Ressourcer l'étang

Écrit par
Éric Dussol

1. Habiter en zone hostile : fiction et gestion des risques à l’Est de l’Etang de Berre.

 

    a/Sujet, thème et parti pris : le risque comme atout

 

Le choix du groupe de participants ayant réalisé le projet intitulé « Habiter en zone hostile : fiction et gestion des risques à l’Est de l’Etang de Berre », porte sur une action particulière, celle d’envisager le sujet comme une fiction et d’élaborer différents futurs pour le territoire investi. C’est ainsi qu’à partir des documents officiels et publics auxquels chaque habitant peut accéder, l’équipe constituée d’Anaïs Malmazet, étudiante en Master ENSP Versailles, Clara Souleihavoup, étudiante en Master 1 Recherche Design ENS Paris-Saclay, Nancy Wilson et Alexis Campagne, a élaboré des scénarios (des « futurs-fictions ») qui prennent en compte les risques auxquels les sites sont soumis.

On en dénombre trois : le risque incendie, le risque de montée des eaux et la submersion qui lui est associée, et le risque industriel qui se traduit par des explosions potentielles des installations. On a confronté ces données à celle de la possibilité de continuer à habiter les lieux, soit en préservant ce qui existe, soit en envisageant des positionnements nouveaux. Ainsi, le Bail Réel Immobilier Littoral (BRILI)1, s’il est un outil qui n’a jamais été appliqué mais seulement envisagé, sert de socle aux futures formes d’urbanité des rives de l’Etang. Il permet de valoriser existant et futur à hauteur de leurs fragilités respectives face à l’hostilité.

L’image de ces fragilités peut être illustrée par la commune de Berre-l’Etang, dans laquelle la superposition de plusieurs risques majeurs rend toute planification délicate. Les accidents et phénomènes récents (inondations et mouvements de terrains en 2003, 2008 et 2011 ; accidents industriels en 2015 et 2019 ; incendies de forêt en 2016 et 2020) sont autant d’éléments incontournables pour toute pensée sur le territoire.

Représentation des risques de mouvements de terrain, d’inondation et d’exposition au bruit aérien, carte de synthèse élaborée par les membres de l’équipe.

 

b/ Les outils mis en œuvre

 

Plusieurs outils sont ont été convoqués, qu’ils soient d’analyse ou de prospective : la lecture des documents de l’urbanisme réglementaire renseigne sur un état futur, le dessin en coupe permet a permis de prendre en considération le phénomène de montée des eaux, le diagramme autorise a autorisé la pensée appliquée au risque incendie, le plan à grande échelle illustre (…) l’ampleur du possible accident industriel, enfin, la visite de site informe (…) sur de la qualité de résilience des lieux. En regard de ces éléments factuels, liberté est prise de les confronter à des futurs-fictions présentés sous forme de frises chronologiques. Chacun [des futurs] est envisagé en fonction de l’un des risques choisis, et donne lieu à des modèles applicables en d’autres situations de l’Etang.

Un élément important qu’introduit la réflexion est celui de la saisonnalité. On considère en effet que certaines manifestations des risques seront plus présentes en saison chaude (incendies de forêt), d’autres en basse saison (inondations), alors que le risque industriel supplante toute temporalité.

La méthode employée est celle dite du Design-Fiction2 utilisé comme support à une histoire spéculative et mis en œuvre à travers des scénarios qui intègrent l’incertitude comme une composante. Un futur souhaitable est ainsi créé au travers de l’expérimentation et de la manipulation d’outils créatifs.

Si un tel outil fait sens dans le cadre de cette recherche, c’est parce qu’il prend pour socle les réalités des risques, dont les manifestations sont connues et enregistrées depuis des décennies.

 

c/Traduction en projet ou comment agir avec les risques

Le principe de mise en place de la zone coupe-feu. Dessin Nancy Wilson

 

 

 

 

Le projet présente trois futurs possibles, chacun étant inscrit dans un scénario dont le support est constitué par l’un des risques majeurs auquel est soumis le territoire de l’Etang de Berre.

Pour la submersion marine et la montée des eaux, liées aux changements climatiques, la réponse consistera à réaliser un parc marin qui absorbera les eaux en surplus, tout en développant des pratiques de bord d’étang qui soient respectueuses des espèces présentes. La particularité de ce projet étant qu’il sera réalisé a posteriori, c’est-à-dire après avoir pris la mesure du phénomène.

Pour l’incendie de forêt, on élabore un Plan de Gestion très précis et basé sur la connaissance acquise dans des situations similaires. On sait ainsi appliquer des savoirs, sinon des solutions, qui permettront de préserver nature et constructions. Les dessins, en coupe ou en perspective, donnent à voir les possibles : route coupe-feu, plantations en mosaïque, entretiens, mises en place de secteurs ouverts, sont autant de manières d’être face à l’hostilité. Ce Plan permettra de créer un nouveau secteur réglementaire, la ZHRT ou Zone d’Habitation en Risque Tempéré, dans laquelle il sera possible de vivre en fonction du risque.

 

Enfin, l’accident industriel est vu comme le moteur de la résilience. S’il définit une zone dans laquelle aucune installation n’est possible, cela dessine l’occasion de repenser des sols aujourd’hui pollués et d’en envisager des transformations vertueuses : depuis la zone d’expérimentation pour un Centre de Recherche en Dépollution par le Vivant, jusqu’à la création d’une Zone de Reconversion de l’Agriculture en Hors-Sol en passant par la mise en place d’une digue de rétention des dépôts d’hydrocarbures, ce sont l’ensemble des sites industriels qui s’ouvrent à de nouvelles potentialités.

Ce qu’autorisent ces projets, c’est le développement et le maintien du BRILI à travers les âges. Mais la liberté que donne le design-fiction permet d’inventer un nouvel outil qui intègre la capacité de résilience des lieux comme des personnes. Ainsi nait le BRIRI, ou Bail Réel Immobilier du Risque Industriel, dont on se demande presque comment il n’a pu être envisagé jusque là. Ainsi, habiter en zone hostile prend un sens nouveau : vivre avec les risques et leur transformation, c’est avant tout laisser au vivant la place dominante, et le soin pour les situations vertueuses de reprendre corps et âme dans des territoires où la fiction rattrapera la réalité.

Une représentation graphique du risque industriel. Dessin Anaïs Malmazet

 

 

c/Conclusion : la fiction comme support de solutions

 

On se rend compte que tous ces modèles d’anticipation n’auront été possibles que dans l’apport du design-fiction, entendu comme méthode employée face à l’incertitude. En effet, on ne pense aujourd’hui le devenir des sols qu’au travers de ce qu’un accident y laissera, pas en s’appuyant sur lui ou sur sa potentialité à être. L’occurrence du risque n’est mesurable qu’après qu’il soit survenu, la statistique fait alors projet. Le design-fiction bouscule cette manière de penser les lieux, il n’affirme rien mais cherche à éveiller les consciences au travers de réflexions prospectives, qui envisagent un futur différent.

 

1     Le Bail Réel Immobilier Littoral (BRILI) est l’un des trois     outils présentés dans la proposition de loi portant adaptation des     territoires littoraux au changement climatique. Il est consenti dans     le cadre d’une ZART (Zone d’Activité Résiliente et Temporaire)     pour une durée comprise entre 5 ans et la date de réalisation du     risque de recul du trait de côte.

2     Le    Design Fiction est une approche prospective (visant à faire émerger     des idées en imaginant une situation future) utilisant les     techniques du design, du prototypage, de la narration ou encore de     la vidéo. Bruce Sterling,     Shaping Things,     MIT Press, 2005. 152 p.    

L'auteur
Éric Dussol

Eric Dussol est architecte DPLG, enseignant-chercheur à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille. Il enseigne le projet et la théorie de l’architecture et du projet urbain.

Ses articles

Extrait de la revue

5
Ressourcer l'Étang de Berre
Quels paysages en 2050 ?
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