Le territoire urbain en Méditerranée

Clément Pécqueux
Nadja Monnet
Stéphane Hanrot
Alexandra Biehler

Le séminaire “constitution, recomposition et densification du territoire urbain en Méditerranée” s’est déroulé de 2012 à 2016 en master 2 dans le département Architecture, Villes et Territoires

Ce séminaire entendait explorer les dynamiques urbaines contemporaines en Méditerranée selon deux axes particuliers :

  • l’axe 1, encadré par Alexandra Biehler (Paysagiste et Géographe) et Nadja Monnet (Anthropologue et ethnographe de l’urbain), pose la question des modes de constitutions de l’espace public urbain à travers les pratiques et les formes.
  • l’axe 2, encadré Stéphane Hanrot (Architecte) et Clément Péqueux (Architecte), par les questions de densification et mobilité périurbaine et les relations ville nature.

Les deux axes invitaient à saisir le territoire à travers la diversité de ses échelles, du territoire métropolitain aux pratiques du quotidien. Car pour aborder ces questions complexes, il convient de former des architectes capables, par l’analyse et le projet, d’articuler les échelles du territoire, de l’urbain, du paysage et de l’édifié.

Cet article met en lumière les contributions des étudiants de la promotion 2014.

Un double parti pris sous-tend ce séminaire :

  • La pluridisciplinarité de l’équipe encadrante et des intervenants extérieurs permettant d’apporter des éclairages pluriels sur les dynamiques urbaines.
  • Le territoire méditerranéen est pris comme « laboratoire » d’observation des mutations urbaines contemporaines. L’objectif est de saisir les recompositions du territoire de Marseille-Provence et les enjeux urbains, au travers de méthodes favorisant le croisement de l’approche théorique et d’analyses fines de site, faite d’observations, d’enquêtes auprès des acteurs de la ville, de relevés…

Sont présentés ici les textes ayant obtenu plus de 15/20 dans leur intégralité, ainsi que les résumés des autres mémoires produits lors du séminaire. L’équipe enseignante est particulièrement satisfaite du travail de la promotion 2013-2014 et du choix des sujets traités par les étudiants, tous dignes d’intérêt. L’encadrement du séminaire a été assuré par Alexandra Biehler, Stéphane Hanrot, Nadja Monnet, Clément Péqueux;


Modes de constitutions de l’espace public urbain : les pratiques et les formes ( Axe 1).

Alexandra Biehler + Nadja Monnet

Le travail de recherche proposé aux étudiants durant le séminaire répond à un souhait de mieux comprendre la genèse de l’espace public urbain.

Il s’agissait pour les étudiants de mettre à jour d’éventuels processus de constitution d’espace public, en étudiant des espaces urbains, des projets existants, ou en cours de constitution.

Il est en fait question d’appréhender la réalité des modes de vivre en ville selon les concepts de différentes disciplines, notamment la géographie et l’anthropologie, tout en utilisant leur regard et leur expérience d’étudiant en architecture.

Les étudiants (de l’axe 1) ont essentiellement travaillé sur la manière dont l’espace est constitué, composé, établie, perçu, au travers de l’observation et de l’étude des formes et des pratiques pour questionner et débattre de la notion d’espace public.

Caroline Zaruba, dans son mémoire « Ambiance et perception sensible : expérimentation en milieu urbain », a développé ce qu’elle considère comme étant le substrat essentiel de l’espace public urbain : l’ambiance de la rue et les perceptions que peuvent en avoir les citadins. À travers un travail de terrain qui prend en compte autant la morphologie, l’histoire et les témoignages des acteurs des espaces du quartier du Camas, Caroline Zaruba montre que si la singularité de chacune des rues qui composent le quartier est évidente, c’est leur complémentarité qui permet de rendre le quartier identifiable et identifié

Florence Martin, quand à elle, à travers l’étude de l’histoire de trois place du centre ville de Marseille, mais aussi de leur organisation et des usages qu’elles portent, a souhaiter témoigner de la dialectique qui existe entre formes et usages. Elle montre ainsi combien les espaces publics de nos villes sont sensibles aux changements de notre société et en sont en même temps le reflet ; et aussi comment des espaces centraux à priori équivalent quant à leur statut peuvent être différent aux regards des pratiques citadines qui leur sont attachés et des enjeux qui leurs sont liés.

Se posant simultanément la question du statut des galeries marchandes des centres commerciaux, et des caractéristiques d’un espace public “qui fonctionne” – selon ces termes, c’est-à-dire d’un espace vivant, fréquenté, Maxime Molinari pose la question du statut des espaces publics urbains au XXIe siècle. Par le biais d’une approche théorique et d’une analyse de galeries marchande du centre commercial de la Valentine, Maxime Molinari questionne ainsi les critères qui définissent l’espace public et le devenir des centres villes et de leurs espaces publics traditionnels.

C’est également dans un espace public particulier de notre époque et qui s’est fortement développé depuis l’instauration des congés payés sur lequel Karen Le Corroller a décidé de travailler. Inspirées des méthodes développées par Jean – François Augoyard, Jean-Yves Petiteau et Elisabeth Pasquier ainsi que Jean- Paul Thibaud, elle s’est laissé emmener par les pas de cinq Marseillais pour revisiter les plages du Prado. Dans leurs cheminements, elle s’est intéressée à ce qui faisait limites pour ses interlocuteurs, ce qui les contraignaient ou au contraire les encourageaient à déambuler dans cette nouvelle centralité urbaine. Son étude met clairement en évidence que si l’espace public est apparemment ouvert à tous, tout le monde n’y est pas accueilli de la même manière et tous ne se permettent pas de s’y rendre à tout moment, selon leur origines socio-culturelles, leur, âge, sexe ou encore en fonction du jour ou de la nuit.

Quant à Romain Jacquinet, c’est le thème de la sécurisation de l’espace public qui l’a interpellé. Au travers de l’analyse du processus de réhabilitation de la place de la République à Paris, il a cherché à comprendre de quelle manière les dispositifs mis en place pour prévenir des usages non conformes aux attentes influence la sociabilité et les dynamiques de l’espace public. Ses réflexions ne sont pas sans nous rappeler l’étroit lien qu’il y a entre le contrôle des corps et le début de l’illumination des rues qui actuellement est couplée à un balayage constant de caméras de surveillance vidéo.

C’est sur la Rue de la République à Marseille qu’a choisi de travailler Mélanie Fretti pour réfléchir à l’impact de la rénovation urbaine. Revisitant l’histoire de cette artère importante et structurante de la ville, elle s’est attelée ensuite à comprendre le dialogue qui s’établit entre les rez-de-chaussée d’immeubles et la voie publique quand celle-ci est traversée par une voie de tramway.

Fortement marquée par son séjour ERASMUS en Italie, Marine Garand a voulu comprendre le rapport à Marseille des jeunes étudiants, récemment installés dans la ville phocéenne. A la lumière des travaux de Kevin Lynch, elle leur a demandé de lui fournir des cartes mentales des espaces qu’ils fréquentaient assidument. Elle s’est aussi intéressée à l’image qu’ils avaient de la ville avant leur arrivée et à leurs premières impressions en s’installant. En les suivant dans leurs processus d’adaptation à leur nouvel environnement quotidien, elle met en évidence des mécanismes d’apprentissages spécifiques à chacun d’eux mais qu’elle postule de nature bien différente à ceux mis en place par les personnes qui arrivent dans un contexte migratoire moins favorable.

Asya Dimitrova et Aurelio Anthony ont tout deux pris comme cas d’étude, l’ancien quai des Belges du Vieux port de Marseille et son récent réaménagement conçu par Norman Foster et Michel Desvignes. En se penchant très concrètement sur l’ombrière, Asya Dimitrova s’est demandé si cet objet architecturé pouvait se hisser au rang d’œuvre d’art, ce qui l’a incitée à réfléchir au statut de l’art dans l’espace public et l’a amené à comparer l’ombrière de Marseille au Miroir d’eau à Bordeaux. Quant à Aurelio Anthony, son but a été de recenser les usages en vigueur sur ce quai avant et après les travaux et de voir en quoi ils avaient variés ou s’étaient maintenus. En suivant un protocole précis, inspiré de la démarche de Jacques Cosnier, patiemment, heure par heure, jour par jour, il a réalisé une éthologie minutieuse de ce site, accompagnée de recherche documentaires pour saisir les pratiques actuelles et passée de ce qui s’est transformé en une nouvelle place publique (agora ?) de la ville dont le nom (la place de la Fraternité) suggère que les pouvoirs publics marseillais souhaitent (re – ?) créer du lien entre les citadins[1].

Finalement, Julie Freychet s’est penchée sur la question de la représentation cartographique de l’espace public. Utilisant comme point de départ le travail de Giambattista Nolli qui, en 1748, représente la ville de Rome en plan « poché » et fait de la sorte apparaître les porosité de l’espace public, elle initie une réflexion sur la manière de cartographier l’espace public de notre XXIème siècle. Ses interrogations sont alimentées non seulement par des lectures théoriques mais également par une démarche empirique au travers de laquelle, elle met, peu à peu en place un système de représentation graphique qui alimente le débat sur la notion d’espace public et qui permet de mettre en relation des forme, des sens et des dimensions possibles de l’espace. Un travail qui allie donc théorie et pratique et où celles-ci se complémentent et se rétroalimentent sur une tranche de ville concrète : la rue du marché des Capucins, le Cours Julien et la place de Notre Dame du Mont à Marseille.


[1] Et c’est à escient que nous ne parlons pas de citoyens mais de citadins car comme il est désormais trop bien connus, tous les citadins, à savoir un quelconque habitant de la ville, ne jouissent pas forcément des droits (même si souvent ils répondent des mêmes devoirs) que les citoyens.



Éthique et Responsabilité de l’Architecte : Le périurbain, densité/mobilité et relations ville/nature (Axe 2).

Stéphane Hanrot + Clément Pecqueux

Ce séminaire aborde les questions de densification et mobilité et les relations entre ville nature, dans le périurbain, en ce qu’elles interrogent l’éthique et la responsabilité de l’architecte.

Le périurbain – tel qu’il est constitué aujourd’hui de pavillonnaire, de grands ensembles et de pôles commerciaux et industriels – questionne l’architecte dès lors qu’il se préoccupe d’une limitation de l’étalement des villes. Il se questionne sur les relations complexes que la ville entretient avec la nature et l’agriculture. Sur le périurbain qui réduit, parcellise et détruit l’une et l’autre, comme il s’installe tout en les idéalisant et en recherchant leur proximité ; qui privatise les accès informels, les chemins agricoles et forestiers de territoires libres de campagne et de nature. Questions encore sur cet art de vivre “entre soi“, dans sa maison, utilisant quotidiennement sa voiture et profitant exclusivement de son jardin. Un art de vivre qui n’est pas si facile à maintenir aux différents âges de la vie : quand les enfants s’en vont ; quand l’isolement se fait sentir parce que le travail – à cause du chômage ou d’une retraite – n’assure plus le lien social que l’on trouvait au-delà de son voisinage immédiat ; quand l’accès aux services, commerces et activités prend du temps car ceux-ci sont lointains et demande une voiture qui coûte cher. Questions toujours sur les césures entre les lotissements, les résidences et les grands ensembles qui ont tendance à se refermer sur eux-mêmes, rompant les chemins de traverse qui rendaient encore possible la marche à pied et l’usage du vélo.

C’est sur ces différentes préoccupations et à bien d’autres que les étudiants de l’axe 2 ont développé leurs mémoires de séminaire.

Leur posture de recherche mettait en jeu leur éthique et leur responsabilité d’architecte pouvant potentiellement intervenir comme acteur dans le périurbain. Il leur fallait comprendre grâce aux outils de l’architecte sur l’histoire et la morphologie, ses types et ses modèles. Mais dans un territoire constitué et habité, ils se devaient de croiser leurs approches architectoniques avec le point de vue habitant, saisi sur le terrain. Dans un souci de capitalisation des travaux et d’information des décideurs institutionnels, les travaux devaient porter sur le territoire Marseillais. Enfin, les étudiants ont en général repris les thèmes abordés dans ces mémoires à l’occasion de leurs projets de fin d’étude (PFE).

Sont présentés, in-extenso quatre des travaux correctement aboutis. D’autres, encore davantage perfectibles sont présentés par leurs résumés. Ils abordent néanmoins des thèmes essentiels. Citons en particulier le travail de Jehanne Delbé sur l’étanchéité que créent les jardins pavillonnaires envers les flux animaux et humains et les dispositifs architecturaux et paysagers qui pourraient y pallier. Egalement sur les habitats pavillonnaires, le travail de Sophie Fougerat a interrogé les relations socio-spatiales dans les zones d’habitat privé de la Valbarelle à Marseille. Elle s’est attachée à montrer le lien complexe qui s’opère entre les espaces privés de l’entre soi, de la propriété privée et l’espace public de la ville, dont elle a par la même relevé les différents rôles, degrés d’appropriation et valeurs symboliques, au regard des représentations habitantes et de leurs pratiques. Le tout remettant en perspective les ambitions de développement urbain dans ce secteur nécessitant une connexion massive aux infrastructures publiques de la métropole. Citons aussi l’étude que Kewin Tognetti a mené sur les causes du mauvais entretien des espaces publics à Marseille au travers duquel il a confronté le responsable des services concernés de Marseille Provence Métropole (MPM) à un relevé précis des désordres gênants et, de là, construit une comparaison avec le protocole lyonnais de maintenance de ces mêmes espaces. Citons encore le regard que porte Sabrine El Aoufi sur les relations ville/nature au travers d’une comparaison de deux parcs périurbains – la campagne Pastré à Marseille et Perdicari à Tanger, qui met en évidence l’origine des blocages institutionnels qui conduisent à la dégradation de ce dernier. Pour terminer, nous tenons à évoquer le travail de Martin Rabine, qui fort d’un positionnement original, a remis en question les dynamiques de développement des mobilités métropolitaines prochainement à l’œuvre dans la Vallée de l’Huveaune à Marseille, en particulier dans le quartier historique de Saint-Marcel. Posant la question des vertus de l’immobilité, Martin a constitué une analyse des modes de développement de cet ancien village de la campagne marseillaise, tant en termes d’économie que d’organisation sociale et les a remis en perspective face aux besoins actuels de retour à la ville des proximités.

Anansa Gauberti a abordé le thème de l’agriculture urbaine pour investir en profondeur les jardins familiaux, leurs caractéristiques morphologiques, productives et sociales. Elle a essayé de comprendre les raisons de leur distribution dans la périphérie Marseillaise. La combinaison d’un foncier agricole disponible, de l’adduction d’eau par le canal qui irriguait anciennement les bastides et l’implantation des grands ensembles a été déterminante. Elle a, de là, proposé un inventaire des situations opportunes qui pourraient être actualisées.

Camille Desoroux a très précisément investi la question de la résidentialisation des grands ensembles en travaillant sur des projets réalisés et en cours dans les quartiers Nord. Son travail sur le terrain lui a permis de mesurer une certaine efficience de cette doctrine, mais aussi les distorsions entre ce qu’elle positive dans ses annonces et ce qui est ressenti par les habitants dans les faits.

Eloïse Chevrolat et Aymann Musbally ont travaillé de façon complémentaire à la compréhension du fonctionnement sur deux quartiers pavillonnaires de la vallée de l’Huveaune. Aymann s’est attaché à montrer les paradoxes de la mobilité dans le tissu pavillonnaire qui privilégie l’automobile y compris pour les courtes distances, à cause d’un espace piéton dégradé. Quant à Eloïse, sa lecture de ces mêmes quartiers, à l’aune des cités jardins, montre comment les équipements et les espaces publics font défaut dans ces quartiers et quels dispositifs pourraient être mis en œuvre pour y pallier.

En s’appuyant sur ces études, on pourrait ainsi considérer que la discontinuité des traverses – comme les berges du canal de Marseille qui ne sont praticables par les piétons que par endroits alors qu’elles traversent tous les quartiers de la vallée de l’Huveaune – tout comme la fermeture des lotissements et des résidences, rallongent les distances à parcourir pour rejoindre les écoles, les services et les quelques commerces qui persistent. Ce qui pousse les habitants à utiliser leur voiture. L’étroitesse des voies qui résulte de cet urbanisme et la mauvaise qualité des espaces publics réservés aux piétons accentuent ce phénomène. Une fois dans leur voiture, les habitants préfèrent aller faire leurs courses au supermarché ou aller dans un club de sport près du centre commercial plutôt que d’utiliser les ressources de proximité. Condamnant celles-ci à disparaître faute de clientèle. La qualité des espaces publics et des cheminements piétons et cycles, et leurs continuités, seraient bien, comme le relève Jean Häetjens, une des clés de l’abandon de la voiture sur les courtes distances. Mais ce serait aussi la condition pour que la vie sociale se redéveloppe dans ces quartiers autour de services publics et privés vivants. Les conditions d’une “ville passante“, comme la dénomme David Mangin.

En fin de compte, nous tenons à remercier tous ces étudiants pour la qualité de leurs travaux et pour le plaisir qu’ils nous ont donné à les lire.


 

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