RÉSUMÉ
La démocratisation d’Internet a connu une accélération sans précédent avec l’apparition du web 2.0 au courant des années 2000. Certains acteurs perçoivent ce média comme une nouvelle manière d’associer le citoyen à l’aménagement des territoires. On assiste ainsi à la constitution d’un groupe de professionnels qui se positionnent comme spécialistes de démarches participatives assistées d’outils web. Certains d’entre eux sont architectes de formation. A travers leur démarche spécifique de projet, ils réinterrogent la pratique traditionnelle de l’architecte.
INTRODUCTION
La démocratisation d’Internet a connu une accélération sans précédent avec l’apparition du web 2.0 au courant des années 2000. Cette nouvelle application du réseau informatique mondial, en mobilisant la participation de l’internaute, donne naissance à de pratiques sociales inédites. L’impact de ces nouveaux comportements sur nos sociétés est si puissant qu’un certain nombre d’auteurs s’accordent à dire que le web contribue à l’émergence d’une nouvelle forme de culture, caractérisée par sa dimension participative et collaborative. Ces nouvelles valeurs entrent en conflit avec le système traditionnel en place ; on assiste alors au remaniement d’un certain nombre de secteurs majeurs qui tentent de s’adapter pour répondre à ce nouveau contexte.
Cette présente recherche interroge tout particulièrement le secteur de l’aménagement des territoires au regard du déploiement de ces nouvelles fonctionnalités techniques. Il s’agit d’identifier un certain nombre de pratiques récentes qui, percevant le web comme un moyen d’inclure le citoyen dans la fabrication de la ville, œuvrent à mobiliser des outils et fonctionnalités propres au web dans le cadre de projet urbain. Il s’agit bien souvent de procédures mis en place dans le cadre de projet d’urbanisme concerté. Ce secteur particulier, qui vise la participation du public aux questions urbaines, a connu de récentes transformations. Autrefois associée aux luttes urbaines et au contre-pouvoir, la participation devient par la mise en place d’une série de fait législatifs, désormais obligatoire. Pour répondre à cet impératif participatif, une nouvelle niche professionnelle se développe, celle des spécialistes de la participation. Ces nouveaux acteurs ont des profils variés : consultant en management ou marketing, sociologue, architecte, urbaniste, chercheurs… Certains d’entre eux se spécialisent dans la participation en ligne. Sont ainsi développées des procédures qui mobilisent des outils web dans le but d’accroitre le taux de participation citoyenne et de favoriser l’appropriation du futur projet d’urbanisme. L’objet de cette recherche est d’identifier et d’analyser la nature de ces nouvelles procédures. Il s’agit de mesurer l’impact de ces procédures en terme de participation effective des citoyens et de saisir l’effet de ces procédures sur le processus traditionnel de production d’un projet d’urbanisme. Plus globalement, l’enjeu de la recherche est d’étudier l’influence de ces procédures sur le jeu d’acteurs réunis autour d’un projet d’aménagement territorial et notamment sur la pratique de l’architecte-urbaniste.
Pour cela, il s’agit d’exposer le cadre d’étude de l’enquête :
- En première partie, nous reviendrons rapidement sur la définition du web 2.0 et sur la manière dont de nouvelles fonctionnalités techniques ont conduit à des évolutions sociales, regroupées sous le terme de culture collaborative (1).
- Afin de nous rapprocher de la problématique de l’aménagement des territoires, la deuxième partie de cet article nous permettra d’aborder le secteur de l’urbanisme participatif. Nous chercherons à saisir le contexte de l’installation législative d’un impératif à la participation dans le secteur de l’urbanisme à la fin du XXe siècle. Pour cela, nous ferons un rapide retour en arrière pour comprendre les origines du mouvement de l’urbanisme participatif qui a émergé en France au cœur des années 1960-1970. Ce retour historique nous montrera que cette pratique a connu des évolutions majeures au cours de son institutionnalisation dans les années 1990-2000 (2).
- À ce titre, la troisième partie de cet article abordera l’une de ces évolutions notables ; celle de l’apparition des spécialistes de la participation. Il s’agira de mesurer l’impact de l’introduction de ces nouveaux acteurs dans le processus de conception d’un projet territorial (3). L’entrée de ces nouveaux professionnels dans le jeu d’acteurs déjà conséquent réunis autour d’un projet d’urbanisme, interroge tout particulièrement le rôle et les missions de l’architecte-urbaniste.
- La quatrième partie de cet article abordera ainsi cette évolution professionnelle (4). Cette partie sera l’occasion d’exposer la méthodologie employée dans le cadre de la recherche. Concernant les résultats, la recherche n’étant qu’à ses débuts, il nous sera difficile d’émettre des conclusions. Ce point d’étape permettra néanmoins d’annoncer une série d’hypothèses qui sera mis à l’épreuve dans la suite de la recherche.
I. Du Web 2.0 à la culture collaborative
Une évolution technologique : le Web 2.0
Depuis la fin du XXe siècle, le monde contemporain assiste au déploiement massif d’Internet1. Cette démocratisation a notamment été insufflée, au courant des années 1990, par l’invention du Web 1.02. Aujourd’hui une nouvelle facette d’Internet se dégage, celle issue du Web 2.0, également appelé Web collaboratif ou contributif (Fayon, 2008). Cette expression, apparue en 20043, désigne l’évolution des technologies, fonctionnalités et usages du Web vers plus de simplicité et d’interactivité. Le Web 2.0 encourage ainsi la création de contenus, le partage de l’information, la communication entre les internautes via la création de nouveaux outils comme les blogs, les forums, les wikis et plus récemment les réseaux sociaux. Une nouvelle relation aux médias est proposée par ce projet ; l’utilisateur est autant un récepteur d’information qu’un producteur de données. On parle ainsi d’agir communicationnel (Paquot, 2009).
Des évolutions sociales : la culture numérique
Le Web 2.0, comme toute évolution technologique avant elle, en se diffusant dans le corps social, contribue progressivement à façonner des nouvelles pratiques et comportements sociaux (Flichy, 1991). Cette influence est si intense qu’un certain nombre d’auteurs s’accordent à dire que le Web 2.0 et plus largement le réseau Internet contribue à l’émergence d’une nouvelle forme de culture. On parle entre autres, de cyberculture (Lévy, 1997), de culture numérique (Allard, Blondeau, 2007), de e-culture (De Haan, Huymans, 2002) de condition numérique (Fogel, Patino 2013), ou bien encore de conversion numérique (Doueihi, 2008) et de révolution numérique (Rieffel, 2014).
Pour appréhender cette évolution, il faut comprendre qu’Internet, en s’inscrivant dans la société de l’information (Castells, 1998), participe à façonner une nouvelle économie ; celle des données. Cette matière est très différente des biens matériels classiques. La donnée n’est pas détruite par sa consommation et plus elle est partagée et plus elle prend de la valeur (Legrenzi, 2010). Cette évolution remet en cause un certain nombre de principes, notamment celle de la propriété. Cet aspect se perçoit particulièrement à travers l’explosion des pratiques de consommation collaborative – coworking, covoiturage, fablab – où l’usage prédomine sur la propriété (Botsman, Roger, 2010). La notion de production est également réinterrogée par les pratiques internautes. La mise en relation d’individus autorisée par Internet entraîne l’apparition de nouvelles manières de production, notamment collectives : on parle de travail collaboratif (Bouquillion, Matthews, 2010). Le wiki[4] en est un bon exemple.
Plus largement, en permettant un accès facilité au savoir et une mise en réseau d’imaginaires humains, Internet contribuerait à produire une intelligence collective (Levy, 1994). Cette technologie viserait ainsi à émanciper l’individu, en suscitant sa créativité et sa prise de parole (Rieffel, 2014). Par un ajustement du processus démocratique, le web forgerait ainsi une nouvelle étape du projet républicain (Cardon, 2010), qui façonnerait l’émergence d’une société plus horizontale (Renne, 2014), par opposition à la verticalité de la société industrielle. Cette démocratisation de l’accès au savoir, contribuerait également à un effacement progressif des frontières traditionnelles entre savoirs experts et savoirs « profanes » (Callon, Lascoumes, Barthes, 2001). Cette évolution culturelle se traduit de manière plus globale par la volonté exprimée par la société civile d’avoir un droit de décisions sur des affaires réservées jusque-là à un milieu expert, notamment en ce qui concerne les problématiques politiques et environnementales.
Cette culture émergente se heurterait alors aux structures préexistantes : on constate un décalage grandissant entre les modes d’organisation en place et ces aspirations nouvelles (Renne, 2014). Face au contexte de la société collaborative, de nombreux secteurs tentent ainsi de se réinventer, notamment dans les secteurs économique ou éducatif. En ce qui concerne l’urbanisme, certains professionnels commencent à réinterroger leur pratique au vu de cette culture collaborative émergente et tentent ainsi d’ouvrir le processus de production de projet. Certains y voient un moyen de répondre aux enjeux complexes auxquels doit répondre la ville contemporaine (Alba, Brunner, Gilli, 2017 ; Picon, 2014). D’autres perçoivent le média web comme un moyen favorable à l’établissement d’un dialogue entre maître d’ouvrage / maître d’œuvre et citoyens (Kaplan, Marcou, 2008).
La diffusion et l’impact de cette culture collaborative restent toutefois à nuancer par l’existence et la persistance d’une fracture numérique relevant à la fois d’inégalités d’accès à la technologie et d’inégalités relatives aux écarts de maîtrise de ces technologies (Granjon, 2011 ; Michel, 2001).
II. L’instauration d’un impératif participatif
1990-2000 : La participation instaurée par l’Etat
Parallèlement à la diffusion progressive de la culture collaborative au sein de nos sociétés, on assiste à un renforcement des processus participatifs notamment dans le secteur de l’urbanisme (Bacque, Biewener, 2013). Ce renforcement s’effectue par l’intervention de l’Etat. Ainsi, entre 1990 et 2010, une série de textes de loi érigent la consultation des citoyens comme étape obligatoire à tout grand projet d’aménagement5. Cette politique est adoptée à la fois à l’échelle nationale et également à l’échelle européenne6. Des structures sont créées afin d’encadrer les démarches participatives7.
Les raisons de l’intégration de cette dimension participative dans la législation sont multiples : Loïc Blondiaux (2008) soulève le fait que la légitimité des démocraties représentatives actuelles décline progressivement ; le recours à la participation peut ainsi être perçu comme une tentative de revitalisation de ces régimes politiques. Le sociologue Niklas Luhmann8
postule le fait que les sociétés contemporaines, devenant de plus en plus complexes, nécessitent d’instaurer des temps de mise en cohérence et de négociation afin de répondre efficacement aux enjeux auxquelles elles doivent faire face.
Françoise Choay définit la participation comme l’ensemble des « procédures, démarches ou tentatives faites pour donner un rôle aux individus dans la prise de décision affectant la communauté ou l’organisation dont ils font partie. Cette notion représente à la fois l’outil le plus basique et le plus complet de la démocratie participative. Elle consisterait ainsi à prendre part.9 ». De par sa définition large, ce concept est sujet à différentes interprétations. On définit ainsi différents degrés de participation (Arnstein, 1969) : le premier degré est celui de l’information, le deuxième est celui de la consultation, et le troisième, celui de la co-construction. Au sein même de ces catégories, il existe des controverses (Touzard, 2006) (Mermet, 2006). La participation est ainsi un concept protéiforme (Smith, 2005).
1960-1970 : La participation en lutte contre l’État
Cependant, bien qu’institutionnalisée dans la dernière décennie du XXe siècle, la notion de participation n’est pas une notion récente. Elle s’est constituée dans les années 1960, d’abord aux Etats-Unis, puis en France, alors marquée par un mouvement de forte contestation sociale généralisée. Cette contestation touche notamment le secteur de l’urbanisme. Ces critiques reposent sur plusieurs critères et sont formulées à la fois par la société civile mais également par le milieu universitaire et le milieu professionnel :
- L’un des principaux critères ayant forgé le mouvement de l’urbanisme participatif est celui de la remise en cause des modes de planification alors en place pendant les années de Reconstruction. Ceux-ci sont orchestrés par l’Etat à travers une vision fonctionnaliste et technocratique. L’efficacité de l’organisation en zonage qui a façonné la construction des grands ensembles est ainsi remise en question, notamment en terme d’appropriation.
- Durant cette période, on observe également une remise en cause des systèmes de décisions : la politique de centralisation adoptée ne laisserait que peu de pouvoir de décisions aux collectivités et aux citoyens. La conceptualisation du droit à la ville (Lefebvre, 1968) ambitionne de restituer aux habitants une participation à la vie de la cité.
- Enfin, l’évaluation des besoins types des futurs occupants réalisée par les services de l’Etat est également remise en cause. Celle-ci serait trop schématique et déconnectée des réalités du terrain (Chombart de Lawe, 1952). Face à ce constat, un certain nombre d’auteurs mettent en avant l’importance de la prise en compte de la notion de savoir d’usage[10], dans l’aménagement d’un espace (Sintomer, 2008). Dans cette dynamique, plusieurs expériences sont lancées afin de procéder à un recensement des usages et habitudes présentes dans un quartier sujet à un projet de rénovation. A ce titre, le sociologue Michel Anselme (2000) a mené une des premières expériences de ce type en 1977, en recueillant la parole des habitants d’un quartier populaire de Marseille qui devait faire l’objet d’une rénovation.
Des expériences sont également lancées par des acteurs politiques issus du courant de gauche à travers notamment l’expérience des Groupes d’actions municipaux (GAM) et des comités de quartiers (Lefebvre, 2011).
Certains professionnels de l’urbain proposent également des nouvelles manières de faire ; des Ateliers populaire d’urbanisme sont ainsi constitués à l’initiative couplée de professionnels de l’urbain et de militants associatifs. Souvent constitués en réaction contre un projet perçu comme défavorable aux habitants, ces ateliers ont pour mission d’accompagner ces mêmes habitants dans l’élaboration d’un contre-projet11. On retrouve également des initiatives individuelles, comme celles des architectes Yona Friedman, Lucien Kroll, Giancarlo de Carlo12, qui expérimentent des processus de projet plus ouverts, permettant d’inclure le futur habitant.
Bien qu’isolées et localisées, ces expériences ont permis de façonner et d’outiller progressivement le mouvement d’urbanisme participatif (Lacaze, 2014). Il est intéressant de noter que, dans les années 1960, la participation est issue d’un mouvement ascendant, porté par des acteurs associatifs militant contre les modes de planification opérés par l’Etat (Gontcharoff). La participation est ainsi pensée comme un instrument de contestation du système politique et comme un moyen de formation des citoyens à la production de contre-expertises et de contre-pouvoirs. (Blondiaux, 2008).
Depuis les années 1990, on assiste à l’appropriation de ce concept par les pouvoirs publics. La logique ascendante des années 1960, provenant d’une demande sociale, laisse place aujourd’hui à un mouvement descendant impulsé par l’Etat. Ce renversement n’est pas sans conséquence : certaines études s’attachent à analyser l’existence d’une demande de participation provenant des citoyens (Mazeaud, Talpin, 2010) (Gourgues, Sainty, 2011) et remettent même en cause l’existence de cette dernière (Hibbing, Thiess, 2002) – la demande sociale étant pourtant un critère fondateur du concept de participation. De plus, l’entrée de la participation dans la législation française contribuerait, dans une certaine mesure, à maintenir les rapports de dominations existants (Blondiaux, 2008). En effet, bien qu’un certain nombre de textes de loi érigent la participation des citoyens comme étape obligatoire de l’action publique, aucun de ces textes ne précise les méthodes et outils à employer afin de permettre la réalisation effective de ces procédures. Ce manque de règles institutionnelles, pourtant présentes dans d’autres pays13, est une des principales limites formulées vis à vis de ces processus participatifs. Ces dispositifs renverraient davantage à des processus d’information, plus qu’à la participation effective des habitants à la co-construction de leur cadre de vie (Donzelot, Epstein, 2006). Dans le pire des cas, l’obligation de participation se traduirait sur le terrain par des phénomène de légitimation de l’action publique et pourrait être assimiler à de la manipulation. (Carrel, 2014). Enfin, la normalisation de la participation s’accompagne d’une autre évolution, celle de sa professionnalisation. Avec l’institutionnalisation de cette notion, on assiste en effet à l’apparition de spécialistes de la participation, chargés d’encadrer les procédures (Mazeaud, Nonjon, 2015).
III. Les métiers de la participation face à la production du projet d’urbanisme
La participation, un nouveau marché
L’inscription de la participation dans la législation française a provoqué l’augmentation des marchés publics renvoyant à des missions d’encadrement de procédures participatives. Afin de répondre à ces appels d’offres, on assiste à l’émergence de professionnels de la participation. Celle-ci est ainsi perçue comme un nouveau marché à occuper (Mazeaud, Nonjon, 2015). L’émergence de ces professionnels est révélatrice selon Loïc Blondiaux (2008) de l’évolution connue par le concept de participation. Dans les années 1960, les procédures participatives étaient impulsées par des associations citoyennes aidées d’acteurs militants de formation diverses (architecte, urbaniste, politique, juriste..). Aujourd’hui, même si certains de ces acteurs sont encore présents, l’émergence de spécialistes de la participation fait basculer l’urbanisme participatif du domaine de la militance au domaine de la consultance (Nonjon, 2012).
Apparition de spécialistes de la participation
Ces acteurs se distinguent par la variété de leurs profils. En effet, il n’existe pas (encore) de diplôme spécialisé dans la participation, même si plusieurs formations professionnalisantes sont proposées à la fois par le secteur privé mais également à l’université14. Les professionnels de la participation sont ainsi issus du champ de la conception urbaine (architecte, urbaniste), du champ de la communication (consultant en management ou en marketing, journaliste), du champ de la recherche ou encore du champ de l’animation. Ce domaine professionnel étant en construction, les prestations propres à ces nouveaux métiers varient. Ce phénomène est d’ailleurs perceptible à travers la multitude de termes désignant ces nouvelles fonctions : « facilitateur », « traducteur », « développeur », « tiers garant de la participation » (Mazeaud, 2013). Leurs activités recouvrent un large panel de prestations en fonction des degrés de participation choisis : communiquer le projet dans le cas d’un degré d’information ; collecter, traduire et relayer la parole citoyenne dans le cas d’une consultation ; organiser des temps de dialogue entre concepteurs / élus / citoyens dans le cas d’un projet co-construit.
Pour faire face à ces missions multiples, certains de ces professionnels développent de nouveaux outils, dont un certain nombre s’appuient sur les fonctionnalités du Web 2.0. Sont ainsi proposés des processus participatifs s’appuyant entre autres, sur des cartographies collaboratives (ex : Carticipe), sur des modélisations en réalité augmentée (ex : Ville Sans Limite), sur des jeux (ex : Dessine ton parc), sur des forums (Budget participatif de Paris). L’idée défendue par les développeurs de ces processus est que le support Web 2.0 permettrait d’accroitre le taux de participants et notamment d’inclure des populations jusque-là absentes des processus participatifs traditionnels (Ottaviano, 2013).
L’influence sur le processus de production d’un projet d’urbanisme
L’introduction d’un nouveau segment participatif obligatoire, porté par de spécialistes de la participation, bouleverse le processus de conception traditionnel d’un projet d’urbanisme. Dans le cadre de cette recherche, nous cherchons donc à comprendre l’impact de ce nouveau segment participatif sur la manière de faire du projet d’urbanisme. Pour cela, nous mettons en place une enquête de terrain autour de ces nouvelles pratiques participatives..
IV. Enquête sur des processus de projet participatif assistés d’outils numériques
Enquête de terrain
Il s’agit dans un premier temps de mener un travail de recensement, afin d’identifier un certain nombre d’expériences qui associent participation citoyenne / outil du web 2.0 / et projet d’urbanisme. A partir de ce recensement, nous établissons une grille d’analyse qui révèlera plusieurs catégories de procédures – en fonction des acteurs qui les mettent en place, du processus adopté et de l’objectif affiché. A partir de la définition de ces catégories, nous pourrons sélectionner un nombre restreint de cas représentatifs afin de construire un échantillon d’analyse. Cette enquête de terrain nous permettra de mettre à l’épreuve une série d’hypothèses :
Hypothèses
- Notre première hypothèse est que l’arrivée de spécialistes de la participation complexifie le jeu d’acteurs du projet d’urbanisme. En effet, l’impératif participatif contribue à augmenter le nombre déjà conséquent d’acteurs réunis autour d’un projet urbain. Ainsi, élus, concepteurs urbains, techniciens, spécialistes de la participation (développeur de l’outil numérique, animateur, analyste des données) et citoyens doivent pouvoir s’entendre sur la réalisation du projet. Cette situation soulève la question des moyens de communication mis en œuvre entre ces différents acteurs. L’enquête de terrain débutant, nous avons déjà pu identifier un certain nombre de cas :
- La phase participative est assurée par un acteur et la phase conception par un autre. Dans ce cas de figure, il s’agit d’identifier et de mesurer le degré de communication mis en place entre ces deux catégories d’acteurs. Il s’agira également de repérer si un acteur supervise l’ensemble du processus.
- La phase participative et la phase conception sont assurées par la même personne. Dans ce cas là, il s’agit bien souvent d’un architecte-urbaniste. Ce cas de figure implique, pour l’architecte-urbaniste, de développer de nouvelles fonctions et compétences professionnelles en matière de négociation et de médiation. Il s’agira alors d’analyser cette nouvelle mission de l’architecte. De plus, l’enquête de terrain a déjà permis de repérer une organisation du travail singulière dans le monde de l’architecture : celle de la start-up. Des concepteurs urbains s’associent à des professionnels issus du numérique et de la communication afin de proposer des prestations d’organisateur de procédures participatives assistées d’outils numériques. Il s’agira de questionner cette évolution dans la suite de la recherche.
- Notre deuxième hypothèse est que le processus de production d’un projet d’urbanisme est complexifié par l’introduction de ce segment participatif obligatoire. L’enquête de terrain nous permettra d’identifier précisément à quel moment du processus de conception ce segment participatif intervient. Nous avons déjà repéré trois cas de figure :
- Le segment participatif intervient en amont de la phase de conception afin de réaliser un diagnostic du contexte et des attentes des citoyens. Le degré de participation correspond à celui de la consultation.
- Le segment participatif est convoqué après la phase de conception : il s’agit alors de choisir entre plusieurs projets déjà conçus. La consultation des habitants est ainsi perçue par les pouvoirs publics comme un moyen d’aide à la décision. Il s’agit également d’une consultation.
- Le segment participatif est convoqué tout au long de la phase de conception, afin d’ajuster le projet de manière itérative. Nous sommes ici dans le cas d’un projet co-construit. Dans ce cas-là, il s’agira de comprendre comment le segment participatif est intégré dans le processus de projet (intervient-il plusieurs fois ?) et comment les données collectées durant le segment participatif sont traitées et réintroduites (ou pas) dans la conception afin de réajuster le projet aux attentes des citoyens.
- Notre dernière hypothèse concerne la pertinence de l’utilisation d’un outil Web 2.0 au sein d’un projet d’urbanisme participatif. Nous faisons l’hypothèse que l’introduction d’un outil Web 2.0 au sein d’une procédure participative permettrait une participation plus large qu’une démarche participative classique. En effet, le recours au numérique permet d’évacuer certains obstacles liés à une concertation traditionnelle : celle-ci, en étant souvent limitée dans le temps et dans l’espace, exclue de ce fait des populations. S’ajoutent à cela les limites de l’expression en public propre à chacun. De plus, l’outil numérique, de par sa nature multimodale, pourrait permettre de collecter une quantité d’informations, sous des formats très variées (vidéos, image 3D, son, cartographie collaborative…). Néanmoins, ce type d’outil rencontre également des limites : quand les processus traditionnels permettent une interaction directe entre professionnels et citoyens, les outils numériques n’offrent pas ces conditions d’échanges favorables à un apprentissage mutuel. L’enquête de terrain nous permettra donc d’évaluer les degrés d’influence du support numérique en terme de participation. Pour cela, nous étudierons plus précisément l’outil web 2.0 mis en place durant la phase participative : comment fonctionne cet outil ? Quelle représentation graphique adopte-il (réalité augmentée, cartographie interactive…) ? Quelle interaction entre participants autorise-t-il ? Comment les données sont-elles collectées ?
Il s’agira également de questionner la phase de formulation des résultats de l’enquête participative : comment la restitution est-elle organisée ? Comment les données collectées sont-elles synthétisées ? A qui sont remis les résultats ? Le concepteur urbain a-t-il accès à ces résultats ? Les citoyens y ont-ils accès ?
Enfin, il s’agira de mesurer le degré d’influence du résultat de la participation sur le processus de projet d’urbanisme. L’enjeu est de déterminer si ces expériences participatives permettent de pallier certaines limites rencontrées par des procédures participatives classiques.
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II. L’instauration d’un impératif participatif :
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- Yves Sintomer, (2008), « Du savoir d’usage au métier de citoyen ? », Raisons politiques, n° 31, p. 115-133.
III. Les métiers de la participation face à la production du projet d’urbanisme :
- Loïc Blondiaux, (2008), Le nouvel esprit de la démocratie, actualité de la démocratie participative, Seuil, coll. La république des idées, Paris.
- Alice Mazeaud, Magali Nonjon (2015), « De la cause au marché de la démocratie participative », in Agone n°56, p.135-152
- Alice Mazeaud, (2013), « Citoyen / élu / Technicien », in I. Casillo, Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, GIS Démocratie et Participation, Paris`
- Magali Nonjon (2012), « De la « militance » à la « consultance » : les bureaux d’études urbaines, acteurs et reflets de la « procéduralisation » de la participation », in Politiques et management public, vol. 29, n°1, p.79-98.
- Nancy Ottaviano, (2013), « L’urbanisme collaboratif, expérience et contexte. Un regard ethnographique sur une participation citoyenne numérique », in GIS Démocratie et Participation, Actes des 3èmes journées doctorales sur la participation et la démocratie participative, Bordeaux, 22-23 novembre 2013, ISSN 2271-7994, URL : http://www.participation-et-democratie.fr/fr/node/1632
Références
1 Internet désigne le « réseau mondial de télécommunication reliant entre eux des ordinateurs ou des réseaux locaux et permettant l’acheminement de données numérisées de toutes sortes (messages électroniques, textes, images, sons, etc.) (source : Centre National de Ressources textuelles et lexicales)
2 Le Web 1.0 désigne une application d’Internet, qui consiste à relier entre elles des pages au moyen de liens (les hypertextes). Cette première forme de Web a un fonctionnement très linéaire : un contenu proposé par un producteur est consulté par des internautes. C’est un web passif : l’internaute y consomme de l’information sans en produire. (source : http://www.univ-bpclermont.fr/).
3 On doit la paternité de cette expression à l’américain Tim O’Reilly (fondateur d’une maison d’édition spécialisée en littérature informatique). Dans un article, qui fait référence (Tim O’Reilly (2005), What Is Web 2.0. Design Patterns and Business Models for the Next Generation of Software) il ne propose pas une définition précise de ce terme (« Chacun forgera sa propre définition du Web 2.0, en oscillant entre les technologies et les usages »), il insiste plutôt sur l’importance de cette évolution sur le futur d’Internet et des sociétés.
4 Wiki : (de l’hawaiien wiki, rapide) : Site Web collaboratif dont le contenu peut être modifié par les internautes autorisés. (source : Larousse)
5 Nous citerons notamment : la loi d’orientation de 1991 (qui pose la concertation comme fondement de la politique de la ville), la loi de février 1992 sur l’administration territoriale (reconnaît le droit d’être informé et consulté), la loi Barnier de 1995 (qui impose une obligation de concertation pour tous grands projets d’infrastructure), la loi Voynet de 1999 (qui prévoit la mise en place de « conseils de développement » associant la « société civile »), la loi sur la Solidarité et le renouvellement urbain de 2002 (qui impose une concertation pour toute élaboration de plan local d’urbanisme), la loi de démocratie de proximité de 2002 (qui rend obligatoire la création de conseils de quartier dans les villes de plus de 80 000 habitants), l’article 7 de la Charte de l’environnement de 2005 (qui reconnaît le droit à toute personne d’accéder aux informations et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement).
6 Nous citerons notamment : la Convention d’Aarhus de 1998 (qui consacre un droit à « l’information, à l’accès à la justice et surtout à la participation du public concerné à l’élaboration de la réglementation dans le domaine environnemental et ce à un moment où toutes les options et solutions sont encore possibles et (où) le public peut exercer une réelle influence » article 6.2.4).
7 La Commission nationale du débat public (CNDP) a notamment été promue en 2002, il s’agit d’une autorité administrative indépendante dont la mission est d’encadrer les débats. Dans la même veine, l’Institut de la concertation et de la participation citoyenne, conçu à l’initiative de praticiens de la concertation est également une institution indépendante et vise à promouvoir les bonnes pratiques en terme de concertation.
[8] Estelle Ferrarese, (2007), Niklas Luhmann, une introduction, Agora Pocket, Paris.
[9] Françoise Choay, Pierre Melin (2000), Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, PUF, Paris.
[10] Progressivement cette attention va être élargie à la notion de savoirs citoyens (Nez, 2015), notion plus englobante, qui inclut un ensemble plus large de savoirs sociaux et politiques.
[11] Le projet fondateur de ces ateliers est celui de l’Alma Gare, un quartier populaire de Roubaix sujet à un projet de rénovation portée par la municipalité de l’époque. Jugé défavorable aux habitants, ce projet a ainsi fait l’objet de contre-projets formulés par l’Atelier populaire d’urbanisme entre 1966 et 1983 (Hatzfeld, 1986).
[12] Michel Ragon, (1977), L’architecte, le prince et la démocratie, Albin Michel, Paris.
[13] En Amérique du Nord, plusieurs textes de loi ont été mis en place afin de codifier l’organisation de toute négociation : le Code Morin au Québec, les Robert’s Rules of Orders aux Etats-Unis.
[14] Nous pouvons citer notamment : le master Ingénierie de la concertation à la Sorbonne proposée par Loïc Blondiaux, le master Communication publique et concertation à Lille 2, le master Métiers de l’évaluation et de la concertation à Toulouse.