Cet article s’intéresse aux intentions de projet développées sur la plaine de l’Arc à Berre-l’Etang par l’une des équipes participant au workshop. Celle-ci est composée de Marie-Laure Garnier (doctorante en paysage à l'université de Cergy-Pontoise et au Laboratoire de Recherche en Projet de Paysage), Agathe Maurel (urbaniste), Falilou Bah (étudiant à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Lille), Antoine Angot (étudiant à l'Ecole Nationale Supérieure de Paysage de Versailles). La démarche s’attache à appréhender le sol comme un levier de projet, influençant l’occupation humaine future de ce territoire particulier, situé entre delta et étang: il est une surface à occuper, une épaisseur de terre perméable à cultiver, une valeur à économiser ou encore un espace vivant à réensauvager.
a/ Sujet thème et parti pris : Le sol, d’une surface occupée à une connaissance orientant l’aménagement du territoire par le paysage
Au XVIIIe siècle, les terres du pourtour de l’étang de Berre sont en majorité agricoles, mais la plaine de l’Arc est connue localement pour son potentiel productif[1]. Au cours de l’histoire, cette plaine à cultiver devient peu à peu une surface à occuper : le développement de l’industrie sur le littoral berrois au début du XXe siècle (usine Shell, port de la pointe, base aéronavale) suivie du développement de la serriculture intensive hors-sol[2], puis l’étalement urbain avec la construction de pavillons provençaux durant la fin du XXe siècle[3], font du sol une ressource facile à mobiliser, susceptible de rapidement générer une plus-value économique.
Aujourd’hui, les enjeux des changements climatiques amènent à reconsidérer ce rapport au sol : le ménagement du littoral face à l’élévation du niveau de la mer, la décarbonation des systèmes de production et des mobilités, la reconversion des industries pétrochimiques et la diversification de l’agriculture en circuit court posent les bases d’un projet territorial inédit. L’objectif est de construire une nouvelle stratégie foncière par le paysage à Berre-l’Etang, commune dans laquelle les sols peuvent être considérés comme une ressource majeure, autant pour leur valeur nourricière, que pour leur capacité à garantir une meilleure habitabilité en contribuant aux dynamiques du vivant.
b/ Les outils mis en œuvre : saisir les dynamiques passées et futur du littoral berrois
Certaines cartes, à l’échelle du delta de l’Arc, caractérisent les spécificités de cette plaine alluviale (géologie, occupation des sols, agriculture). D’autres montrent les espaces touchés par l’élévation du niveau de la mer et les stratégies à engager dans le temps. Les légendes associées à ces cartes font référence aux interactions entre projet de paysage et sol, montrant les différentes strates qui le compose.
Figure 1-1, 1-2. Plans prospectifs du delta de l’Arc et légende associée.
Figure 2. Plans prospectifs du delta de l’Arc et légende associée.
Les blocs diagrammes montrent davantage les transformations, passées et futures, du territoire : de la formation séculaire du delta de l’Arc aux reconfigurations que la progressive montée de la mer engendre. Le bloc diagramme représente les permanences et les mutations des paysages dans l’espace vécu. On comprend ainsi la renaturation nécessaire de terres agricoles potentiellement submergées demain, ou encore la recomposition d’une deuxième façade littorale à l’ouest de Berre, qui compensera la réduction du littoral sud. Enfin, les croquis et photos représentent les différents paysages de Berre-l’Etang, tout en localisant les différents sols à traiter (dépollution).
Figure 2. Blocs diagrammes de la transformation du littoral de Berre- l’Etang
c/ Traduction en projet : faire avec les dynamiques du sol, du delta de l’Arc et de la montée du niveau de l’Étang de Berre
L’une des grandes idées du projet est de « faire avec »[4] les mouvements de l’eau et des sols, en relation avec la mobilité de l’Arc et la montée du niveau de la mer. Ce dernier phénomène, lent et progressif, amène à recomposer un littoral, aujourd’hui occupé par une activité industrielle déclinante, mais aussi des espaces publics. La disparition d’une partie du littoral urbain sud de Berre-l’Etang sera compensée par la création d’une façade littorale et urbaine ouest, elle-même conséquence de la disparition des salins existants. Faire avec ces mouvements, c’est aussi révéler la situation de delta dans laquelle est installée la ville de Berre l’étang.
Le projet se fonde également sur une remise en culture et la revalorisation d’une agriculture méditerranéenne. Les serres inutilisées et les parcelles enfrichées existantes amèneront à une reconversion progressive dans le temps long, à la suite d’acquisitions foncières et de l’installation de nouveaux agriculteurs.
La planification du delta pour 2025 a également pour objectif de révéler, par le biais d’un réseau de cheminements doux, les différentes entités paysagères du delta de l’Arc : des coteaux aux piémonts, en passant par la ripisylve, la plaine et l’estuaire de l’Arc.
En 2050, la frange littorale industrielle de la commune, potentiellement submergée, va conduire à des actions de dépollution préventive et de renaturation, comme préalable à tout développement urbain.
d/ Conclusion : vers une meilleure connaissance des sols pour faire face aux changements climatiques
Les orientations de projet s’appuient sur la prise en compte des sols dans l’aménagement du territoire face aux changements climatiques : "L'action paysagère a besoin d'une véritable science des sols, mais une science qui serait indissociablement naturelle et sociale, voire politique."[5]. La prise en compte des sols conduit ici un projet de recul stratégique et de reconfiguration du littoral face à l’élévation du niveau de l’étang de Berre, relié à la mer par le chenal de Caronte. Ce savoir amène à planifier dans le temps des actions de déconstruction, de désimperméabilisation, de dépollution et de renaturation.
Le projet développe également une valorisation agricole, la mise en accessibilité d’une plaine reconnue comme productive, par la constitution de sentiers. Cette valorisation par la mise en réseau d’un espace productif délimité géographiquement, fait référence à la notion de « parc agricole »[6], déjà développé par des étudiants de l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Marseille sur le pourtour l’étang de Berre[7]. Peut-être aurait-il été pertinent de développer les questions de gouvernance, dans la mesure où un tel projet littoral implique nécessairement la mobilisation des acteurs territoriaux. La question d’une agriculture comme espace tampon des inondations liées au delta de l’Arc nécessite également de fédérer les acteurs du territoire, agriculteurs et élus.
Bibliographie
Besse, Jean-Marc. La nécessité du paysage. Marseille, France: Éditions Parenthèses, 2018.
Borruey, René, Pascale Bartoli, et Anne Carpentier. « Les formes urbaines de la ville nouvelle des rives de l’étang de Berre : Histoire du projet ». ENSA Marseille: Laboratoire INAMA, février 2010.
Ferraresi, G., et A. Rossi. Il parco come cura e coltura del territorio. Una ricerca sull’ipotesi del parco agricolo. Brescia, 1993.
Lascaux, Anne. « Carte à la une. La plaine agricole de Berre : essor et déclin d’un espace productif maraîcher français (années 1970-2020) ». Géoconfluences, février 2022. https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/plaine-maraichere-berre.
Villeneuve, Christophe de. Statistique du département des Bouches du Rhône avec atlas - Tome 2. Tome 2. chez Antoine Ricard, 1824.
[1] Christophe de Villeneuve, Statistique du département des Bouches du Rhône avec atlas - Tome 2, Tome 2 (chez Antoine Ricard, 1824).
[2] Anne Lascaux, « Carte à la une. La plaine agricole de Berre : essor et déclin d’un espace productif maraîcher français (années 1970-2020) », Géoconfluences, février 2022, https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/carte-a-la-une/plaine-maraichere-berre.
[3] René Borruey, Pascale Bartoli, et Anne Carpentier, « Les formes urbaines de la ville nouvelle des rives de l’étang de Berre : Histoire du projet » (ENSA Marseille: Laboratoire INAMA, février 2010).
[4] Jean-Marc Besse, La nécessité du paysage (Marseille, France: Éditions Parenthèses, 2018).
[5] Jean-Marc Besse, id.
[6] G. Ferraresi et A. Rossi, Il parco come cura e coltura del territorio. Una ricerca sull’ipotesi del parco agricolo (Brescia, 1993). Le parc agricole est définit comme « structure territoriale qui vise principalement à la production agricole, à sa protection et à sa valorisation, [...] ainsi qu’à la jouissance culturelle, ludique, de loisirs, de l'environnement par les citoyens ».
[7] On peut noter les travaux de Thibault Rivière sur la plaine de Berre, d’Adèle Justin sur la plaine de St-Julien-lès-Martigues et de Tom Thierry à plan de Fossan, tous deux situés à Martigues.