Le "winter workshop"

Écrit par
Théo Mouzard

L’histoire de ce workshop est née d’une réflexion partagée par divers acteurs dans les vallées de moyenne montagne des Alpes de Haute-Provence. D’une part, un groupe d’habitants dynamiques est engagé dans les activités sociales et culturelles du territoire ; d’autre part, un enseignant-chercheur (Stéphane Hanrot) questionne entre autres le rôle, les responsabilités de l’architecte et le devenir des territoires péri-urbains et ruraux. Tous partagent des questions sur le devenir des territoires ruraux en général, de celui de cette vallée en particulier et le désir d’en construire de nouvelles représentations, des pistes pour l’avenir. L’idée d’un atelier intensif expérimental et hors cadre a alors émergé comme une forme intéressante pour questionner et mettre en relief les potentiels et le devenir des deux communes concernées, celles de Saint-Geniez et Authon :

 

« Prenez une poignée de participants, jeunes diplômés ou en fin de cursus, mélangez les profils entre urbanistes, paysagistes, architectes et encadrez les de façons souples par un enseignant-chercheur et une doctorante consciencieuse. Maintenant, sortez ce groupe des murs de l’école, de la ville même, et plongez-le en immersion pendant une semaine dans deux villages reculés, dans leurs histoires, leurs cultures, à la rencontre de leurs habitants chaleureux et leurs paysages grandioses. » (S. Hanrot, 2016)

 

En échange de ce travail que les communes ne pourraient pas se financer par la voie professionnelle, les douze étudiants en architecture, en paysagisme ou en urbanisme, encadrés par l’ENSA•M, ont été accueillis et se sont confrontés à des situations réelles territoriales ainsi qu’à des acteurs politiques et citoyens, ce qui est rare dans le cursus d’une pédagogie classique. Ils leur offriront par là une occasion unique d’appréhender et de comprendre les conditions de développement villageois, paysager et architectural de communes rurales. On pourra parler ici de workshop avec mise en situation d’acteurs, soit de workshop immersif. Cette singularité pédagogique aura nécessité un travail approfondi en amont entre les acteurs pédagogiques et de terrain (élus, citoyens), notamment dans l’écriture d’une convention entre les communes et l’ENSA•Marseille précisant un certain nombre de détails et d’attendus.

Les étudiants au travail avec leur encadrante dans la bibliothèque municipale de Saint-Geniez.
Les étudiants au travail avec leur encadrante dans la bibliothèque municipale de Saint-Geniez.

Tout d’abord, ce travail articule plusieurs échelles. On parlera premièrement de la situation dans le grand territoire : le “très rural” et ses enjeux, comme l’isolement relatif mis en vis-à-vis du principe de péréquation[1]. On s’intéressera ensuite à l’échelle intercommunale, dans l’hypothèse d’un développement concerté et d’une mutualisation de certains équipements – et plus spécifiquement communale – intégrant les spécificités du patrimoine villageois, architectural et paysager et de leur potentiel social, urbanistique, foncier et économique. Enfin, on pourra se rapprocher davantage encore des objets d’études par un regard approfondi sur les établissements humains constituant les communes : villages, hameaux et ensembles isolés (fermes, centre équestre, parc animalier, gîtes ruraux et habitations), puis enfin de l’architecture des habitations, des bâtiments d’activité, des équipements, des espaces et parc- jardins publics.

 

Ce workshop avait ainsi un triple objectif clairement annoncé. En premier lieu, produire un diagnostic sur toutes ces échelles ainsi que des stratégies de devenir aux échelles intercommunales et communales. Mais, plus précisément, il s’agissait également d’élaborer des plans guides d’aménagement des établissements humains retenus comme démonstrateurs de ces stratégies, puis enfin des projets d’architecture, à proprement parler, considérés comme déterminants dans ces plans guides. Au-delà de ces aspects pédagogiques plus administratifs, ce workshop singulier et hors-cadre a fait la preuve d’une coopération générale, que l’on peut développer sur au moins quatre aspects: interdisciplinaire, pédagogique, intergénérationnelle/interculturelle et enfin citoyenne.

 

La première coopération n’est pas anodine : des étudiants de différentes écoles (architecture, paysage et urbanisme) ont pu croiser leurs méthodes, leurs référentiels et leurs expériences propres. Elle a montré dans le même temps les différences, importantes, entre les disciplines et la nécessité de multiplier les temps de croisement. On insistera d’autant plus que les acteurs de l’aménagement de nos cadres de vie sont de plus en plus amenés à travailler en collaboration dans le monde professionnel.

Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l'optique de produire les cartes "J'aime/J'aime pas".
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l’optique de produire les cartes “J’aime/J’aime pas”.
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l'optique de produire les cartes "J'aime/J'aime pas".
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l’optique de produire les cartes “J’aime/J’aime pas”.

La deuxième coopération porte sur le suivi pédagogique en amont et en aval du temps court de ce workshop immersif. Plusieurs mémoires de semestre 9 ont ainsi permis de “préparer le terrain”, d’apporter des éléments de réflexions, ils ont été les prétextes de visites sur site et des premières rencontres d’acteurs locaux, ainsi que l’occasion de documents préparatoires. Mais ce workshop a aussi permis de déclencher plusieurs Projet de Fin d’Études (PFE), par des étudiants y ayant participé ou non. Les diagnostics et les pistes de projets d’architecture ont trouvé des échos permettant d’approfondir des aspects vus de manière succincte.

Tablée d'un repas de midi, toujours généreux et délicieux, chez Maggy, à Saint-Geniez.
Tablée d’un repas de midi, toujours généreux et délicieux, chez Maggy, à Saint-Geniez.

Enfin, les deux dernières coopérations, interculturelles et citoyennes, découlent naturellement de l’aspect immersif de ce workshop. Il n’est pas anodin de faire se rencontrer des populations parfois rurales et âgées avec des jeunes urbains issus d’un cursus d’études supérieures. Invités à dîner chaque soir chez des habitants différents, ces derniers ont pu être en contact jusque dans la vie privée de personnes souvent éloignées de leurs milieux sociaux. Enfin, et pour conclure, l’aspect citoyen de la démarche a été un vecteur principal de tout ce travail : apporter de la réflexion libre et hors-cadre dans des espaces ruraux éloignés, par une expérience pédagogique coopérative singulière.

Rencontre avec les "experts" pour les étudiants et les habitants, dans la bibliothèque municipale de Saint-Geniez.
Rencontre avec les “experts” pour les étudiants et les habitants, dans la bibliothèque municipale de Saint-Geniez.
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l'optique de produire les cartes "J'aime/J'aime pas".
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l’optique de produire les cartes “J’aime/J’aime pas”.
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l'optique de produire les cartes "J'aime/J'aime pas".
Premières visites préparatoires en amont du workshop avec les habitants des deux communes, dans l’optique de produire les cartes “J’aime/J’aime pas”.

[1] Le principe de péréquation favorise l’égalité entre les territoires, notamment dans la prise en compte de ceux isolés. Il est intégré dans la Constitution.

L'auteur
Théo Mouzard

Étudiant en Master de 2014 à 2017.

Ses articles

Extrait de la revue

2
Le workshop: une forme de pédagogie coopérative
Retour sur plus de dix ans d’expérience
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