Une plongée en paysage avec le Bureau des Guides

Écrit par
Eugénie Denarnaud

Dans le cadre du workshop organisé sur le pourtour de l’Étang de Berre, deux journées d’arpentage à pied ont été organisées par l’ENSP, l’ENSA-M et l’IUAR en collaboration avec le Bureau des Guides avec Alexandre Field et son équipe en éclaireurs[1]. Le principe était de conduire le groupe à découvrir la pluralité des espaces qui composent les rives de l’étang et ainsi d’en faire l’expérience, à pieds. Ce corps à corps a été fondateur pour les participants car nombre d’entre eux ne connaissaient pas ce lieu. La baguenaude active qui a été proposée, additionnée de rencontres choisies, a permis une plongée efficace dans un site complexe, difficile à parcourir seul dans un temps court de deux jours.

Fortes de cette plongée en paysages, les équipes de participants ont pu, grâce à une perception accrue, lors de ces deux journées inaugurales, aller voir de près ce qui constituait le paysage emblématique de l’étang. Le Bureau des Guides a agi comme un activateur de rencontres et un facilitateur de compréhension paysagère. Les guides prennent une place indispensable dans ce type de démarches, dans lesquelles l’approche pédestre est un prérequis à toute projection et appréhension d’un espace impossible à se figurer de loin ou de façon approximative. Le corps qui trace sa route dans l’espace permet d’ouvrir une voie dans les « territoires actuels » (Stalker, 2000) et d’observer les envers de la ville construite. Dans cette acception, l’Étang de Berre peut apparaître comme un territoire en négatif dans la métropole Aix-Marseille-Provence.

À première vue, l’étendue est si vaste qu’elle semble être une mer sur sa partie droite bordée par d’importantes infrastructures industrielles dont les cheminées et silos de stockage s’accumulent les uns aux autres, donnant aux lieux une échelle paradoxale. Le contact au terrain, expérimenté dans ces deux journées permettait d’avoir des perceptions concrètes pour appréhender la possibilité d’entrevoir une proposition d’aménagement en conséquence de la part des participants. Faire émerger les enjeux d’un projet sur un territoire si complexe dépend directement de l’approche de terrain qui est cruciale dans la démarche.

Il va s’agir dans cet article, de restituer le parcours effectué dans le territoire de l’étang. De quelle manière, après un voyage en bus depuis Marseille, nous avons été conduits à nous perdre dans le paysage, et à faire un ensemble de rencontres qui se sont avérées structurantes pour l’avenir du projet : rencontres du trait de côte avec les eaux saumâtres qui le constituent et les vigies qui le surveillent, ainsi que rencontre d’une géographie à plus large échelle, entre marais et reliefs de la cuesta. [Figure 0]

Figure 0 – Schéma des itinéraires des deux journées de terrain, 29, 30 juin 2021, ©E.Denarnaud.

Un premier contact de sel et d’eau ; des marais du Pâtis à Berre-l’étang

L’arrivée à Marseille ou son départ via l’autoroute passe toujours devant la vastitude de l’étang. Il reste un horizon, une entité si grande qu’on ne peut l’ignorer mais trop lointaine pour être comprise d’un seul regard. Par son histoire complexe et son développement industriel au cours des XIXème et XXème siècles (Daumalin, 2003), l’étang accueille aujourd’hui un nombre important de sites industriels à proximité de la ville de Marseille, qui côtoyaient auparavant des espaces lacustres de loisir, de pêche, de baignade et des plaines maraîchères.

La plongée sur le terrain conditionne notre perception et nous rends attentifs, si bien que l’on apprend à marcher « à la berroise ». On se fait au site, et réciproquement. Comme l’explique la géographe Rachel Thomas, « marcher engage le corps, mais aussi et plus encore la pensée, les rythmes du piéton et sa perception » (Thomas, 2007). Ainsi au contact des lieux, on apprend, on observe et des intuitions émergent. Marcher met le promeneur dans un état de réception accrue d’informations.

Une fois quittée l’autoroute, le car qui transportait le groupe depuis Marseille a bifurqué vers l’étang. Au bout d’un chemin plat et droit, nous arrivâmes sur un parking face à l’étendue d’eau [Figure 1]. Ce fût le point de départ de journées riches en rencontres de touts types : entre entités paysagères, actants divers et réseau de lanceurs d’alertes puissamment ancrés au terrain.

Figure 1 - Étang de Berre, 2022, ©E.Denarnaud.

 

Des herbiers sous-marins comme paysage pour l’hippocampe[2]

 

Après une distribution de parapluies de couleurs en guise d’ombrelles, nous avons attaqué sous un soleil vif la première promenade. A cet endroit précis, Pascale Bazile a pris la parole pour présenter les actions menées par l’association l’Étang Nouveau pour la réhabilitation de l’étang de Berre et de la Durance, dont il est membre fondateur. Un bref point historique rappela qu’en 2004 la commission européenne avait condamné EDF pour la pollution de l’étang causée par le rejet trop important d’eau douce et d’alluvions du canal de la Durance au niveau de la centrale électrique de Saint Chamas. Étant donnée que les eaux douces avaient traversées des terres agricoles situées en amont de l’étang, elles s’étaient chargées de produits phytosanitaires et de matières azotées utilisées dans les cultures, avant de l’atteindre. Par conséquent, il subissait un phénomène d’eutrophisation rapide condamnant de ce fait les espèces spontanées à disparaître au profit d’ulves (Ulva latuca), les fameuses algues vertes qui prolifèrent dans ce contexte. [Figure 2].

Figure 2 - Ulves latuca, 2021,©E.Denarnaud.

L’association a donc planté des herbiers de zostères, une herbe sous-marine qui se comporte en s’étalant en touffes et qui constitue un habitat et une source de nourriture pour les espèces de ce milieu : ce que l’on appelle un herbier en écologie. Ces plantations servirent pour aider à éviter ces crises distrophiques. Pascal Bazile évoqua l’instabilité de l’étang face aux fortes chaleurs et les malaigues littéralement mauvaises eaux en dialecte local qui s’ensuivaient, qui accéléraient l’eutrophisation par l’apport d’eau douce chargée en matière organique. Ce phénomène qui existait à l’état naturel, était amplifié par les rejets de la centrale hydroélectrique. Étant donnée que la lagune ne dépasse pas neuf mètres de profondeur, son réchauffement rapide accélérait de ce fait le phénomène.

Nous marchâmes ensuite sur une longue plage de coquilles de bivalves, blanchies par l’eau et le soleil. Pascal Bazile cueillit dans une vaguelette des ulves pour les montrer aux promeneurs. Des herbiers de zostères ont été plantés là sous différentes formes par des membres de l’association pour aider à inverser le processus d’eutrophisation sous forme de semis de graines ou bien de boutures. Grâce à la veille menée par L’Étang Nouveau les hippocampes sont revenus y vivre. L’étang était un lieu de prédilection de toujours pour cette espèce fragile qui lui est fidèle.

 

De la ligne d’horizon industrielle à un rivage de sel et de pétrole, le visage multiple de l’étang[3]

 

Un ensemble de bornes blanches maillait le parcours dans le marais du Pâtis, qui débouchait sur les salins de Berre. Le paysage était plat et lagunaire. Ces bornes correspondaient à la présence de canalisations d’hydrocarbures comme nous l’indiqua Philippe Clamaret, et à des emplacements de nappes artificielles de stockage de pétrole en cavités salines. [Figure 3]

Figure 3 - Bornes blanches, 2021,©E.Denarnaud.

Il connaissait bien les infrastructures du pourtour de l’étang car, avec son association, l’Institut éco-citoyen pour la connaissance des pollutions, il menait un important travail de veille locale sur les divers rejets industriels dans l’eau et dans l’air. Le principe était de compiler et d’amasser des observations faites par les praticiens des lieux, qui sont là en permanence, à savoir les habitants. La veille assurée par la communauté permettait de mettre en lumière des états du paysage, révélateurs de graves pollutions, en relevant des manifestations sensibles anormales de façon régulière : panaches de fumées rouges à heures fixes, surface de l’eau passant du rouge au noir en fonction du sens du vent à proximité du site d’Arcelor-Mittal, effet cocktail des mélanges de polluants aux hydrocarbures dans le golfe de Fos-sur-Mer, …

L’association faisait appel à des bio-indicateurs comme les lichens et les algues. Cet investissement au quotidien était crucial pour arriver à donner une mesure à ces phénomènes et les rendre perceptibles. Le propos de l’association était de réhabiliter les lieux par la pratique d’une attitude citoyenne et environnementale qui passait par la connaissance scientifique. Mais comment transformer un observatoire scientifique en décision politique ? Le rapport à la biodiversité, témoignait selon lui d’un réinvestissement physique et politique du territoire responsabilisant tout un chacun. Ce faisant, l’étang resterait un lieu d’accueil de la biodiversité, un couloir migratoire, une lisière entre la terre et la mer, comme de nombreuses autres zones humides sacrifiées au profit de l’industrie.

 

Les eaux du delta de l’Arc, une imbrication complexe d’acteurs pour un territoire agricole en sursis[4]

 

En quittant les marais salants, le chemin filait droit vers des parcelles nues, cultivées et écrasées par le soleil en cette saison estivale [Figure 4].

Figure 4 - Lisière agricole, Plaine de l’Arc, 2021,©E.Denarnaud.

Le domaine du viticulteur que nous devions rencontrer était maillé par d’anciens canaux à sec bordés de cannes de Provence et de martelières témoignant d’un système d’irrigation traditionnel encore fonctionnel bien que moins entretenu du fait de la déprise agricole. Ce fut à l’ombre d’un chêne blanc, à la croisée de deux chemins, que Françoise Colard présenta les axes principaux de travail qu’elle développait au sein du SAGE, le Schéma d’aménagement et de gestion des eaux du bassin de l’Arc.

Cette rivière prenait sa source vers la montagne Sainte Victoire et coulait par Aix-en-Provence avant d’arriver dans son delta sur le site où nous étions. L’eau, au fil de sa course, se chargeait en produits phytosanitaires utilisés dans l’agriculture conventionnelle. Les différents acteurs du SAGE[5] : les services de l’état, les maires des différentes communes riveraines, le Canal de Provence, les industries et les associations (dont UFC Que Choisir ? ou France Nature Environnement) ont élaboré le PAGD Programme d’aménagement et de gestion de l’eau. La vraie lutte à mener se situait selon elle, dans le fait de ne pas « tuber » ou drainer l’eau mais de la laisser s’écouler, évitant ainsi l’imperméabilisation des sols, très nocive pour l’accès à la ressource en eau et qui permettait également d’éviter les engorgements et les inondations. La gestion des eaux de ruissellement constituait un enjeu crucial pour protéger la ressource de la région. Françoise Colard militait pour laisser l’eau s’infiltrer là où elle tombe, même dans les cours d’écoles[6].

Un autre de ces enjeux était celui de laisser le cours de l’Arc et de ses affluents libres et de permettre à la ripisylve de se déployer. Le point de départ pour protéger cette formation écologique serait de pouvoir la faire apparaître dans les documents d’urbanisme. Or elles ne sont jamais classifiées en tant que telles alors qu’elles assurent un rôle majeur pour la circulation et la reproduction des poissons et des anguilles notamment.

Le territoire anciennement très agricole était dans une situation de déprise suite à de nombreuses délocalisations de la production. La « crise de la tomate » a été évoquée comme ayant donné un coup d’arrêt à une production emblématique de la région, laissant au paysage des serres vides, au profit de fruits venant d’Andalousie. Dans les années 2019 et 2020, impactées par la zoonose du Corona virus, un regain de ventes locales à la ferme avait eu lieu questionnant de fait les pratiques agricoles souhaitables et la réinstallation de productions locales à l’échelle de la métropole Aix-Marseille-Provence.

Le groupe s’égrena alors au bord d’un champ, le long d’une haie brise vent de cyprès d’Italie, puis s’enfonça dans un bois de plus en plus épais constituant la ripisylve de la rivière de l’Arc. Le paysage ombragé était calme et frais. L’eau coulait sous le pont de pierre qui menait de Berre-l’Étang à Saint Estève, au milieu de grands peupliers blancs. Nous ressortîmes du bois pour rejoindre le rond-point de la Croix-Rouge. En ligne de fond, surgissaient la silhouette de la raffinerie au dessus des parcelles cultivées. Le bus nous attendait au devant des anciens postes électriques désaffectés. Nous y avons accédé par un trou dans le grillage via lequel les membres du groupe se faufilèrent.

 

Entre le marais de la tête noire et les reliefs de la cuesta

 Après une journée dans le delta de l’Arc et sur les grèves de coquilles de moules blanchies par le soleil, le groupe se rassembla à nouveau pour démarrer une autre journée qui allait nous permettre de joindre le site de l’ancien port de Rognac au niveau de la cuesta, pour finir sur la plage réhabilitée des Marettes à Vitrolles [Figure 5].

Très différent du premier ce deuxième jour a permis de réunir physiquement des espaces paraissant situés à des kilomètres les uns des autres, à cause d’une lisibilité peu propice, due notamment à l’autoroute A7 qui scindait le territoire en deux et à la ville de Vitrolles qui tournait le dos à l’étang.

Des espaces vastes aux voisinages complexes[7]

Sylvain Tesserault, ancien employé de l’usine de pétrochimie Lyondell Basel, nous attendait sur ce qui fût le site de l’ancien port de Rognac qui commerçait déjà à l’époque romaine du vin et de l’huile d’olive. En avançant sur l’ancien quai du port de pêche, il nous fit remarquer les limites de marais salants engloutis, qui marquaient des traces plus sombres sous l’eau. Il vanta la qualité de l’eau la plus prisée de l’étang : les daurades, loups, moules et huîtres avaient fait la renommée de Rognac. Ce littoral était dédié à des cabanons de villégiature de citadins Marseillais aux XIXème et XXème siècle. Ces espaces se sont transformés peu à peu au contact de l’industrie. L’espace s’est morcelé et privatisé depuis, rendant difficiles les accès aux sentiers littoraux et créant de facto d’importants conflits de voisinage.

L’association Nosta Mar, de laquelle il était membre, pour la préservation du patrimoine historique et naturel de la commune, agissait pour fédérer les différents acteurs locaux autour de la question des parcours de promenade en pleine nature. Un parcours gagné sur l’eau, au milieu d’une roselière de cannes de Provence permettait au groupe de se perdre dans les marais de la Tête Noire [Figure 6].

Figure 6 Arundo donax, Rognac, 2021, ©E.Denarnaud.

Les cheminements gagnés sur l’eau sillonnaient aussi des portions de pleine terre dont l’usage servait aussi à des chasseurs et des pêcheurs. Le chemin passait parmi des ronces. Il frôlait le grillage d’un terrain de moto improvisé entre le site géré par le Conservatoire du littoral et l’usine de pétrochimie, le long de la départementale dont la circulation se faisait entendre parmi les tamaris et les inules en fleurs [Figure 7].

Figure 7 - Voisinage, Rognac, 2021, ©E.Denarnaud.

Un peu plus loin dans le marais, des affûts de chasse nocturne permanents étaient installés sur le littoral, là où, au sol, affleuraient des tâches noires d’hydrocarbures dans la vase. Ce paysage complexe et aux acteurs variés ne manquait pas de soulever d’importants conflits de voisinage. Les chasseurs luttaient contre les amateurs de balade en pleine nature car ils perturbaient leur butin potentiel : les animaux sauvages (aigrettes, échasses blanches, poules d’eau et ibis sacrés). Sylvain Tesserault a fait état du parcours botanique installé par Nosta Mar et le Conservatoire du littoral, sous forme de panneaux informatifs, dont huit ont été cassés et ou volés par cette communauté de riverains chasseurs. Il pointait du doigts les ornières générées par le passage de véhicules quatre-quatre au milieu du cordon de végétation littorale protégée [Figure 8].

Figure 8 - Hydrocarbures, Rognac, 2021, ©E.Denarnaud.

Les interstices à braconner et le blanc des cartes[8]

Nous avons traversé la ville de Rognac jusqu’à passer sous les voies ferrées. Un véhicule de police municipale rôdait autour du groupe et me fit signe. Ils n’avaient pas l’habitude de voir un groupe de visiteurs visiblement. Nous sommes montés pour nous installer dans une parcelle boisée au dessus des voies ferrées pour déjeuner. Sur des nattes étalées au sol et la pastèque partagée pour le dessert, les participants écoutèrent l’anthropologue Michel Peraldi qui mentionnait l’étang et ses pourtours comme un lieu de recherche d’interstices, parcouru par des braconniers de l’espace. Selon lui, l’industrie ne grammaticalisait pas l’espace, contrairement au tourisme qui planifiait tout. Elle permettait donc de trouver des accès dans des lieux par définition inaccessibles. Il souligna le contraste entre l’occupation braconnière, industrielle et touristique du lieu et les enjeux que cela soulevait dans le cadre de l’étang de Berre, dans un moment de redéfinition de l’activité industrielle dans le secteur. Quel pouvait-être le devenir des sites industriels devenues obsolètes ?

En remontant vers la cuesta nous avons longé l’A7 par la gauche en direction de Marseille. Le parcours en friche était rythmé par la voie en goudron à moitié éclatée par les inules visqueuses, sur laquelle nous marchions et le bruit des voitures et des semi-remorques qui filaient au même niveau que nous. Nous sommes ensuite montés par un petit chemin près d’un parking qui menait plus haut vers la cuesta, et sommes passés par un portail fermé [Figure 9]. Au milieu de la pinède calcinée par l’incendie de 2017, le groupe s’est assis pour échanger avec Aline Wiame philosophe, à propos du blanc des cartes qui correspond souvent à une terra incognita, à des espaces vagues[9]. Elle parla de ces lieux de friction ou de liberté comme étant des espaces de formulation de la pensée contemporaine.

Figure 9 Autoroute 7, Vitrolles, 2021, ©E.Denarnaud.

Découverte impromptue sur la plage des Marettes à Vitrolles : rencontre avec le « fada sage »

Après avoir longuement parcouru le bord de l’autoroute, le groupe descendit par la commune de Vitrolles au droit de l’antenne et du stand de tir et nous repassâmes sous l’autoroute, en direction du bord de l’étang. Celui-ci semblait alors imperceptible. Un grand rond-point séparait la troupe en petits sous-groupes. Les véhicules ne s’arrêtaient pas pour nous laisser passer. Ce n’était pas un lieu pour les promeneurs. Dans une épaisseur très fine de quelques mètres, une palissade passée, un quartier plus résidentiel semblait se détourner de l’étang. Sans transition, un chemin menait au club de voile des Marettes. Sans l’avoir vu venir, nous sommes arrivés sur une plage de bord d’étang bordée de tamaris à l’ombre desquels séchaient des coques de bateaux retournées.

C’était dans ce camping et centre de voile récemment aménagé et ré-ouvert que la journée se termina face au soleil couchant. Nous avons rencontré le nageur de l’étang Gérald Fuxa. Il se baptisait le « fada sage ». Son combat pour la dépollution et la réhabilitation de l’étang s’opérait par des actions sportives intenses pour attirer la presse sur ses exploits. Il rejoignit Vitrolles à Marseille en passant par la côte bleue pour communiquer sur les fragilités des eaux et sur la responsabilité collective d’en faire un lieu plus préservé. Il assimilait ses exploits à une forme de folie dictée par la sagesse de porter enfin un regard résilient et objectif sur le désastre écologique causé par l’industrie sur l’étang et sur la capacité de chaque industriel riverain de retourner cet état de fait pour redonner à cette mer intérieure sa dignité perdue.

 

En empruntant le moyen d’une immersion sur le terrain, ces deux journées, permirent à chaque membre du groupe d’éprouver le paysage dans lequel se situait le workshop. Cette plongée fut une nécessité pour pouvoir se positionner dans un projet d’aménagement à l’horizon 2050 autour des questions que soulevaient le site. Sans cette approche les données de départ auraient pâti d’un manque d’expérience concrète. Il est fait état ici du paysage comme enveloppe et essence d’une liaison entre un corps et un milieu ambiant, mais aussi comme d’un objet d’usage ayant un but bien déterminé. Il prend à la fois en compte l’existant objectivable autour de soi : l’organisation sociale de l’endroit étudié, son histoire, son passé, ses dynamiques contemporaines, son architecture, son écosystème, sa structure. Mais il fait également état, dans le même degré d’analyse et de prise en compte, des ressentis sensibles éprouvé dans le même paysage : chaleur des journées d’été, sècheresse des chemins, ambiance sonore des bordures de l’A7, incapacités de franchissements… Toutes ces choses apparemment sans relations entre elles, assemblées, composent un extrait de ce qu’est un paysage et permettent d’en cerner le contour, étape qui constitue de point de départ de la démarche projectuelle.

 

Bibliographie :

Stalker Groupe, 2000, À travers les territoires actuels, [Attraverso i territtori attuali, 1995], Jean Michel Place, Paris.

Daumalin Xavier, 2003, Du sel au pétrole – L’industrie chimique de Marseille-Berre au XIXème siècle, Tacussel, Marseille, 160 p.

Thomas Rachel, 2007, « La marche en ville une histoire de sens », L’Espace géographique, Tome 36, Belin, Paris, p. 15-26, p. 6.

Vasset Philippe, 2007, Un livre blanc, Fayard, Paris, 144 p.

[1] Marches exploratoires réalisées les 29 et 30 juin 2021.

[2] Pascal Bazile, association l’Étang Nouveau, [DOI : https://www.letangnouveau.org/], (consulté le 24 octobre 2022).

[3]  Rencontre avec Philippe Clamaret, directeur de l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions, [DOI : http://institut-ecocitoyen.fr/pres.php], (Consulté le 24 octobre 2022).

[4] Rencontre avec Françoise Colard membre du SAGE de l’Arc, devenu maintenant le Menelik, [DOI : https://www.menelik-epage.fr/nous/savoir-gerer/sage-schema-damenagement-et-de-gestion-des-eaux-de-larc/], (Consulté le 24 octobre 2022).

[5] Le SAGE est un outil de planification locale, institué par la loi sur l’eau de 1992. Il vise la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau. Voir : https://www.gesteau.fr/presentation/sage, (Consulté le 24 octobre 2022).

[6] Voir « Objectif zéro artificialisation nette : quels leviers pour protéger les sols », [DOI : https://www.strategie.gouv.fr/publications/objectif-zero-artificialisation-nette-leviers-proteger-sols], (Consulté le 24 octobre 2022).

[7] Rencontre avec Sylvain Tesserault, membre de Nosta Mar, [DOI : http://nostamar.fr/], (Consulté le 24 octobre 2022).

[8]  Rencontre avec Michel Peraldi sociologue et Aline Wiame philosophe.

[9] Vasset Philippe, Un livre blanc, Fayard, Paris, 2007, 144 pages.

Eugénie Denarnaud est enseignante-chercheuse en sciences du paysage à l’École Nationale Supérieure de Paysage de Marseille et associée au Laboratoire de recherche en projet de paysage (LAREP). Ses recherches portent sur l’exploration de la notion de frontière, de limite ou d’interstice, à travers l’étude de l’impact des circulations maritimes sur les paysages de détroit et de passage (aspect social, culturel, géopolitique de la fabrique des territoires côtiers). Elle mène ses recherches dans le détroit de Gibraltar notamment à Tanger (Maroc), où elle a étudié dans une approche environnementale la figure des jardins ordinaires urbain comme révélateurs de connaissances vernaculaires du milieu ambiant, au sein et au-delà de la barrière du jardin, dans le grand paysage du détroit. Elle a participé à l’ouvrage Transition par le paysage, L’étang de Berre, territoire laboratoire pour Aix-Marseille-Provence Métropole, Cahier POPSU 3.

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5
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