Paysages ressources de demain

Sylvie Salles
Laure Thierrée
Les sols productifs de la plaine de Berre* - Cahier ENSP

Ce Projet de fin d’Étude soutenu à l’école nationale supérieure de paysage (ENSP) est issu des partenariats pédagogiques que l’antenne marseillaise a noué avec la métropole Aix-Marseille-Provence (AMP) dès la Mission interministérielle pour le projet métropolitain Aix-Marseille-Provence[1] et qui se poursuivent avec le service Paysage de la direction Agriculture, Forêt, Paysages, Espaces Naturels de AMP Métropole. C’est pour AMP Métropole un volet concret de la politique du paysage. Dans ce cadre, le Projet de Fin d’Étude « Parc agro-écologique de la plaine de Berre : un nouvel élan pour l’agriculture métropolitaine » de Thibault Rivière, encadré par les paysagistes Antoine Petitjean et Guerric Péré, a été conduit avec les différents services de la Direction Agriculture, Forêt, Paysages, espaces naturels de AMP Métropole. Cette collaboration a nourri la recherche POPSU AMP Métropole le « grand » paysage comme ressources[2] observant une politique métropolitaine en train de se faire dans les espaces urbanisés, au nord-est de l’étang de Berre, où la variété des paysages ne se perçoit pas immédiatement face à l’omniprésence urbaine et industrielle de l’occupation des sols.

Figure 1-0. Les usages des pourtours de l’étang de Berre © Rivière T., PFE ENSP, 2019.

L’étang de Berre, un territoire ressource : usages, sols productifs et milieux.

Thibault Rivière a montré que la vocation agricole de la plaine du delta de l’Arc et la diversité des usages des pourtours de l’étang disparaissaient derrière des dominantes exclusivement naturelles et industrielles. Elles dessinent des polarités qui cachent des emboîtements d’usages complexes et des situations très contrastées au regard des nombreuses activités liées à l’étang : pêche professionnelle et amateur, nautisme, baignade, observation naturaliste, randonnées, camping, etc. Ce mélange d’usages, d’occupations et de milieux fait la singularité du territoire et de ses paysages.

Figure 1-1. Paysages singuliers © Rivière T., PFE ENSP, 2019.

Parmi ces paysages, la plaine du delta de l’Arc, au nord-est de l’étang de Berre, est une plaine alluviale dont les sols sont particulièrement productifs et où les milieux naturels sont précieux et fragiles.

Figure 2. Évolution du delta de l’Arc © Rivière T., PFE ENSP 2019.

La nappe phréatique, de la taille de la plaine, est poreuse et libre. De fait, les contacts de l’eau avec le sol sont assez faciles, mais les impacts humains sur la qualité de l’eau de la nappe aussi. Les inondations de l’Arc ont charrié du bois, des roches et des limons qui ont enrichi le sol au fil du temps. La plaine de Berre est constituée de ces dépôts qui, en fonction des secteurs, ont formé des sols de qualités variées. Les sols des sédiments fins et limoneux, à proximité de l’Arc, sont privilégiés pour les cultures de céréales et la vigne, tandis que les sols du reste de la plaine, constitués de sédiments plus grossiers, de cailloutis et de galets, sont plus ingrats.

 

Figure 3.a Géologie et hydrologie du delta de l'Arc © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Figure 3.b Géologie et hydrologie du delta de l'Arc © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Cette plaine alluviale fertile se partage aussi entre milieux naturels et terres agricoles pour la production de fourrages, de céréales, de vignes, d’arboriculture, de maraîchage, de l’élevage, etc. Cette variété d’agriculture sculpte un paysage productif diversifié en négatif des espaces naturels. Sols agricoles productifs et milieux humides répertoriés, inventoriés et protégés se juxtaposent.

Figure 4.a Géologie et hydrologie du delta de l'Arc © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Figure 4.b Géologie et hydrologie du delta de l'Arc © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Faire paysage par les sols : un processus de fabrication de sols fertiles et productifs.

L’activité de maraîchage hors-sol, sous serres, a eu un impact environnemental important sur la pollution aux nitrates de la nappe de l’Arc. Particulièrement active dans les années 70/80 autour de la production industrielle de tomates, qui est aujourd’hui affaiblie par la concurrence des productions d’Espagne, de Bretagne et d’Hollande. Du fait de ce déclin économique et du départ à la retraite de nombreux agriculteurs, de plus en plus d’exploitations sont en friche. La déprise agricole produit un paysage de parcelles enfrichées, de serres abandonnées, de prairies boisées ou transformées en espaces de stockage, etc. Thibault Rivière y voit l’amorce d’un projet de reconversion agricole de la plaine de Berre qui accompagne la modification de ses paysages.

Figure 5. Une dynamique de déprise © Rivière T., PFE ENSP 2019.

De la même manière, la restructuration de l’industrie pétrochimique produit des friches, à l’image de la zone pétrochimique de LyonDellBasell. L’entreprise a conservé la production de polypropylène et de polyéthylène destinés aux pièces automobiles, mobilier, emballages alimentaires, jouets ou matériaux de construction. Par contre, la fermeture de la raffinerie en 2014 a laissé 280ha de friches aux portes de la ville de Berre l’Étang, là où il avait l’usine de raffinage et les réservoirs de stockage de carburant.

Figure 6-0. Paysages de friches & Potentiels de projet © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Figure 6-1. Paysages de friches & Potentiels de projet © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Pour Thibault Rivière, ces sols en friche constituent une force de renouvellement économique et écologique du territoire qui peut s’inscrire à une échelle métropolitaine.

Une activité économique basée sur le recyclage des déchets, desservie par le train à l’ancienne halte de Berre, est possible du fait de la richesse des sols et de la qualité des milieux naturels. En partant du potentiel des sols, ce projet accompagne la transition d’une industrie polluante vers une activité valorisant les déchets organiques de l’agriculture de la plaine.

Figure 7-0. Processus de fabrication d'un paysage productif : le déchet comme engrais © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Figure 7-1. Processus de fabrication d'un paysage productif : le déchet comme engrais © Rivière T., PFE ENSP 2019.

La reconquête agricole est un processus long qui fabrique des nouveaux paysages, avec une remise en culture rapide de maraîchage et une installation lente de modes productifs adaptés au changement climatique. Dans cette transition agricole, l’agroforesterie a des avantages évidents : maintien de l’eau, limitation de l’ombrage, cohabitation bénéfique pour les cultures, accueil de biodiversité. La plantation d’arbres prend en compte le temps de fabrication de ce nouveau paysage.

Figure 8. Temporalités de fabrication d'un paysage agro-écologique © Rivière T., PFE ENSP 2019.

Dans ce projet de territoire, un paysage productif remplace l’agriculture intensive sous serres. Le projet de paysage dessine par les techniques agroforestières un système complexe et varié, adapté à la particularité du terrain et à la structure des paysages. Il renforce la productivité, la polyculture et la biodiversité là où les haies brise-vent et les haies têtards des canaux réhabilités deviennent des linéaires productifs, ou en lien aux prairies, vergers, maraichages, etc. ouvrant une nouvelle histoire agricole valorisant une exploitation vertueuse des ressources.

Figure 9. Installation d’un paysage productif complexe et varié © Rivière T., PFE ENSP 2019.

 

*extrait du Projet de Fin d’Étude Le parc agro-écologique de la plaine de Berre : un nouvel élan pour l’agriculture métropolitaine de Thibault Rivière (ENSP 2019)

[1] Laurent Théry a été nommé fin 2012 préfet délégué, en charge de la préfiguration du projet métropolitain jusqu’à la création de AMP Métropole au 1er janvier 2016, qui a fusionné six EPCI (communauté urbaine Marseille Provence Métropole, communauté du Pays d’Aix, syndicat d’agglomération nouvelle Ouest Provence et les communautés d’agglomération de Salon-Étang de Berre-Durance, du Pays d’Aubagne et de l’Étoile, de Martigues).

[2] La recherche POPSU (Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines) est conduite, au sein d’AMP Métropole, sous la direction de Michel Roux, référent politique Vice-Président au Projet Métropolitain et de Vincent Fouchier, référent administration DGA au Projet Métropolitain avec l’appui technique de Marc Del Corso et Florence Hannin (service Paysage), ainsi que sous la responsabilité scientifique de Sylvie Salles (2018-2022), professeur à l’ENSP (Larep) et de Vincent Piveteau (2018-2021). L’équipe de recherche préfigure l’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoires, en réunissant l’École Nationale Supérieure de Paysage, l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille et l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional, et associe Image de ville et Le bureau des guides du GR 2013.

Extrait de la revue

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Ressourcer l'Étang de Berre
Quels paysages en 2050 ?
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