"CALE" Clé d’une architecture flexible

Écrit par
Yohann Depussay

En préambule, nous postulerons qu’en matière d’architecture, le dessin ne peut être purement gratuit. Plus précisément, tout élément constitutif du dessin est la manifestation physique d’un dessein général, dont l’existence explicite l’acte de pensée architectural. L’hypothèse de départ qui y est associée est qu’une pensée de ce type induit des particularités au sein du dessin. Ces particularités nous les nommerons cale, selon l’idée qu’elles permettent au projet de stabiliser un état de pensée et d’en verrouiller l’efficience. Pour expliciter ce point, je propose l’exemple d’une clé de voûte, dont l’existence est nécessaire à son maintien. La pensée à l’origine de la voûte aboutie à l’existence de la clé. Or celle-ci est l’entrée privilégiée d’une compréhension du système de la voûte. A ce titre, étudier le dispositif de la clé permet d’interroger les mécanismes de pensées qui l’ont conçu, mais également les conséquences que cet objet singulier du dessin implique.

L’étude de cas proposée s’intéresse aux travaux de deux architectes italiens Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, tous deux formés au sortir d’un régime fasciste et animés d’un rêve celui d’une modernité libre et démocratique. Loin des visages d’une architecture star, nos deux protagonistes sont aujourd’hui convoqués selon un éclairage particulier, les désignant comme rationaliste maniériste milanais. Une invention sans fondement historique, qui se caractérise par la similitude d’œuvres rationalistes, singulières et banales de l’architecture moderne milanaise. Cet étiquetage, réfléchit, mené dans le cadre du séminaire d’automne 2017 de l’ENSA-Marseille, est retranscrit dans l’ouvrage Razionalismo Manierista Milanese, une école maniériste dans le Milan des années 1940-1960. Cette mise en lumière permit la constitution d’un corpus francophone approfondie dont les particularités témoignent d’une architecture moderne en crise. Associant la question du plan libre à celle antithétique du plan à pièces, ils perpétuèrent le caractère empirique, d’un art séculaire de l’autocritique.

Dans le cadre de cet article, nous proposerons une lecture focalisée sur le projet, réalisé, d’immeuble résidentiel construit au numéro 24 de la via Quadronno au sud-est de Milan. Plus précisément, il s’agit ici d’analyser cet immeuble de logements bourgeois construit entre 1960 et 1962 dans le cadre d’une opération de reconstruction inhérente au libéralisme de l’Italie post-mussolinienne. Cet objet étant le témoin d’une préoccupation naissante pour ce qu’Angelo Mangiarotti nommera la pleine propriété. Un concept que l’on pourrait définir comme la libre disposition et détermination de son bien, de son état, et de son devenir. Le fait de considérer l’évolutivité avérée de cette propositions architecturée, selon les outils spécifiques de l’architecte, permettant de considérer les mécanismes ayant permis, dans ce cas de figure, d’atteindre un idéal conceptuel.

Ainsi, nous expliciterons, en quoi les expérimentations menées par Angelo Mangiarotti et Bruno Morassutti, en 1962 à Milan, concernant le logement collectif tendent vers la pleine propriété ?

A cette fin, nous proposons les hypothèses de travail suivantes. D’une part, la libre disposition d’un plateau ne permet pas l’expression individuelle que le plan flexible promet. Autrement dit, il s’agit de questionner la pertinence du plan libre vis-à-vis du concept de pleine propriété. Selon l’hypothèse où la plus grande flexibilité possible suffirait à provoquer la pleine liberté d’usage souhaité. D’autre part, l’évolutivité complète d’un logement nécessite une architecture capable d’en absorber les effets à l’échelle de l’œuvre. Autrement dit, cette hypothèse, envisage la possibilité d’une modification totale de la cellule individuelle, une forme d’aboutissement du concept de pleine propriété. La question de l’œuvre architecturale devenant dès lors collective, la mission de l’architecte, devient dans cette optique, celle d’un chef d’orchestre, capable d’instaurer un système à la fois rigide dans son unité et souple vis-à-vis des possibilités d’altérations.

Afin, d’explorer les thématiques de recherche, ainsi désignées, nous nous attacherons à la caractérisation des mécanismes à l’œuvres au 24 via Quadronno. Ainsi, nous considèrerons l’exemple mené en 1962, en profitant de l’évolutivité effective, afin d’envisager un positionnement critique vis-à-vis du principe d’auto-génération des façades modulaire.

Concernant la méthodologie qui fût employé. Il semble nécessaire de rappeler que s’agissant d’un travail architectural il est ici prôné une vision architecturale de la recherche. Considérant cette discipline comme suffisante, nous ne ferons appel à un aucun apport transversal. Ce qui est un choix, militant certes mais considéré légitime.

A ce titre, il s’agissait d’exploiter le dessin, la recherche photographique ainsi que la traduction d’écrits monographiques et d’articles, afin de nourrir le corpus sélectionné d’un point de vue graphique et théorique. Les déficits d’informations ayant était comblés par des hypothèses considérées comme plausibles, notamment au regard des pratiques architecturales ou des référant réputés comme avérés vis-à-vis des deux architectes italiens. Autrement dit, il s’agissait dans un premier temps, de confrontées les différents documents rassemblés, afin de s’approcher le plus possible des éléments observables, il fût privilégié l’hypothèse la plus cohérente au vue des documents photographiques rassemblés. Les hypothèses seront remarquées et justifié au sein des explications descriptives. L’exactitude des documents graphiques n’étant pas rendu obligatoire par l’exercice de réflexion conceptuel exposé. De plus, l’approche ne se voulant pas scientifique, mais descriptive, l’approximation fût permise tant qu’elle restait cohérente et mineure, c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas d’ordre à dénaturé l’œuvre.

Afin de nourrir les réflexions graphiques et pour pallier au manque d’écrit des architectes A. Mangiarotti et B. Morassutti, nous avons dû effectuer des comparaisons graphiques. A ce titre, il sera courant de confronter le dessin l’œuvre italienne à une œuvre architecturale manifeste, notamment afin de profiter d’un apport théorique substantiel concernant certaines particularités. Toutefois la cohérence reste une priorité. Aussi, ne seront envisagé des parallèles qu’avec des architectes et des œuvres notoirement connues du couple italien. Du moins, si l’architecte est réputé comme influence, les architectures considérées comme connus devront être contemporaines des architectes italiens. De plus, internet n’étant évidemment pas répandu dès lors, nous exclurons les projets qu’ils n’eurent aucunement la possibilité géographique de découvrir.

Enfin certains penseurs contemporains des auteurs seront cités. Cependant ils ne seront convoqués que dans la mesure d’une analyse conceptuelle contemporaine. Nous serons particulièrement attentifs au maintien de cette distinction et garantissons qu’il ne sera pas prêté à A. Mangiarotti et B. Morassutti des propos et pensées qui leurs seraient anachroniques.

L’expérience de la via Quadronno est le dernier projet menée conjointement par les deux architectes A. Mangiarotti et B. Morassutti. Cet édifice de facture moderne recèle des complexités formelles et d’implantations particulières. L’édifice s’il apparaît comme objet solitaire, au dessin de façade homogène sur toutes ses faces, est défini par un volume irrégulier aux nombreux angles rentrants ou sortants. Le volume de l’édifice apparaît alors fragmenté, décomposé en une série de volumes distincts et agrégés, qu’une même enveloppe modulaire fait tenir. Outre les préoccupations d’ordre formel, ce facettage permet une orientation multiple et projetée des logements sur le parc Oriana Fallaci, situé en face de l’opération.

L’objet architectural ainsi décrit, développe un programme majoritairement résidentiel complété de quelques locaux professionnels, ces derniers sont regroupés aux premiers niveaux. Ils sont destinés à accueillir des cabinets de taille raisonnée, médicaux par exemple, l’agence de Bruno Morassutti s’y installera d’ailleurs jusqu’à récemment. Malgré cette subtilité programmatique, l’architecture développe un plan identique sur toute la hauteur de la structure. L’objet héberge ainsi 18 appartements, d’une superficie d’environ 190 mètres carrés, répartie sur 9 niveaux. Le complexe, réalisé par un promoteur immobilier, dans le cadre d’une opération de reconstruction d’ensemble, s’adressait à une population aisée, à ce titre, l’immeuble est aujourd’hui habité par des propriétaires occupants, regroupé en une copropriété syndicale.

Un premier parallèle introduit la thématique de flexibilité au cœur de l’expérience de la via Quadronno, inscrivant de fait, celle-ci au thème principale de cette étude, la pleine propriété au cœur du logement collectif. En effet, l’hypothèse de travail posée comme point de départ de cette première partie, établissait que la libre disposition d’un plateau ne permet pas l’expression individuelle que le plan flexible promet. Or cette libre disposition constitue l’essence de ce L. Mies van der Rohe considère comme la flexibilité. Du moins, selon la définition que Peter Carter, en retranscrira : « C’est dans les années 1890 que Louis Sullivan affirma pour la première fois que la forme suit la fonction, pour en faire un credo architectural. Mies van der Rohe, en revanche pensait que les exigences fonctionnelles pouvaient évoluer avec le temps, tandis que la forme, une fois établie, se prêtait difficilement à des modifications. C’est pourquoi il choisissait un système constructif adapté à l’ampleur du programme qu’il considérait dans son ensemble plus que dans le détail. Convaincu que le principe de flexibilité était un principe moderne, il ne fixait dans ses bâtiments que l’essentiel, offrant ainsi une souplesse et une liberté aux plans à l’origine et dans le futur ». Autrement dit, pour l’architecte d’origine allemande la flexibilité d’usage de l’architecture dans le temps nécessite un espace libre, au sens où il serait épargné des contraintes structurelles et techniques.

Afin de caractériser, l’essence du plan libre, ainsi défini, nous nous intéresserons dorénavant au projet de complexe résidentiel situé au sein du quartier Lake Shore Drive, mené à Chicago entre 1949 et 1951, par L. Mies van der Rohe. Plus précisément, il s’agit d’interroger les mécanismes de constitutions du plan d’étage courant et d’interroger les modifications permises par le plan considéré comme libre.

Ce plan constitue un archétype, presque schématique, du type d’immeuble de grande hauteur développé par L. Mies van der Rohe. La façade modulaire du complexe résidentiel de Lake Shore Drive développe une typologie de façade à meneaux fortement tramé. Or dans la compréhension du plan, ce découpage des façades joue un rôle majeur. En effet, si L. Mies van der Rohe exècre l’opulente esthétisation classique prônait par les académies d’architectures conservatrices, il défend la nécessite d’une esthétique fonctionnaliste. À condition, que celle-ci use d’éléments architectoniques nécessaires, afin de transcrire les systèmes logiques qui sous-tendent l’exercice du dessin. Dans l’expression architecturale qu’il développe, cet élément architectonique, sa cale, c’est le meneau. Dans le cas des immeubles de Lake Shore Drive, l’espace réservé au module est de 1,1 mètre, le meneau quant à lui développe une largeur de 10 centimètres. Si l’on met en évidence la matrice ainsi calibrée, on obtient un tracé directeur, qui fixe l’emplacement des redécoupages secondaire du plan. Un redécoupage qui fixe également l’emplacement des porteurs verticaux primaire, disposé sur une trame carré, d’une épaisseur habituelle de trois travées. Selon la citation, énoncée plus haut, L. Mies van der Rohe « ne fixait dans ses bâtiments que l’essentiel, offrant ainsi une souplesse et une liberté aux plans à l’origine et dans le futur ». En plan, cela s’exprime par une centralisation des équipements nécessaire au fonctionnalisme du bâtiment. L’organisation de ces espaces est ainsi répartie concentriquement suivant qu’ils s’agissent d’élément nécessaire au fonctionnement du tout, ou de la partie. Autrement dit, selon qu’ils s’agissent, des contraintes gravitaires, tel que les escaliers, ascenseurs ou gaines, ou des contraintes d’usages dans le cas présent salle d’eau ou cuisine. Par ailleurs, « la disposition en colonne de chaque fonction évite toute discontinuité. Cette centralisation des fonctions de manière fixe et répétitive permet de libérer l’espace ». Autrement dit, le principe d’un plan d’étage courant unique participe de la libération du plan, selon les théories transcrites par Peter Carter. En cela, il faut saisir que la répétabilité d’un plan unique permet aux obligations gravitaires de contraindre le plan au strict minimum. L’expérience pourrait monter que l’ensemble des espaces contraint par l’usage sont réversible, autrement dit, on peut concevoir une occupation tout à fait différentier, sans nécessité une intervention particulièrement lourde sur les infrastructures collectives, ou sur le système architecturé. A ce titre, il est en effet plausible de considérer une altération du plan, ou de l’usage, sur l’ensemble, ou sur la plus petite des parties, sans toutefois que ces altérations n’induisent un bouleversement d’écriture notamment sur l’ensemble.

Cette préoccupation concernant la question de l’altérité habitante, pourrait être perçue comme indésirable au regard du personnage campé par L. Mies van der Rohe. Toutefois si l’on fait abstraction de l’homme, l’architecture produite en soi, est comme dans un état transitoire, en attente de cette altérité. On pourrait croire qu’elle la réclame, au seul titre qu’elle est capable de l’absorber. De plus, en termes de discours les paroles qui nous sont parvenues font état de cette préoccupation, or vu le contrôle qu’il exercer sur son image, nous peinons à croire, qu’il n’est pas eu le même égard pour ses dires. À titre d’exemple : on pourrait citer qu’il « pensait que les exigences fonctionnelles pouvaient évoluer avec le temps, tandis que la forme, une fois établie, se prêtait difficilement à des modifications ». Cette phrase, si elle n’est pas de lui, défini son approche, selon un homme qui fût son associé. Par ailleurs, si ce n’est par esprit d’anticipation, pourquoi considérer toute architecture au cœur d’une expression formelle unique ? Qui est capable, à première vues, de caractériser, avec certitude, les programmes des immeubles Seagram ou Commonwealth Promenade ? À ma connaissance, personne, de fait, nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’un hasard, ne disait-il pas lui-même : « Mon approche du Seagram Building n’était pas différente de celle que j’aurais pu avoir pour un tout autre bâtiment. Mon idée, ou mieux, ma « direction » est celle d’une structure et d’une construction claire. Ceci est valable pour certains problèmes, dont ceux d’architecture auxquels je suis confronté. En fait, je suis totalement opposée à l’idée qu’un bâtiment spécifique doit avoir un caractère individuel. Je crois plutôt qu’il doit exprimer un caractère universel déterminé par le problème global que l’architecture tente de résoudre ». Autrement dit le seul problème de l’architecte, ne doit pas être le caractère, la mission de l’architecture, selon L. Mies van der Rohe, est la mise en place d’un système, fonctionnel et efficient au regard des seules véritables contraintes qui demeureront toujours, celles qui sont gravitaires.

Le cas du complexe Lake Shore Drive, achevé en 1951, présentes des altérations habitantes dès la livraison. Ainsi, il représente un exemple architectural d’œuvre pleinement ouverte, particularité que les architectes A. Mangiarotti et B. Morassutti ont, sans nul doute, pu constater durant leurs séjours américains respectifs. Il serait pertinent, je pense, d’éprouver les potentialités, flexible, du système de plan d’étage développé au titre de ces immeubles résidentiels, dont la libre altération n’a pu être envisagé que par la présence permanente de copropriétaire. En effet, la flexibilité du plan libre Miessien sous-entend la possibilité de recomposer l’espace disponible du plateau par la modification des cloisons sèches non porteuses. Or, ce type d’ouvrage n’est pas de l’ordre des prérogatives autorisées habituellement aux locataires. La liberté permise par le plan libre Miessien n’est donc qu’une possibilité exclusivement destinée au propriétaire occupant. Au titre de cette épreuve, nous attacherons une série de propositions d’occupation de l’espace libre d’un plateau suivant différentes configurations. Les règles, auxquelles les esquisses présentées répondront seront celles, précédemment, éditées selon le système d’organisation graphique mis en évidence au sein du discours. Pour rappel, elles consistent en un régime de trame régulière à base carré, 1,10 mètres de côté, les éléments porteurs verticaux ainsi que la façade rideaux modulaire seront considérées comme invariant, enfin les contraintes gravitaires collectives : escaliers, ascenseurs et gaines techniques, devront également être considérées comme immuable.

Figure 1 : Epreuve graphique du caractère flexible du plan d’étage courant du complexe Lake Shore Drive, de l’architecte L. Mies van der Rohe, Chicago 1951. (Crédit : DEPUSSSAY, Yohan – 2019)

 

L’épreuve, ainsi soumise, à l’architecture de L. Mies van der Rohe conduit à expliciter le caractère flexible du plan libre selon la définition Miesienne. À savoir une délivrance spatiale vis-à-vis des contraintes techniques et fonctionnelles. La proximité intellectuelle, explicitée, des architectes italiens et chicagoan, conduit à envisager le plan d’étage, systématique, développé, au titre de l’expérience milanaise, selon cette même définition.

Selon le processus d’étude établi, nous entamerons l’analyse de l’objet, situé en la via Quadronno, par une démonstration graphique des différentes potentialités d’altérités du système architecturale. Cette démonstration visant à éprouver le système vis-à-vis de la flexibilité du plan libre et l’appropriabilité du plan mixte1.

Figure 2 : Epreuve graphique du caractère flexible du plan d’étage courant de l’immeuble résidentiel du 24 via Quadronno, des architectes A. Mangiarotti et B. Morassutti, Milan 1962. (Crédit : DEPUSSSAY, Yohan – 2019)

 

La démonstration graphique ainsi menée met en avant l’efficience du système architecturé vis-à-vis des problématiques conceptuelles de pleine propriété. Cette efficience étant caractérisée selon deux systèmes, fonctionnellement, indépendants, qui œuvre de concert afin de permettre la pleine évolutivité du système architecturale. Le premier d’entre eux, réside dans la typologie du plan qui développe ici une forme de plan mixte. Le second, figure la cale Quadronno, à savoir un dispositif particulier d’assemblage des éléments de la façade modulaire.

Plus précisément, le premier système, procède d’un type de plan considéré comme mixte, puisqu’il associe les propriétés d’un plan à pièces partitionné en second œuvres avec les principes structuraux du plan libre Miessien. Ainsi, ce premier dispositif associe la flexibilité d’occupation d’un plan structurellement dissociable, à l’appropriabilité d’un plan à pièce vestibulaire, caractérisé, dans le cas présent, par les figures de la Diele, du Couloir et du Voorhuis.

Dans le détail, ces différents analogismes s’expriment dans le redécoupage fonctionnel du plan. La figure de la Diele procède d’une distinction par parties, ainsi, les espaces de jours, de nuit et de service sont dissociés de manière à permettre l’indépendance fonctionnelle des différents usages, notamment de réceptions et d’intimités domestiques. La figure du couloir permet la mise à distance distributive des différentes parties. Par ailleurs elle symbolise une forme de liaison vis-à-vis des trois entités fonctionnelles du logement, qui trouve une telle autonomie, qu’on puisse distinguer trois appartements à l’insu de l’ensemble. Enfin, la figure du Voorhuis, permet l’articulation des différents appartements fonctionnelles du logement, vis-à-vis du pallier commun. Ce dernier dispositif, distributif, vient à caractériser l’interface des spatialités complexes du logement vis-à-vis des problématiques d’intimités et d’usages semi-publics de l’espace domestique.

Par cale Quadronno, nous entendions, un complexe d’assemblage, par emboîtement, qui présente une redoutable efficacité au regard de l’indépendance, immédiate, de chacun des éléments associés. Le dispositif de cale à proprement parler est mis en évidence sur le détail associé à ce discours, il regroupe deux éléments distincts, assemblés de sorte à ce qu’il exerce une forme de tenon, ou de serre-joint, en l’endroit d’articulation des éléments de la façade modulaire.

En premier lieu, on trouve un montant de bois, dont la forme similaire à un T, développe deux ailettes de part et d’autre de l’épaisseur centrale. Le profil ainsi détaillé s’inscrit dans une section rectangulaire de 4 par 13 centimètres. La partie centrale est, en adéquation avec l’hypothèse d’assemblage la plus plausible au vus de l’iconographie rassemblée, ponctuée d’une série de pièces métalliques, similaire à des pas de vis disposés de sorte à ce qu’il soit pris dans les veines du bois.

La seconde pièce est un profil métallique rigide, probablement constitué d’aluminium, qui vient enserrer les cadres des éléments modulaires en l’endroit des saillies qu’ils présentent. Le profil développe ainsi, une forme de U dont les extrémités recourbées permettent d’agrippées solidement les saillies modulaires. La surface développée au cœur du joint creux est ponctuée de petites réserves préalablement percée en l’endroit des différents pas de vis.

Figure 3 : Axonométrie chinoise du dispositif de cale, développé au titre du caractère flexible du plan d’étage courant de l’immeuble résidentiel du 24 via Quadronno, des architectes A. Mangiarotti et B. Morassutti, Milan 1962. (Crédit : DEPUSSSAY, Yohan – 2019)

 

Le dessin ainsi décrit permet l’hypothèse d’une fixation des deux pièces entre elles par une quincaillerie constituée d’un axe fileté, d’une rondelle d’acier et finalement d’un écrou. La tige filetée venant se logée dans le pas de vis intégré aux montant de bois, la rondelle et l’écrou viennent ensuite verrouiller le système de la cale. Ce mécanisme permet la solidarité structurelle de l’ensemble de la façade rideau modulaire, tout en permettant un démontage efficace des différents éléments.

Avant de poursuivre plus en avant le discours, je pense primordiale de décrire précisément le système modulaire développé à l’endroit de l’expérience de la via Quadronno. Celui-ci développe trois types d’éléments :

  • Le premier, majoritaire, accueille une menuiserie en bois. Celle-ci présente deux tableaux, un premier en partie basse, dont l’ouverture est permise par un système, dit à compas, cela signifie que le tableau vitré s’ouvre par basculement verticale vers l’intérieur du logement. Ce type d’ouverture permet de préserver l’occupant d’une chute, assurant la fonction nécessaire de garde-corps. Le second tableau vitré, intervient en partie haute du module, il présente une ouverture, dite à battant, c’est-à-dire que des charnières permettent au panneau une rotation vers l’intérieur afin de libérer l’espace de la baie. Ces deux tableaux vitrés prennent places au sein d’un cadre également constitué d’éléments en bois. Ce dernier présente quelques particularités.
    • Premièrement, les montants verticaux situés de part et d’autre des tableaux vitrés développent une géométrie particulière. A savoir, qu’ils présentent une saillie, d’environ 2 centimètres de largeur par 2 centimètres d’épaisseur, sur toute la hauteur de l’élément. Cette saillie permet de présenter un point d’accroche à l’élément de blocage définie comme cale du projet d’immeuble de la via Quadronno.
    • Deuxièmement, l’entretoise situé à l’extrémité basse du module, développe un profil orthogonal, certes, mais figurant un U. Cette particularité lui permet de venir s’emboiter avec la forme de la dalle béton, présentant un rejingot.
    • Enfin, l’entretoise située au point le plus haut du module, ménage un profil en forme de baïonnette. Cette particularité lui permet de venir bloquer le mouvement de rotation de l’élément. Pour ce faire la baïonnette vient en buter du profil métallique qui cercle la façade rideau et la relie aux dalles béton.
Figure 4 : Représentation détaillée du dispositif de module vitrée, développé au titre de l’immeuble résidentiel du 24 via Quadronno, des architectes A. Mangiarotti et B. Morassutti, Milan 1962. (Crédit : DEPUSSSAY, Yohan – 2019)

 

  • Le deuxième, en ordre d’importance, est un panneau plein. Ce second élément développe un cadre structurel en bois dont les éléments périmétriques adoptent les mêmes spécificités que les éléments du cadre menuisé. En surépaisseur de ce cadre, est développé un bardage épais de bois. Dont l’épaisseur, 2 centimètres, associée à la découpe particulière des profils, permet un assemblage rigide, ne nécessitant pas le support caractéristique des panneaux bois de type sandwich. L’espace résiduel ainsi formé, permet la mise en place d’une isolation, en fibre de verre probablement, de 10 centimètres d’épaisseur.
Figure 5 : Représentation détaillée du dispositif de module plein, développé au titre de l’immeuble résidentiel du 24 via Quadronno, des architectes A. Mangiarotti et B. Morassutti, Milan 1962. (Crédit : DEPUSSSAY, Yohan – 2019)

 

  • Le troisième type d’élément, figure une serrurerie, sa présence n’intervient qu’à l’endroit des loggias. Il présente notamment un barreaudage faisant office de garde-corps, à la tête duquel est développé un élément de support destiné à accueillir des jardinières. L’ensemble métallique, probablement constitué d’acier est raccordé, par soudure à des montants verticaux, également métallique. Ces deniers présentent en leurs extrémités haute et basse des découpages similaires à ceux évoqués concernant les cadres en bois des deux premiers éléments. Plus précisément, l’élément métallique développe à son extrémité basse une encoche en forme de U, afin d’épouser la forme de pente du rejingot. En son extrémité haute il développe une encoche qui le place en buté du profil métallique attaché à la dalle béton.
Figure 6 : Représentation détaillée du dispositif de module de serrurerie, développé au titre de l’immeuble résidentiel du 24 via Quadronno, des architectes A. Mangiarotti et B. Morassutti, Milan 1962. (Crédit : DEPUSSSAY, Yohan – 2019)

 

Ainsi exposé, la pièce d’assemblage, dénommée comme cale apparait nécessaire à la bonne exécution de l’ensemble modulaire. Tel que l’ouvrage, Construire des façades, émis par les Presses polytechniques et universitaires romandes, en fait état : « La trame permet de définir la position de chaque élément de construction et coordonne ce dernier avec les autres éléments ». A ce titre, « on distingue deux possibilités pour mettre les éléments de construction en rapport avec la trame : la référence à l’axe [ou] la référence à la limite ». La première signifie que « la relation entre l’élément de construction et le système de référence résulte de la superposition de la ligne axiale de l’élément de construction avec une ligne de référence ». La seconde possibilité signifie que « l’élément de construction est limité par au moins deux lignes du système de référence ». C’est bien dans ce deuxième cas de figure que nous place l’élément désigné comme cale. Puisque notamment il établit une distance entre les différents éléments modulaires. Par ailleurs, cette distance permet une meilleure exécution du système générale, puisqu’elle figure une forme de joint, au sens où « les joints sont les espaces entre deux éléments de construction modulaire ». A ce titre, la cale permet une certaine tolérance d’assemblage et constitue donc une nécessité à l’exécution correcte du dispositif. Puisque « les tolérances ont pour but de limiter les écarts par rapport aux dimensions nominales de taille, de forme et de position des éléments constructifs et des ouvrages ».

Figure 7 : Epreuve graphique du caractère flexible de l’immeuble résidentiel du 24 via Quadronno, des architectes A. Mangiarotti et B. Morassutti, Milan 1962. (Crédit : DEPUSSSAY, Yohan – 2019)

 

Par ailleurs, l’épreuve graphique du système architectural soumis, a mis en évidence le caractère changeant de la façade modulaire, notamment en l’endroit des loggias, qui peuvent évoluer librement vis-à-vis de l’architecture générale. Cette hypothèse graphique se vérifie par une analyse photographique et chronologique du dessin de la façade de l’immeuble de la via Quadronno. En effet, ces observations mettent en avant trois états clairement dissociables au sein du rythme modulaire développé.

Ces altérations individuelles, soumises à la façade collective de l’immeuble, mettent en lumière, la souplesse du système architectural. En effet, on observe une pluralité de situation sans que toutefois le caractère général et unitaire de l’objet architectural ne s’en trouve résolument bouleversé. D’ailleurs, une analyse systématique des 16 linéaires de façades développés au titre de chaque appartement démontre qu’il n’existe pas véritablement de schéma, ou de composition, qui régissent la répartition des différents types d’éléments modulaires.

Ce point spécifique, met en exergue un dispositif de façade particulier, dont la génération, individuellement induite, ne met aucunement en péril l’œuvre collective de l’immeuble. Cette capacité sans borne d’altérations du système permet à l’expérience des architectes A. Mangiarotti et B. Morassutti de développer une forme de matrice projectuel. Autrement dit, un dispositif permettant à l’objet une expression unitaire dissociée des volontés individuelles de percements.

Par la mise au point de cette dissociation, l’hypothèse selon laquelle l’évolutivité complète d’un logement nécessite une architecture capable d’en absorber les effets à l’échelle de l’œuvre s’avère on ne peut plus explicite. Puisqu’en effet l’expérience architecturale menée au 24 de la via Quadronno confère à l’habitant la possibilité d’une modification totale de la cellule individuelle, un aboutissement du concept de pleine propriété. Ce faisant la question de l’œuvre architecturale devient collective, l’architecte instaure une matrice à la fois rigide dans son unité et souple vis-à-vis de ces possibilités.

Figure 8 : Epreuve photographique du potentiel d’altérations de l’immeuble résidentiel du 24 via Quadronno, des architectes A. Mangiarotti et B. Morassutti, Milan 1962. (Crédit : DEPUSSSAY, Yohan – 2019)

 

Bibliographie non exhaustive

Ouvrages

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  • GRAF Franz, Histoire matérielle du bâti et projet de sauvegarde : Devenir de l’architecture moderne et contemporaine, Paris, PPUR Presses polytechniques, 28 mai 2014, 484p.
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  • SIZZI Lorenzo, Residenze in Via Quadronno, Milan, École Polytechnique d’architecture de Milan, 34p.
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Revues

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  • Casabella, n° 812, 2012, p. 98‑108.

Web

    • Studio Magiarotti, biographie Angelo Mangiarotti : URL: https://www.studiomangiarotti.com/biografia.phphttps://docplayer.it/58047167-Studio-sergison-accademia-di-architettura-universita-della-svizerra-italiana-spring-semester-2015-milan-facades.html

Exposition

  • Giulio Barazzetta, Angelo Maggi et Andrea Nalesso, American Journey 1949-50 – Bruno Morassutti. Tolentini, Aula Magna , IUAV,
  • Roberta Albiero, Serena Maffioletti et Roberta Albiero, La ligne organique vers le nord-est. Tolentini, Galeries du Recteur, IUAV,

Archives

  • Fond Bruno Morassutti. Institut Universitaire d’Architecture de Venise, IUAV.

Films

L'auteur
Yohann Depussay

Membre d’un des séminaires 2107 et 2018 conduits par Jérôme Guéneau et Gilles Sensini dans l’atelier Avec l’Architecture, au sein du domaine d’étude Préexistence. Séminaires portant sur le mouvement moderne hétérodoxe milanais des années 40′ à 60′.

Ses articles

Extrait de la revue

3
Le Rationalisme maniériste milanais 1940-1960
Une architecture moderne hétérodoxe
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