Vers un indice écologique pavillonnaire

Écrit par
Arnaud Sibilat

Résumé :

En France, la loi ALUR (2014) vise à limiter l’étalement urbain qui consomme des terres agricoles et naturelles, en favorisant la densification du tissu urbain existant et en particulier les quartiers pavillonnaires de faible densité. Mais ce phénomène se heurte à de possibles conséquences négatives, avec notamment un risque de disparition des jardins qui revêtent un rôle à la fois social et écologique important. L’objectif est donc de trouver un compromis entre densification et préservation de ce patrimoine de nature périurbain. A ce titre, l’Indice Ecologique pavillonnaire (IEP ; Sibilat et al ., 2016) a été mis au point afin d’évaluer les conséquences écologiques de différents scénarios de densification sur les jardins pavillonnaires et assurer une meilleure prise en compte de la biodiversité dans le projet architectural. Au même moment, l’Indice de Biodiversité Potentielle des Jardins (IBPJ ; Riboulot-Chétrit, 2016) affichant des objectifs communs, a été finalisé par une autre équipe de chercheurs. Je propose ici d’établir une comparaison afin d’identifier les spécificités de ces deux indices et de les requestionner au regard des attentes des acteurs de la densification pavillonnaire. Il apparaît ainsi que ces deux indices sont complémentaires, répondant à des approches et à des échelles différentes. L’IBPJ permet d’effectuer un diagnostic de jardins pavillonnaires existants à l’échelle de la parcelle et de travailler à l’échelle territoriale par le grand nombre de données qu’il peut accumuler facilement, ce qui en fait un outil pertinent pour le géographe. En revanche, il semble mal adapté à l’usage que pourrait en avoir un architecte dans une pratique de projet, contrairement à l’IEP qui, en palliant à ces manques, semble être un outil pertinent pour la conception architecturale. Ces deux indices devraient au final donner les moyens aux acteurs de l’aménagement du territoire de préserver un patrimoine de nature périurbain important pour la qualité de vie des habitants et un maintien de la biodiversité dans un contexte de densification.

En France, la loi ALUR (2014) vise à limiter l’étalement urbain qui consomme des terres agricoles et naturelles, en favorisant la densification du tissu urbain existant. Par leur faible densité, les quartiers pavillonnaires présentent un fort potentiel de densification (Touati et Crozy, 2015). Depuis la parution de cette loi, de nombreux acteurs de l’aménagement du territoire s’emparent de cette opportunité. Mais ce phénomène se heurte à de possibles conséquences négatives qui ne sont aujourd’hui pas clairement identifiées par les collectivités locales. Se pose notamment la question du risque d’une disparition progressive des jardins pavillonnaires participant grandement à la qualité de ce type d’habitat plébiscité par 80% des Français (Viard, 2012) et qui pourrait avoir des incidences écologiques et paysagères importantes. Les conséquences de cette disparition des jardins semblent en effet anodines lorsque l’on considère les parcelles pavillonnaires individuellement, mais deviennent préoccupantes lorsque l’on prend la mesure de leur quantité sur l’ensemble du territoire : ces jardins couvrent plus de 2% du territoire national (Bismuth et Merceron, 2008), soit quatre fois plus que la superficie de toutes les réserves naturelles réunies (Riboulot-Chétrit, 2015).

Un précédent état de l’art (Sibilat, 2016) appuyé par des entretiens semi-directifs avec des habitants de quartiers pavillonnaires ont permis de montrer que les jardins revêtaient un rôle à la fois social (Loram et al., 2007 ; Prévot-Julliard 2010 ; Frileux, 2013) et écologique (Marco, 2008 ; Consalès, 2012 ; Cohen et al., 2013 ; Deschamps-Cottin et al., 2013). La protection de la biodiversité dans le cadre de la densification irait donc aussi dans le sens d’une préservation de ce qui fait la qualité de vie des habitants. Il semble donc essentiel aujourd’hui, pour toutes ces raisons, de prendre en compte et de valoriser la biodiversité en milieu urbain.

Ce travail de thèse, dans la continuité de la recherche BIMBY (Build In My BackYard) du programme ANR Ville durable (Hanrot, 2012), vise à comprendre le rôle écologique et paysager de ces jardins périurbains, mesurer les conséquences de leur densification et enfin déterminer les conditions de la protection de ce qui fait leurs qualités. L’objectif est donc de trouver un compromis entre densification et préservation de ce patrimoine de nature périurbain. Avec l’aide d’Estelle Dumas, écologue de l’IMBE, nous avons élaboré dans le cadre du travail de thèse l’Indice Ecologique Pavillonnaire (IEP ; Sibilat et al., 2016) afin d’évaluer et comparer l’impact écologique de différents scénarios de densification sans avoir à employer les méthodes de relevé plus complexes habituellement utilisées par les écologues. En plus d’un outil de diagnostic écologique, cet indicateur pourrait constituer un outil d’aide à la conception utile à l’architecte ou au paysagiste pour prendre en compte la biodiversité dans le projet de densification. L’IEP pourrait ainsi permettre d’intégrer les objectifs de préservation de la biodiversité à la maîtrise d’ouvrage de projets architecturaux de taille modeste, telle que la construction de maisons individuelles, dont l’impact sur la biodiversité n’est aujourd’hui pas pris en compte contrairement aux projets de plus grande ampleur (Clergeau, 2016). Parallèlement à ce travail, une autre équipe de chercheurs a construit indépendamment un indicateur similaire, l’Indice de Biodiversité Potentielle des Jardins (IBPJ), qui a été finalisé récemment (Riboulot-Chétrit, 2016). L’IEP et l’IBPJ ayant donc des objectifs communs, il nous a semblé important d’établir une comparaison afin d’identifier les spécificités de chacun d’eux et de les requestionner au regard des attentes des acteurs de la densification pavillonnaire : professionnels du projet, habitants et collectivités territoriales.

Nous reviendrons donc tout d’abord sur la construction de l’IEP. Nous le comparerons ensuite à l’IBPJ et terminerons ainsi par une discussion autour des objectifs et perspectives d’application de chaque indice.

 

1. Présentation de l’IEP

L’IEP étant destiné en priorité à l’habitant à l’initiative de la densification ou à l’architecte maître d’œuvre, nous avons cherché à définir une série de critères identifiables sans compétence particulière et témoignant de la qualité écologique d’un jardin. Un relevé des jardins d’un lotissement, des entretiens avec des écologues et une revue de la littérature des indices écologiques existants (Cf. Annexe 1) ont permis d’identifier les critères à intégrer à l’IEP. Plusieurs travaux issus de ces recherches prouvent la nécessité de travailler à différents niveaux d’observation afin de cerner les enjeux écologiques d’un projet (Burel et Baudry, 2000; Clergeau, 2007 ; Muratet, 2011). Nous avons ainsi défini trois niveaux d’analyse que nous avons appliqués à l’étude d’un lotissement à Aix-en-Provence[1] :

Figure 1 : Cartographie et identification des critères de l’IEP au niveau du quartier.

– Le niveau du quartier permet de contextualiser le lotissement (Cf. Fig.1). Le travail se base alors uniquement sur des vues aériennes, afin d’identifier des critères qui permettront de juger de la cohérence écologique du projet vis-à-vis d’enjeux territoriaux plus larges.

Figure 2 : Cartographie et identification des critères de l’IEP au niveau du lotissement.

– Le niveau du lotissement, considère l’ensemble des 12 parcelles qui le composent ainsi que ses abords (Cf. Fig.2). Des critères spécifiques correspondant à ce niveau ont été identifiés, en croisant l’utilisation de photographies aériennes et un relevé de terrain depuis l’espace public. Il est ainsi possible d’identifier les clôtures qui sont préjudiciables à la connectivité écologique, les haies monospécifiques et les haies plurispécifiques plus favorables à la biodiversité, et enfin les milieux ouverts (à dominante herbacée) et fermés (à dominante arbustive et arborée) qui composent les jardins. Nous considérerons comme favorable à la biodiversité le type de milieu correspondant aux espaces semi-naturels proches du lotissement, ou favorables à une potentielle continuité écologique identifiée au niveau du quartier. Ce niveau d’observation permet ainsi de contextualiser la parcelle à densifier dans le lotissement afin de prendre en compte l’environnement du projet.

Figure 3 : Cartographie et identification des critères de l’IEP au niveau de la parcelle.

– Au niveau de la parcelle (Cf. Fig.3), notre modèle se base sur les structures végétales facilement identifiables qui composent le jardin et dont le nombre influence positivement la biodiversité (Gaston et al., 2007, Loram et al., 2011) : les strates herbacées, arbustives et arborescentes. Nous définissons six critères qui qualifient plus précisément la composition de ces différentes strates au regard de leur potentiel écologique. On distingue ainsi : la formation herbacée indigène et le gazon ; la strate arbustive exotique et indigène ; les strates arborescentes exotiques et indigènes, ainsi que l’âge des arbres. Néanmoins, le manque de connaissances en botanique peut être un frein à la distinction entre espèces indigènes et exotiques. Cette identification pourrait être facilitée par la création d’un livret didactique recensant les espèces les plus couramment rencontrées, ou en remplaçant cette distinction par un comptage du nombre d’espèces différentes composant chaque strate.

En dehors de ces critères détaillant la végétation des espaces de pleine terre, nous retrouvons d’autres critères déjà définis par le Coefficient de Biotope par Surface[2] (CBS) de la loi ALUR, comme les surfaces minéralisées ou les toitures végétalisées par exemple. Nous avons aussi identifié d’autres éléments influençant la biodiversité : les abris artificiels qui peuvent servir d’habitat à certaines espèces (murets en pierre, toiture…), le bois mort, les clôtures et enfin la gestion du jardin par l’habitant, qui peut être néfaste ou éco-compatible.

Ces critères peuvent être pris en compte de manière quantitative par l’intermédiaire d’un système de notation, ou qualitative comme le montre la figure 4 (avec en vert les critères favorables à la biodiversité, en rouge les critères défavorables) et aider ainsi l’architecte à la préservation de la biodiversité dans le projet. Les modalités de notation des jardins ou d’un projet par l’IEP pourraient consister à appliquer un coefficient reflétant la valeur potentielle de biodiversité de chaque critère, qui multiplié par leur surface respective, aboutirait à une note écologique globale selon la formule :

IEP = Σ (coefficient du critère x surface couverte par le critère). Ces coefficients pourraient être déterminés à partir d’analyses de régression.

L’IEP, en améliorant le CBS de la loi ALUR, permet donc d’identifier les éléments du jardin porteurs d’enjeux écologiques à préserver dans le cadre de la conception du projet de densification.

Figure 4 : Schéma récapitulatif de l’IEP

 

2. Comparaison de l’IEP avec l’IBPJ

2.1 Présentation de l’IBPJ

L’IBPJ a été créé récemment par Mathilde Riboulot-Chétrit (2016), une doctorante en géographie du LADYSS (Laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces), assistée d’écologues du MNHN (Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris). L’objectif était de créer un indice utilisable par l’habitant et adapté aux jardins pavillonnaires permettant d’évaluer, voire d’améliorer leur état de biodiversité.

L’IBPJ se présente sous la forme d’un questionnaire rempli et retourné par les habitants, ce qui permet de récolter facilement un nombre très important de données sur le territoire. Il s’appuie sur des critères propres aux jardins pavillonnaires et considérés comme favorables à l’accueil de biodiversité. Il a été construit à partir de l’Index of Floristic Interest (IFI ; Muratet et al., 2008) et de l’Indice de Biodiversité Potentiel (IBP ; Larrieu et Gonin, 2008) sur lequel s’est aussi appuyé l’IEP. Pour évaluer la biodiversité potentielle des jardins, l’IBPJ se base sur trois facteurs identifiés comme pertinents par des recherches scientifiques antérieures (Collinge et al., 2003, Lizée et al., 2011, Muratet et al., 2007, Shwartz et al., 2013) : la gestion, l’hétérogénéité de la composition végétale et la surface couverte par la végétation.

L’IBPJ est calculé par la formule suivante : IBPJ = 1/3 (Gestion + Strate + SurfVeg). La note obtenue est comprise entre 0 (minimum de biodiversité) et 1 (maximum de biodiversité).

Le critère gestion se base sur la présence ou non d’espaces en friche dans le jardin, le nombre de tontes, et l’utilisation de produits phytosanitaires. De manière générale, la présence d’un élément favorable à la biodiversité est noté 1, celle d’un élément défavorable ou l’absence d’un élément désigné 0. Des valeurs intermédiaires sont employées quand cela s’avère nécessaire (Cf. Annexe 2 pour plus de précisions).

Le critère structure végétale prend en compte le nombre de types d’éléments de la végétation composant chaque strate végétale, partant du principe que plus il y en a, plus il y a une grande diversité de conditions environnementales, ce qui est favorable à la biodiversité. Le calcul se fonde, pour la strate herbacée, sur la présence ou non de pelouse, d’un potager, de plantes potagères et d’herbes aromatiques, de plantes en pots et de massifs de fleurs en pleine terre. Pour la strate arbustive, c’est la présence ou non d’arbustes, de plantes grimpantes et de haies (en distinguant l’absence de haie, les haies monospécifiques et plurispécifiques) qui sont prises en compte. Enfin, pour la strate arborescente, c’est la présence ou non d’arbres qui est retenue pour le calcul.

La note attribuée à « SurfVeg » varie entre 0 et 1 en fonction de la surface végétalisée du jardin, en considérant que plus cette surface est importante, plus elle est potentiellement riche en biodiversité (Muratet et al., 2007 ; Van Heezik et al., 2013). La valeur attribuée est ici définie à partir d’un travail de Muratet et al. (2007) étudiant l’évolution du nombre d’espèces présentes sur des friches urbaines en fonction de leur surface. On peut néanmoins s’interroger sur la pertinence de transposer ces données concernant des friches urbaines à des jardins pavillonnaires : les friches sont abandonnées, sans gestion humaine et sans aménagements guidés par des critères esthétiques contrairement aux jardins. L’évolution du nombre d’espèces en fonction de la surface végétalisée ne suit donc pas nécessairement les mêmes règles entre une friche et un jardin.

Enfin, nous voyons que l’IBPJ ne prend pas en compte d’autres facteurs qui peuvent influencer la biodiversité, tels que l’âge de la végétation ou les conditions écologiques des espaces entourant le jardin.

Les réserves que l’on peut avoir sur certains points de la construction de l’IBPJ ne remettent nullement en cause sa pertinence. En effet, il a été vérifié que les scores obtenus par l’IBPJ sont fortement corrélés à ceux obtenus par des indicateurs écologiques communément utilisés par les écologues tels que l’IFI, la richesse floristique, la diversité de Shannon ou la proportion d’espèces indigènes. Néanmoins, peut-être l’amélioration de certains points soulevés plus haut pourrait-elle améliorer encore l’IBPJ, dont le taux de corrélation ne dépasse jamais 0,59 sur une échelle pouvant aller jusqu’à 1 (indiquant une corrélation parfaite). Par ailleurs, le fait d’avoir une corrélation forte entre l’IBPJ et des indicateurs écologiques reconnus ne signifie pas qu’à la parcelle, le score obtenu par l’écologue et celui obtenu à partir de l’IBPJ conduisent à catégoriser la parcelle de la même manière concernant sa qualité écologique. Cet effet est masqué à l’échelle territoriale sur un ensemble important de parcelles et ne peut être révélé par un test de corrélation. Afin de vérifier la correspondance entre les classes de l’IBPJ et la catégorisation des écologues, un autre test statistique aurait pu être réalisé. Cette limite impacte peu l’usage que pourrait en avoir un géographe, mais témoigne d’un manque de précision qui peut être préjudiciable dans le cadre du travail d’un architecte se concentrant sur une seule parcelle.

L’IBPJ permet donc d’afficher des résultats satisfaisants en contournant des indices nécessitant des connaissances pointues en matière d’écologie. Il permet ainsi d’évaluer la biodiversité potentielle de jardins à l’échelle territoriale à un instant donné.

2.2 Quelles applications de l’IEP et de l’IBPJ dans le cadre de la densification pavillonnaire ?

L’IBPJ se présente comme un outil finalisé face à un IEP qui reste encore en construction. La question est donc de savoir si l’IBPJ pourrait servir à la pratique des architectes afin de déterminer s’il y a lieu de pousser plus loin la réflexion sur l’IEP dans le cadre du travail de thèse. Bien que présentant des similitudes notamment dans l’approche par strates végétales et l’utilisation des données de structure végétale et de surface, ces deux indices se différencient sur plusieurs aspects.

Même si il n’a pas été conçu dans ce but, il est possible d’imaginer utiliser l’IBPJ afin d’évaluer la biodiversité d’un jardin existant et, moyennant une localisation des éléments qui entrent dans sa notation, mesurer l’impact écologique de différents scénarios de densification. Cependant, spatialiser l’IBPJ pour en faire un outil d’aide à la conception présente des limites. Nous avons pris l’exemple de deux jardins théoriques (Fig. 5). En partant du principe qu’ils soient soumis à la même gestion de l’habitant, ces deux jardins, bien que très différents, obtiendraient le même résultat en suivant la notation de l’IBPJ, ce qui est discutable d’un point de vue écologique. En effet, dans le cas du « jardin 1 », les différents éléments de végétation sont si peu nombreux et isolés que l’on peut s’interroger sur leur fonctionnalité écologique réelle. La spatialisation de l’IEP permet de compenser cette limite en prenant en compte la surface couverte par chaque type de végétation du jardin.

Figure 5 : Comparaison de deux jardins différents ayant le même résultat avec les critères de l’IBPJ

Bien que l’IBPJ ait reçu un bon accueil des collectivités locales et des architectes, certains éléments qu’il prend en compte ne font pas sens dans le cadre de la conception du projet. C’est le cas des pots de fleurs qui sont des éléments mobiles, pouvant rester comme disparaître après la réalisation du projet et sur lesquels l’architecte n’a pas de prise. Il en va de même de la gestion du jardin qui varie en fonction des choix de l’habitant. L’IEP s’attache quant à lui à des éléments plus pérennes tels que les arbres, des strates végétales, des murets en pierre etc… Il prend en compte des éléments parfois anciens, mettant du temps à se constituer, ou connectés à des continuités écologiques, qu’il sera intéressant de conserver lors de la conception du projet. Par les critères qu’il utilise et leur spatialisation, l’IEP permet d’évaluer les conséquences sur la biodiversité d’un projet non encore réalisé à partir des qualités du jardin existant, ce qui en fait un bon outil d’aide à la décision dans la conception architecturale. Il pourra ainsi aider à penser la morphologie du bâtiment, son implantation, l’organisation des espaces extérieurs et l’organisation du chantier afin de préserver les formations végétales porteuses de biodiversité. En ce sens, l’IEP répondrait mieux aux attentes des architectes et des paysagistes agissant dans le cadre de la densification. En outre, lors d’une première expérimentation, l’emploi de l’indicateur par des étudiants en Master 1 de l’ENSA-Marseille en atelier de projet a montré une diminution de l’impact écologique de leurs projets de densification d’un lotissement et a permis de leur apporter les connaissances nécessaires pour mener une réflexion sur la préservation de la biodiversité. L’IBPJ semble quant à lui plus adapté à l’évaluation de la biodiversité d’un jardin existant, réalisant un instantané d’une situation à un moment donné. Il tient compte de la gestion de l’habitant et de certains types de végétation que ne considère pas l’IEP, mais ne permet pas d’aider à la décision lors de la conception du projet. En effet, si l’on trouve une forte biodiversité sur un site, on ne pourra mesurer les conséquences du projet qu’une fois celui-ci réalisé, au risque qu’il soit trop tard pour agir.

Face à ce constat, se pose la question de l’utilité de finaliser la notation de l’IEP étant donné que sa spécificité tient plus à la spatialisation des éléments afin de les prendre en compte dans le projet, et que l’IBPJ fait déjà bien ce travail de diagnostic. Néanmoins, une notation avec l’IEP pourrait permettre d’évaluer la biodiversité d’une parcelle existante et de la comparer avec un projet dessiné, indépendamment des choix du futur habitant quant à la gestion de son jardin. La différence dans la note obtenue permettra de voir le gain ou la perte de biodiversité engendrée par le projet. Celle-ci pourra faire l’objet de mesures de réglementation de la part du législateur, en demandant par exemple de ne pas dépasser la perte d’un certain pourcentage de biodiversité ou la conservation obligatoire de certains éléments du jardin. Dans des zones à enjeux écologiques, le PLU pourrait par exemple fixer une note écologique minimale nécessaire à atteindre pour accorder un permis de construire. Le particulier devra alors faire la démonstration de la prise en compte des enjeux écologiques identifiés sur sa parcelle, et les services instructeurs pourront vérifier grâce à l’IEP la valeur obtenue avant et après projet afin de valider ou non le permis de construire. Il sera alors nécessaire d’étalonner l’IEP en mesurant sa corrélation avec les résultats obtenus par un diagnostic fait par des écologues. Cette corrélation devra prendre un terrain d’étude commun : soit le lotissement étudié à Aix-en-Provence pour l’IEP, soit les cas d’études déjà utilisés par des écologues et l’IBPJ en banlieue parisienne.

Ainsi, nous avons démontré que ces deux indices sont complémentaires, répondant à des approches et à des échelles différentes. L’IBPJ permet d’identifier les jardins étant les plus susceptibles d’accueillir la biodiversité, et ceux qui y seraient moins favorables. Ces jardins peuvent ainsi être hiérarchisés en fonction de leur biodiversité potentielle et être localisés. Ces données pourraient constituer une base de renseignements servant d’aide à la décision pour les collectivités locales, afin de définir par exemple une stratégie de densification sur une commune. L’IEP permettra quant à lui, quelles que soit les zones pavillonnaires destinées à être densifiées, une prise en compte de la biodiversité dans le projet à la parcelle pour minimiser la disparition d’un patrimoine de nature intra-urbain.

 

Conclusion

L’IBPJ permet donc d’effectuer un diagnostic d’espaces verts urbains existants à l’échelle de la parcelle et de travailler à l’échelle territoriale par le grand nombre de données qu’il peut accumuler facilement, permettant une approche quantitative intéressante. Comme nous l’avons vu, la méthodologie de l’IBPJ semble en revanche mal adaptée à l’usage que pourrait en avoir un architecte, certains critères ne faisant pas sens dans une pratique de projet. L’IEP, en palliant à ces manques, semble être un outil complémentaire et pertinent pour la conception architecturale. En revanche, il ne permet pas de récolter assez de données pour travailler à l’échelle territoriale et, par sa spécialisation, ne prend pas en compte certains éléments -sur lesquels l’architecte n’a pas de prise- pouvant tout de même impacter la biodiversité.

Il semblerait donc que l’IEP mériterait d’être finalisé et testé sur d’autres cas d’étude dans le cadre de la thèse. Des critères relevant de formations paysagères et végétales responsables de la qualité de vie des habitants, sans pour autant être liées à la biodiversité, pourront peut-être aussi intégrer l’IEP comme un complément à prendre en compte lors de la densification de jardins. Il pourrait ainsi être intéressant d’intégrer la valeur d’usage des éléments végétaux du jardin, selon ce que leurs rôles paysager, de brise-vue, de protection du vent ou du soleil, par exemple, apportent aux habitants.

L’IBPJ et l’IEP pourraient au final permettre une meilleure prise en compte multiscalaire de la biodiversité en ville, ce qui représente aujourd’hui un enjeu majeur pour les politiques en matière d’écologie urbaine. Ils devraient ainsi donner les moyens aux acteurs de l’aménagement du territoire de préserver un patrimoine de nature périurbain important pour la qualité de vie des habitants et un maintien de la biodiversité dans un contexte de densification.

 

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Références

[1] Ce lotissement de 12 parcelles, par sa position voisine du centre-ville, fait l’objet d’une spéculation foncière importante et se retrouve exposé à un fort risque de densification. Les habitants aimeraient que cette densification potentielle ne se fasse pas au détriment de la forte présence végétale du lotissement. Cette situation constitue donc un cas d’étude réel intéressant dont nous nous sommes saisis pour notre recherche.

[2] Le CBS, conçu à l’origine par les services de l’urbanisme de la ville de Berlin, est un outil optionnel proposé par la loi ALUR afin de limiter l’imperméabilisation des sols et favoriser une présence végétale dans les projets de densification. Par son calcul, le CBS favorise la présence de sols se rapprochant le plus possible des caractéristiques de pleine terre, mais ne présage en rien de la qualité écologique du milieu et de la nature des espèces qui s’y développeront. Il garantit ainsi plus le maintien de qualités environnementales par l’amélioration du microclimat, de la qualité de l’air, de l’infiltration des eaux pluviales et l’amélioration du cadre de vie du citadin, que des qualités favorables à la biodiversité.

L'auteur
Arnaud Sibilat

Doctorant au sein du laboratoire Project[s]

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La recherche à l’ENSA•M
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Une plongée en paysage avec le Bureau des Guides

Dans le cadre du workshop organisé sur le pourtour de l’Étang de Berre, deux journées d’arpentage à pied ont été organisées par l’ENSP, l’ENSA-M et l’IUAR en collaboration avec le Bureau des Guides avec Alexandre Field et son équipe en éclaireurs[1]. Le principe était de conduire le groupe à découvrir la pluralité des espaces qui […]

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Résilience des milieux anthropiques, ou comment réconcilier nature et industrie ?

Dans le cadre du workshop « Ressourcer l’étang de Berre » organisé conjointement par l’ENSA-M, l’ENSP-Marseille et l’IUAR en juillet 2021, un groupe de participants a souhaité travailler sur la résilience des paysages marqués par l’empreinte industrielle historique et encore palpable du site. Après deux jours d’immersion sur le terrain avec comme moyen de découverte des lieux […]

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