Comment le disegno s’est‐il transformé en design et quel est le rôle des architectes et designers dans cette transformation ?
Le mémoire Disegno VS Design s’insère dans le parcours Recherche de l’ENSA•Marseille et sera présenté en Juin 2019. Ce sujet débute en septembre 2017 et se poursuit dans l’année 2018-2019. Les différents voyages à Milan et Venise, en passant par les bibliothèques, les archives, les écoles d’architecture locales ainsi que des rencontres avec les architectes apportent leurs lots d’éléments. Comme dans toute recherche, nous ne disposions pas de tous les éléments nous permettant de définir avec certitude l’ensemble des caractéristiques de la Casa Tognella. D’autant plus que les habitants de l’immeuble refusent toutes visites, contact et même diffusion des plans. J’ai souhaité continuer les recherches à propos de la bibliothèque d’Ignazio Gardella car elle était l’un de ses objets le plus connu. Ce meuble/cloison est avant tout la représentation d’un mouvement.
Cet élément m’a amené à me demander comment sont traitées les transitions d’une pièce à une autre dans les autres projets de Gardella. Les exemples qui suivent la Casa Tognella, font parties d’une liste non exhaustive. J’ai mis en exergue quelques projets de l’architecte, ce qui m’a permis de me rendre compte qu’il ne traitait plus vraiment les cloisons comme des bibliothèques mais qu’il s’interrogeait principalement sur la porte et ses systèmes d’ouvertures (à la française, à pivot, …). Les détails de production des portes et de la cloison/bibliothèque m’ont amené à me questionner sur ce qu’était devenu ce savoir‐faire italien, et plus spécifiquement, ce savoir‐faire milanais. Je ne touchais plus seulement à l’architecture, mais également au design. Beaucoup de lectures s’en sont suivies et quelques noms commençaient à se croiser : Ettore Sottsass et Joe Colombo. Comment le disegno s’est‐il transformé en design et quel est le rôle des architectes et designers dans cette transformation ?
Le design italien des années 1970-1980 s’éloigne alors radicalement des techniques artisanales utilisées par les modernes milanais pour leurs commandes bourgeoises. Le design devient populaire, pour un marché de masse et demande donc une fabrication en série. Les industriels comme Olivetti marqueront le design dans les années d’après-guerre avec leurs productions, mais également l’architecture en commandant à certains architectes des bâtiments pour leurs usines à Ivrea. Le nom de Ettore Sottsass est autant lié à l’histoire du design chez Olivetti qu’à l’architecture. Architecte et designer tiraillé par son envie de donner le design à tous tout en créant des singularités. Joe Colombo sera de ceux là également. Dans les années 1970, la population mélange design et consommation de masse, accusant les designers de fabriquer des objets qui les obligent à toujours acheter.
L’objectif de ce travail est de retracer la limite entre l’architecture et ces deux domaines pour comprendre leurs différences et leurs évolutions.
Extrait du mémoire : « LE DESIGN ITALIEN : L’ARTISANAT MILANAIS »
« Certains architectes italiens entretiennent une étroite relation entre architecture et disegno. Ils vont alors tenter de créer un lien entre les objets du quotidien et le nouvel Homme moderne.
« Pour différentes raisons, la culture architecturale est en Italie quelque chose de plus qu’une simple discipline professionnelle. Pendant la longue période de l’après-guerre, toute une classe d’intellectuels s’est reconnue dans ce débat autour du projet et de son rôle dans la rénovation du pays et dans la participation des forces culturelles à sa reconstruction. Cette espérance a été́ largement déçue ; aucun programme global d’architecture moderne n’a été́ réalisé́. »
Branzi Andrea, Le Design italien, La Casa Calda, éditions L’Équerre, 1985, Introduction, p.10
Le buffet, le lit, le canapé, la table basse, la table à manger… tous servent une fonction différente et la pièce dans laquelle ils sont posés prend la fonction qui est attribuée à l’objet.
Avec l’industrialisation, les meubles sont de série, ils sont parfois identiques d’une pièce à une autre, parfois dans le même matériau.
Les Milanais vont alors proposer une alternative à cette commercialisation de masse, avec des séries pensées à petite échelle et fabriquées avec les savoir‐ faire locaux.
Le disegno devient alors un moyen de définir une identité́, que ce soit un pays (Italie), une région (Lombardie), ou même une ville (Milan).
Le disegno milanais est traditionnel, ce sont des objets qui répondent à des problèmes, à des fonctions précises et qui s’adressent à tout le monde. Un disegno traditionnel dans le sens où les systèmes de fabrications sont artisanaux.
Les architectes milanais travaillent en collaboration avec les artisans pour savoir et comprendre comment les produits sont fabriqués, ils les accompagnent et apprennent de leurs savoirs, de leurs techniques.
Ces méthodes artisanales sont des processus connus de longues dates, qui se transmettent et qui n’utilisent pas les nouvelles machines industrielles. Il y a cette idée que l’Histoire des métiers est importante, il y a un art de l’artisanat. Les matériaux ont besoin d’être connu par des « experts », qui savent comment les maitriser.
C’est en ce sens que le disegno milanais est spécifique, car ce sont des produits qui ont une fonction précise basée sur les besoins de l’Homme, fabriqués par des artisans et des artistes pour créer des objets uniques.
« À la différence de l’extrémisme punitif de la tradition rationaliste ou des excès commerciaux de la tradition américaine, il [le design italien] développe une équation originale, un équilibre instable entre la culture de la consommation et celle de la production, essayant de concilier ces deux utopies opposées – produits définitifs et transformations sans fin des produits -, à la recherche d’une solution qui fournisse toujours un «reste», une erreur perfectible, la possibilité́ d’un développement ultérieur. La technologie a toujours été́ utilisée pour ses possibilités expressives, tandis que la mode était au contraire analysée pour dégager ses éventuelles composantes non transitoires. »
Branzi Andrea, Le Design italien, La Casa Calda, éditions L’Équerre, 1985, Introduction, p.11
« L’idylle vécu par les designers milanais avec l’industrie locale provoque même une rupture temporaire avec l’establishment italien, volontiers radical – les rationalistes romains, plus sectaires, accusant les milanais de se compromettre avec les suppôts du capitalisme. Quand cette querelle prendra fin, le Nord conservera l’avantage… »
La bourgeoisie milanaise permet cette expérimentation en fournissant les moyens financiers aux architectes. Au sortir de la guerre, qu’ils ont également subit, leurs quotidiens et leurs façons de vivre, ont changé. Avec le modernisme, ils se reconstruisent des habitudes. Les rationalistes italiens vont pouvoir répondre à ces changements avec de nouvelles manières de penser les intérieurs et les espaces. Même s’ils restent traditionnels dans leurs usages, c’est par les mobiliers que ces habitudes et ses usages se modifient.
Depuis la fin de ses études, Ignazio Gardella a travaillé sur les meubles et le disegno.
En 1947, avec Luigi Caccia Dominioni et de Corrado Corradi Dell’Acqua, ils fondent Azucena, la première société́ italienne de fabrication de meubles et de lampes en série, une entreprise qui existe toujours. Cette association avait pour but de réunir et de faire fabriquer les collections dessinées par leurs soins afin de les commercialiser.
Ces objets ne sont pas populaires et accessibles par tous. Leurs fabrications artisanales et locales en font des produits de luxe car ils ne sont pas pensés dans une économie des moyens. »
Membre d’un des séminaires 2107 et 2018 conduits par Jérôme Guéneau et Gilles Sensini dans l’atelier Avec l’Architecture, au sein du domaine d’étude Préexistence.
Séminaires portant sur le mouvement moderne hétérodoxe milanais des années 40′ à 60′.
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