.

Pour accompagner l’implantation de l’IMVT et à la suite du Bankimank, les étudiants ont également proposés une série d’actions sur l’espace public, cette fois- ci menées par des artistes issus du street- art ou de l’univers du cirque, et dont la vocation était de révéler le lieu en utilisant des outils communs avec ceux des architectes. Une de ces interventions consiste à faire interagir l’artiste Yohan Le Guillerm avec l’espace public de la porte d’Aix grâce à un de ses spectacles de rue intitulé la Transumante, consistant à manipuler une structure tridimensionnelle dans le but de la faire se déplacer comme un organisme vivant, grâce à la permutation successive de ses petits éléments de bois la constituant.

L’expertise du comité de suivi et des encadrants a conclu à  ce  stade que les 9  propositions de pavillons n’étaient pas  toutes viables, soit parce qu’elles présentaient des  structures  dont la conception ou la mise en œuvre seraient trop complexes, soit parce qu’elles ne garantissaient pas la pérennité nécessaire à  un  petit édifice confronté à  l’espace public,  soit parce qu’il serait difficile de les faire rentrer dans le budget prévu à cet effet.

Il a été alors proposé et décidé collégialement de répartir les 9 propositions de pavillons dans 2 catégories distinctes :

Fin octobre, les étudiants se sont retrouvés à devoir traiter 5 types de projets au cours des deux derniers mois du semestre :

Les groupes ont été alors reconstitués pour les équilibrer en tenant compte de la nouvelle configuration des projets.

 

3ème temps
Détails constructifs

Le rapport au sol et le plancher haut – le toit – ont été tout au long du semestre les deux  écueils constructifs sur lesquels les étudiants ont longtemps butés, tout comme la prise en compte des contraintes de mise en œuvre de certaines matières comme les assemblages d’éléments en bois ou le harpage des  murs  en  pierre leur assurant la  stabilité au  séisme. Ce 3ème temps était donc consacré à la mise au point technique des pavillons, toujours suivie de près par les ingénieurs. Les étudiants sont allés aussi à la rencontre d’un charpentier pour avoir un retour opérationnel concret sur leurs projets.

Très vite, de grandes familles d’éléments de structure ont vu le jour, nourries par les séminaires des 3 dernières années mis à disposition des étudiants.
Il y a eu d’un côté les structures légères, faites d’assemblage d’éléments en bois, principalement des portiques et des béquilles, qu’il fallait lester faute de fondation. La technique du plancher caisson a été  une opportunité de ce  point de  vue car elle permettait à la fois de remplir ses  alvéoles de  sacs de  sable, tout en  proposant des usages en  creux  du fait de leur épaisseur d’une quarantaine de centimètres (bancs, fosse de  concert, fosses de plantation, etc.)
De l’autre côté, les structures lourdes, faites d’assemblage de  pierres  étaient lestées  de fait. L’enjeu de ces structures était plutôt d’ordre économique puisque cette matière reste onéreuse notamment à la taille. L’utilisation de pierres brutes d’extraction mais surtout, le partenariat développé avec la société Carrières de Provence visitée en octobre a rendu possible ces projets en travaillant sur la notion de prêt de matière, inédit jusque-là pour ce matériau. En fin de vie du pavillon, les pierres seraient rendues à la carrière pour une  seconde vie, seul le transport, le levage et la mise en œuvre restant à la charge de l’école.

Côté toiture, les questionnements furent multiples…
D’un point de vue structurel, les étudiants ont convoqué la – relative – grande portée et le porte- à- faux dans leurs projets, ce qui était pertinent d’un point de vue de  l’usage aussi bien pour obtenir une liberté d’usage à l’intérieur des  pavillons  que  pour  ombrager  l’espace public. L’efficacité des toitures caissons bois s’est avérée redoutable  pour  la plupart d’entre eux et cette technique s’est retrouvée employée tout autant dans les structures légères que dans les structures lourdes. Outre son avantage de minimiser les points porteurs, elle génère des creux en sous- face exploitable pour traiter l’acoustique ou l’éclairage.
Un groupe a travaillé sur le franchissement en  s’adossant  à  l’expérience  de  Marine Bagnéris sur les poutres en pierres précontraintes développée dans le cadre de son laboratoire de recherche avec les carriers et les compagnons du devoir. L’abandon d’une enveloppe thermique au profit d’une simple enveloppe « protectrice » a permit également de minimiser la multiplication des couches de matière puisque l’isolation thermique pouvait être compensée en grande partie par la  ventilation naturelle, à  l’image  de l’architecture tropicale.
Restait la question de l’étanchéité, ou là encore, grâce à  l’utilisation  d’une  base- vie mettant à l’abri le matériel sensible, des solutions simples et efficaces  ont  pu  être employées sans avoir recours à la mise en œuvre de couches multiples et onéreuses : couverture sèche simple peau, étanchéité bitumineuse passée  au  rouleau,  membrane- vélum étanche permettant de filtrer par la même occasion la lumière à l’intérieur, etc.

Le travail sur le contreventement des pavillons a quant à lui  nourrit la  réflexion sur  la  forme et l’usage puisque c’était soit la forme du pavillon qui en assurait la charge, soit la disposition de palées de stabilité, au droit de  l’enveloppe  ou  en  partitionnement   d’espaces intérieurs.

En fin de semestre, les étudiants sont parvenus à dessiner les pavillons au 1/ 20ème en s’assurant de leur réalisme constructif, de la pertinence de leur processus  de  mise  en œuvre, de leur pérennité dans l’espace public et de leur ré- emploi. Sur ce dernier point, certains étudiants ont proposés de réutiliser tout ou partie de leur proposition, que  ce  soit en restituant les pierres aux carriers pour un autre projet, en démontant et remontant les gloriettes du parc ailleurs ou en utilisant les toitures caissons pour couvrir les nouveaux espaces sportifs extérieurs du centre social Velten limitrophe.

 

Et après ?

Le jury de fin de semestre a réuni les principaux acteurs du projet, l’Établissement public Euroméditerranée, l’école du paysage et l’IUAR, et bien sur la direction et un représentant  du conseil d’administration de l’école d’architecture de Marseille.

Tous ont salués l’engagement des étudiants face à une situation concrète de projet et tous ont salués l’engagement du projet face à une situation urbaine en attente  de  la  formalisation de son devenir.

 

L’histoire est écrite, il reste à la mettre en œuvre, tout d’abord en choisissant un pavillon préfiguratif parmi les 4 proposés, puis en activant les autres propositions par le biais des différents intervenants et outils mis en place au cours du semestre. C’est le travail  à accomplir au premier trimestre 2018. L’engagement total des étudiants dans l’association Synapse fin 2017 ne peut que nous convaincre de sa réussite.

 

Casting du semestre

Les étudiants

Les encadrants

Les intervenants extérieurs dans l’ordre de leur apparition dans le semestre

Les enseignants du LAB43

Et les enseignants de l’école d’architecture de Marseille qui sont  passés voir les  travaux  des étudiants et ont assisté aux restitutions mensuelles.

 

Le projet des étudiants

  1. Les évènements

    • Le Bankimank
      Waël ABUISSA, Cynthia BONNE ÎLE, Maxime ELICKI, Claire GARDAN, Arthur SANCHEZ
    • La Transumante
      Johann LE GUILLERM, artiste circassien http:// www. johannleguillerm. com/
  2. Programmation et intentions architecturales pour l’ilot Pelletan

    Fernanda BLANC, Clément LABAT, Chloé OTTO- BRUC

  3. Les rez-de-chaussée

    Camille BOBEAU, Clémence BROC, Chloé COTTREAU, Monika MOLIK

  4. Les pavillons

    • Corps lumineux
      Waël ABUISSA, Cynthia BONNEFILE , Maxime ELICKI, Claire GARDAN, Arthur SANCHEZ
    • L’agora
      Löic BELLET, Alexandre GUILLALMON
    • La cour
      Alexis BARRET, Hugo GILBERT, Lucas LAFOUX
    • Un toit pour toi
      Fadhel CHÉRIF, Caroline ORDENER
  5. Les structures expériementales

    • Balises urbaines
      Estelle ALBRAND, Sarah PATTERI
    • Les gloriettes de Saint Charles
      Adel BENNOUI, Ryan BENTABAK, Kévin PONCE, Roxane TROIA
    • L’ornithogale
      Antoine BAGATTINI, Erwan LE PANCE
    • Les voutes « 2 secondes »
      Hugo GILBERT, Alexis BARRET

https://lab43s7.tumblr.com/

 

[1]L’intitulé « Pas d’architecture sans structure ! » emprunté à Mario Salvadori dans son ouvrage « Comment ça tient ? » aux éditions Parenthèses
[2] L’homme qui plantait des arbres, Jean GIONO, Éditions Gallimard, 1983. Dans cette fiction universelle, le berger Elzéard Bouffier passa sa vie à planter des arbres dans un coin aride des Alpes de Haute Provence pour en faire la terre d’accueil de nouvelles familles dans l’espoir de réactiver cette campagne sinon promise à la désertification.

La trame verte et bleue marseillaise

Introduction :

En janvier 2010, le Programme Interdisciplinaire de Recherche Ville et Environnement (PIRVE), conscient de la généralisation mondiale du phénomène urbain et soucieux de l’importance croissante des questions écologiques (raréfaction de certaines ressources, changement climatique, biodiversité déclinante…) lançait un appel d’offre de recherche à vocation interdisciplinaire. Il y identifiait la ville comme « lieu d’enjeux collectifs majeurs touchant à la qualité de la vie des citadins (résidents, actifs, visiteurs), à la vulnérabilité des populations, des sociétés et des espaces urbains », aux échelles locales et planétaire. Afin de générer « une meilleure connaissance des dynamiques de co-évolution des sociétés urbaines et de leur environnement naturel et construit », il souhaitait encourager une recherche qui se focaliserait sur « les processus qui mettent en jeu des interactions complexes, aux différentes échelles spatiales (locale, régionale, planétaire) et temporelles (court, moyen, long terme), entre les diverses dimensions (humaine, sociale, politique, culturelle, économique, juridique, matérielle, écologique…) du fonctionnement et de l’évolution des systèmes urbains »[2].

Le PIRVE développait alors trois ambitions : contribuer à la constitution d’un milieu scientifique interdisciplinaire pérenne sur la question des rapports ville-nature, favoriser la circulation et la combinaison des savoirs scientifiques experts et ordinaires dans une perspective de diffusion auprès des acteurs, et enfin, alimenter la réflexion collective sur la production, la conduite et l’évaluation des politiques publiques dans ce domaine. Entre 2008 et 2009, 24 projets avaient déjà été financés, et il s’agissait dans ce nouveau programme de « mettre l’accent sur les processus, les dynamiques; sur les villes existantes, leur adaptabilité et leur résilience, en particulier dans le contexte du changement climatique; sur les changements observés, souhaités ou souhaitables; sur les freins de tout type qu’ils rencontrent dans un contexte d’incertitude quant aux changements engagés ou à engager; sur les interactions entre cycles environnementaux et leur anticipation; enfin sur les incidences environnementales, sociales, économiques des stratégies ou des politiques des acteurs »[3].

Dans ce contexte, l’équipe du LPED[4] faisait une proposition afin de rendre compte d’un certain état de la nature sur la ville de Marseille. Elle fournissait ainsi un état des lieux faisant date[5] qui donnait à voir un corpus de thématiques essentielles relatives aux questions de « natures urbaines », ici préférées à la notion de « nature en ville »[6]. Il s’agissait donc pour commencer d’identifier différents types de natures présentes sur le périmètre de l’emprise urbaine marseillaise et de se donner les moyens de qualifier leurs états écologiques respectifs.

La Trame verte et bleue marseillaise

Les différentes réflexions relatives au Grenelle de l’Environnement (2007-2009) ont permis à partir de 2012 la création des « Trames vertes et bleues »[7]. Carole Barthélémy, sociologue, chercheuse et directrice du LPED, s’appuyait sur la terminologie définissant cette trame pour élaborer sa proposition de recherche : « un réseau formé de continuité écologiques terrestres et aquatiques [qui] constitue un outil d’aménagement durable du territoire et contribue à un état de conservation favorable des habitats naturels des espèces et au bon état écologique des masses d’eau ». Cette définition se calquait en grande partie sur la modélisation utilisée par les écologues pour identifier le fonctionnement écologique des milieux à partir des notions de « réservoirs» de biodiversité, ou de « noyau primaire d’habitat », et de « corridors » permettant la circulation des espèces entre ces noyaux (illus1)[8].

Illustration 1 : Schéma de la modélisation écologique des fonctionnements écosystémiques

Partant de cette définition, les chercheurs se penchaient sur le cas de la ville de Marseille, dans le contexte de la révision de son PLU[9]. Effectivement, dans la perspective de la mise en cohérence des différents documents de planification, le PLU avait vocation à intégrer les éléments formulés dans le diagnostic du SCoT[10] (2012) concernant les tracés de la Trame verte et bleue urbaine (illus 2). Les chercheurs se posaient alors la question de « l’état de naturalité » de la ville de Marseille et des possibilités de sa représentation, de manière à pouvoir l’intégrer dans un document réglementaire. En réponse à l’appel, ils mettaient en place une équipe interdisciplinaire de recherche réunissant des géographes, des écologues, des urbanistes et des sociologues afin de réaliser une « analyse spatiale de la nature dans la ville » de Marseille, en s’appuyant sur un SIG comme support d’articulation des connaissances produites par les différentes disciplines.

Illustration 2 : extrait du diagnostic du ScoT, 2012

Fonctionnant autour du principe d’une cartographie collective, ils réalisaient ensuite l’inventaire des différents éléments de nature présents dans la ville de Marseille. Ils s’appuyaient en premier lieu sur des méthodes d’analyse spatiale réalisées à partir de fonds cartographiques de l’IGN (BD Carto 2003) afin de repérer les « espaces à caractère naturel en ville » (illus 3), c’est-à-dire les parcs publics, les jardins privatifs, les alignements d’arbres, les Espaces Boisés Classés[11] (EBC), les friches et autres délaissés. Par ailleurs, des inventaires entomologistes, ornithologiques et floristiques étaient réalisés dans les parcs publics et les jardins privatifs afin d’enrichir les données écologiques et connaître l’état de ces milieux.

Illustration 3 : Les Espaces Boisés Classés (EBC) sur Marseille, extrait de l’étude réalisée par le LPED.

Les résultats de leurs investigations étaient synthétisés dans la carte intitulée « Marseille en négatif » (illus 4). Cette carte choisissait de ne plus se focaliser sur les espaces bâtis pour représenter l’espace urbain, mais de s’intéresser aux « vides » restants, qu’il fallait alors qualifier en tant qu’espace de végétation urbaine.

Deux résultats notoires découlaient de cette approche. D’une part, la carte de la ville « en négatif » – à travers le filtre de ses espaces végétalisés -, marquait irrémédiablement les esprits, en assumant une profonde inversion du regard sur l’urbain. D’autre part, comme cela a souvent été évoqué, Marseille apparaissait bien comme une ville verte, peu dense, végétalisée dans le cœur même de son tissu urbain, et inscrite dans la continuité de ses espaces de nature périphérique. Et si cette nature se manifestait parfois à travers des aspects encore « sauvages » (Lanaspèze, 2012), il existait également de nombreux espaces complètement intégrés ou largement réglementés, tel que le Parc National des Calanques (créé en 2012)[12], mais également l’ensemble des parcs publics urbains[13], ou encore les Espaces Boisés Classés. Enfin une nouvelle structure de lisibilité de la ville à travers le végétal se faisait jour (illus 5).

Illustration 4 : « Marseille en négatif » ; Source : CONSALES Jean Noël, GOIFFON Marie et BARTHELEMY Carole, « Entre aménagement du paysage et ménagement de la nature à Marseille: la trame verte à l’épreuve du local », 2016.

Illustration 5 : Structuration du végétal urbain marseillais, source LPED

Trois types de compositions végétalo-urbaines étaient finalement identifiées par les chercheurs pour restituer les différentes situations rencontrées le long d’une traversée de la ville partant du centre dense pour aller jusqu’aux collines périphériques. Les espaces centraux et péricentraux apparaissaient marqués par la densité du bâti et les jardins en arrières cours, clos et peu visibles. Ils accueillaient également des espaces d’habitat pavillonnaire.

Des espaces périphériques étaient ensuite identifiés sur les piémonts collinaires, incluant de l’habitat individuel parsemé et des zones d’habitat collectif datées des Trente Glorieuses. On y trouvait des typologies végétales diverses, d’alignements d’arbres, de parcs publics, mais également de domaines privés et d’exploitations agricoles.

Enfin, les massifs collinaires constituaient la 3ème couronne naturelle marquée par une végétation méditerranéenne et la présence de pin d’Alep. Au-delà de cette classification tripartite globale, ne devenait-il pas alors pertinent de réaliser une lecture plus fine des interactions manifestes entre les espaces urbanisés et la nature sur ces différents secteurs ?

 

Développer l’analyse écosystémique des espaces de nature à Marseille

L’hypothèse faite ici est alors que la ville se structure suivant des typologies urbaines caractérisées qui s’associent à une certaine présence et à une attente spécifique de nature directement liée à la densité du tissu (Barles, Blanc, 2016). La demande de nature sera notamment formulée de manière plus urgente en centre urbain dense que dans la périphérie plus lâche. Elle y prendra également des formes différentes en fonction des opportunités foncières existantes, et des délaissés disponibles et non imperméabilisés, plus rares en centre urbain dense qu’en zone pavillonnaire. On peut alors préciser le découpage urbain initial lié à la présence de nature réalisé par les chercheurs du Lped pour chercher à l’articuler plus précisément à la densité et à la typologie du bâti. Cette approche gagnera également à être complétée par l’identification des opportunités de valorisation de la nature existante ou à créer.

Dans cette perspective, on identifie assez immédiatement une première couronne urbaine très dense, issue du développement urbain du XIXème siècle, suivant une logique hausmanienne (Roncayolo, 1996). Elle est délimitée par l’avenue du Prado au sud, la rocade du Jarret à l’est, (incluant les boulevard du Maréchal Juin, Fançoise Duparc, Sakakini et Jean Moulin). Dans cette première couronne se développent des usages très caractérisés encadrés et réglementés de la nature, et la demande d’espaces publics à caractère naturel est très forte[14].

Illustration 6 : Structure urbaine centrale marseillaise, source Google Maps, 2019.

Au-delà de cette première couronne dans laquelle on identifie la présence de plusieurs parcs publics urbains aménagés (Longchamps, 26ème Centenaire,…), le tissu marseillais devient très rapidement très disparate des points de vue de la densité bâtie, de l’occupation du sol et des typologies d’habitats. Le secteur situé entre la rocade du Jarret et la A507 reste en définitive encore très dense tout en incluant de grandes poches de « vides », tel que le cimetière St-Pierre, par exemple, à l’est, ou bien de nombreuses friches industrielles, au nord, ainsi que des espaces d’activité, des logements récents (docks), ou de l’habitat vernaculaire au sud. Difficile dans cette mesure de généraliser une qualification de ce tissu urbain en mutation permanente et d’y projeter des classifications d’états écologiques permettant de classer les différents milieux rencontrés. Quant à y envisager la perspective d’une « ville verte », ou juste plus écologique, il faudrait qu’elle rencontre les priorités urbaines portées par les acteurs…

On ne s’intéressera donc pas cette fois à la complexité du « chaos urbain marseillais », qui recouvre pourtant la majorité de la surface bâtie (illus 7), mais on se focalisera plutôt sur la 3ème couronne identifiée par les chercheurs du PIRVE, celle des périphéries faisant transition avec les massifs naturels en grande partie protégés[15].

La méthode, qui doit néanmoins pouvoir être généralisée par la suite, consister à mettre en œuvre une première lecture globale des différents tissus au 1/25 000ème (illus 8) afin de percevoir la structuration du tissu, et d’évaluer l’occupation et l’imperméabilisation des sols. On identifie au final trois types de densité bâtie : très dense en centre urbain, agrémentée de quelques cours intérieures végétalisées, très hétérogène en première périphérie, tout en incluant des délaissés publics et de nombreux jardins clos, et enfin beaucoup plus lâche en deuxième périphérie, où les terrains attachés aux habitations s’agrandissent et ne sont plus soumis aux mêmes entretiens ni usages, et forment une continuité avec les espaces de natures à proximités.

Illustration 7 : L’empreinte urbaine marseillaise, source Géoportail, IGN, 2019.

Illustration 8a : Centre urbain dense, source Géoportail, 1/25 000ème, IGN, 2019.

Illustration 8b: Centre urbain intermédiaire, source Géoportail, 1/25.000ème, IGN, 2019.

Illustration 8c : Franges urbaines, source Géoportail, IGN, 1/25 000ème, 2019.

 

La cartographie aérienne constitue ici un bon outil de repérage et d’interprétation de la répartition foncière des différents types d’occupation du sol. Elle est complétée par une lecture de la photographie aérienne au 1/2 000ème, qui permet d’identifier la nature des typologies bâties et des espaces verts repérés, afin d’évaluer leur taux d’imperméabilisation, de faire le compte des cours arborées, ainsi que des arbres d’alignement (illus 9). L’analyse de la photographie aérienne au 1/2 000ème fournit une approche efficace des typologies végétales existantes accompagnant le bâti, et permet notamment d’apprécier les caractères spécifiques des espaces naturels. Néanmoins, elle s’avère insuffisante pour comprendre le fonctionnement réel des espaces verts urbains et notamment percevoir leurs composantes paysagères. Un complément peut être fourni par Google Street View, mais la perception y reste encore tronquée et limitée à l’horizon des proximités immédiates.

Illustration 9 : Relations entre le végétal et le bâti, centre urbain dense, source Géoportail, IGN, 1/2 000ème, 2019.

Il apparaît à ce stade nécessaire de développer une approche complémentaire de terrain afin de se donner les moyens d’étudier les différentes formes de natures urbaines existantes, de préciser leurs caractères et leurs qualités afin de les rendre plus identifiables pour une intégration dans les documents d’urbanisme. Ce travail est alors entrepris à travers la mise en œuvre d’un « Observatoire photographique des franges urbaines suivant le tracé du canal de Marseille », justement situé au cœur de cet espace urbain de transition.

 

L’étude fine des natures urbaines marseillaise : pour quels bénéfices ?

Les chercheurs mobilisés dans le cadre du PIRVE ont fait le constat de la nécessité de passer d’une échelle à une autre de l’analyse urbaine pour produire une bonne compréhension des espaces de natures urbaines. Ils ont mobilisé l’échelle de la commune pour définir les axes verts, puis celle des ECN pour qualifier chacun des lieux. Leur analyse renvoie finalement à l’étude des cartes au 1/25 000ème et au 1/2 000ème, complétées par la compréhension des structures géographiques au 1/200 000ème (illus 7). Les trois approches sont ici complémentaires et indispensables les unes des autres dans la mesure où elles fournissent des informations qui rendent compte de présence d’espaces de nature aux différentes échelles du fonctionnement écosystémique et urbain.

Dans un deuxième temps, ils ont défini un « indice de naturalité » permettant de renseigner sur le nombre d’espèces présentes ainsi que sur la flore cultivée ou spontanée. Il a été complété par un « indice de méditerranéité » qui lui, rend compte de la spécificité locale de la flore. De plus, la lecture naturelle de la ville se réalise via deux grilles de lecture de la nature urbaine : la grille relative aux axes de nature dans la ville (illus 5), et la grille des Espaces ponctuels à Caractère Naturel (illus 3). Les deux axes identifiés constituent alors les structures d’une mise en œuvre possible de la Trame verte et bleue urbaine sur la ville de Marseille, le long des tracés des rivières, aujourd’hui partiellement enterrées : le ruisseau du Jarret et des Aygalades au nord, et de l’Huveaune vers l’est.

Cette approche fait également apparaître la nécessité de mettre en jeu la notion de « sous-trame » comme espace de connectivité complémentaire alimentant la Trame verte et bleue principale. Ces sous-trames peuvent alors être composées d’espaces très disparates : jardins entretenus, friches, délaissés. Elles prennent sens et fonction dans leur contexte urbain.

Enfin, il apparaît clairement que la mise en œuvre des Trames vertes et bleues urbaines dépend des perspectives de développement urbain, et notamment des manières dont les élus décident d’absorber l’essor démographique de la ville[16]. Un des principaux problèmes ressort ici du fait que la mise en œuvre de la Trame verte et bleue locale est réalisée via le PLU, et qu’elle est dans ce cadre souvent confiée à des bureaux d’étude qui se focalisent essentiellement sur les outils réglementaires existants pour générer des espaces verts[17] sans forcément prendre en compte les dynamiques de valorisation locales fédérées par les habitants à travers la végétalisation des rues, ou les pratiques de marches urbaines[18]. Il s’agirait pourtant d’imaginer des moyens plus subtils pour étudier finement les manifestations et les formes d’usage liées à l’existence de ces différentes natures urbaines.

Ces dernières se manifestent au final à travers la variété des formes d’interactions existant entre les formes urbaines et bâties, et la biodiversité aux différentes échelles de l’urbain. Ne serait-il alors pas pertinent à ce stade d’envisager la ville comme un « phénomène écosystémique », caractérisé par différentes dimensions du vivant ? L’enjeu se déplace alors vers une attention à des « écosystèmes urbains » aux différentes échelles de l’urbain, et à leur caractérisation via la recension des manifestations hétérogènes du vivant. Le jardin privé apparaît dans cette perspective comme « un révélateur inattendu » et privilégié de ce que la Trame verte urbaine pourrait effectivement désigner : « une nature ordinaire, dynamique et fortement contrainte ».

La poursuite de cette réflexion est également mise en œuvre à travers un relevé des différentes types d’interactions rencontrées entre la nature et le tissu bâti, sur la zone de transition de la ville et de la nature (3ème couronne). Elle est réalisée dans le cadre d’une action de recherche intitulée « Observatoire photographique des abords du canal de Marseille », au sein du laboratoire project[s], de l’ENSA•M aux abords du canal[19], qui a lui-même été identifié dans le ScoT comme le vecteur d’une trame bleue potentielle. L’enquête photographique de grande envergure aboutit à ce jour à la première sélection de 2.085 images, qui deviennent ainsi les supports de description de ces nouveaux écosystèmes urbains.

 

Bibliographie :

BARLES Sabine, BLANC Nathalie, Écologies urbaines sur le terrain, Economina, 2016.

BLANC Nathalie, Les formes de l’environnement, MetisPresses, 2016.

CLERGEAU Philippe, Une écologie du paysage urbain, Apogée, 2007.

CONSALES Jean Noël, GOIFFON Marie et BARTHELEMY Carole, « Entre aménagement du paysage et ménagement de la nature à Marseille: la trame verte à l’épreuve du local. », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 3, n° 2 | Juillet 2012, mis en ligne le 06 juillet 2012, consulté le 25 janvier 2016. URL : http:// developpementdurable.revues.org/9268 ; DOI : 10.4000/developpementdurable.9268

LANASPEZE Baptiste, MATHIEU Geoffroy, Marseille, ville sauvage, Actes Sud, 2012.

RONCAYOLO Marcel, Les grammaires d’une ville, Essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille, Ed de l’ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales,1996.

http://www.trameverteetbleue.fr/presentation-tvb/foire-aux-questions/qu-est-ce-qu-corridor-ecologique

Appels à projet: https://www.eaurmc.fr/jcms/pro_92201/fr/appel-a-projets-eau-et-biodiversite-2019

 

Références :

[1] BARTHELEMY Carole, BERTAUDIERE-MONTES Valérie, CONSALES Jean-Noël, DESCHAMPS-COTTIN Magali, GOIFFON Marie, LIZEE Marie-Hélène, MARCO Audrey, « Natures urbaines à Marseille : entre démarche interdisciplinaire et projet environnement », In BARLES Sabine, BLANC Nathalie, Ecologies urbaines sur le terrain, Economina/Anthropos, 2016, pp 45-60.

[2] http://www.cnrs.fr/prg/PIR//programmes-termines/ville-environnement-mousson/PIRVE-APR2010.pdf

[3] http://www.cnrs.fr/infoslabos/conferences-colloques/Docs-PDF/ColloquePIRVE2008.pdf

[4] Laboratoire Population Environnement Développement, de l’Université Aix-Marseille.

[5] L’illustration n°4 produite dans le cadre de cette recherche a depuis été reprise dans plusieurs travaux universitaires.

[6] Qui désignerait plutôt une palette d’actions de végétalisation plutôt qu’un « état de naturalité » de l’urbain en lui-même.

[7] Décret n°2012-1492 du 27 décembre 2012.

[8] http://www.trameverteetbleue.fr/presentation-tvb/foire-aux-questions/qu-est-ce-qu-corridor-ecologique

[9] Devenu entre temps PLUi, et dont l’enquête publique est actuellement en cours: http://www.marseille-provence.fr/index.php/un-clic/plan-local-d-urbanisme-intercommunal

[10] SCoT : Schéma de Cohérence Territoriale. « Le Schéma de cohérence territoriale est un document d’urbanisme français qui détermine, à l’échelle de plusieurs communes ou groupements de communes, un projet de territoire visant à mettre en cohérence l’ensemble des politiques sectorielles notamment en matière d’habitat, de mobilité, d’aménagement commercial, d’environnement et de paysage ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Sch%C3%A9ma_de_coh%C3%A9rence_territoriale

[11] Les EBC sont définis dans l’article L130-1 du code de l’urbanisme : « Les plans locaux d’urbanisme peuvent classer comme espaces boisés, les bois, forêts, parcs à conserver, à protéger ou à créer, qu’ils relèvent ou non du régime forestier, enclos ou non, attenant ou non à des habitations. Ce classement peut s’appliquer également à des arbres isolés, des haies ou réseaux de haies, des plantations d’alignements. Le classement interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements. Nonobstant toutes dispositions contraires, il entraîne le rejet de plein droit de la demande d’autorisation de défrichement prévue aux chapitres Ier et II du titre Ier livre III du code forestier. », https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idSectionTA=LEGISCTA000006143279&cidTexte=LEGITEXT000006074075&dateTexte=20111222

[12] http://www.calanques-parcnational.fr/fr

[13] Thèse de Brice DACHEUX (direction : Y. Petit-Berghem) : Biodiversité et conception paysagère. Prise en compte de la diversité arborée par les paysagistes contemporains dans la conception et la gestion des parcs urbains marseillais, 16 novembre 2018, Marseille.

[14] Mémoire de M2, séminaire recherche d’A.Biehler (dir S.Steenhuyse) de Corentin LAURENT, Le rôle de la nature dans l’espace public, le cas du parc urbain du 26ème centenaire, 2018-2019.

[15] La majorité de ces espaces de nature périphérique sont d’ailleurs aujourd’hui protégés et donc inconstructibles.

[16] Estimée par les chercheurs à 6.000 habitants/an sur Marseille.

[17] Notamment les Espaces Boisés Classés du PLU.

[18] Notamment le GR 13, à Marseille, in Barthélémy C., 2013. « Les balades urbaines, ou la culture en marche : des projets artistiques valorisant la nature à Marseille », Revue Faire Savoirs, 10, « Les nouveaux horizons de la culture », pp. 69-78.

[19] Action de recherche en cours, conduite par Séverine Steenhuyse, au sein du laboratoire project[s] de l’ENSA•M.

Razionalismo manierista Milano 1940‑1960

Razionalismo manierista Milano 1940‑1960

Au premier coup d’œil, les immeubles d’habitation réalisés à Milan entre 1940 et 1960 par les architectes Mario Asnago (1896-1981) & Claudio Vender (1904‑1986), Luigi Walter Moretti (1907-1973), Ignazio Mario Gardella (1905-1999), le groupe BBPR 1 (1932-années 60), Luigi Caccia Dominioni (1913-2016), Angelo Mangiarotti (1921-2012) & Bruno Morassutti (1920-2008), ou Carlo Perogalli (1921-2005) & Attilio Mariani (1921-) et sûrement d’autres, ont quelque chose en commun – ils ont tous des bizarreries. Ces excentricités peuvent être produites par le caractère franchement insolite de la silhouette de l’édifice ou par la matérialité troublante de l’enveloppe. Elles peuvent être aussi provoquées par les licences prises par rapport aux conventions de la composition ou par l’incorporation ponctuelle d’éléments singuliers du vocabulaire vernaculaire. Ces bâtiments peuvent autant provoquer une stupéfaction immédiate que se nimber d’une étrangeté légère mais inquiétante lorsqu’on s’attarde à les scruter en détail. Il s’agit à proprement parler d’une démarche d’auteur où les propositions subjectives semblent ostensiblement assumées.
Ces architectes ont peu ou pas théorisé leur travail, en dehors d’Ernesto Nathan Rogers (1909-1969) mais ils ont assurément construit une architecture « qui donne à penser ». La grande diversité des productions ne permet pas de les classer dans un unique mouvement artistique même s’ils partagent certaines attitudes critiques. Les dates de construction elles-mêmes peuvent surprendre : ces bâtiments nous semblent tous beaucoup plus récents qu’ils ne le sont. Ces édifices partagent en effet avec l’architecture contemporaine des caractères communs comme l’aspect monolithique des enveloppes, la composition des façades à percements aléatoires, la flexibilité paradoxale du plan à pièces ou le caractère ludique et sophistiqué des détails d’assemblage et de mise en œuvre. Pourtant, ces édifices ont été construits dans un contexte culturel, politique et économique très particulier et très éloigné du nôtre – ils ont été construits pour une clientèle bourgeoise éclairée et manifestement un peu excentrique et gourmande de formes.

Pour caractériser ces architectures, une hypothèse naît, sous la forme d’un oxymore : que ces architectes engagent un processus particulier d’évolution du mouvement moderne, une forme de « modernisme maniériste ». Rassembler en une expression deux mouvements artistiques aussi éloignés historiquement qu’opposés théoriquement n’a pas pour objectif premier de proposer un nouveau mode de classement, anachronique et paradoxal, de l’histoire de l’architecture. Nous sommes plutôt guidés par l’intérêt porté à une certaine manière de concevoir et de réaliser l’architecture – à une forme d’arte di maniera. Dans son article « Pour une brève histoire du maniérisme », Daniel Arasse (1944-2003) cite les recherches de Robert Klein (1918-1967) 2 « (…) dans le maniérisme l’attention glisse du quoi, ce qui est représenté, au comment, le représenter. Il demande donc un regard d’appréciation artistique ou esthétique devant l’objet représenté, sur la manière dont on représente cet objet » 3.

Rapprocher du maniérisme la modernité hétérodoxe des édifices que nous étudions, c’est tenter de chercher des origines à ces bizarreries pour qu’elles ne restent pas de pures subjectivités. C’est imaginer que ces architectes, comme les artistes du XVIème siècle, ont en commun une pensée en mouvement, instable, fragile, complexe, une critique parfois désinvolte ou désabusée. Les licences prises au XVIème siècle par rapport aux théories de la Renaissance ont fait évoluer la notion de beauté : d’un art de nature à un art d’artifice. Le maniérisme est indissociable de la Renaissance classique, il s’est constitué à partir d’expérimentations toujours situées dans des relations dialectiques, c’est pour cela qu’on peut qualifier cette période de Renaissance maniériste. Daniel Arasse nous conseille d’éviter le terme de pré‑baroque, qui attribue à ce mouvement chaotique une direction qu’il n’avait pas 4.

fig.1 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Edificio per abitazioni (1948) Milano, Via Plutarco 13 Source Lombardia Beni Culturali Da bibliografia (Zucchi, Cadeo, Lattuada, 1998) Unità: AV108

 

En proposant le terme de Razionalismo manierista milanese, notre article sous‑entend qu’il s’agit d’une posture maniériste au sein du rationalisme italien. Le rationalisme italien est un mouvement éphémère pris dans le chaos de l’histoire – le Gruppo 7 5 n’a existé que l’année 1926 et le M.I.A.R. (Movimento Italiano per l’Architettura Razionale) a été fondé en 1930 pour se dissoudre en 1932. Giuseppe Terragni (1904‑1943) réalisera à Côme la Casa del Fascio (1932‑1936), une architecture d’une très grande précision et d’une grande pureté géométrique – une sorte de Rubik’s cube réglé par des proportions albertiennes. Kenneth Frampton (1930‑) analyse la cohérence et la rigueur de cet édifice : « Le bâtiment est traité comme s’il y avait une matrice spatiale continue, sans aucune indication concernant le haut, le bas, la gauche, la droite, etc. » 6. À Milan, en association avec Pietro Lingeri (1894‑1968), il réalise la Casa Rustici (1933‑1935) où la recherche de la transparence entre l’intérieur et l’extérieur de l’îlot, les amènent à proposer une façade constituée d’une grille légère de balcons, une solution réemployée à l’échelle urbaine pour l’aménagement du front du parc à Paris‑Bercy coordonné par Jean‑Pierre Buffi (1937‑). Ils réalisent aussi à Milan des immeubles d’habitation plus courants et plus classiques, la Casa Ghiringhelli (1933) et la Casa Lavezzari (1934). Deux édifices où on trouve une organisation parfaite de la symétrie avec une grille régulière des percements, une partition interne équilibrée et une décomposition des séquences parfaitement articulée. Un texte, intitulé « Note », que le Gruppo 7 publie dans la revue Rassegna Italiana en 1929, montre toutes les ambiguïtés de ce mouvement : « Notre passé et notre présent ne sont pas incompatibles. Nous ne souhaitons pas ignorer notre héritage traditionnel. C’est la tradition qui se transforme toute seule et prend de nouveaux aspects que seuls quelques‑uns peuvent reconnaître » 7. C’est une période où les notions restent floues entre tradition, classique et moderne. Cette origine présumée du rationalisme maniériste permet de donner une source plus ou moins canonique à ce mouvement architectural hétérogène et quelque peu hérétique. Bien sûr, ce mouvement a été aussi très fortement influencé par le Novecento milanese. Gio Ponti (1891‑1979) et Piero Portaluppi (1888‑1967) ont été des architectes importants dans les années 1920 à 1940 mais aussi des enseignants influents à l’école polytechnique de Milan. Enfin, l’étonnant travail de Giovanni Muzio (1893‑1982) pour laCa’Brutta (1919‑1923) ou pour Angelicum, (1939‑1942) a dû ouvrir pour cette nouvelle génération, un chemin vers des plaisirs cultivés et licencieux.

fig.2 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Edificio per abitazioni Santa Rita (1937) Milano, Via Euripide 1. Source Lombardia Beni Culturali Archivio Asnago Vender Photographe Olivo Barbieri Unità: AV081

 

Dès les années 1950, Colin Rowe (1920‑1999) devinait déjà ce penchant pour le maniérisme dans le mouvement moderne des années 1920. Dans les articles « Mathématique de la villa idéale » (1947) et « Maniérisme et architecture moderne » (1950) 8, Colin Rowe propose des analogies entre les tenants de cette modernité héroïque et les artistes du XVIème siècle. Il cherche à mettre en évidence les processus de conception par l’analyse visuelle des édifices et par la comparaison formelle des plans et des élévations. On pourrait d’ailleurs prolonger les analyses de Colin Rowe, en comparant les modes de composition d’Andrea Palladio (1508‑1580) à ceux d’Ignazio Mario Gardella. Sa Casa al Parco, Piazza Castello 29 (1947‑1954) offre des jeux paradoxaux entre les façades à ossature et remplissage et les façades à murs percés qui s’apparentent au Palazzo Chiericati (1550‑1680) ou au Palazzo Thiene Bonin Longare (1572‑1610) à Vicence.

Restons fidèle à cette méthode : en s’appuyant sur le vocabulaire riche et imagé de l’esthétique maniériste et son incarnation dans des chefs‑ d’œuvre, nous allons proposer une lecture critique de cette architecture moderne milanaise, qui met au jour leur rôle de pivot entre le XVIème siècle et certaines esthétiques contemporaines. Au cours de notre analyse, nous pourrons interroger à la fois l’attrait contemporain pour l’architecture fantaisiste, tout en trouvant du plaisir dans des architectures plus inquiétantes, plus paradoxales et peut‑être plus savantes

Nous nous attacherons plus spécifiquement à analyser les potentiels dynamiques que peuvent produire sur le spectateur les anomalies et entre autres dans les trames des façades. Mais aussi comment ces jeux de percements s’accompagnent d’une simplification volumétrique et une radicalité dans les enveloppes. C’est un dispositif formel très innovant à l’extérieur qui est paradoxalement contredit par des dispositions classiques dans les intérieurs, convoquant la figure des appartements à pièces bourgeois. Il s’agit d’une architecture d’un très grand raffinement nécessitant une sophistication extrême des détails, une architecture de designer. Une architecture moderne, radicale, sophistiquée et toujours très urbaine, ne remettant jamais en cause la continuité de la ville, bien que Milan, au lendemain de la guerre, soit devenue une quasi page blanche.

Une fenêtre par ci …

Commençons par l’architecture de Mario Asnago & Claudio Vender : l’une de ses caractéristiques est la façon assez inattendue de placer des fenêtres d’un format particulier ou de décaler quelques baies dans une trame régulière de percements. C’est le cas du petit immeuble d’habitation Via Plutarco 13 (1948) où on trouve au troisième étage, à peu près dans le milieu du bâtiment, une fenêtre un tiers plus large que les autres [fig.01]. Cet immeuble de logement à quatre travées, est construit entre deux mitoyens. La façade se décompose en deux registres horizontaux, un socle trop haut sur deux niveaux et un plan de façade un peu trop bas sur trois. Les surfaces de ces deux plans sont très contrastées ; le socle en pierre calcaire est très lisse alors que l’élévation en brique rustique est très rugueuse.

fig.3 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Edificio perabitazioni e uffici (1935) Milano, Viale Tunisia 50 Source Lombardia Beni Culturali Photographe Olivo Barbieri Unità: AV062

 

La délimitation entre les deux matières se fait juste au‑dessus du cadre des fenêtres du deuxième étage mais il est tellement près du haut des baies que l’on perçoit clairement que ce changement de matière ne correspond pas à une disposition constructive. Il s’agit plutôt d’une ligne abstraite de partition de la façade. C’est un dispositif de composition qu’on retrouve dans le bâtiment de logements et de bureaux Piazza Velasca 4 (1950‑1952). Les deux architectes ont l’habitude de composer de manière étonnante les plans de façades, Via Euripide 1 (1937‑1938) les balcons sont situés sur les trois étages inférieurs laissant les deux niveaux supérieurs nus. Une façade d’autant plus lisse que les volets se rangent à galandage dans l’épaisseur de la façade [fig.02]. Inversement, Via Tunisia 50 (1935), les balcons très élancés sont regroupés sur les étages supérieurs ce qui contraste fortement avec les étages inférieurs et donne le sentiment qu’il s’agit de deux bâtiments superposés [fig.03].
Est‑ce une manière de se jouer des conventions, comme une bouffonnerie d’Auguste – une fenêtre bizarre comme un nez rouge et des proportions grotesques comme un maquillage de clown ? Cette hypothèse, Daniel Arasse l’a déjà évoquée à propos du maniérisme : « Ce qu’on doit bien comprendre avec le maniérisme c’est qu’il a une dimension ludique, le paradoxe maniériste étant très souvent un jeu. En fait, dans une large mesure, le maniérisme met en scène le trouble, l’incertitude, pour en jouer et peut‑être aussi pour en exorciser le caractère inquiétant » 9.

Ce traitement particulier des percements est peut‑être aussi une manière de dérider la régularité, de composer de façon souple, de retrouver une fraîcheur enfantine [fig.04]. Il est tentant de le rapprocher du remplacement, dans la peinture et la sculpture du XVIème siècle, du noble déhanchement du contrapposto par la figure serpentinata, sinueuse comme un serpent en reptation. Patricia Falguières considère cette pose comme un élément significatif du maniérisme : « C’est ici qu’apparaît le mieux l’une des caractéristiques les plus marquées de l’avant‑garde maniériste. Elle aura privilégié l’idéal d’un mouvement fluide, aisé, affranchi de la pesanteur et des contraintes du réel » 10. Sur la façade à trois étages du modeste bâtiment d’angle de la Via Balbo 1 (1947), la fenêtre du deuxième étage se décale légèrement de l’alignement vers l’angle et sur l’autre façade la fenêtre du premier étage manque [fig.05]. Au Corso di Porta Nuova 52 (1963), c’est au deuxième et au huitième et dernier étage que deux baies se reculent de l’alignement à l’angle [fig.06]. Chaque fois, ces petits mouvements dans les alignements des baies font légèrement « onduler » la façade. Mais là où l’effet serpentinata est le plus sophistiqué, c’est à l’angle de Via Alberico Albricci et de la Piazza Velasca (1953‑1959) [fig.07]. Dans un premier temps, on perçoit deux fenêtres particulières, au premier et au deuxième étage qui se rapprochent anormalement de l’angle, faisant plonger le regard vers le sol. Inversement, au dernier niveau la trame est évidée et fait échapper le regard vers le ciel. On imagine que ces effets permettent d’attirer le regard vers la Torre Velasca (1951‑1958) des architectes BBPR en fond de perspective de la Via Larga. Mais très vite, le bâtiment échappe à l’entendement : le rez‑de‑chaussée offre une légère brisure, afin de ménager un retrait de l’alignement et de créer une petite ombre qui fait flotter l’impressionnant plan de façade. Et ce n’est que bien plus tard qu’on découvre qu’à partir du quatrième étage, les linteaux entre les baies se réduisent progressivement vers le haut de l’édifice, et font de ce fait à la fois « gonfler » et « onduler » la façade.

fig.4 Architectes Mario Asnago et Claudio Vender Ristrutturazione e ampliamento di una villa in palazzina per abitazioni (1948‑1955) Torino, Piazza Bernini 2 Source Lombardia Beni Culturali Da bibliografia (Zucchi, Cadeo, Lattuada, 1998) Unità: AV110

 

Bien entendu les bâtiments d’angle se prêtent plus facilement à des jeux de décalage des baies. Les contraintes d’éclairement de la pièce d’angle sont moins fortes et on peut choisir de les ouvrir d’un côté ou de l’autre, plus ou moins à sa guise. Le rendu du volume à l’angle est un sujet important de la composition architecturale et les projets contemporains jouent de ces opportunités pour créer des effets de rotation du volume sur l’angle par des percements en quinconce. C’est peut‑être pour cette raison que le bâtiment de Carlo Perogalli & Attilio Mariani, Via Beatrice d’Este 24 (1956‑1957), avec ses jeux de parement en damier de brique orange et rouge et ses fenêtres en quinconce, nous semble si contemporain. Pour autant, l’accumulation des irrégularités et des trames décalées finissent par être paradoxalement répétitives dans les nouveaux quartiers des ZAC parisiennes. On peut y lire le signe d’une inversion des valeurs entre régulier et irrégulier, entre sens du collectif et individualisme. En fait, cette nouvelle esthétique du quinconce qui gère, subit ou sublime, les normes en matière de propagation du feu – le fameux algorithme du « C+D » 11. À Boulogne‑Billancourt dans le nouveau quartier du Trapèze, il n’y a guère que l’agence de Roger Diener (1950‑) pour composer une façade régulière avec des balcons pour contourner la terrible norme. C’est pourtant la même agence qui a réalisé à Bâle (1993‑1995) un petit bâtiment d’angle, dénommé maison Kolhenberg par Martin Steinmann (1955‑) où les trumeaux et les châssis des fenêtres se disposent de part et d’autre de l’angle organisant à chaque étage des figures différentes. Le bâtiment se présente comme une œuvre d’Art concret qui donne des clefs de compréhension du processus de conception au spectateur – en lui laissant prolonger la composition en devenir. Pour Martin Steinmann, dans son article « Le regard du producteur », ce bâtiment agit comme un nouveau paradigme, un modèle pour une déclinaison. « Le thème en est déjà donné : la maison Kolhenberg fait naître un regard de producteur, un regard qui nous fait nous‑mêmes créer l’œuvre. Nous pouvons la répéter comme une partie d’échecs. L’œuvre ne nous apparaît pas comme achevée, elle se développe sous notre regard ou plus précisément nous la développons. Nous la réalisons selon les deux acceptions de ce terme : nous la comprenons et nous la rendons réelle en la comprenant » 12.

La Dernière Cène Via Faruffini

Le potentiel dynamique que crée le conflit entre régularité et irrégularité a été de longue date exploité en peinture. Lorsque Leonardo da Vinci (1452‑1519) réalise la peinture murale à tempera de « La Dernière Cène », entre 1495 et 1498 pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan, il utilise pour la dernière fois la perspective construite telle que Leon Battista Alberti (1404‑1472) l’a théorisée dans son ouvrage De pictura (1435).

Fig. 5 & 6

La perspective est parfaite, l’espace fictif de la storia est en continuité de l’espace réel de la pièce, on nomme vulgairement cette peinture « la pièce du haut ». Il s’agit d’une démonstration didactique de ce qu’est la perspective, construite mathématiquement. Depuis le point de vue du spectateur, c’est‑à‑dire une nonne assise en train de manger, le dessin du quadrillage du plafond à caissons et les lignes verticales des tentures, des portes et des baies permettent de rendre compte de la profondeur fictive. C’est presque un schéma de la grille de construction. L’architecture n’est qu’un décor pour le premier plan, la table derrière laquelle sont assis les apôtres, qui eux sont en avant, comme projetés hors de l’image. Leonardo da Vinci prend une licence par rapport aux règles en déplaçant le cadre de représentation, en cadrant trop serré, pour faire flotter la scène entre l’espace fictionnel et l’espace réel. Daniel Arasse nous montre que déjà lorsqu’il a réalisé sa première peinture en perspective, « L’Annonciation » (1475‑1476), la construction géométrique est invraisemblable ; « une apparence de réalité, de construction exacte » 13. Est‑ce une manière de cacher le mystère de l’Annonciation ou adopte‑t‑il déjà une distance critique, est‑il déjà désabusé par la trivialité de la construction géométrique ? Dans « La Dernière Cène », les personnages sont rangés très régulièrement par groupes de trois, de part et d’autre du Christ, qui est, lui, situé dans l’axe, sur le point de fuite central. C’est la première fois que Judas se retrouve avec les autres du même côté de la table – une question sûrement épineuse du point de vue de l’iconographie chrétienne ! Sans doute en accord avec le programme iconographique des Dominicains, ce positionnement de Judas a aussi permis à l’artiste de régler un problème de représentation. S’il avait dû placer autrement Judas, le personnage se serait trouvé du côté des nonnes, dans le vide. Cette disposition permet de donner une grande régularité à la composition et de fait, concentre l’attention du spectateur sur les attitudes des personnages. Daniel Arasse décrit parfaitement l’agitation qui règne dans ce premier plan, entre les postures des personnages et la trame perspective « Ce qui intéresse Léonard dans « La Dernière Cène », c’est justement le cadre géométrique donné par la perspective « régulière » comme instrument à dénier par les figures qui se déplacent sans arrêt dans la grille. C’est ça le mouvement du monde. » 14.

Lorsque l’on emprunte la Via Faruffini, on est dans un continuum urbain ordonné par l’alignement, la mitoyenneté, le gabarit et matérialisé par une architecture urbaine courante des années 1950 et 1960. On peut passer devant le numéro 6, construit en 1954 par les architectes Mario Asnago & Claudio Vender, sans y prêter plus attention que ça, si ce n’est qu’il est très blanc et très lisse [fig.08].
Lorsqu’on traverse l’avenue pour prendre du recul, le bâtiment apparaît plutôt régulier et plutôt austère. Mais très vite quand on s’attarde à observer la façade, le regard se met à se déplacer frénétiquement sur la surface murale : on se trouve dans une relation spectateur‑œuvre analogue à celle que provoque « La Dernière Cène ». La façade apparaît comme une surface abstraite, comme un dessin sur un papier millimétré. Le parement en mosaïque blanche produit un discret quadrillage, une analogie avec le papier millimétré. Ce plan de façade est décollé visuellement du sol par un très léger recul et par un singulier garde‑corps au rez‑de‑chaussée.

Fig. 7 & 7bis

Elle est aussi détachée du volume construit par une loggia d’angle située directement derrière le voile de façade. Au premier coup d’œil, la façade semble percée régulièrement mais très vite une baie particulière sur la droite attire notre attention et à partir de ce moment‑là, le regard se promène de droite à gauche, de haut en bas à la surface de la paroi pour chercher d’autres irrégularités. Paradoxalement, la trame qui semblait très régulière ne l’est en fait aucunement, tous les étages sont différents. Comme dans « La Dernière Cène », l’altérité n‘existe que sur un fond de régularité. À suivre Daniel Arasse, le regard s’amuse d’abord à repérer les différentes positions des groupes d’apôtres par leur position par rapport au décor, ce qui créé un premier niveau d’agitation dans l’image. Très vite, l’attention est captée par les mouvements des visages et les positions des mains, qui redirigent incessamment le regard, et on finit par être pris dans un tumulte général. Face au bâtiment de Mario Asnago & Claudio Vender, on se tient devant un jeu des 7 erreurs, le regard balaie la façade à la recherche de l’anomalie. La façade nous propose d’ailleurs une dernière énigme : le cadre métallique. C’est une structure légère, métallique, située un peu en haut à droite, écartée d’un bon mètre du mur, là où le regard s’était porté au premier coup d’œil. Est‑ce un cube virtuel qui transperce la façade ? Est‑ce une citation du monument aux victimes des camps d’extermination nazis, des architectes BBPR (1946) ? Est‑ce que les ombres portées de cette structure composent des figures géométriques changeantes suivant la course du soleil ? Ce n’est manifestement pas un étendoir à linge, il n’a semble‑t‑il pas d’usage particulier. Sans sources des auteurs cela reste une curiosa.

La répartition des percements sur la façade n’a pas non plus de raison d’être particulière par rapport à la partition interne des pièces. Il ne s’agit pas de répondre à des besoins fonctionnels, bien au contraire, dans certains logements les cloisons se « contorsionnent » pour s’adapter à la composition de la façade. « La Dernière Cène », aussi, pose une dernière petite énigme au flot de touristes qui s’agglutinent devant elle – mais où est passé Judas ? Revenu de l’autre côté de la table, dissimulé dans un groupe de trois apôtres ! – Comme dans la bande dessinée de Martin Handford, on cherche « Où est Charlie » !

Des monolithes paradoxaux

Pour mettre en mouvement les regards et les pensées, la peinture a inventé une autre technique : le chatoiement des étoffes et des drapés qui donne à la simplicité du volume un rendu très texturé. Entre 1955 et 1961, Luigi Caccia Dominioni réalise une série d’immeubles de logements à partir d’un même dispositif formel dont l’objectif avoué est de faire perdre l’échelle de l’édifice. Les volumétries sont simples, massives et les enveloppes de façade sont unitaires et traitées en allover. Les deux bâtiments de la Via Ippolito Nievo (1955‑1957) sont des barres qui s’inscrivent dans un plan urbain d’ensemble. Le bâtiment Corso Italia 22 (1957‑1961) est une petite tour à facettes implantée en cœur d’îlot. Le bâtiment Piazza Carbonari (1956‑1957) est un plot avec une singulière silhouette de toiture découpée à l’emporte‑pièce [fig.09].

Fig. 8 & 9

L’aspect unitaire des façades est rendu par la surface murale constituée de briquettes de parement posées verticalement, qui soulignent le caractère ornemental du dispositif. Elles sont vernissées. Leurs couleurs – bleu nuit, orange terre, vert pétrole – changent selon la lumière du jour et semblent couvertes d’or, de cuivre ou d’asphalte. Cet effet moiré ou mordoré, très apprécié dans les tissus vénitiens, est devenu une technique picturale de la Renaissance maniériste. Le cangiante est très utilisé par Paolo Caliari, dit Véronèse (1528‑1588) ainsi que par Michelangelo (1475‑1564) dans la Chapelle Sixtine (1508‑1512). Pour réussir la transposition à l’architecture de cet effet, les fenêtres sont insc

rites dans une figure particulière de composition. Elles sont disposées en semis, en constellation ou en guirlande enveloppant le volume [fig.10]. Elles ne laissent plus deviner la partition interne des logements et on finit par perdre même la notion d’étage. Les éléments particuliers de la façade comme les de l’agence BBPR, Via Cavalieri del Santo Sepolcro 10‑12 (1961‑1968) ou d’Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, Via Quadronno 24 (1959‑1960) ont une dimension monolithique rendue par le pliage de l’enveloppe et le dispositif répétitif d’un motif des travées de façade.

Jacques Lucan (1947‑), dans les deux livres qu’il consacre aux nouveaux processus de conception architecturale 15, analyse l’intérêt contemporain pour ce mode de composition en all‑over. C’est un dispositif de composition qui se prête plus facilement à des programmes d’équipement moins contraints par les nécessités des usages intérieurs. Pour autant, dans les immeubles d’habitation de Luigi Caccia Dominioni ou dans certains projets contemporains, on trouve des dispositifs analogues. L’agence milanaise baukuh (2004‑) a réalisé à Tirana (2015) un immeuble d’habitation avec une silhouette extrêmement massive, un traitement unitaire de l’enveloppe en carrelage et un mode de percement semi‑aléatoire. On retrouve aussi dans l’immeuble d’habitation des architectes Aldric Beckmann (1970‑) et Françoise N’thépé (1973‑) dans la ZAC Masséna (2007) le même aspect monolithique, donné par une enveloppe unitaire en béton teinté marron, juste contrariée par les ajouts dorés, associés à une multitude de formes de châssis pour faire perdre la compréhension de la superposition. Les architectes Jacques Herzog (1950‑) & Pierre De Meuron (1950‑), pour le bâtiment Südpark (2011) à Bâle, poussent le dispositif de la surface murale en all‑over en répartissant en semis les baies sur la totalité de la façade.

Fig. 10 & 11

La tour Agbar (2005) de Jean Nouvel (1945‑) à Barcelone, avant qu’elle ne soit capotée, révélait un ordonnancement impressionnant : la disposition des châssis semblait pixelliser la coque tandis que certains cadres pouvaient devenir structurels dans les enchaînements de percements. Plus récemment, l’agence suisse Philippe Bonhôte & Julia Zapata (2003‑) à La chapelle des Sciers (2009) à Lancy, utilise aussi un mode de percement en ruban pour faire « flotter » les couches les unes sur les autres. Ce dispositif fait aussi référence depuis l’intérieur à une fenêtre bandeau cadrant chaotiquement le paysage.

Le principal paradoxe des immeubles d’habitation de Luigi Caccia Dominioni est que la composition des façades très contemporaine en all‑over, est en contradiction avec le dispositif classique de distribution par pièces des appartements. On aurait pu s’attendre avec ce type de façade à des plans fluides, très ouverts alors qu’on trouve des plans à pièces, très composés. Ils ont toutes les caractéristiques des appartements bourgeois des XVIIIe et XIXe siècle avec hall, vestibule, galerie, antichambre, double distribution, cabinet, bibliothèque, dressing, office, etc. [fig.11].

Il ne s’agit pas d’un simple agrandissement des pièces comme on le voit souvent dans les nouveaux appartements bourgeois, les lofts mais bien d’un autre type de plan où chaque pièce a sa géométrie, sa matérialité, son ambiance. La structure poteau‑poutre est ici au service d’une composition de plan très dessinée, permettant à chaque étage de modifier la partition interne. Dans certains projets comme l’immeuble de la Via Massena (1959‑1963), Luigi Caccia Dominioni place un vestibule dans le prolongement du palier d’entrée afin de permettre d’assembler différemment les appartements. À certains étages, ce vestibule est partagé par deux logements, à d’autres il permet d’agrandir un appartement en prenant, par rachat, une partie du logement voisin ou encore permettre depuis le palier de distribuer un appartement indépendant. Dans le Cahier de théorie douze de l’EPFL, Bruno Marchand et Alexandre Aviolat 16 signalent une tendance contemporaine du retour du plan à pièces dans les concours récents de logements en Suisse. Ainsi l’agence Edelmann Krell (2005‑) pour le projet Seebahnstrasse à Zürich (2014), propose un dispositif de distribution par vestibule qui permet de compacter la desserte des chambres et des sanitaires. Dans le projet de l’agence Mathis Kamplade, Mehrgenerationenhaus à Zürich (2015‑2017) on retrouve un dispositif traditionnel de pièce centrale de distribution, la diele. Enfin, les architectes Sergison & Bates pour le projet Elderly Housing à London (2015) proposent un étonnant plan par agrégation de pièces. Dans ce projet comme dans les autres cités précédemment, la géométrie des pièces est très affirmée. On est clairement dans la filiation du travail des frères Perret et dans la continuité des dispositifs de composition du bâtiment de la rue Franklin à Paris (1903).

Attention aux détails

Le mouvement du regard du spectateur ne se déduit pas de l’approximation du geste du peintre ni d’une désinvolture vis‑à‑vis des détails, bien au contraire. Il semble même indispensable de s’attarder brièvement sur une des caractéristiques qui façonne l’identité de ces architectures, le soin et la singularité des détails de mise en œuvre. Un des plus cocasses est la façon, très énigmatique, qu’a Luigi Caccia Dominioni de cacher le parlophone de l’entrée de la Casa Pirelli, Via Cavalieri del Santo Sepolcro 6, (1962‑1964). Les sonnettes sont dissimulées derrière une pierre du parement de la façade qui pivote, une véritable cachette secrète [fig.12] comme dans la Camera degli Sposi (1465‑1474) du Palazzo Ducale à Mantoue d’Andrea Mantegna (1431‑1506).

fig.12 Architecte Luigi Caccia Dominioni Casa Pirelli (1962‑1964)Milano, Via Cavalieri del Santo Sepolcro 6 Photographie de l’auteur

Ce bâtiment, qui semble banal à première vue, recèle une multitude de détails qui signent la personnalité de l’auteur. Certains sont récurrents dans son travail à cette période comme le soin porté aux gouttières et aux descentes qui viennent marquer l’artificialité de l’angle du bâtiment. D’autres sont des emprunts de mise en œuvre au baroque milanais comme les biseaux dans l’épaisseur de la façade pour protéger la tranche des volets ou la décomposition en deux parties du volet pour en faciliter la manipulation au droit du garde‑corps. Quand on s’attarde sur cette façade, on découvre presque fortuitement que les vitres, un peu trop grandes, ne s’ouvrent pas classiquement en pivotant sur une charnière mais coulissent sur une crémaillère. Les intérieurs sont aussi investis : les voitures roulent sur des sols en mosaïque ou en marbre pour rejoindre un parking organisé comme une arène qui met en scène les calandres des bolides. C’est à qui fera le plus beau hall d’entrée, le hall le plus spectaculaire. Les toutes petites pièces de distribution intérieure, comme les vestibules deviennent de véritables boîtes à bijoux où les sens sont contrariés par le trouble provoqué par quelques artifices de mise en scène, une attitude typiquement maniériste. Ces architectes sont tous des designers. Peut‑être est‑ce la raison de ce soin porté aux détails. Cette excellence dans les mises en œuvre est aussi la signature d’un tissu industriel et artisanal qualifié.

Avant et après Aldo Rossi

En guise de conclusion provisoire à cet article, on peut se demander comment Aldo Rossi (1931‑1997) a perçu cette architecture, contemporaine de ses années de formation et du début de sa carrière de théoricien et de praticien. On ne peut pas ne pas imaginer que ses prises de position contre la destruction de la ville classique par le mouvement moderne, n’aient pu avoir comme origine ces réalisations, toutes très urbaines. Même le projet le plus radical de Luigi Walter Moretti, Corso Italia, ne déstructure pas la figure de l’îlot. Pourtant après les bombardements de 1943, qui entraînèrent la destruction presque totale des quartiers les plus anciens, le centre‑ville de Milan a été totalement reconstruit. Mais reconstruit par une architecture urbaine soucieuse du parcellaire, de l’îlot, des types tout en assumant une écriture architecturale moderne, cultivée et un peu bizarre. C’est une des multiples formes de la modernité, une forme un peu à la marge de son courant héroïque. Alors qu’Aldo Rossi n’a pas pu ignorer cette architecture depuis son studi di architettura Via Maddalena en plein cœur de la transformation du quartier du Duomo, ce sont ses anciens collaborateurs suisses comme Bruno Reichlin (1941‑) et Fabio Reinhart (1942‑) puis les tenants du mouvement de l’architecture analogue comme Miroslav Šik (1953‑), Hans Kollhoff (1946‑) et plus récemment Adam Caruso (1962‑), qui ont cherché dans ces architectures une voie pour penser le contemporain. C’est cette génération qui revient sur ces références d’un modernisme « maniériste » pour reconstruire une architecture contemporaine savante.

Bibliographie

1‑ Le groupe BBPR était composé de Gianluigi Banfi (1910‑1945), Lodovico Barbiano di Belgiojoso (1909‑2004), Enrico Peressutti (1908‑1976) et Ernesto Nathan Rogers (1909‑1969).

2‑ Robert Klein, L’esthétique de la techné, Institut national d’histoire de l’art, Saint‑Juste‑La‑ Pendue, 2017.

3‑ Daniel Arasse, Histoires de peintures, essais folio, Saint Amand, 2006, p.195.

4‑ Ibidem.

5‑ Le Gruppo 7 était composé d’Ubaldo Castagnoli, Luigi Figini, Guido Frette, Sebastiano Larco, Gino Pollini, Carlo Enrico Rava et Giuseppe Terragni. 6‑ Kenneth Frampton, L’architecture moderne, une histoire critique, Philippe Sers, Paris, 1985 (1ère édition 1980) p.179.

7‑ Kenneth Frampton, ibid, p.177.

8‑ Colin ROWE, Mathématiques de la villa idéale et autres textes, Édition Parenthèses, Marseille, 2014

9‑ Daniel Arasse, Histoires de peintures, essais folio, Saint Amand, 2006, p.199.

10‑ Patricia Falguières, Le maniérisme. Une avant‑garde au XVI e siècle, Découvertes Gallimard, Paris, 2004, p.74.

11‑ La règle du C+D appartient à la Réglementation Sécurité Incendie. Elle concerne la propagation verticale du feu sur des façades comportant des baies. Il s’agit de tenir une distance minimum entre deux baies superposées. Une règle qui amène souvent à décaler les percements pour l’obtenir la distance voulue.

12‑ Martin Steinmann, Forme forte, Birkhäuser, Bâle Boston Berlin, 2003, p.247.

13‑ Daniel Arasse, Histoires de peintures, essais folio, Saint Amand, 2006, p.140

14‑ Daniel Arasse,ibid, p. 145.

15‑ Jacques Lucan, Composition, non‑composition Architecture et théories XIX e – XX e siècle, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2009. Jacques Lucan, Précisions sur un état présent de l’architecture, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015.

16‑ Bruno Marchand et Alexandre Aviolat, Logements en devenir concours en Suisse 2005‑2015, Cahier de théorie douze, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2015.

L’architecture dans le vestibule

Une école maniériste dans le Milan des années 60

Les travaux de ce séminaire de Master qui se sont tenus de septembre à décembre 2017 à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille (ENSA•M) ont pris pour objet un moment particulier de l’histoire du Mouvement Moderne, un rationalisme maniériste milanais. Ce moment d’une modernité hétérodoxe s’est tenu à Milan entre les années 1940 et 1960. Cette appellation de rationalisme maniériste nous est personnelle, elle n’apparaît pas dans les livres d’histoire d’architecture traitant du Mouvement Moderne. Le terme veut rappeler que le Mouvement Moderne a été traversé de nombreuses tendances, débats quelquefois contradictoires et qu’on ne peut pas le réduire aux slogans de ses hérauts, critiques, historiens ou architectes propagandistes de l’avant et après seconde guerre mondiale. Le rationalisme maniériste suit l’apparition sur la scène architecturale italienne du rationalisme, épisode important du Mouvement Moderne mais s’il s’en réclame, il en porte dans le même temps la critique. Si le rationalisme italien a cherché une forme d’universalité, à l’exemple du classicisme Renaissant, le rationalisme maniériste met en crise le modèle dont il est issu. A l’image du Maniérisme du XVIe siècle qui met en crise la diffusion des modèles classiques établis en Italie dès le XVe siècle.

Ce séminaire s’est intéressé à des édifices réalisés par les architectes Caccia Dominioni, Mario Asnago et Claudio Vender, Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, Ignazio Gardella, Gian Luigi Banfi, Lodovico Barbiano di Belgiojoso, Enrico Peressutti et Ernesto Nathan Rogers (BBPR).
Le travail mené a été d’analyse, analyse détaillée des édifices, productions de ces architectes milanais, cette analyse permettant de rassembler un certain nombre de caractères communs à cette production nous autorisant a posteriori de la rassembler sous l’étiquette d’un mouvement critique, le rationalisme maniériste ou razionalismo manierista milanese.
Il est entendu qu’aucun des architectes cités dans ces travaux n’a explicitement fait référence à cette étiquette ou à une quelconque position critique commune. Et s’il existe une iconographie relativement accessible sur la production de ces architectes, peu ou pas de textes critiques ou historiques ne les fédèrent, soulignant « l’assourdissant silence » de ces praticiens sur leur travail, pensons à l’aristocratique mutisme d’Asnago et Vender. Seul Ernesto Nathan Rogers (BBPR) aura une activité critique et d’éditeur importante jusqu’à s’imposer comme figure centrale dans les débats sur l’architecture moderne de l’après‑guerre.
Ce séminaire entend compléter une historiographie qui a été peu ou pas faite sur cette production italienne de l’entre et après seconde guerre mondiale, pour le moins une part d’elle (nous pensons aux travaux d’Asnago & Vender ou Caccia Dominioni).

Il nous est apparu que l’intérêt de ce travail ne relevait pas de la seule curiosité d’historien, objet de fortune critique « […] attentive à récupérer la dimension de l’objet et son caractère d’unique en le soustrayant à ses dimensions économiques et fonctionnelles, en le fixant en tant que moment exceptionnel » 1.

« L’histoire n’est point un discours achevé. Même si les événements d’une période sont codifiés minutieusement, même si les sources semblent fouillées de façon exhaustive, les questions qu’on adresse à ces matériaux changent selon les nouvelles perspectives qui s’ouvrent à chaque nouveau point de vue atteint par le présent. »

Francis Strauven introduction à « L’architecture dans le boudoir –
Le langage de la critique et la critique du langage » de Manfredo Tafuri, Oppositions, n°3, 1974. Princeton Architectural Press, NYC, p.291-317.

 

Il nous est apparu que le travail de ces architectes notamment sur le plan, des plans figurant des pièces fortement caractérisées, autorisait une étonnante flexibilité des partitions et évolutivité des agencements. Cette qualité des plans nous est apparue une réponse appropriée et opérante aux nouvelles exigences de flexibilité du logement liées aux profondes transformations des modes d’habiter et d’occupation, observées par les sociologues depuis plus d’une vingtaine d’années. Hormis le travail sur les plans, les pièces, la commune préoccupation de ces architectes pour le dessin de façades épaisses ou encore les mises en œuvre sophistiquées des accès des immeubles à rez‑de‑chaussée, ont été largement empruntées et reprises dans des productions contemporaines sans qu’en soient citées les sources. 2
Ainsi donc, nous avons parallèlement au séminaire d’analyse, associé un atelier de projet lequel empruntant explicitement les dispositifs mis à jour par le travail d’investigation, s’est attaché à vérifier leur opérante adéquation aux modes de production courante du logement contemporain. Cet atelier de projet constituait le test des hypothèses avancées par les travaux du séminaire, outils de « redimensionnement » et d’expérimentation des énoncés.

Si « Traditionnellement, l’histoire de l’architecture a fonctionné comme répertoire et en même temps comme justification de la pratique projectuelle. »3, nous entendons dans ce petit développement mettre en écho deux périodes décisives pour la nature du métier d’architecte, l’organisation de son exercice et les discours qui le légitiment, périodes lesquelles dans « les significations politiques de l’architecture » semblent à partir des mêmes causes, produire les mêmes effets.
Deux périodes ; celle de l’ordre classique et sa mise en crise par le maniérisme et celle qui voit la naissance du mouvement moderne et sa contestation dès les années d’après la seconde guerre mondiale, par un retour de la culture architecturale à l’histoire.

Le grand ordre classique – la maniera

Au XVIe siècle, des condottieri qui par la guerre prennent des terres auxquelles ils imposent leur autorité tyrannique, commandent la scénographie des nouveaux ordres qu’ils inaugurent. La nouvelle représentation du monde dans une figuration outillée qui l’impose, devient l’ordre du monde, le pouvoir des images sert l’image du pouvoir. En bousculant les vieux ordres des corporations de l’Europe gothique, l’architecture classique se fera l’expression des pouvoirs des cours. Les causes ; les nouveaux rapports de production et d’échanges qui s’instaurent au XVe siècle, imposent un nouvel ordre dont la combinatoire et disponibilité des éléments font système « […] système linguistique que soutient une idéologie universaliste » 4. Mais l’expérimentation des éléments du système, les variations dans leur organisation et agencements, au risque de la fragmentation de la cohérence des ordres, opérés par la critique maniériste, en seront les effets.

Le grand style classique à travers sa redécouverte de l’antique va fixer les règles de représentation des nouveaux territoires conquis par des condottieri, nouveaux Princes qui imposent un nouvel ordre tyrannique.
A Urbino, Ferrare et Mantoue, s’épanouit l’art de la première Renaissance. Alberti fixe l’outillage nécessaire à l’établissement des nouvelles règles de représentation du monde que Brunelleschi avant lui avait établies, un monde ordonné et mesurable. Il est par son De Pictura, traité de la peinture à l’origine du développement de la géométrie descriptive.
« Avec le géométral, la ville est donnée dans sa totalité, d’un seul coup, dans l’ordre des coexistences et des coprésences que marquent la différence de l’espace libre et de l’espace bâti, le système des rues, des places, des jardins et son exact complémentaire celui des édifices, des maisons, des palais et des églises » 5.
On aura mis à plat la globalité du monde dans la carte, cette mise à plat autorise le tracé des lignes de division et des limites qui vont ordonner les autorités. Lignes amies, lignes ennemies, lignes déplacées dès lors organisent les alliances et les conflits. 6
Le droit moderne s’institue par l’imposition de lignes de partage, dans leur agencement l’organisation du nouveau monde et la délégation et régulation de son autorité par les chrétiens d’Europe. « […] ne pas perdre de vue le rapport entre ordre et localisation ainsi que les attaches spatiales de tout droit » 7.
À la fin du XVIe siècle, « En Italie comme dans le reste de l’Europe, des états puissants et centralisés, fondés sur une acceptation absolutiste du pouvoir et dotés d’administrations efficaces, se mettent en place » 8.

Un des outils de cette administration efficace au service d’états puissants est la mesure par le géométral des propriétés qu’on charge des architectes d’édifier et auxquels on confie le rôle d’instaurer les règles de représentation de la totalité du monde connu. A la fin du XVIe siècle le monde est ordonné aux pouvoirs d’états souverains, les règles et canons « tenus dans les signes du langage et dans les figures du regard » 9 formulent les exigences d’une vérité universelle. L’âge classique dans sa relecture de l’architecture du monde antique imposera les ordres soit des règles de proportions, des rapports réglés selon une arithmétique simple, règles entendues comme miroir d’un monde naturel harmonieusement composé.

Léon Battista Alberti par sa relecture des ordres de Vitruve règle l’expression d’une grammaire à partir de laquelle pourra se fonder une discipline, l’architecture. La colonne, variée en cinq ordres est l’élément premier, substantif de cette grammaire dont les propositions ; superposition des ordres, tripartition dans l’étagement, « […] colonnes et leurs différents engagements, pilastres, conjonction des colonnes et des arcs […] » 10 s’inscriront dans des inventaires aux infinies variations, des figures 11, à partir desquelles les architectes composeront jusqu’au XVIIIe s., les édifices qu’ils projettent. Que de ce langage, ils en distordent les énoncés « […] distorsions que Michel Ange imprime au latin de l’architecture »12 ou en varient les harmonies.
La fixation des règles universelles de représentation, l’imposition des modèles classiques « des formes et solutions plastiques » autorise leur duplication, reproduction et diffusion sur tout le continent européen. Cette diffusion des modèles est concomitante des développements des formes de reproduction mécanique, l’imprimerie et la gravure. 13


C’est moins de cinquante ans après l’établissement des règles qui fixent les canons d’un ordonnancement classique du monde, leur diffusion massive qu’en sera éprouvée la solidité. C’est pour les loisirs d’une nouvelle aristocratie, les condottieri, mercenaires mués en seigneurs fonciers que travaillent les artistes de la maniera. Ils dressent les tableaux, ornements et décors qui glorifient par leur expression « la puissance des princes et des grands » 14.
Cette expression qui légitime la puissance des nouveaux princes emprunte au charisme, la « […] reconnaissance […] par les dominés […] sur laquelle repose le pouvoir du maître charismatique (qui) trouve sa source dans l’abandon plein de foi […] à l’extraordinaire et à l’inouï, à ce qui est étranger à toute règle et à toute tradition et regardé par suite comme divin » 15.
« Partout le roi est d’abord un prince guerrier. La royauté dérive de l’héroïsme charismatique » 16. La maniera glorifie l’aura du roi en recourant aux mondes enchantés des romans de chevalerie, à l’héroïsme des figures mythiques tel l’Arioste, et rejoue l’exercice aristocratique du tournoi « […] tournoi chorégraphié où s’affrontent Guerre et Amour, Vertu et Luxure, où l’on délivre des demoiselles séquestrées […] où l’on affronte des magiciens juchés au sommet des montagnes » 17.

Cette scénographie des pouvoirs à laquelle s’emploient les peintres et architectes de la maniera, recoure aux machines à effets, au spectaculaire des invraisemblances et « fictions improbables », aux métamorphoses des genres, au merveilleux que la philosophie 18 cautionne, sublimant « l’absolument singulier, à ce qui est divin parce que singulier » 19. A cette exaltation de la force, proprement surhumaine, s’identifie la puissance du prince.

Mais la bizarrerie, l’extravagant, le monstrueux et l’exotique bousculent l’ordre harmonieux et réglé du monde naturel. L’exaltation déiste du prince affranchit ses portraitistes – auteurs de sa représentation – des « […] régulations techniques, esthétiques et sociales », des ordres classiques qui normaient l’exercice de l’art et de l’architecture. Les lois de l’anatomie s’en trouvent déformées, la vraisemblance des mouvements défiées dans les chutes spectaculaires de corps désarticulés, « […]

ill-1 et ill-2

 

les postures exagérées, acrobatiques, impossibles des voltigeurs de Tibaldi ou Coltzius » 20, les corps saisis dans de douloureuses langueurs.
Les architectes maniéristes brisent les frontons, assemblent bizarrement pièces et morceaux des figures des ordres classiques, font tomber les triglyphes des frises, font courir les chars dans les nuées offrant au spectacle les virilités dévoilées des appareils, conducteurs et chevaux… (Jules Romain au palais du Té de Mantoue) [ill.01]
Le maniérisme s’entend à vérifier que les merveilles, prodiges de l’extraordinaire ressortissent bien de l’ordre du droit naturel. Que l’investigation des limites du monde connu en élargit l’horizon sans en contester l’équilibre et l’ordre général. S’il en distord l’image, il ne remet pas en cause les codes de sa représentation. Si le maniérisme ébranle les fixités des règles classiques de représentation du monde, il en conforte, de manière apparemment paradoxale, la force et opérativité de ses agencements, aptes à dire le connu et l’encore inconnu.
L’extraordinaire du nouveau monde tout juste découvert « colibris […] flore du Mexique […] » ou l’extraordinaire du monde connu « la fonte d’un dindon de bronze grandeur nature, d’un hibou, d’un paon, d’un singe par Gianbologna, sculpteur du Grand‑duc de Toscane » 21 sont les objets d’une figuration scrupuleuse voire analytique. « Jacopo Ligozzi réalise […] des dizaines de peintures à la détrempe d’un raffinement inouï qui livrent le portrait d’oiseaux mouches, de scarabées, de crabes, de bulbes et de fleurs exotiques ou familières, sur fond neutre, dégagés de tout prétexte narratif » 21 [ill.02]

L’architecture se rallie à cet « […] engouement généralisé pour la puissance germinative de la nature ». Bossages, corruption des substances naturelles, « géants barbus comme emprisonnés dans leur gangue de pierre », colonnes grossières de l’entrée du Palais

du Té, encore serties dans les concrétions naturelles de la carrière d’où elles sont extraites, figurent une ontologie à l’ordre classique, agencements d’architectures extraits d’un ordre naturel de la matière. [ill.03]

La ville des Modernes, nouvel ordre du monde – L’Italie de l’après seconde guerre mondiale

Les maîtres

des avants gardes du mouvement moderne des années vingt, déclaraient se placer « en dehors de l’histoire », les

postulats techniques et fonctionnalistes du nouveau monde machinique devenaient les modèles pour l’intégration de l’architecture à l’édification d’un monde nouveau. En prétendant construire une histoire nouvelle, les modernes retrouvaient l’idéal classique universaliste d’institution d’un ordre nouveau « […] les choses industrielles remplacent la nature du classicisme […] » 22. La tabula rasa des modernes, ce mot d’ordre lancé par Dada à l’ancien monde en même temps qu’il en fait le lucide constat de son désordre, autorise sa reconstruction. L’art et l’architecture, débarrassés de l’Œuvre, doivent se dissoudre dans la ville. Les causes sont entendues d’une production continue dont le but précis est d’être consommé rapidement, faite et défaite constamment au rythme d’un présent indéfiniment actualisé qui va reconfigurer la totalité de notre environnement bâti. La culture italienne des années 50, chambre d’écho d’une critique dont l’onde recouvrira la culture architecturale de l’Europe jusqu’aux années 70, opère un retour au fétichisme des objets contre l’annihilation du passé. La ville ancienne, mythifiée devient un « objet » à défendre. Les maîtres milanais de l’après seconde guerre mondiale, héritiers de la tradition moderne, s’en remettent à un nouvel éclectisme puisant dans l’histoire comme dans un « […] magasin de mémoires à revitaliser » 23. Le retour du regard des architectes vers le passé est l’effet, apparemment paradoxal, de la tradition moderne qui succède à ses avant‑gardes.

Ill.03 Giulio Romano– Colonnes d’entrée au
Palais du Té, Mantoue. Photographie Gilles
Sensini

La phase de croissance du capitalisme qui s’accélère au XIXe siècle, va transformer en moins d’un siècle, notre environnement et ses territoires plus radicalement que toutes les époques précédentes ne l’avaient fait. L’homme fait l’expérience du tragique et ce tragique c’est l’expérience de la métropole – le choc de la Grosstadt, die Grosse Stadt.

L’angoisse de la grande ville et le traumatisme de la 1ère guerre mondiale – l’aperçu du chaos – vont permettre la convergence quant aux mobiles et motivations, des courants de pensée d’un capitalisme démocratique qui se fait jour [avec les figures d’un Walter Rathenau en Allemagne ou d’un Ford aux États‑Unis] et des mouvements du socialisme planificateur qui triomphera en Russie.
Cette convergence de vues c’est cette volonté de prévenir les risques d’un futur désastreux, faire du futur un futur dont le risque est éliminé et où le présent tout entier se projette. Pour ce faire on s’attachera à rationaliser « l’ordre du monde » et cet idéal progressiste va s’investir tout entier dans la production ;
« L’usine n’est plus le scénario d’un drame mais le lieu où opère une communauté liée par le même but productif, le centre ou le pivot d’une structure

urbaine considérée comme l’expression directe d’une structure sociale vivante » 24. Planification et organisation sont les mots d’ordre d’un capitalisme démocratique qui veut harmoniser travail et capital contre la spéculation et la rente, planification et organisation sont les mêmes mots d’ordre du socialisme planificateur dans son appel à la prolétarisation universelle qui cherche à dépasser ainsi par l’utopie le désarroi d’une classe de travailleurs.

Les intellectuels sont invités à penser un plan d’ensemble contre la révolte individualiste de « l’artiste fécond » et mettre l’art au service du travail. Un plan qui vise à une organisation collective et planifiée du monde contre l’individuel et hasardeux futur.
Le rôle qu’assignent les avants gardes du mouvement moderne à l’architecte est un rôle politique. L’architecte, quittant son manteau d’artiste créateur, endosse la responsabilité du travailleur intellectuel à l’avant‑garde du cycle de production auquel est dévolu la programmation et la réorganisation planifiée de la ville.
La ville des Modernes est une ville nouvelle, un événement hors de l’histoire qui investit les étendues neutres d’un monde nouveau qu’il reste à édifier, une ville réduite à quelques fonctionnalités sommaires essentiellement identifiées dans la gestion des flux et la prédominance du plan. C’est cette logique productiviste et sectorielle de l’espace qui conduira l’ensemble des aménagements urbains de l’après‑guerre en Europe, le nouvel ordre du monde est tout entier moderne même si des spécificités nationales en distinguent les politiques et résultats.

On a parlé de « miracle » à propos de l’Italie de l’après seconde guerre mondiale, l’essor de son économie après 1945 est spectaculaire ; son PIB progresse de 6,1% en moyenne dans les années cinquante et encore de 5,8% dans les années 60. Ces résultats sont obtenus par la forte croissance de la production industrielle et ses secteurs fortement capitalistiques comme la métallurgie, la mécanique ou la chimie. Ce bond de l’économie italienne d’après‑guerre est soutenu par une politique libérale relayée cependant par une forte intervention de l’état et les effets du plan Marshall. L’Italie de l’après‑guerre cumule les atouts des pays développés, institutions et infrastructures organisées et les avantages d’un pays en développement avec une importante réserve de main d’œuvre bon marché puisée dans l’émigration massive d’un Sud agricole régit par des structures latifundiaires archaïques. Le patronat italien qui concentre ses activités et l’accumulation du capital au nord du pays essentiellement dans le triangle septentrional, Milan, Gênes, Turin, peut maintenir les hausses de salaires à un niveau largement inférieur aux hausses de productivité. 25
Les immenses profits produits de cette différence sont réinvestis dans la rente immobilière. « A la fin des années cinquante, la valeur de la propriété immobilière dans la seule ville de Milan, était très supérieure à la valeur totale de la Bourse » 26. Les nouveaux condottieri du capitalisme transalpin, souverains stratèges d’une Italie sur la voie du progrès, chercheront à figurer l’exception de leur puissance. « Les formes modernes de création de souverains y compris les formes démocratiques, ne sont pas étrangères au charisme » 27.
Si l’architecte est chargé de porter les signes du pouvoir qui le commande, cette légitimité du rôle ne change pas combien même les pouvoirs se suivent. La flèche du progrès ayant remplacée la figure du roi 28, l’architecte est tout entier moderne dans sa prescription d’un nouveau monde dont on le charge de faire le plan.

Cependant, dans l’Italie de l’après‑guerre, les annonces d’affiliation aux thèses du mouvement moderne si elles restent protéiformes, revendiquent toutes « […] l’assonance spirituelle avec les valeurs du passé ». L’affirmation de programmes par les architectes et les critiques, se caractérise par le « culte de l’histoire ». « Même un mouvement en apparence de rupture à l’égard de la tradition comme le mouvement rationaliste, a pris racine et jeté ses bases en se fondant sur des justifications typiquement traditionnelles […] C’était un moyen de disputer à la culture aulique des épigones néo‑classiques et académistes, l’espace politique dont il avait besoin pour se développer » 29.
Pour autant Manfredo Tafuri reconnaît des spécificités entre écoles régionalement identifiées « […] tradition d’engagements et de luttes parfois ambiguës qui séparent l’école de Rome de celles de Milan, de Venise et de Florence » 30. En retrait des débats – pensons à l’assourdissant silence d’Asnago et Vender ou d’un Caccia Dominioni – affichant l’indifférence aux « […] nouveaux problèmes qui engagent politiquement la transformation de l’économie de la construction », les maîtres milanais, héritiers d’une riche culture lombarde, iront interpréter la ville comme « […] une sorte de musée à aménager […] et l’architecture comme un ensemble d’objets d’autant plus qualifiés qu’ils sont plus fondus dans l’ensemble » 31. Attachés à l’exactitude du détail technique, au fragment, leur repli sur une pratique savante de l’exercice du métier, leur façonnage d’objets irréels à destination d’une élite éclairée, ne peut compter que sur un « […] cycle organiquement achevé qui irait du projet à la construction en garantissant la préservation de leurs qualités d’origine », leurs réalisations s’appuyant sur les compétences d’un réseau d’artisans qualifiés. Ces « barons perchés » de l’architecture européenne « […] sont suspendus au‑dessus de l’enfer des contradictions quotidiennes. Comme pour le personnage du conte de Calvino, l’isolement aristocratique demeurait le statut inconsciemment accepté par les agents d’une culture architecturale au seuil de transformations radicales dont seuls les échos parvenaient jusqu’aux branchages de leur nid douillet » 32.
Le scepticisme de ces « barons perchés » à l’égard des nombreux et nourris débats sur l’architecture qui agitent l’Italie des années 50/60, dans « l’orgueil de la modestie » du métier sont pourtant les héritiers du mouvement moderne dont ils reprennent et cautionnent les modes de production alors généralisés de la construction ; préfabrication, structures béton, mise en œuvre de produits semi‑manufacturés produits en série ; structure poteaux/poutres et dalles épaisses, panneaux modulaires en ciment pour le complexe résidentiel de la Via Cavalieri del Santo Sepolcro des BBPR, panneaux modulaires en bois et métal pour la façade de l’immeuble de la Via Quadronno des architectes Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, structures poteaux/dalles des immeubles de la Via Faruffini et Via Vigoni respectivement d’Asnago, Vender et Luigi Caccia Dominioni…

Mais si ces architectes reconduisent les mises en œuvre notamment des structures, issues de la production courante du logement moderne, ils en portent dans le même temps, par leur méthode, la critique.
Cette méthode, commune à un Caccia Dominioni, Gardella, aux Asnago et Vender, c’est la mesure et le contrôle technique de l’ensemble des éléments du projet et leurs articulations. Indifférents aux questions larges d’aménagement du territoire et des politiques qui le conduisent, ils restent attentifs au syncrétisme de l’œuvre achevée à même de justifier toutes les valeurs d’échelle d’intervention de l’architecte. Par le métier, la précision artisanale des assemblages et la citation, ils veulent sceller les retrouvailles de la ville sans grâce du modernisme triomphant d’avec les « préexistences historiques » théorisées par les BBPR.

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Il est symptomatique qu’aucun des architectes que nous convenons de rassembler sous l’étiquette de razionalismo manierista milanese, ne participent au plan Fanfani pour le développement de l’habitat, plan instruit dans le cadre de la gestion de la construction économique Ina Casa 33 quand des figures du rationalisme à l’exemple de Figini et Polini y testeront les outils d’intervention à grande échelle 34 [ill.04]. Politique de construction régie par une administration publique, l’expérience Ina Casa s’appuie sur la « […] rapidité, efficience et précision de la production » et une urbanisation par grands ensembles « contre le romantisme exaspéré de trop nombreuses réalisations architecturales […] » 35.
Dans la gratuité des mises en œuvre en contradiction des usages, on pense aux balcons non accessibles de la Via Massena de Caccia Dominioni, des signes muets s’adressant qu’à ses seuls locuteurs, l’incongrue curiosa de l’immeuble de la Via Faruffini des architectes Asnago et Vender [ill.05], la « coprésence d’objets agrégés de manière constructiviste qui tendent obstinément à communiquer des messages impossibles […] racontent de façon exemplaire le drame de l’architecture moderne. L’architecture encore une fois s’est faite discours sur elle‑même » 36.

Nous avons parlé de maniera à propos de ces architectes milanais, maniera en tant qu’elle veut que les fixités et réductions des modes de construction modernes puissent être testées à l’aune des sophistications techniques maîtrisées d’un auteur. Cette maniera des maîtres milanais, dans cet improbable inconnu aux règles courantes des modes industrialisés de la production du logement qu’elle explore, s’en tient, dans ses vestibules, aux fêtes désenchantées d’un art, caché derrière les volets.
Ce sont dans les intérieurs d’édifices singuliers que les élégances s’offrent aux éloges telle celle de Gio Ponti pour la Casa Tognella d’Ignazio Gardella « Cette maison de Gardella répond à plusieurs exigences qui nous intéresse : c’est un bâtiment isolé et donc une « architecture » dans le sens d’une construction autonome et complexe […]. En se déplaçant à l’intérieur de la résidence […] nous mettons en avant le mobilier. Pourquoi ? Parce que pour moi, le mobilier moderne est le décor du vrai seigneur d’aujourd’hui (pas de l’homme riche mais de l’homme éduqué) » 37.
Les intérieurs sont les lieux d’un théâtre des apparences dont les scénographies offrent l’expérience de la mesure et des virtualités d’une maîtrise que la réalité de la ville ne manifeste plus, pas plus à ses architectes qu’à ses promeneurs.

L’épaisseur des façades qu’elle soit mise en œuvre dans la superposition des volets persiennés coulissants, disposés derrière l’étroit balcon filant des étages de l’immeuble de la Via Massena de Caccia Dominioni ou mise en œuvre dans le pliage des murs épais en retrait des nez de planchers devant lesquels des loggias sont disposées, de la casa Tognella de Gardella, sont autant de rideaux couleurs Odéon d’une scène soustraite au spectacle de la ville.

Ill.05 Immeuble de la via Faruffini des architectes Asnago et Vender. Photographie Gilles Sensini

La multiplication des pièces ; halls, vestibules, offices, antichambres, dans les plans des appartements de Dominioni, du plan de Gardella pour la casa Tognella ou dans la résidence de la Via Quadronno de Mangiarotti et Morassutti, sont autant de dispositifs proprement scéniques, autorisant la permutation et reconfiguration des lieux en fonction des vices et vertus privées.
La récurrence dans les plans de Dominioni des vestibules, une pièce disparue des programmes du logement moderne, fonctionne comme machinerie qui autorise les changements de rideaux. Le vestibule, plateforme distributive, permet la partition d’un même grand logement en deux logements de surfaces équivalentes, en trois ou quatre plus petits appartements. Une surprenante flexibilité du plan.

Ce sont l’expérimentation des dispositifs et figures spatiales empruntés à la tradition classique des XVIIIe et XIXe siècle autant qu’au vernaculaire lombard qui réactualisent, paradoxalement, ces maîtres milanais. Gilles Sensini 38 souligne la « tendance contemporaine du retour du « plan à pièces » dans les concours récents de logements en Suisse » ou encore la troublante actualité de la composition en « all‑over » des façades d’un Caccia Dominioni. Les trompeuses banalités des enveloppes des édifices des milanais dissimulent les aménagements précieux et savants des intérieurs, à l’image de l’ascenseur de l’immeuble de la Via Morrozzo della Rocca de Piero Portaluppi 39, conçu comme un carrosse, fût‑il tenu dans les guides d’une cage.
Nous avons dit que la maniera du XVIe siècle entendait éprouver par l’expérimentation d’agencements périlleux, la solidité de l’ordre classique. L’expérimentation c’est‑à‑dire le démontage et la manipulation, au risque de la perte de toute cohérence des ensembles à partir desquels se légitimaient l’idéal classique, est un travail critique.
Que des modernes, à Milan, au sortir de la seconde guerre, dans les traces d’un Pagano 40, figure morale de l’architecture italienne d’après le fascisme, puisent dans les magasins de l’histoire, des figures et dispositifs pour les glisser, précieusement dans les interstices du plan libre, au risque de le nier, ils opèrent là, eux aussi, un travail critique.
C’est en se fondant sur cet argument que nous 41 avons osé l’oxymore de rationalisme maniériste pour rapprocher deux discours de légitimation à l’exercice du métier d’architecte, antithétiques qu’en apparence ; toute tentative d’embrasser la totalité du monde dans une représentation qui lui suffirait emporte avec elle sa propre contestation.

Jérôme Guéneau – décembre 2017

Bibliographie

1‑ Manfredo Tafuri, « L’architecture dans le boudoir – Le langage de la critique et la critique du langage » p.20. Oppositions, n°3, 1974. Princeton Architectural Press, NYC, p.291‑317

2‑ Voir Gilles Sensini « Razionalismo manierista – Milan 1940‑1960 » ci‑après.

3‑ Francis Stauven « Introduction à L’architecture dans le boudoir – Le langage de la critique et la critique du langage » de Manfredo Tafuri, Oppositions, n°3, 1974. Princeton Architectural Press, NYC, p.291‑317.

4‑ Manfredo Tafuri « Théorie et histoire de l’architecture » SADG et Geneviève MESURET, Paris, 1976 p.63.

5‑ Louis Marin « Utopiques : jeux d’espaces » Coll. Critique, Éditions de Minuit, 1973, p.266.

6‑ « Les lignes amies apparaissent pour la première fois avec une clause secrète (…) du traité hispano‑français du Cateau Cambrésis (1599) » Carl Schmitt « Le nomos de la Terre » Coll. Quadrige, P.U.F 2001, p.93.

7‑ ibid, p.99.

8‑ Patricia Falguières « Le maniérisme. Une avant‑garde au XVIe siècle » Découvertes Gallimard, 2004, p.14. 9‑ Louis Marin, ibid p.264.

10‑ John Summerson, « Le langage classique de l’architecture » Thames & Hudson, 1991, p.40.

11‑ On caractérisera ici la figure comme certains agencements dont la récurrence dans l’histoire de l’architecture permet de les rassembler et les ordonner sous des caractéristiques communes et en décrire à partir de cette typification, les variations.

12‑ John Summerson, ibid, p. 63.

13‑ « Dès les années 1540, l’estampe diffuse les innovations de Rosso et du Primatice […] Elles sont reprises à Rome, à Venise, à Bologne […] On copie, on cite, on imite, l’émulation entre les ateliers est sans trêves. De même que les demandes des cours : il faut sans cesse « inventer » des décors de fêtes, des ornements de table, des costumes de scène […] ». Les outils de duplication mécaniques « alimentent un incessant travail de reproduction à n’importe quelle échelle et dans tous les types de matériaux » Patricia Falguières, ibid, p.17 et 18.

14‑ Patricia Falguières, ibid, p.23. 15‑ Max Weber « La domination » Coll. Politique & sociétés, La Découverte, 2013, p. 275.

16‑ Max Weber, ibid, p.276.

17‑ Patricia Falguières, ibid, p.27. 18‑ « Merveille, Stupeur, c’est le sourcil soulevé par l’étonnement que l’apprenti philosophe s’engage dans la voie de la connaissance. Ainsi Platon et Aristote ont‑ils dépeints dans le Théétète et la Métaphysique les commencements de la sagesse ». Patricia Falguières, ibid, p.28.

19‑ Max Weber, ibid, p.28.

20‑ Patricia Falguières, ibid, p.34

21 Patricia Falguières, ibid, p.99.

22‑ Manfredo Tafuri « Théorie et histoire de l’architecture » SADG et Geneviève MESURET, Paris, 1976 p.53.

23‑ ibid, p.89.

24‑ Giulio Carlo Argan « Projet et destin – Art, architecture, urbanisme » Les Éditions de la Passion, 1993, p.144.

25‑ Source Gerard Vindt « Italie, le « miracle » de l’après‑guerre » Alternatives Economiques, n°171, 1999.

26‑ Nanni Balestrini, Primo Moroni « La horde d’or – La grande vague révolutionnaire et créative, politique et existentielle – Italie 1968‑1977 » L’Éclat, 2017, p. 55.

27‑ Max Weber ibid, p.293. 28‑ Si on admet la position hégélienne d’une eschatologie chrétienne qui œuvre dans l’idée moderne de progrès. « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’état sont des concepts théologiques sécularisés » Carl Schmitt « Théologie politique » Gallimard 1988 ch.3.

29‑ Marco Dezzi Bardeschi « Le culte de l’histoire et de la personnalité dans l’architecture italienne » in AA n°113/114, Avril‑mai 1964.

30‑ Manfredo Tafuri « Les muses inquiétantes ou le destin d’une génération de ‘maîtres’ » in AA n°181, Sept‑oct.1975, p.14.

31‑ Manfredo Tafuri, ibid, p.28.

32‑ Manfredo Tafuri, ibid, p.14.

33‑ L’initiative de gestion InaCasa (Institut National de l’Assurance pour la Maison) est une expérience essentielle de l’effort pour la reconstruction de logements dans l’Italie de l’après‑guerre. La variété des architectes participant à l’expérience notamment par l’appel à projets via des concours, les questions de l’urgence et pénurie des matériaux, les spécificités locales et traditions des lieux d’intervention (l’action de l’InaCasa est généralisée à l’ensemble du territoire italien) constitueront pour des personnalités comme Savio Muratori ou Mario Ridolfi une expérience test pour la remise en cause des modes de productions industrialisés et les préceptes modernes qui les justifient.

34‑ Nous pensons notamment au quartier résidentiel entre les rues Novarra et Harrar à Milan, (Figini et Pollini arch.).

35‑ Citation de Saverio Muratori « La gestion Ina Casa » in AA n°41, juin 1952.

36- Manfredo Tafuri « L’architecture dans le boudoir – Le langage de la critique et la critique du langage » p.14.

37‑ Gio Ponti in DOMUS n°263, Janv.1951.

38‑ Voir Gilles Sensini « Razionalismo manierista – Milan 1940‑1960 » ci‑après.

39‑ Piero Porta Luppi (1888‑1967) architecte milanais associé au Novecento italien, mouvement artistique qui prône un retour aux vertus de l’esprit latin. Il occupera pendant la période du fascisme mussolinien de hautes fonctions officielles. Au sortir de la guerre, réhabilité, il sera président de l’ordre des architectes italiens de 1952 à 1963. Il réalisera avec Gio Ponti le projet d’un nouvel édifice pour le gouvernement de la justice (1956‑62). Professeur au Politecnico de Milan il aura influencé profondément les orientations professionnelles d’un Caccia Dominioni ou d’Asnago et Vender.

40‑ Giuseppe Pagano (1896‑1945), architecte, photographe est actif pendant les années du fascisme italien, il adhère aux thèses du mouvement rationaliste. Directeur de Casabella avec Edoardo Persico en 1933. Il entre dans la résistance au fascisme en 1943 et meurt en déportation à Mauthausen en 1945. Il aura entrepris un inventaire photographique des formes vernaculaires de la campagne lombarde qu’il expose à la triennale de Milan en 1936.

41‑ Le « nous », ce sont les étudiants et enseignants de ce semestre 2017 de master à l’ENSA•M.

7 architectures

1- Ignazio Gardella Casa Tognella, Piazza Castello 29, Milano

Par Paul Estublier, Marine Fabre et Pierre Hacquard

Ignazio Gardella Casa Tognella

Ignazio Gardella Casa Tognella, façade et coupe

Ignazio Gardella Casa Tognella. Photo de maquette 1/100e

Ignazio Gardella Casa Tognella. Photo de maquette 1/20e

2- BBPR Complesso residenziale, via Cavalieri del santo sepolcro, via Chiostri, via Solferino, Milano

Par Mathilde Dimper, Mathieu Rabian et Cédric Watrin

BBPR Complesso residenziale

BBPR Complesso residenziale. Axonométrie éclatée

BBPR Complesso residenziale. Axonométrie

BBPR Complesso residenziale, maquette au 1/100e

BBPR Complesso residenziale. Photo de maquette au 1/20e

3- Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti Edificio per abitazioni, via Quadronno 24, Milano

Par Yohan Depussay et Ismail Hafid

Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti Edificio per abitazioni

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. Représentation axonométriques des 3 modules constitutifs du principe de façade

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. détail du complexe de façades, décrit et annoté. Coupe façade détaillée, développé de façade et extrait module

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. Prise de vue d’une maquette au 1/100e

Mangiarotti et Morassutti. Edificio per abitazioni. Prise de vue d’une maquette au 1/50e

4- Mario asnago et claudio vender edificio per abitazioni, via faruffini 6, Milano

Par Sara Maad, Margaux Nourrit et Ferzilet Leti Numani

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni.

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni. Façade via Faruffini

Mario asnago et claudio vender edificio per abitazioni. Coupe détail légendée

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni. Maquette au 1/100e

Asnago et Vender, Edificio per abitazioni. Photo de maquette au 1/20e

5- Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena 18, Milano 88‑99

Par Léa Coulomb, Daniel Masia et Jean Pernal

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena 18

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Coupe légendées

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Élévation pignon sud et coupe détail et élévation correspondante (côté rue)

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Maquette au 1/100e

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Massena. Maquette d’intérieur au 1/20e

6- Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari 2, Milano

Par Redha Lazar et Khalida Omrani

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari 2, Milano.


Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari. maquette au 1/100e

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Piazza Carbonari. photo de l’intérieur maquette au 1/20e

7- Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni 13, Milano

Par Marjolène Cerles, Céline Labbé et Audrey Tam‑Tsi

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni
Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Coupe détail et façade.

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Coupe détail et façade.

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Photo d’une maquette au 1/100e

Luigi Caccia Dominioni Edificio Per Abitazioni, Via Vigoni. Photo d’intérieur, maquette au 1/20e