Résilience de la ville littorale en projet

Sylvie Salles
Laure Thierrée
Paysage des continuités à créer entre milieux secs et milieux humides* - Cahier ENSP

L’école nationale supérieure de paysage (ENSP) a depuis la création de son antenne marseillaise des liens privilégiés avec son territoire et ses acteurs. Les collaborations avec la Mission interministérielle pour le projet métropolitain Aix-Marseille-Provence[1] ont accompagné la création de la métropole Aix-Marseille-Provence (AMP). Depuis, le partenariat entre l’ENSP et le service Paysage -de la direction Agriculture, Forêt, Paysages, Espaces Naturels de AMP Métropole- est un volet de la politique métropolitaine du paysage. Au travers de la définition et du suivi des sujets de PFE, les productions des étudiants sont des ressources pour une politique métropolitaine en train de se faire. Aussi, la recherche POPSU AMP Métropole, le « grand » paysage comme ressources,[2] a mobilisé les résultats du Projet de Fin d’Étude de Justine Rejaud, « Le littoral de l’étang de Vaïne : vers une résilience du territoire par le paysage », encadré par les paysagistes Antoine Petitjean et Guerric Péré pour les services Paysage et Aménagement durable de AMP Métropole. L’intérêt de ce travail est de spécifier les impacts du changement climatique sur le territoire de l’étang de Berre en les liant à la géomorphologie et aux occupations. Si l’ensemble du territoire est impacté par l’accentuation des risques, la dégradation écologique et les mutations industrielles, ces enjeux ont des spécificités territoriales et surtout des traductions spatiales toujours particulières au regard des partitions qui l’ont façonnées.

Des partitions est-ouest délimitant un secteur nord-est à enjeux spécifiques

La géomorphologie de l’étang lui-même obéit à une partition est-ouest. La masse d’eau est une lagune méditerranéenne profonde, reliée à la mer par le chenal de Caronte, qui se subdivise en deux parties séparées par un haut-fond : le grand étang, à l’ouest et l’étang de Vaïne, à l’est. À cette partition s’ajoute la séparation par un cordon dunaire entre le grand étang et l’étang de Bolmon à l’embouchure de la Cadière. Autour, une « ceinture » de massifs singuliers -chaîne d’Eguille (Nord), plateau de l’Arbois (Est) et massif de la Nerthe (Sud)- forment un horizon topographique marqué.

Du côté de l’occupation des rives, le paysagiste Bastien Exbrayat notait dans son TPFE Estang de Berro l’existence de deux types d’espaces et d’usages distincts entre la rive Ouest et la rive Est. « Alors que l’on retrouve la structure en chapelet à l’Ouest, la partie Est se distingue par un agglomérat de zones industrielles et de villes, mêlées à l’aéroport. Les sites pétrochimiques sont les éléments qui séparent ces deux parties ».[3] De fait, dans sa partie Est, côté étang de Vaïne, la rive est peu accessible derrière les grandes infrastructures industrielles, aéroportuaires et routières.

Figure 1. Évolution de l’urbanisation sur le pourtour de l’étang © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

L’urbanisation est partie des villages de Berre l’Étang, Rognac et Vitrolles en suivant l’arrivée du chemin de fer, jusqu’à ce que l’aéroport de Marignane amorce un étalement urbain en tache d’huile sur tout le territoire. Aujourd’hui, pour chaque commune, les surfaces dédiées à l’habitat et aux zones d’activités sont quasi équivalente. Cette dualité impacte l’image de ces villes littorales, mais fragilise aussi leur résilience au changement climatique. L’expansion industrielle et urbaine est un facteur d’augmentation des risques, là où se juxtaposent sites balnéaires et sites Seveso, tandis que les incendies et les inondations menacent les coteaux et les littoraux urbanisés.  Si le changement climatique accentue ces menaces, s’y adapter est un levier de transition majeure et une opportunité pour réinstaller des liens à la géographie nécessaires à la résilience de ce territoire.

Une ville littorale à reconnecter à sa géographie

Entre l’étang de Vaïne et les falaises du plateau de l’Arbois, se juxtaposent et se succèdent des milieux humides, des terres agricoles, des infrastructures, des industries et une urbanisation quasi continue :

  • au Nord, aux pieds de la chaîne d’Eguilles, la plaine du delta de l’Arc se partage en une vaste plaine agricole, l’ensemble urbain de Berre-l’Étang et son complexe pétrochimique ;
  • le long de la rive est de l’étang de Vaïne, le tissu urbain linéaire de la ville de Rognac est entremêlé aux nombreuses infrastructures (routes, autoroutes, voies ferrées) ;
  • une ville littorale continue, de la rive de l’étang au plateau de l’Arbois, s’étend le long des infrastructures dans un grand continuum jusqu’à Marignane et les Pennes-Mirabeau, avec le long des berges des salins (salins de Berre, salins du Lyon), des zones humides et marais, un port et des plages.

Figure 2-1. Une urbanisation déconnectée de la géographie naturelle © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

Figure 2-2. Une urbanisation déconnectée de la géographie naturelle © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

La géographie est devenue invisible dans cette ville littorale continue traversée par de nombreuses infrastructures : l’A7, la ligne de TER Marseille-Miramas et les départementales RD113 et RD20. La géographie disparaît derrière les industries et les activités commerciales en perte d’attractivité, qui sont agglomérées le long des départementales.

Figure 3. Une transversalité géographique et hydraulique gommée © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

Ce sont de grandes et petites « merveilles », liées à la géographie, qui ont été rendues inaccessibles ou invisibles par l’urbanisation : milieux écologiques effacés par l’imperméabilisation des sols, non prise en compte du cheminement de l’eau douce s’écoulant des cuestas vers le littoral ou de l’eau salée de l’étang. Dans cette ville linéaire, tous les liens nécessaires au développement de la biodiversité ont été coupés, alors même que ce sont des lieux potentiels de connexions piétonnes et de fraicheur pour la ville.

Les vallats : un chemin de l’eau à ouvrir et à découvrir

Les vallats ou ruisseaux intermittents qui traversent le territoire composent un paysage singulier qui est devenu progressivement peu qualitatif lorsque les vallats ont été busés ou endigués au gré de l’installation des activités de la zone Industrielle Nord ou de l’étalement urbain de Rognac et Vitrolles, pour réapparaître sous la forme d’exutoires vers le littoral. C’est pourtant une pièce maîtresse du système hydraulique et écologique de l’étang, formant un système continu entre reliefs secs, milieux humides et milieux salés, du plateau de l’Arbois jusqu’à l’étang. Justine Réjaud met en avant leur rôle majeur pour la résilience du territoire, car leur effacement accroit les risques d’inondation et d’incendie là où les dynamiques naturelles des vallats maintenaient un gradient progressif entre milieux secs et humides. Aussi, pour elle, les vallats sont des lieux de requalification urbaine, car la gestion qualitative restaurant leurs fonctions écologiques et hydrauliques compose des espaces vivants et des lieux d’usage.

Figure 4. Le système des vallats fragilisé © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

La résilience de la ville littorale par le paysage : un projet de sols vivants.

Figure 4. Le système des vallats fragilisé © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

Figure 6. Mutation des paysages routiers et d’activités © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

À partir des vallats, Justine Rejaud propose un projet de paysage composant avec leur fonctionnalité écologique et avec les usages urbains et balnéaires de la ville littorale. Il s’agit de retrouver des liens multiples entre le littoral, les vallats et le plateau de l’Arbois qui passent par la mutation de l’occupation des sols. Résilience rime ici avec une réversibilité du sol stérile, qui devient une surface utile au redéploiement des milieux vivants. Pour y parvenir, la mutation des activités permet de réorganiser le territoire à partir d’une action liée à ses composantes paysagères : ré-ensauvager le littoral, ouvrir les vallats, mettre en valeur des patrimoines ferroviaires et industriels.

À partir de ces principes réorganisateurs, elle propose deux parcs interconnectés, entre littoral et plateau de l’Arbois, pour rendre la ville vivable et rendre possibles les déplacements à pied.

  • Un parc littoral s’appuie sur la mutation des zones d’activités des Cadestaux, de la RD113 et du littoral. Il accompagne la réouverture des vallats jusqu’à l’étang, en les connectant à un sentier littoral accessible depuis la ville. Le projet s’adapte aux milieux traversés, pour augmenter la biodiversité et favoriser des usages multiples, selon la situation topographique, le degré d’artificialité ou les capacités de rétention d’eau et de fertilité des sols.

Figure 7. Se promener au bord des vallats © Rejaud J., PFE ENSP 2020
« La restauration des vallats passe par un reprofilage du lit afin de répondre au risque inondation existant. Le lit élargi est accompagné par la plantation d’une végétation de type ripisylve composée de plusieurs strates augmentant le potentiel en biodiversité du milieu. Il est nécessaire de porter une attention particulière à la canne de Provence qui a tendance à être envahissante, en effectuant une gestion régulière et attentive ».

Figure 8. Une diversité de milieux et d’usages © Rejaud J., PFE ENSP 2020.
« Les réhabilitations des sols et du bâti transforment radicalement l’espace et l’accès aux rives dans un esprit de sobriété de matériaux et d’énergie : simple décompactage du parking et plantations d’arbustes et d’arbres halophytes ; subdivision de la chaussée en piste cyclable et voie réduite. L’enrobé est supprimé pour créer des séparations végétales et ombragées entre les différents modes de déplacement. La discothèque peut être rénovée pour accueillir une activité plus en lien avec le nouveau littoral. »

  • Vers le coteau, la création d’un parc sur des friches ferroviaires est l’occasion de faire du quartier des Cadestaux un espace attrayant pour des habitants et de nouvelles entreprises. Les prairies sont libres et ouvertes, en balcon sur un parc ombragé. Une passerelle piétonne franchit la voie ferrée à hauteur de canopée en direction du littoral et désenclave le quartier.

Figure 9. Regarder au large : depuis la colline des Cadestaux vers l’étang de Vaïne © Rejaud J., PFE ENSP 2020.

  • Ce projet de paysage pour une ville littorale résiliente est un projet urbain qui réunit des espaces séparés par les infrastructures et redonne à la ville l’usage de son littoral en retrouvant un sol vivant et fertile. Ici les connections n’obéissent pas qu’à une logique d’équipement ou de déplacement car les tracés prennent appui sur la géographie des vallats. Ces espaces dégradés et oubliés deviennent des lieux d’usages, des accès ombragés reliant l’étang au plateau de l’Arbois et des continuités écologiques entre milieux secs et humides essentiels à la régulation des inondations et des incendies.

 

*extrait du Projet de Fin d’Étude Le littoral de l’étang de Vaïne : vers une résilience du territoire par le paysage de Justine Rejaud, (ENSP 2020)

[1] Laurent Théry a été nommé fin 2012 préfet délégué, en charge de la préfiguration du projet métropolitain jusqu’à la création de AMP Métropole au 1er janvier 2016, qui a fusionné six EPCI (communauté urbaine Marseille Provence Métropole, communauté du Pays d’Aix, syndicat d’agglomération nouvelle Ouest Provence et les communautés d’agglomération de Salon-Étang de Berre-Durance, du Pays d’Aubagne et de l’Étoile, de Martigues).

[2] La recherche POPSU (Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines) est conduite, au sein d’AMP Métropole, sous la direction de Michel Roux, référent politique Vice-Président au Projet Métropolitain et de Vincent Fouchier, référent administration DGA au Projet Métropolitain avec l’appui technique de Marc Del Corso et Florence Hannin (service Paysage), ainsi que sous la responsabilité scientifique de Sylvie Salles (2018-2022), professeur à l’ENSP (Larep) et de Vincent Piveteau (2018-2021). L’équipe de recherche préfigure l’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires, en réunissant l’École Nationale Supérieure de Paysage, l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional, et associe Image de ville et Le bureau des guides du GR 2013.

[3] Exbrayat Bastien, Estang de Berro, Projet de fin d'études, ENSP, 2007, p.103.

Extrait de la revue

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Ressourcer l'Étang de Berre
Quels paysages en 2050 ?
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