Le paysage comme question métropolitaine a réuni des enseignants-chercheurs des trois établissements de l’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires au sein de la plateforme de recherche POPSU Aix-Marseille-Provence Métropole[1] (2018-2022) et autour du thème le « Grand » Paysage comme ressource(s). En partenariat avec la DGA au projet métropolitain et avec l’appui de la DGA Agriculture, Forêt, Paysages, Espaces naturels de AMP Métropole, cette recherche a reconsidéré les approches socio-économiques des métropoles au filtre d’un paysage moteur et acteur de la construction métropolitaine (Salles et al., 2022), dans un territoire de près de 2 millions d’habitants, à 75% naturel (56%) et agricole (19%) où géographie, richesse biologique des milieux et diversité des paysages sont étroitement liées. Ici, la focale du paysage met en avant de nouveaux équilibres à trouver entre les dynamiques anthropiques et naturelles de la fabrique des territoires. Si ces nouveaux équilibres sont depuis la crise du Covid en haut de l’agenda des politiques territoriales, il n’y a pas encore de réel recul sur la manière dont les questions d’attractivité, d’égalité des territoires et de développement économique peuvent être abordées à partir de choix de gestion économe et qualitative de l’espace, de prévention des risques et des pollutions, et de restauration de la biodiversité, qui sont interdépendants. Aussi, au moment où AMP Métropole a lancé un plan de paysage métropolitain[2], en parallèle à l’élaboration du SCOT métropolitain et d’un atlas de la biodiversité[3], la recherche POPSU AMP Métropole a questionné les conditions d’une transition (écologique et climatique, sociale, économique et énergétique) dans laquelle le paysage peut être moteur et acteur d’un modèle de développement plus résilient, tirant parti de ses richesses naturelles et culturelles. L’étang de Berre est un terrain-atelier particulièrement fertile pour observer les conditions de cette transition par le paysage (Diaz, 2021 ; Folléa, 2019 ; Lagadec et Kempf, 2019).
Le Workshop, comme modalité de questionnement de recherche
C’est dans ce cadre d’observation d’une politique métropolitaine en train de se faire qu’a eu lieu le workshop POPSU « Ressourcer l’étang de Berre. Quels paysages en 2050 ? », du 28 juin au 9 juillet 2021 à l'ENSA de Marseille. La thématique est d’actualité pour cette lagune méditerranéenne aux rives très anthropisées, qui est reconnue aujourd’hui comme un milieu naturel et un territoire à enjeux, au niveau national comme aux niveaux régional et métropolitain. En effet, l’étang de Berre a fait l’objet d’un rapport d’information pour sa réhabilitation, au nom de la commissions du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale le 23 septembre 2020.[4] La perspective d’une inscription de l’étang de Berre au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO y est clairement évoquée, « l’étang de Berre constituerait un bien mixte, culturel et naturel » (p.47), même si depuis, cette candidature n’a pas été retenue. L’étang de Berre et son territoire, habités et exploités depuis l’Antiquité, a connu un double mouvement d’urbanisation et d’industrialisation intensive au cours des XIXème et XXème siècle (Daumalin, 2003), qui a profondément perturbé l’équilibre homme-nature complexe de ce territoire. Depuis, des déséquilibres structurels empêchent l’écosystème de l’étang et sa salinité de se stabiliser. Ils sont en grande partie dus aux déploiements de sites industriels ou logistiques comme la raffinerie de Total à La Mède, l’usine hydroélectrique de Saint-Chamas qui rejette une partie des eaux de la chaîne hydroélectrique Verdon-Durance dans l’étang de Berre depuis 1966, ou encore l’aéroport de Marseille-Provence à Marignane. Ces héritages aménagistes implantés à une trentaine de kilomètre de la ville de Marseille - sur les berges de l’étang et à proximité de milieux humides et d’espaces lacustres de loisir, de pêche, de baignade et de productions maraîchères - sont aussi au cœur des projets d’Aix-Marseille-Provence Métropole. En effet, derrière le renouveau métropolitain de l’étang de Berre, se concentrent des enjeux cruciaux de reconversion économique et industrielle, de qualité écologique et sanitaire, d’attractivité touristique et urbaine, ou encore de valorisation de la culture et des paysages des pourtours de l’étang. Le projet métropolitain Ambition 2040 souligne l’importance « d’assurer la préservation des rivages méditerranéens, la réhabilitation de l’étang de Berre et de tirer parti de leurs atouts » (engagement 11).[5] Ici, la valorisation des paysages et des usages de l’eau renvoie à une attention au bon état écologique du plan d’eau, qui conditionne l’habitabilité de ce territoire métropolitain et son attractivité. À quelles conditions et selon quelles modalités seront-elles possibles ? C’est cette question qui fut posée durant ce workshop, en s’appuyant sur l’hypothèse de la plateforme de recherche POPSU AMP Métropole qui met les ressources des lieux, les qualités des paysages et la richesse des milieux au centre des choix de développement et d’adaptation au changement climatique. La haute valeur culturelle et écologique du territoire de l’étang de Berre en fait un terrain laboratoire unique de cette transition, qui concentre des mutations urbaines, économiques et sociales majeures. Son devenir à l’horizon 2050 questionne la reconversion des héritages de décennies de développements urbains, routiers, portuaires et industriels qui impactent le cadre de vie et la santé des métropolitains, comme ils fragilisent un patrimoine paysager et écologique de zones humides de grande valeur.
Depuis les communes de Berre l’Étang, Rognac, Vitrolles et Marignane au nord-est de l’étang le workshop « Ressourcer l’étang de Berre. Quels paysages en 2050 ? » a proposé de dessiner par le paysage une transition attentive au vivant. Les thèmes guidant les réflexions et les propositions des quatre équipes étaient les suivants :
- Paysages ressources de demain : sols, agriculture et industrie.
Les paysages de l’étang de Berre juxtaposent industries lourdes, infrastructures et lotissements résidentiels ou d’activités sur d’anciens sols agricoles ou des zones humides. Le sol y a été une simple surface à occuper, une ressource facile à mobiliser et génératrice de plus-value, y compris pour des relocalisations en agriculture sous serre et hors sol de la plaine de l’Arc. Aujourd’hui, la décarbonation des systèmes de production et des mobilités, la reconversion des industries pétrochimiques et la diversification de l’agriculture en circuit court posent les bases d’un renouvellement territorial inédit. À partir de la commune de Berre l’étang, il s’agira d’amorcer une nouvelle trajectoire où les sols sont une ressource majeure, pour leur valeur nourricière, pour induire de nouvelles proximités entre habitat, production et milieux naturels, comme pour leur capacité à garantir une meilleure habitabilité en contribuant aux dynamiques du vivant (cycle de l’eau, absorption de CO2, trame brume, etc.). Les paysages ressources de demain autour de l’étang de Berre seront des paysages productifs et capables de mettre en œuvre une politique de zéro officialisation nette.
- Résilience des milieux anthropiques et naturels : biodiversité et aménités de la ville littorale.
La restauration de l’étang de Berre vise à réduire les apports du bassin versant, à améliorer les entrées d’eau marine et à accompagner la dynamique des habitats naturels. Au-delà, la richesse des milieux naturels, la diversité des habitats de zones humides et des reliefs calcaires, ainsi que la force des paysages constituent des potentiels de résilience. Son sens écologique, de capacité du vivant à s’adapter, s’applique ici à un socio-écosystème complexe et à des usages économiques, résidentiels ou de loisirs. Il s’agira de penser cette ville littorale, comme un espace de cohabitation de tous les vivants, dont les leviers d’adaptation (écologiques, économiques, politiques et sociaux) engagent la complémentarité des logiques naturelles et anthropiques. La littoralisation de Rognac et de Vitrolles se questionne autour d’un sentier littoral et dans la relation aux chemins de l’eau depuis le plateau de l’Arbois, dans un esprit de réversibilité ou de ré-ensauvagement des sols urbanisés. Vivre près de l’étang et profiter de ses espaces de nature sollicitent des qualités d’habiter et de confort, comme des fonctionnalités naturelles, une mobilité durable… Biodiversité et aménités contribuent à dessiner le paysage littoral.
- Habiter les paysages du risque : milieux secs et humides face au changement climatique.
Entre Méditerranée et massifs secs de pinèdes et garrigues, l’étang de Berre est une mer intérieure alimentée en eau douce par la Touloubre, la Durançole, l’Arc, la Cadière et la Durance via le canal EDF. C’est aussi un territoire de 235 000 habitants avec de nombreux sites industriels classés Seveso. Le changement climatique, déjà sensible en milieu méditerranéen, y accentue la fréquence et l’intensité des incendies et des inondations, comme l’ampleur des submersions. La focale du risque invite à repenser les équilibres entre littoral et arrière-pays, entre milieux secs et humides, entre paysages naturels et anthropisés. Il s’agira de tirer parti des dynamiques du vivant et des processus en jeu dans la transition climatique pour engager des stratégies d’adaptation ou de gestion où l’agriculture modère les incendies, où la bonne fonctionnalité des milieux humides protège, où les choix de développement régulent les pollutions... Cette adaptation génère de nouvelles relations entre usages des espaces et entre territoires. Ici, les milieux humides sont indispensables à l'habitabilité du territoire, en complémentarité des massifs secs qui sont aujourd’hui les seuls espaces naturels à être reconnus. Le paysage est un levier de transformation des conditions d’habitabilité en climat méditerranéen.
- Attractivité de l’étang de Berre au cœur des espaces naturels et grands paysages métropolitains.
Si l’étang de Berre vu comme un site industriel et pollué a mauvaise réputation, c’est oublier la richesse culturelle de son histoire, la richesse écologique de ses milieux humides et la qualité de cadre de vie que la volonté de classement à l’UNESCO souligne. L’étang de Berre est un territoire habité et défendu par ses habitants pour sa valeur sociale, culturelle et écologique. Il s'inscrit dans une longue trajectoire de développements multiples dont témoignent les paysages de pinèdes, garrigues et rives lagunaires ou plages, de domaines viticoles et cultures sous serres, de villages perchés et villes nouvelles, de zones commerciales et raffineries. Alors qu’une nouvelle trajectoire s’amorce avec la restauration écologique de l’étang et la mutation des industries, il s’agira d’interroger les représentations de l’étang de Berre, sa place en tant qu’espace naturel majeur métropolitain et son attractivité. C’est une question d’image, d’accessibilité et de valorisation de ses imaginaires. Malgré sa dimension exceptionnelle, le paysage de l’étang de Berre n'est pas emblématique, contrairement à la Sainte-Victoire ou aux Calanques dont la surfréquentation a induit une campagne de dé-marketing. Aussi, à un moment où l’accès aux espaces naturels est une question de santé publique, l’attractivité de l’étang de Berre invite à penser un aménagement du territoire équilibré autour des espaces naturels métropolitains.
Figure 1. Affiche du Workshop © ENSP
Entrer dans le territoire et les paysages de l’étang de Berre pour les mettre en projets
Pour démarrer le workshop, le parti pris de compréhension du territoire a été immersif et a cherché à installer une familiarité autour de différents points de vue émanant d’acteurs locaux et nationaux de l’aménagement métropolitain, de connaissances scientifiques du territoire et au contact du terrain avec le bureau des guides du GR2013. Le workshop a aussi été conçu comme un lieu d’intelligence collective, visant à co-construire la recherche de façon ouverte et interactive, en invitant et en mobilisant lors des séminaires et des marches de terrain des élus et des acteurs métropolitains ou de l’étang de Berre, le comité national POPSU et les personnes ressources qui ont accompagné la co-construction des résultats de la recherche et leur validation, mais aussi en allant à la rencontre des riverains.
Le séminaire d’ouverture du 28 juin 2021 a permis aux participants du workshop de situer les questionnements du workshop dans les enjeux d’une recherche portée à la fois par AMP Métropole et le programme national POPSU Métropole. Michel Roux, vice-président au Projet Métropolitain, a rappelé l’importance de valoriser et de préserver le « capital paysage » de la métropole, aujourd’hui doublement fragilisé par des choix de développement et le changement climatique. Puis Hélène Peskine, secrétaire permanente du Plan Urbanisme Construction Architecture, et Vincent Fouchier, DGA au Projet Métropolitain de AMP Métropole, ont pointé en quoi le paysage est un enjeu métropolitain et un levier pour engager un nouveau modèle de développement. Après cette entrée en matière, le terrain de l’étang de Berre a été informé par deux conférenciers qui ont défendu des visions très différentes de l’étang, de son histoire et de son avenir. Xavier Daumalin, professeur d'histoire contemporaine (Aix Marseille Université - UMR TELEMME) a ouvert la séance sur « La mémoire conflictuelle oubliée d'un territoire industriel pluricentenaire : l'étang-de-Berre ». Il est revenu sur les contestations environnementales qui ont accompagnées très tôt les différentes phases de l’industrialisation des rives de l’étang. Puis Matthieu Duperrex, artiste et maître de conférence en sciences humaines et sociales (ENSAM - INAMA) a présenté un « Plaidoyer pour un paysage sentinelle », où les paysages de l’étang de Berre sont des paysages d’alerte révélateurs d’une esthétique, traduisant de nouvelles relations à la nature. Le séminaire s’est conclu sur une double vision politique. Didier Khelfa -maire de Saint-Chamas, conseiller de territoire du Pays Salonais, président du GIPREB et vice-président au Budget et Finances de AMP Métropole- est parti de son attachement à l’étang pour évoquer la manière dont l’action du GIPREB, syndicat mixte pour la réhabilitation de l’étang de Berre, traverse des enjeux à la fois locaux et métropolitains, qui rencontrent aujourd’hui l’attention nationale portée à la réhabilitation de l’étang. Il parle d’un « alignement de planètes » en donnant le mot de conclusion au député des Bouches du Rhône Jean-Marc Zulesi, le rapporteur de la mission d’information parlementaire sur la réhabilitation de l’étang de Berre. Celui-ci a rappelé la convergence des préoccupations nationales, métropolitaines et locales pour engager un nouvel avenir autour de l’étang de Berre. Ils ont ouvert la voie à des réflexions où le bon fonctionnement de l’écosystème de la lagune est une question de bien vivre autour de l’étang, d’usages de loisirs et de bonne gestion de ses ressources.
Les textes présentés dans ce numéro 5 de Sud Volumes Critiques permettent de rentrer dans le concret de la découverte du terrain et des propositions des quatre équipes ayant participé au workshop.
Dans un premier texte intitulé « Terrain et découverte du site. Une plongée en terrain avec le Bureau des Guides », Eugénie Denarnaud nous propose une narration à propos des marches qui permettent une approche des rives de l’étang de Berre, une connaissance du site, du territoire habité. Si l’étang de Berre est vaste et que onze communes prennent place sur ses rives, les deux journées marchées ont suivi des itinéraires circonscrit à la partie Est de l’étang avec la marche du delta de l'Arc et une marche de Rognac à Vitrolles. Ces journées de marches furent des moments de rencontres des acteurs de ce territoire, habitants, hommes et femmes engagés dans des associations, gestionnaires, chercheurs. La pratique du terrain par la marche a pour but de mettre les participants au workshop « dans un état de réception accrue » d’informations, ce qui est primordial dans la démarche du projet de paysage pour lequel l’environnement et le paysage sont des ressources essentielles (Careri, 2013 ; Chardonnet-Darmaillacq, 2016 ; Les Carnets du paysage, 2021). Le bureau des guides du GR2013 avait conçu ces deux journées pour prolonger par la marche le séminaire d’ouverture en y associant un plus large public. Ils nous ont fait partager leur connaissance fine du territoire, celle des conférenciers invités (Michel Peraldi, Aline Wiame, Thomas Bellouin) et celle des acteurs et défenseurs de l’étang et ses rives que le bureau des guides du GR2013 avait rencontrés lors de ses expéditions Pamparigouste, à la recherche de l’étang perdu.
Figure 2. Conférence de Michel Peraldi - 30 juillet 2021© ENSP
Figure 3. Marche entre vigne et pétrochimie, Berre l’Étang - 29 juillet 2021© ENSP
Figure 3. Marche entre vigne et pétrochimie, Berre l’Étang - 29 juillet 2021© ENSP
Les quatre textes suivants restituent les travaux du Workshop, où chacune des quatre équipes a choisi un des 4 thèmes proposés. Les ateliers ont été encadrés par des enseignants chercheurs en architecture, aménagement et paysage,[6] comme ils ont pu profiter de l’expertise de Marc del Corso et de Florence Hannin, du service paysage de AMP Métropole. Les participants provenaient de disciplines et d’écoles diverses : paysagiste à la Chaire Terre et paysage de l’ENSP, doctorante en paysage de l'université de Cergy-Pontoise et au Laboratoire de Recherche en Projet de Paysage, étudiant.e.s en Master Paysage à l’ENSP, en Master Design à l’ENS Paris-Saclay, en Master d’urbanisme à Sciences Politiques Bordeaux, en Master d’ingénieur Université de technologie de Compiègne, en Master Architecture à l'École Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Lille, à l’École des Beaux-Arts de Marseille, ainsi que deux habitants du territoire.
Figure 4. L’équipe des participants au workshop lors de la restitution à l’ENSA.M - 9 juillet 2021 © S. Salles Antoine Angot, Falilou Bah, Alexis Campagne, Alice Caron, Lucie Constantin, Adriano Duarte, Antoine Fouquet, Marie-Laure Garnier, Anaïs Malmazet, Agathe Maurel, Emma Morillon, Émile Murat, Robert Rossi, Clara Souleihavoup, Nancy Wilson et Ghita Serrhini
Figure 5. Le projet en construction et en débat - ENSA.M juillet 2021 © S. Salles
Dans le deuxième texte « Habiter en zone hostile : fiction et gestion des risques à l’Est de l’Etang de Berre », Éric Dussol évoque les travaux de l’équipe qui a répondu à la thématique : Habiter les paysages du risque : milieux secs et humides face au changement climatique. L’équipe a utilisé la méthode dite du Design-Fiction. A partir des connaissances accumulées, ils ont élaboré des scénarios nommés des « futurs-fictions » qui prennent en compte les risques auxquels les sites sont soumis : le risque incendie, le risque de montée des eaux et la submersion, et le risque industriel.
La réponse de la seconde équipe, questionnant la Résilience des milieux anthropiques et naturels : biodiversité et aménités de la ville littorale, est décrite par Eugénie Denarnaud. Dans « Résilience des milieux anthropiques : Comment réconcilier nature et industrie ? », on comprend que face à l’aspect hétérogène des différents aménagements, l’équipe a souhaité faire une proposition qui aille dans le sens d’une réversibilité des chocs qu’a subi ce grand territoire depuis sa rapide conversion à l’industrie à la fin du XIXème siècle et courant XXème, et s’attache à la géographie des lieux pour tenter une mise en relation plus nette entre ces territoires. Les outils utilisés sont « innovants » et font appels à des théories des disciplines SHS comme la « théorie des acteurs réseau » de Bruno Latour (Akrich, Callon et Latour, 2006) ou encore la pensée de Philippe Descola (2005).
Le quatrième texte, de Ken Novellas expose la démarche de la 3eme équipe, « La plaine de l’Arc à Berre-l’Etang : un territoire entre deux eaux Rédaction », qui s’attache, en lien au thème Paysages ressources de demain : sols, agriculture et industrie, à appréhender le sol comme un levier de projet, influençant l’occupation humaine future du territoire. La plaine à cultiver étant devenu une surface à occuper, par le développement de l’industrie au début du XXe siècle et par un étalement urbain constitué de pavillons. Les enjeux des changements climatiques amenant à reconsidérer ce rapport au sol, l’objectif de cette équipe est de construire une nouvelle stratégie foncière par le paysage à Berre-l’Etang. Les cartographies et blocs diagrammes exposent les évolutions possibles des usages du sol, et le projet propose de « faire avec » les mouvements de l’eau : montée du niveau de la mer et avec la mobilité de l’Arc, la connaissance des sols est alors essentielle pour tous projets.
Le 5eme et dernier texte concerne « La mise en tourisme des paysages hybrides de l’étang de Berre : le plan d’eau comme espace de mobilité ». Ken Novellas explique que, au sein de la thématique Attractivité de l’étang de Berre au cœur des espaces naturels et grands paysages métropolitain, l’idée qui guide ce projet est de penser l’efficacité de la mobilité autour de l’étang de Berre, en croisant préservation et attractivité des milles paysages des pourtours de l’étang, si singuliers et diversifiés. Les éléments graphiques utilisés par l’équipe démontrent le potentiel du plan d’eau comme espace de mobilités plurielles, pour retisser des continuités entre les paysages et établir une mise en réseau de lieux. L’objectif est de permettre la découverte des paysages selon des modes doux ou plus rapides, mais toujours adaptés aux lieux auxquels ils donnent accès. Ces différentes formes de mobilités permettent aussi la sensibilisation à la nécessité de préserver des milieux humides particulièrement fragiles.
Débattre les trajectoires de transition
La restitution de ces travaux, le 9 juillet 2021 à l’ENSA.M, a été l’occasion de débattre des projets et des visions des équipes avec le public participant à la restitution, ainsi qu’avec des experts invités aux tables-rondes développant les thèmes proposés à la réflexion des équipes.
- Table-ronde Les sols ressources de la métropole de demain, avec Jean-Noël Consalès (IUAR-AMU), Cyrille Naudy (AMP métropole), Antoine Vialle (EPFL - LAB-U) ;
- Table-ronde Résilience des milieux naturels et anthropiques littoraux, avec Raphaël Grisel (GIPREB), François Mancebo (Earth System Governance - URCA), Jean-François Mauffrey (LPED-AMU), Laure Thierrée (ENSP) ;
- Table-ronde Habiter les paysages du changement climatique, avec Eric Dussol (ENSAM-PROJECTs), Thomas Bellouin (EAVT-OCS), Philippe Rossello (GREC Sud) ;
- Table-ronde Attractivité et accessibilité des espaces naturels métropolitains, avec Valérie Brunet Carbonero (PNR des Alpilles), Alain Ofcard (DDTM 13), Vincent Fouchier (AMP Métropole), Sylvie Salles (ENSP-Larep).
Didier Réault, vice-président à la Mer, Littoral, Cycle de l'eau et Gemapi de AMP métropole, conseiller de territoire Marseille Provence, vice-président du Conseil départemental et président du parc national des Calanques a conclu la journée. Il a parlé de l’importance du rôle joué par la biodiversité, les milieux naturels et les espaces de nature à l’échelle de la métropole Aix-Marseille-Provence. Cette importance est à la mesure de la complexité à mettre en œuvre une politique métropolitaine attentive à des ressources naturelles qui sont précieuses, à l’image de l’étang de Berre et de ses rives, dont font partis les paysages dans toutes leur diversité. En ce sens, la métropole Aix-Marseille-Provence pourrait être une métropole-paysage où le vivant rassemble,[7] comme elle l’affiche, dès lors qu’elle porte une vision dynamique et inclusive du vivant. Cynthia Fleury et Anne-Caroline Prévôt ont souligné la nécessité de lier nos expériences de la nature aux enjeux politiques : « savoir ne suffit visiblement pas. Il faut le vécu. L’expérience » (Fleury et Prévôt, 2017, p.9). Sur le terrain de l’aménagement, cela milite pour que l’attention aux dynamiques du vivant, aux milieux naturels et aux paysages que nous produisons soient au premier plan des politiques d’habitat, de développement ou de mobilité. Cette interdépendance des enjeux de l’aménagement et des enjeux écologiques est essentielle pour engager une trajectoire de transition qui soit à la fois écologique, sociale, économique et climatique.
Les résultats du workshop ont clairement montré que les enjeux des paysages à l’horizon de 2050 sont des enjeux de gestion et d’aménagement du territoire métropolitain : pour requalifier les espaces balnéaires ou habités, en relation avec les mutations de l’agriculture et des industries ; pour accompagner une montée des eaux qui recompose les relations entre littoral et arrière-pays ; pour aménager avec des dispositifs d’adaptation aux risques qui fabriquent des espaces qualitatifs ; pour diffuser l’attractivité dans tous les territoires de la métropole. Dans tous les projets développés, les espaces de nature et les paysages sont bien plus qu’une ressource territoriale non reproductible et non dé-localisable, à exploiter ou à valoriser pour le développement local (Toublanc, 2013). Là, l’expérience du paysage permet une compréhension directe et concrète des dynamiques naturelles, mais aussi de leurs interrelations avec les projets qui fabriquent les paysages dans lesquels nous vivons et nous vivrons. Cette compréhension concrète de nos environnements condamne toute définition strictement socio-économique de la ressource naturelle ou paysagère. Dans cette vision utilitariste et anthropocentrée, la ressource n’existe que parce qu’elle est utilisée ou utilisable, mais elle n’existe pas pour sa valeur d’existence propre.[8] À l’inverse, les projets des quatre équipes illustrent tous la manière dont les défis de la transition impliquent de considérer la valeur d’existence des ressources naturelles. La fertilité des sols, le cycle de l’eau, les dynamiques du vivant sont les conditions premières de l’habitabilité des territoires et non plus de sa seule attractivité. De ce point de vue, la richesse des espaces naturels et la diversité des paysages ne sont pas des aménités en soi, ni des décors à disposition. Ils forment ensembles des paysages-ressources, c’est-à-dire des socio-écosystèmes en interaction dont la pérennité, l’adaptation et la bonne fonctionnalité dépendent d’équilibres hybrides, entre nature et culture, qui sont le cœur de cible de la compétence métropolitaine de valorisation du patrimoine naturel et paysager. Ici, une approche basée sur le paysage -landscape-based- (Fabos, 2019) élargit le spectre des solutions basées sur la nature -nature-based- promues par l’Union International pour la Conservation de la Nature (UICN). Les conclusions du Workshop pointent, au travers du terrain-atelier de l’étang de Berre, que l’enjeux de l’aménagement de l’espace aujourd’hui est d’inscrire les organisations territoriales dans une meilleure prise en compte des systèmes naturels qui les soutiennent.
Bibliographie
- Akrich Madeleine, Callon Michel et Latour Bruno (dir.), Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Paris, Mines ParisTech, 2006.
- Besse J.M., Le Goût du monde, Exercices de paysage, Actes Sud, ENSP, Arles, 2009.
- Careri F., Walkscapes, La Marche comme pratique esthétique, Chambon, Arles, 2013.
- Chardonnet-Darmaillacq Sabine (dir.), Le génie de la marche : poétique, savoirs et politique des corps mobile, actes de colloque à Cerisy (2012), éd. Herman, Paris, 2016.
- Collectif, Les Carnets du paysage, n°39 : La marche, ENSP/Actes Sud, Versailles/Arles, oct.2021.
- Daumalin Xavier, Du sel au pétrole. L’industrie chimique de Marseille-Berre au XIXème siècle, Tacussel, Marseille, 2003, 160 pages.
- Descola Philippe, Par-delà nature et culture, éd. Gallimard, Paris, 2005.
- Diaz Isabel (dir.), « La transition écologique format paysage », n° spécial de la Lettre de l’atelier des territoires, DGALN, La défense, juin 2021.
- Fabos J., Planning the Total Landscape: A Guide to Intelligent Land Use. Routledge: Abingdon, UK, 2019
- Fleury C. et Prévot A.C. (dir.), Le souci de la nature. Apprendre, inventer, gouverner, éd. du CNRS, Paris, 2017.
- Folléa Bertrand, L’archipel des métamorphoses. La transition par le paysage, Parenthèses, Marseille, 2019.
- Gramaglia Ch. et Duperrex M. (dir.), Rives méditerranéennes, n° spécial : « Fos - Étang de Berre. Un littoral au cœur des enjeux environnementaux », n°61, 2020.
- Lagadec Armelle et Kempf Mathilde, Le paysage comme méthode pour mettre en œuvre les transitions dans les territoires, recherche-action (2016-2019), ENSP-Larep/PAP-CDC. (En ligne) http://www.paysages-apres-petrole.org/wp-content/uploads/2020/03/Rapport-final-Lagadec-Kempf-sans-PJ-vf.pdf.
- Peraldi Michel, « L'étang de Berre, interprétation d'un paysage métropolitain », Ethnologie française,
vol. 19, n° 3, 1989, p.273-290.
- Salles Sylvie, Besse Jean-Marc, Dubois Jérôme, Métropole Paysage, Aix-Marseille-Provence du récit à l’action, Paris, éd. Autrement, collection les cahiers Popsu, mars 2022.
- Toublanc M., « Ressources paysagères, entre héritage et projets », In Luginbühl A., Terrasson D., Paysage et développement durable, Introduction à la partie II, Versailles, éd. Quæ, 2013.
[1] La recherche soutenue par le programme POPSU Métropoles (GIP EPAU – Europe des Projets architecturaux et urbains) a été conduite sous la responsabilité scientifique de Vincent Piveteau et Sylvie Salles, professeurs à l’École Nationale Supérieure de Paysage (Larep) et, côté AMP Métropole, sous la direction de Michel Roux et Vincent Fouchier, respectivement Vice-Président et Directeur Général Adjoint au Projet Métropolitain, avec l’appui technique de Marc Del Corso et Florence Hannin (service Paysage). L’équipe de recherche a réuni les laboratoires Larep (ENSP), Lieu et UMR TELEMME (IUAR), Project[s] et INAMA (ENSA.M), ainsi qu’Image de Ville et le Bureau des Guides du GR2013.
[2] Le maître d’œuvre du Plan de paysage de la métropole AMP est l’agence de paysage Folléa-Gautier associée à Puya Paysage, Biotope, Blezat Consulting et au photographe Patrick Delance: Folléa-Gautier et al., La marge au centre, diagnostic du plan paysage métropolitain AMP, MAMP, fév. 2021.
[3] AGAM-AUPA, Atlas de la biodiversité : le vivant nous rassemble, AMP Métropole, juin 2021.
[4] Les députés Pierre Dharreville et Éric Diard ont présidé la mission d’information parlementaire sur la réhabilitation l’étang de Berre dont le député Jean-Marc Zulesi a été rapporteur en septembre 2020.
[5] AMP Métropole, Ambition 2040 : 12 engagements pour une métropole à vivre, DGA au Projet métropolitain et Conseil de développement, Marseille, juin 2018, p.113.
[6] ENSAM : A. Biehler, E. Dussol, I. Maire, S. Steenhuyse - ENSP : E. Denarnaud, J.B. Lestra, K. Novellas, S. Salles, L. Thierrée, F. Wattellier – IUAR : J. Dubois, J-N. Consalès, B. Romeyer – URCA : F. Mancebo.
[7] L’atlas de la biodiversité de AMP Métropole, cf. note 3, affiche dans son titre : « le vivant nous rassemble ».
[8] La Fédération nationale des agences d’urbanisme a redéfini la ressource territoriale, en lien au bien commun, autour de l’économie du partage, des pratiques collaboratives et de l’innovation, mais sans remette en cause la définition socio-économique de la ressource paysagère : FNAU, À la recherche du bien commun territorial, actes de la 35e rencontre nationale des agences d’urbanisme, Paris, 17-18 nov. 2014.