La mise en tourisme des paysages hybrides de l’étang de Berre : le plan d’eau comme espace de mobilité

Écrit par
Ken Novellas

La recherche d’une meilleure efficacité des transports collectifs à l’échelle métropolitaine est un enjeu majeur du plan de mobilité de la métropole Aix-Marseille-Provence. L’objectif est double puisque cela participe à la fois à l’efficacité des déplacements quotidiens (les trajets domicile-travail), mais aussi saisonniers (les trajets touristiques estivaux notamment). L’idée qui guide ce projet est donc de penser l’efficacité de la mobilité autour de l’étang de Berre, en regard des paysages traversés à contempler : en croisant préservation et attractivité de ces paysages singuliers, un nouvel avenir se dessine ainsi pour ce vaste territoire. Dans le cadre du Workshop, cinq personnes ont donc travaillé sur ce sujet : Lucie Constantin (étudiante à l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille), Adriano Duarte (étudiant à l’Ecole Nationale Supérieure de Paysage de Versailles), Robert Rossi (habitant du territoire), Adrien La Rocca (étudiant à Aix-Marseille Université), Cécile Diacre (habitante du territoire).

Sujet thème et parti pris : L’étang de Berre, entre attractivité et patrimonialisation

Ce territoire apparaît comme le canevas de trajectoires de développements pluriels. Pour le sociologue Michel Péraldi, l’étang de Berre possède « toutes les cartes postales, tous les sites capables d'illustrer les lieux communs de la Provence visitée »[1]. C’est un véritable territoire composite, ce qui n’enlève rien à la qualité de son cadre de vie : le récent projet de son classement à l’UNESCO souligne cet attachement, de la part de la population et des acteurs locaux. A ce projet récent s’ajoutent les ambitions du SCOT métropolitain Aix-Marseille Provence en cours, s’attachant davantage à la notion de « paysage ». Il ressort aussi du SCoT Ouest Étang de Berre une intention de « préservation » et de « requalification » des paysages, questionnant alors « l’articulation effective de ces deux champs d’action qui pourraient pourtant se nourrir mutuellement »[2]. Il en résulte ainsi un questionnement relatif à la sur-fréquentation des paysages emblématiques métropolitains et aux nécessaires mesures que les gestionnaires de grands sites doivent intégrer, à l’image du démarketing territorial du Parc National des Calanques prévues à l’été 2021. Ménager ce territoire est donc tout aussi important. Les crises anoxiques répétées de l’étang depuis l’installation de l’usine EDF de Saint-Chamas ont amené l’Etat à prendre des mesures successives de réduction des rejets d’eau douce depuis la ré-autorisation de la pêche le 10 janvier 1994. Depuis peu, des élus de tous bords politiques se sont également réunis pour porter devant le parlement un projet de réhabilitation de l’étang de Berre : l’intérêt de l’étang est désormais porté au plus haut de l’État, ceci entrainant une suite de mesures et d’études favorables à sa stabilité écologique, mais également à la mise en valeur de ses paysages atypiques.

Les outils mis en œuvre

La production graphique de l’équipe est très diversifiée (plans, croquis, perspectives de projet), mais garde une même logique : mettre en parallèle les contrastes entre les paysages industriels et les paysages à caractère de nature, mais également les contrastes entre la linéarité des trajets et l’étendue des paysages traversés. Dans le plan ci-dessous, sont mis en parallèle les multiples paysages à découvrir autour de l’étang de Berre, mais également les différents temps de trajets entre les communes. Ceci permet notamment de mettre en exergue le potentiel du plan d’eau comme espace de mobilité.

Plan des paysages et des mobilités existantes de l’étang de Berre.

Les photographies et croquis sur site portent un regard renouvelé sur l’étang de Berre : ils font du caractère hybride[3] de ses paysages un élément à contempler. Par l’utilisation de l’aquarelle, le paysage industriel perd son caractère sublime, son effroyable beauté, mais acquiert une valeur aussi pittoresque que « les lieux communs de la Provence visitée » qu’évoque Michel Peraldi[4].

Photographie des paysages hybrides de l’étang de Berre.

Aquarelle des paysages hybrides de l’étang de Berre.

Un dernier plan idéalise une intention de projet : une nouvelle entrée sur l’étang de Berre par la création d’une navette maritime entre plusieurs communes. La perspective de projet tente de spatialiser l’un des arrêts de la navette maritime à Vitrolles, entre paysages d’eau de l’étang et sec de la garrigue environnante.

Plan des trajets des navettes maritimes sur l'étang de Berre.

Perspective de projet : la navette maritime sur l'étang de Berre à Vitrolles.

 Les grandes idées du projet

Les intentions de projet s’appuient sur un diagnostic de l’accessibilité des rives de l’étang. Il en résulte l’observation de discontinuités dans les possibilités de trajets, mais également l’identification de situations de goulets d’étranglement routier (à Vitrolles ou Martigues par exemple), ou encore de la proximité entre modes de déplacements différents.

Valorisant la découverte des différents paysages du pourtour de l’étang, le groupe a précisé que la démarche de valorisation des paysages devait être croisée avec une volonté de préservation de certains milieux sensibles à inventorier et devant faire l’objet d’une campagne de sensibilisation.

L’objectif du projet est également de retisser des continuités, d’établir la mise en réseau de lieux :  un sentier littoral se dessine autour de l’étang de Berre, valorisant une découverte du territoire par la marche et les déplacements doux, à l’image du GR2013[5]. Le plan d’eau devient lui-même un espace de transit par l’installation d’une navette maritime. Un tel déploiement de la navigation renvoie au principe du cabotage développé sur l’étang pour le transport du sel et la fabrication de soude artificielle, au début du XIXe siècle[6].

Il est également proposé la transformation des voies de train régional en tram-train, ainsi que la réouverture de certaines gares existantes. La portée du développement des mobilités touche l’ensemble du territoire, s’inscrivant à la fois à l’échelle de vastes espaces de nature, mais aussi à celle de petites localités ou de centres historiques à visiter. Le projet facilite également les trajets domicile-travail des métropolitains travaillant autour de l’étang de Berre.

Conclusion : vers un « slow-tourisme » autour de l’étang de Berre

L’attractivité des paysages de l’étang de Berre est ici abordée sous l’angle d’un « slow-tourisme »[7] : le nécessaire développement du territoire doit passer par une accessibilité juste et équilibrée aux paysages, notamment à travers l’essor du transport en commun, des déplacements doux et de l’intermodalité.

Les ports communaux de l’étang de Berre, accueillant la navette maritime, sont ici considérés à la fois comme des points de rupture de charge entre plusieurs mobilités, mais aussi comme des entrées sur un territoire à visiter. Le changement de mobilité constitue également un temps pour prendre le temps, une pause pour profiter de la diversité des paysages. L’occasion de se poser à l’ombre d’un pin, de se restaurer ou encore d’observer la faune et la flore locale.

Par la mise en valeur de ces paysages industriels, le projet questionne aussi l’idée que l’étang de Berre est une « zone critique », selon M.Duperrex et C.Gramaglia, « soit un terrain d’étude privilégié pour appréhender la question des milieux au temps de l’anthropocène, fragments habitables de la Terre qui vont du sol à l’atmosphère, menacés par nos activités et pourtant si mal connus »[8]. Un tourisme, aussi « slow » soit-il, peut-il fonctionner avec cette appréciation de « zone critique » : l’esthétique des paysages de l’anthropocène autour de l’étang de Berre peut-elle fabriquer un objet touristique attractif ?

Bibliographie

Daumalin, Xavier. Du sel au pétrole - l’industrie chimique de Marseille-Berre au XIXe siècle. Paul Tacussel Editeur., 2003.

Gramaglia, Christelle, et Matthieu Duperrex. « Genèse et devenir d’une zone critique littorale méditerranéenne ». Rives méditerranéennes, no 61 (30 décembre 2020): 7‑18.

[1] Michel Peraldi, « L’étang de Berre : Interprétation d’un paysage métropolitain », Ethnologie française 19, no 3 (1989): 273‑90.

[2] Emeline Hat et Sophie Bonin, « Paysages métropolitains et fabrique quotidienne des territoires », Cahier POPSU n°2, 2022.

[3] Par hybride, nous entendons ces paysages dépassent la simple dissociation nature-culture, en référence à Bruno Latour, Nous n'avons jamais été modernes. Essai d'anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, « Poche / Sciences humaines et sociales », 2006.

[4] Michel Peraldi, id.

[5] Le GR2013 est un sentier de grande randonnée traversant la métropole Aix-Marseille-Provence. Il a été créé à l’occasion de l’évènement « Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture » par des artistes-marcheurs.

[6] Xavier Daumalin, Du sel au pétrole - l’industrie chimique de Marseille-Berre au XIXe siècle, Paul Tacussel Editeur, 2003.

[7] Le portail de la Direction générale des Entreprises définit le « slow-tourisme » comme le tourisme « du temps choisi, garant d’un ressourcement de l’être, peu émetteur de CO2, respectant l’écosystème du territoire d’accueil et synonyme de patience, de sérénité, d’améliorations des connaissances et des acquis culturels ».

[8] Christelle Gramaglia et Matthieu Duperrex, « Genèse et devenir d’une zone critique littorale méditerranéenne », Rives méditerranéennes, no 61 (30 décembre 2020): 7‑18.

L'auteur
Ken Novellas

Ken Novellas est paysagiste DPLG et urbaniste. Dans le cadre de son doctorat en mention « paysage » dit « par le projet » débuté en 2019, il est affilié à l’EUR « Humanités, Création et Patrimoine » de l’université de Cergy-Pontoise et au LAREP (Laboratoire de Recherche en Projet de Paysage de l’ENSP). Sa thèse traitant de l’aménagement du littoral de l’étang de Berre et du golfe de Fos face aux changements climatiques, il a encadré les participants du workshop : « Ressourcer l'étang de Berre - Quels paysages à l'horizon 2050 ? ».

Ses articles

Extrait de la revue

5
Ressourcer l'Étang de Berre
Quels paysages en 2050 ?
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